Réécriture de contes à la Ghost Whisperer
Voici la référence du conte : « Le roi Barbabec », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome I, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 293 à 298.
Dans une petite ville en Amérique du Nord, un juge, Thomas Gordon(1), avait une fille, prénommée Melinda, qui était extraordinairement belle. De plus, elle avait un don particulier, celui de voir les esprits errants, qu’elle aidait à passer dans la lumière, dans l'au-delà. Elle était tellement fière et hautaine à cause de tout cela, qu’elle ne trouvait jamais aucun prétendant assez bon pour elle. L’un après l’autre, elle les éconduisait avec dédain et, en plus, se moquait d’eux. Non seulement elle se moquait des vivants, mais aussi des esprits errants qui les accompagnaient.
Le juge Thomas Gordon, son père, prépara un jour un grand festin auquel il invita tous les hommes des environs qui souhaitaient se marier. Tous furent placés suivant leur rang et leur condition : d’abord les rois, ensuite les princes, puis les ducs, les comtes, les chevaliers, enfin les gentilshommes, les médecins, les juges et les professeurs. Et la fille du juge fut amenée devant eux tous et les passa en revue ; mais à chacun elle trouva quelque chose à reprocher. Celui-ci, un certain Kevin McCall(2), elle le trouvait trop maigre, disait-elle ; celui-là, un certain Samuel Lucas(3), elle le trouvait trop gros : une tonne à vin ! disait-elle ; celui-là, un certain professeur Richard Payne(4), était trop grand : grand corps, longue figure, le personnage est sans allure, disait-elle ; cet autre était trop petit : un petit rond, il n’a pas de façon ; un autre, elle le trouvait trop pâle : la blancheur de la Mort, quelle horreur ! disait-elle en s’éloignant ; un autre encore était trop rouge : un vrai coq ! le sixième n’était pas assez droit : bois vert, il a séché au four ! disait Melinda. Parfois, elle trouvait aussi des défauts à un défunt, un esprit errant qui accompagnait le prétendant. Quand enfin elle eut, à tous, vivants et esprits, trouvé quelques défauts, elle se gaussa d’un docteur jovial et bon qui occupait le haut de la lignée, un certain Jim Clancy(5), sous prétexte qu’il avait les yeux bleus d’un débauché et qu’il avait des muscles d’un taureau : « Ho ! celui-là, il est ridicule avec ses yeux bleus… Et avec ses gros muscles, on dirait un taureau ! » lança-t-elle. Et ce docteur depuis lors fut appelé Ridicule Telfer. Il était par ailleurs, suivi par un esprit errant, son frère aîné, Daniel Clancy(6), qui avait aussi les yeux bleus et les cheveux noirs, était vêtu comme un médecin. L’esprit, qui remarqua que la jeune femme avait plu à son frère, influença ce dernier afin de lui transmettre par la pensées des idées pour la séduire. Mais lorsque Melinda l’insulta ainsi, en plus, devant tous les gentilshommes réunis, par orgueil, Jim pensa bien la marier, mais en l’humiliant un peu, pour lui donner une leçon. C’était son frère, à ses côtés, qui lui communiqua cette idée.
Le juge Thomas Gordon, quand il vit que sa fille n’avait que sarcasme pour chacun et pour tous, et que, de tous les prétendants qu’il avait réunis, elle n’en trouva pas un seul à son goût, le juge se mit dans une très grande colère et en discuta avec sa femme, Elizabeth(7). Comme elle fut d’accord, il jura que leur fille aurait pour époux le premier homme qui viendrait devant la porte(8).
Quelques jours plus tard, un pauvre ambulancier vint sous la fenêtre pour recevoir quelque aumône, car il était presque sans emploi ; et le juge, dès qu’il l’entendit, lui fit signe d’entrer. Le pauvre entra, loqueteux, guenilleux, et un serviteur s’empressa de lui trouver une place sur la table. Heureusement que l’ambulancier était là, car l’un des invités avait un malaise. Il accourut aussitôt pour apporter les premiers soins. L’invité fut ainsi sauvé et l’ambulancier s’installa à la place qu’on lui avait assigné. Ensuite, il se présenta devant le juge, devant sa femme et devant sa fille, pour demander humblement, quand il eut fini, une modeste aumône. Son nom : James Clancey(9). Melinda remarqua alors qu’il était suivi par l’esprit errant d’un jeune homme vêtu de haillons déchirés.
Elle pensa avec mépris : « Des gueux ! Pourquoi mon père les accepte-t-il à sa table ? Il devrait plutôt les chasser… Il devrait leur en interdire l’accès… Avec leur aspect repoussant, ils gâchent la belle ambiance ! »
Thomas Gordon dit d’un air enjoué, en faisant un geste vers l’ambulancier :
— Merci beaucoup de votre intervention… Pour vous récompenser, Monsieur James Clancey, je vous donne ma fille comme épouse.
Élizabeth approuva silencieusement les propos de son époux.
Seule leur fille en fut horrifiée, mais le juge coupa court à toutes formes de protestation en lui disant :
— Melinda, j’ai juré par serment que tu n’auras pas d’autre époux que le premier homme qui se présenterait ici, et je ne me parjurerai pas !
La jeune femme s’agita sur sa chaise et protesta :
— Mais père, n’as-tu pas vu…
Elle dit d’un ton hautain en désignant de sa main droite l’ambulancier :
— Ce gueux ? Je ne peux pas me marier à lui ! Comment veux-tu que je vive avec lui ? Il ne m’arrive même pas à la cheville ! De plus…
Son père l’interrompit sèchement :
— C’est assez ! Silence !
Melinda, penaude, joua nerveusement avec le bord de sa longue robe argentée, tout en regardant alternativement son père, sa mère puis l’ambulancier.
Elizabeth intervint d’une voix douce :
— Je comprends, Mel… Ton opposition à… ce mariage forcé…
La jeune fille serra ses mains en poings et hurla :
— Merci de nommer un chat un chat !
Sa mère, sans se laisser émouvoir par sa colère, termina sa phrase :
— Mais un serment est un serment…
Elle leva son index droit et s’exclama d’un ton sévère :
— Et je suis témoin ! De même que le Bon Dieu !
Thomas regarda de ses yeux glaciaux sa fille, faisant frémir celle-ci. Elle se tut.
Elle comprit qu’aucun discours ne pourrait faire changer d’idée ses parents. Elle soupira d’un air résigné, moue boudeuse au visage.
Quelques jours plus tard, le prêtre fut mandé et le mariage célébré, unissant la fille du juge avec l’ambulancier. Après la bénédiction, le juge dit à Melinda :
— Maintenant que te voilà l’épouse d’un ambulancier, il ne sied pas que tu demeure au château. Va donc et suis ton mari, puisque c’est ton devoir.
L’ambulancier James Clancey la prit par la main et l’emmena hors du palais, et ensuite elle dut faire tout le chemin à pied. Comme ils passaient dans une grande forêt, elle demanda :
— Cette belle forêt, à qui appartient-elle ?
— C’est au médecin Jim Clancy, à lui qu’elle appartient !
Que ne l’ai-je agréé : ce serait-là mon bien !, pensa tristement Melinda, en retenant ses larmes. Hélas, pauvre de moi, fragile demoiselle, que ne l’ai-je épousé, le bon docteur Jim Clancy ! Je n’aurais pas dû le surnommer le docteur Ridicule Telfer !
Ils quittèrent la forêt pour entrer dans une magnifique plaine verdoyante et fertile, et là encore Melinda questionna :
— Cette belle campagne, à qui appartient-elle ?
— C’est au docteur Jim Clancy, à lui qu’elle appartient.
Que ne l’ai-je pas agréé : ce serait là mon bien !, pensa amèrement la jeune mariée. Hélas, pauvre de moi, fragile demoiselle… Que ne l’ai-je épousé, le bon docteur Ridicule Telfer !
Quand ils eurent traversé cette plaine, ils arrivèrent aux portes d’une belle et grande ville, et elle demanda :
— La superbe cité ! À qui appartient-elle ?
— C’est au docteur Jim Clancy, à lui qu’elle appartient.
— Que ne l’ai-je pas agréé : ce serait là mon bien ! gémit-elle en soupirant. Hélas, pauvre de moi, fragile demoiselle ! Que ne l’ai-je épousé, le bon docteur Ridicule Telfer !
Elle sortit de ses tristes pensées par la voix de son mari.
— Il ne me convient pas du tout et il me plaît bien moins encore, lui dit l’ambulancier, que tu sois tout le temps à souhaiter un autre époux que moi ! Est-ce que je ne suis pas assez bon pour toi ?
L’esprit errant qui suivait James commenta d’un ton ironique :
— Madame n’est pas contente de son époux ? En espérant qu’elle ne pense pas lui être infidèle.
Elle se renfrogna à cette remarque, mais n’ajouta pas un seul mot.
Quand, pour finir, elle arriva devant une maisonnette vraiment minuscule, dans un cul-de-sac dans la petite ville de Grandview, elle s’exclama en la montrant d’un geste théâtral de bras :
— Mon Dieu, une maison petite comme ça ! Quel est le malheureux qui peut habiter là ?
L’esprit qui suivait l’ambulancier répondit :
— Nous habitons ici… Heureusement que je ne suis pas vivant… Ça vous fait plus de place…
James, faible sourire aux lèvres, répondit :
— Cette maison, c’est la mienne et la tienne ; ensemble nous habitons là.
Melinda, ignora la remarque de l’entité invisible. Elle dut se plier pour passer sous la petite porte basse, et quand elle fut entrée, elle s’écria, en montrant l’intérieur :
— Où sont les serviteurs ? demanda-t-elle d’un air hautain.
— Quoi, des serviteurs ? répondit James. Ce que tu veux avoir, c’est à toi de le faire… Tu as des mains pour cela. Et tu vas commencer tout de suite par allumer un feu et remplir la marmite pour faire cuire le dîner.
L’esprit errant qui suivit en silence l’ambulancier commenta d’un ton ironique :
— C’est l’occasion pour Madame de montrer ce qu’elle sait faire de ses dix doigts !
La jeune brunette, vexée, ne put s’empêcher de lancer un regard foudroyant à l’entité en croisant ses bras sous sa poitrine.
Étonné, son mari lui demanda la raison de sa réaction. Elle résuma la remarque de l’esprit errant. C’était ainsi qu’il sut qu’elle voyait depuis son enfance de telles entités.
Mais Melinda Gordon ne savait ni allumer un feu, ni faire la cuisine, et James Clancey dut lui-même y mettre la main à la pâte pour que cela n’aille pas plus mal encore(10). Après leur maigre pitance, ils allèrent au lit, mais l’ambulancier l’en fit sortir de bonne heure le lendemain parce qu’il fallait qu’elle s’occupât de faire le ménage. Tant bien que mal, ils vécurent quelques jours de cette façon, mais ils eurent tôt fait de manger le peu qu’ils avaient.
— Femme, dit l’ambulancier, cela ne peut pas continuer comme cela : on ne peut pas toujours manger et ne rien gagner. Tu vas être caissière dans une boutique d’antiquités.
Il sortit, en traînant doucement Melinda par la main. Ils se promenèrent ainsi dans les rues de leur petite ville. Ils virent la boutique The Same It Never Was Antiques, dont sur la porte était collée une petite affiche en carton sur laquelle il était écrit : « Caissier ou caissière à temps plein et à temps partiel. Nous sommes à la recherche d’un caissier ou d’une caissière pour notre boutique d’antiquités. Formation offerte sur place. La manipulation d’une caisse sera considérée comme un atout. Taux horaire de 16,10 à 20 dollars, selon l’expérience. Si vous êtes intéressé(e), veuillez laisser votre Curriculum vitae au propriétaire de la boutique, qui est au comptoir. »(11)
L’ambulancier et sa femme s’arrêtèrent devant la porte de la boutique.
Il dit : — Femme, apporte ton CV…
Melinda protesta en agitant ses mains élégantes en un geste désespéré :
— Mais je n’ai aucun CV ! Je n’ai jamais travaillé !
— Ça sera enfin l’occasion de travailler, Mel… Je t’aiderai pour sa rédaction…
Elle soupira et murmura en roulant des yeux :
— Merci !
Puis ils revinrent dans leur petite maison, où le pauvre ambulancier l’aida à écrire son CV. Melinda l’apporta ensuite au propriétaire de la boutique.
Le lendemain, la jeune brunette fut embauchée. Elle s’y rendit en rechignant en son for intérieur contre son mari qui ne travaillait pas assez. L’esprit errant qui le suivit lui dit gentiment de ne pas se plaindre de son époux et d’assumer son destin.
Melinda, avec son plus beau sourire aux lèvres, se présenta auprès du propriétaire de la boutique. Celui-ci lui montra le fonctionnement d’une caisse. Au moins, elle comprit rapidement les fonctionnalités, bien qu’elle se plaignit des touches du clavier qui étaient dures. Lorsqu’elle revint chez elle, James préparait leur dîner.
Le lendemain, Melinda revint à son lieu de travail, tandis que son mari, lui, travaillait comme ambulancier à l’hôpital Mercy(13). Derrière la caisse, en tambourinant sur le comptoir, elle pensa tristement : Ah ! Si jamais des gens de la ville de mon père viennent dans cette boutique et m’y voient en train de vendre des antiquités, comme ils vont se gausser de moi ! Mais à quoi bon ces réflexions ?
La première fois, cela marcha bien : les gens achetaient volontiers à cette femme parce qu’elle était jolie, et ils payaient sans rechigner le prix qu’elle leur demandait ; mieux même, il y en eut qui lui donnèrent l’argent et lui laissèrent pourtant l’objet, que ce soit une figurine en porcelaine, ou encore un meuble.
Melinda et son mari vécurent de son gain le plus longtemps possible, jusqu’à ce que de nouvelles acquisitions arrivèrent dans la boutique. Elle tenta d’aborder l’esprit errant qui suivait l’ambulancier, mais il ne répondait jamais à ses questions, car il disparaissait toujours de sa vue.
Un jour, un homme vers la trentaine, vêtu d’une tenue aux couleurs des uniformes militaires, fit irruption dans la boutique. Ivre, d’une démarche chancelante, il cassa une rangée de figurines en porcelaine sur l’une des étagères(14). Melinda remarqua que le client était suivi par un esprit, qui se tenait derrière lui, silencieux. Elle le détailla : un jeune homme, peut-être un adolescent, vêtu d’un chandail et d’un pantalon de jogging vert. Lorsque son regard se posa sur lui, il disparut de sa vue avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit. La caissière extraordinaire ramena son attention vers le client et lui demanda, en pleurant, de payer les objets brisés. L’homme bredouilla quelques vagues excuses de sa voix avinée, la tête baissée, s’approcha du comptoir, paya et sortit aussitôt en titubant. Une fois le client sorti, Melinda se mit à pleurer, ne sachant plus que faire dans son désarroi.
— Hélas ! Que faut-il qu’il m’arrive encore ? gémit-elle. Que va dire le propriétaire de la boutique ? Que va dire mon mari ?
Après son quart de travail, elle courut à la maison et raconta à James le malheur.
— Mais aussi quelle idée de regarder sans réagir un client ivre ! Et de placer des figurines de porcelaine près de l’entrée ! s’écria-t-il d’un ton courroucé. Ah ! je vois bien que tu es décidément capable de rien faire de bon ! Je suis allé au château du médecin Clancy, le médecin de notre ville, et je leur ai demandé, là-bas, s’ils n’auraient pas besoin d’une fille de cuisine ; ils m’ont promis de t’engager. Comme cela, au moins, tu seras nourrie.
Melinda, les yeux agrandis de surprise, balbutia :
— James, es-tu certain… qu’ils voudront m’engager…
Elle s’écria :
— Je ne sais pas cuisiner ! C’est certain qu’ils me reverront pas ?
Il murmura, en serrant les mains de la brunette entre les siennes :
— Mel, ne t’inquiètes pas… Je te garantis que tu pourras les aider… D’ailleurs, tu n’as qu’à faire ce que les cuisiniers te diront de faire… Et c’est tout… Tu comprends ?
— Oui…
Il la serra contre lui pour la rassurer.
La fille du juge devint donc une servante de cuisine et dut faire les plus bas travaux. Elle remplissait deux pots avec les restes qu’on voulait bien lui donner, les calait dans les poches de son gros tablier et les rapportait à la maison chaque soir, pour qu’ils puissent manger tous les deux.
Or, il advint que le mariage du fils benjamin du docteur Aiden Clancy(15) allait se fêter au château, et la pauvre Melinda monta jusqu’à la porte de la grande salle du festin pour jeter un coup d’œil. Les lumières étincelaient et les invités arrivaient, tous plus beaux les uns que les autres ; devant cette splendeur, cette pompe glorieuse et cette magnificence, elle songea avec douleur à son destin, et son cœur se repentit amèrement de son orgueil et de sa morgue, qui l’avaient si bien abaissée et précipitée dans sa funeste pauvreté. Cachée derrière la porte pendant que se déroulait le festin, elle respirait la bonne odeur des plats qui ne cessaient de défiler devant elle à chaque service, et au passage les serviteurs ne se faisaient pas faute, quand ils retournaient vers les cuisine, de lui tendre un morceau ou deux de ce qu’il restait dans les plats ; vite, elle les mettait dans l’un ou dans l’autre de ses deux pots pour pouvoir rapporter de quoi manger à la maison.
Tout à coup, le fils du docteur, tout habillé de velours et de soie, avec des chaînes d’or autour du cou ; surprenant cette jolie femme qui se tenait derrière la porte, il lui prit la main pour l’entraîner dans la danse. Elle se défendit, tout effrayée, car elle venait de reconnaître le docteur Ridicule Telfer, ou Jim Clancy, ce prétendant qu’elle avait repoussé avec tant de sarcasme et de dédain. D’ailleurs, l’esprit errant de son frère aîné le suivait silencieusement. Sa résistance fut vaine et elle fut obligée de le suivre dans la grand-salle où il l’entraînait ; et voilà que se déchira la ceinture de son tablier et que les pots roulèrent au sol, répandant la soupe et les reliefs qu’ils contenaient à la vue de tous. Ce fut un éclat de rire général et les moqueries fusèrent de tous côtés autour d’elle, qui en fut si honteuse qu’elle eût voulue se trouver mille pieds sous terre. Elle bondit vers la porte et courut pour s’enfuir, mais elle était à peine dans l’escalier qu’une main d’homme la rattrapa et la retint, pour la ramener de force au salon. Quand elle leva les yeux sur l’homme, elle le reconnut sans peine : car c’était de nouveau Jim Clancy.
— N’aie pas peur, lui dit-il d’un ton doux et aimable, l’ambulancier James Clancey qui t’a emmenée vivre dans sa misérable cahute et moi, nous sommes le même homme. Je l’ai fait parce que je t’aimais, et je me suis déguisé pour pouvoir t’épouser. Le client ivre qui a cassé les figurines de porcelaine, c’était encore moi. Tout cela est arrivé afin que soit rabattu ton orgueil, abaissée la fierté de ton esprit, et punie la hauteur de ton dédain pour moi avec les moqueries que tu y avais mises !
L’esprit errant qu’était Daniel Clancy sourit à la passeuse d’âmes et dit d’un ton sérieux, en ajustant son veston de docteur :
— Melinda, je dois préciser que je suivais partout mon frère… Seulement, à chaque nouveau rôle, je changeai d’apparence(16). C’est pourquoi je ne répondais jamais à tes questions, car je n’avais pas d’idée pour improviser une histoire…
Il fit un clin d’œil complice et ajouta :
— Jim est un meilleur comédien que moi !
Melinda balbutia, en regardant craintivement vers l’entité :
— Sérieux ?
Jim serra les mains de sa femme entre les siennes et murmura :
— Ma chérie, avec quel esprit…
Elle répondit :
— Ton frère… Il vient de me dire qu’à chacun de tes rôles, il t’avait accompagné en se faisant passer pour un autre esprit… Une fois comme un pauvre homme vêtu de haillons, une autre fois comme un adolescent… À chaque fois que je voulais l’aborder, il s'échappait… Maintenant je viens de comprendre pourquoi… Parce qu’il n’avait pas d’idée pour improviser une histoire…
Jim murmura :
— L’explication est vraiment intéressante… Je ne m’attendais pas du tout que mon frère m’aide autant d’outre-tombe… C’est vraiment touchant ! Merci Dan !
Daniel précisa, en faisant un clin d’œil complice :
— Melinda, je vais te dire le secret du client ivre…
Les sourcils levés, elle demanda :
— L’était-il vraiment ?
— Un peu, car il était auparavant parti dans un bar avec deux connaissances du temps de ses études, Tobias Northrop et Lew Peterson(17)…
Jim lança un regard interrogateur à Melinda, qui lui rapporta ce que l’esprit errant avait dit.
Il confirma sa compréhension d’un signe positif.
Melinda regarda alternativement Jim et Daniel, puis fondit en larmes très amères.
Elle dit à Jim :
— Je me suis mise dans le plus grand tort et je ne suis pas digne d’être ton épouse !
— Console-toi, lui dit-il : les mauvais jours sont finis pour toi et ce sont nos noces que nous fêtons ici.
La jeune brunette voulait savoir la cause du décès de son beau-frère : Jim lui expliqua qu’une sorcière l’avait tuée dans la forêt parce qu’elle avait pensé le marier à sa fille. Et l’esprit ajouta que s’il restait auprès de son frère, c’était pour s’assurer qu’il se maria à une bonne femme.
Les femmes d’atours arrivèrent alors et la parèrent des plus magnifiques vêtements et des bijoux les plus splendides ; puis son père entra, suivi de ses serviteurs, pour la féliciter de son mariage avec le docteur Jim Clancy et leur offrir à tous deux ses vœux de bonheur. Alors la véritable fête commença.
Daniel Clancy était à la réception. Melinda, enlacée par Jim, le salua d’un geste de tête. Comme son époux la questionna du regard, elle lui expliqua que son frère était là. La passeuse d’âmes ajouta :
— Et j’espère qu’il partira bientôt dans la Lumière…
Jim l’embrassa chastement sur les lèvres et confirma silencieusement ses propos.
L’esprit errant s’approcha du couple, large sourire au visage, les yeux pétillants de joie. Il dit d’un air enjoué en désignant d’un grand geste des bras le couple :
— Félicitations aux mariés ! Je suis tellement content pour Jim !
Il continua d’un ton sérieux :
— Je n’ai aucune raison de rester ici… Je ne sais plus quoi faire…
Il tourna sa tête vers sa droite, se racla la gorge et murmura :
— Je vois une lumière… C’est tellement pur ! Tellement divin !
Émue aux larmes, la passeuse d’âmes répliqua :
— Elle est pour toi… Va-y sans crainte !
L’esprit, d’un pas assuré, s’avança vers sa droite, attiré par la lumière surnaturelle que lui seul voyait. Lorsque cette lumière l’enveloppa complètement, Melinda sut qu’il était parti définitivement. Elle se retourna vers son époux et lui dit ce qui venait de se passer.
Ils revinrent dans la salle de danse.
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(1) Dans le conte, il s’agit d’un roi.
(2) Dans la série Ghost Whisperer, Kevin McCall est le petit-copain de Melinda du temps de ses études.
(3) Dans la série, Sam Lucas est un architecte, avec lequel Melinda se marie à la fin de la quatrième saison, car l’âme de Jim Clancy est entrée dans son corps.
(4) Dans la série américaine, le professeur Richard Payne est amoureux de Melinda, sauf qu’il a compris qu’il n’a aucune chance auprès d’elle. Il est néanmoins un ami.
(5) Dans la série, Jim Clancy est un ambulancier, mais il deviendra docteur au début de la cinquième saison.
(6) Dans Ghost Whisperer, Daniel est le frère aîné de Jim. Nous avons simplement ajouté qu’il était un docteur, car ce n’est pas précisé dans la série.
(7) Dans le conte, la femme du roi n’est pas mentionné. C’est notre ajout, puisque la mère de Melinda se prénomme Elizabeth.
(8) Dans le conte, le roi jure que sa fille aurait pour époux le premier mendiant qui viendrait devant la porte.
(9) Jim peut être un prénom ou le diminutif de James et de Jimmy. Son équivalent français est Jacques. Clancey est une variante de Clancy.
(10) Dans Ghost Whisperer, c’est Jim qui fait la cuisine et non Melinda.
(11) Ici, une petite entorse par rapport à la série, car Melinda Gordon est la propriétaire de la boutique d’antiquités The Same It Never Was Antiques. Pour la cause du conte, nous avons décidé de faire d’elle une simple caissière.
(12) Nous avons ici abrégé le conte, car la princesse, dans un premier temps, essaie de tresser des paniers en osier sauf qu’elle se blesse aux mains en raison de la dureté des brins d’osier ; ensuite son mari lui donne de la laine à filer, mais elle se blesse aux doigts, puis il l’envoie vendre des poteries au marché.
(13) L’hôpital Mercy est le lieu de travail de Jim Clancy en tant qu’ambulancier dans la série.
(14) Dans le conte, c’est un hussard ivre sur son cheval qui fait irruption dans le marché et qui piétine les poteries de la princesse.
(15) Aiden Clancy est le père de Jim dans la série. Rien n’est précisé au sujet du métier qu’il exerce, puisqu’il est mort lorsque Jim a dix ans. Comme il est vivant dans notre réécriture, nous faisons ici une petite entorse par rapport à Ghost Whisperer.
(16) Les esprits peuvent changer d’apparence dans la série, selon comment ils se sentent ou selon la manière dont ils veulent apparaître, de sorte qu’ils ne conservent pas nécessairement leur dernier aspect de leur corps physique avant de le quitter définitivement.
(17) Ces deux amis du temps des études avec lesquels Jim Clancy sortait pour boire avant son mariage ne sont que brièvement mentionnés dans la série, plus précisément dans le cinquième épisode de la deuxième saison, « Lost Boys » ou « Les garçons perdus ».