Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 1 : La Cendrillon de Grandview

5827 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 2 mois



Voici les références des contes : 

« Cendrillon ou la petite pantoufle de verre », dans Charles Perrault, Contes, préface de Marc Soriano, illustrations de Martine Lasnet, Paris, Hachette, 1977, d’après l’édition originale de 1697, p. 67-81.

« Cendrillon », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome I, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], p. 138-146.




Il était une fois, à Grandview, une petite ville en Amérique du Nord, un gentilhomme riche, le juge Thomas Gordon, dont la femme, Elizabeth, une fleuriste, était tombée malade. Lorsqu’elle sentit approcher sa fin, elle appela son unique fillette, et lui dit : « Mon enfant chérie, reste toujours bonne et pieuse, et tu pourras compter sur l’aide du Bon Dieu ; et moi, du haut du ciel, après avoir passée dans la Lumière, je te regarderai et te protégerai. » Après ces paroles, elle ferma les yeux et mourut(1). Chaque jour, désormais, la fillette se rendit sur la tombe de sa mère et pleurait. Elle s’appliquait à rester pieuse et bonne. Cependant, elle n’était pas une enfant ordinaire, car elle avait un don, qu’elle avait hérité de sa douce mère, celui de voir les esprits errants, des âmes détachées de leur corps, qui demeuraient pour une raison ou une autre parmi les vivants. Ainsi, elle remarqua que sa mère était l’un d’eux. Elles discutèrent à chaque jour et Elizabeth avait appris à sa fille les principes des passeurs d’âmes(2). De plus, elle encourageait sa fille à rester bonne.

Quelques printemps après sa mort, Thomas Gordon épousa en secondes noces une femme, une certaine Charlotte, la plus hautaine et la plus fière qu’il eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toute chose. Elles étaient jolies et blanches de visage, mais vilaines et noires de cœur. L’aînée se prénomma Emma, la cadette Jessica. Le mari avait de son côté une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans exemple ; elle tenait cela de sa mère, Elizabeth, qui était la meilleure personne au monde. Non seulement elle hérita du caractère doux de sa mère, mais aussi les cheveux et les yeux bruns. Les noces ne furent pas plus tôt faites que cette seconde épouse montra rapidement son mauvais caractère. Pour la pauvre enfant du premier lit, ce fut une période affreuse qui commença. Sa belle-mère et ses deux filles jugèrent qu’elle ne devra pas être au salon avec elles. Ces deux demoiselles et leur mère s'entendaient sur le rôle à donner. « Puisqu’elle si chétive et petite, elle peut être notre bonne… Sa place n’est pas ici parmi nous, au salon, mais dans la cuisine, avec un tablier sale et non des fins vêtements de lin ! Hors d’ici, la fille de cuisine » Elles lui arrachèrent sa jolie robe pour lui remettre une robe aux couleurs sombres et un tablier gris et la chaussèrent de sabots de bois. Elle était ensuite chassée dans la cuisine. La seconde épouse de son père chargea la jeune fille des plus viles occupations de la maison : c’était elle qui se levait très tôt pour chercher l’eau du puits dans la cour arrière, qui allait acheter des croissants frais pour le petit-déjeuner de sa belle-mère, qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui préparait à chaque jour du pain frais, qui faisait la lessive. Elle allumait le feu, faisait la cuisine et tous les autres gros travaux. De plus, le soir, sa belle-mère et ses deux filles jetaient des pois ou des lentilles par terre et riaient d’elle à tout propos en filmant le tout avec leur cellulaire. La jeune fille supportait tout cela avec patience et n’osait pas s’en plaindre à son père. Le soir, exténuée de sa longue journée, elle n’avait pas de lit et elle s’était résolue à dormir près du feu de l’âtre, afin d’être bien au chaud en hiver. Elle était surnommée Melinda(3) car elle était toujours sale et souillée par les cendres noires de l’âtre. Cependant, avec ses méchants habits, Melinda paraissait cent fois plus belle que ses demi-sœurs, quoique vêtues magnifiquement.



Un jour de mai 1999 que Thomas Gordon devait se rendre à la foire, il demanda à ses deux belles-filles et à sa fille ce qu’elles voulaient qu’il leur en rapportât. « Des belles robes ! » dit Emma. « Des joyaux et des perles ! » dit Jessica. « La première branche de l’arbre qui cinglera ton visage en cours de route » dit Melinda, car sa mère lui chuchota cette idée.

Il acheta des belles parures, des pierres précieuses et des perles pour ses belles-filles. Sur le chemin du retour, en passant à cheval près d’un bosquet, une branche de noisetier lui cingla le visage. Le juge arrêta sa monture pour découper la branche et l’accrocha à sa selle.


Arrivé à la maison, Thomas rapporta les parures, robes et pierres précieuses à ses belles-filles. Il tendit la branche du noisetier à sa fille, qui la prit et la planta sur la tombe de sa mère, qui était contente que sa fille suivit son désir. 

Elizabeth s’exclama : « Mon enfant chérie, je souhaite que cette branche de noisetier te protège des mauvais esprits et te guide avec sagesse vers la justice ! »


Émue, Melinda fixa sa mère. De quels mauvais esprits est-il question ? Je n’ai pas remarqué d’autres esprits dans la maison, à part… toi…

Ses yeux se perlèrent de larmes. La scène des derniers moments au chevet de sa mère lui revint en mémoire.



Elizabeth, allongée dans son lit, immobile, murmure d’une voix faible : 

– Mel, es-tu là ?

Melinda, alors âgée de cinq ans, la regarde d’un air étonné.

– Oui, maman, je suis là…

Un faible sourire se dessine sur les lèvres du visage émacié d’Elizabeth. Elle murmure : 

– Tu me promets une chose…

La fillette, les yeux agrandis, réplique : 

– Quoi ?

– D’être toujours gentille et d’aider le plus possible les vivants et les âmes errantes… S’il te plaît, aide-les à passer dans la Lumière, mais sans te mettre en danger… Avoir un contact avec les esprits est un don qu’il ne faut pas ignorer ou négliger…

– Oui, je te le promets, maman.

Melinda tient la main droite de sa mère entre ses mains, ayant l’impression que le pouls de sa mère se fait de plus en plus faible. Puis, Elizabeth ne bouge plus, les yeux vitreux, le visage pâle, la peau froide. Et son âme, qui a la même apparence que son corps, sort de ce dernier. La jeune passeuse d’âmes la fixe. L’âme d’Elizabeth lui sourit puis s’exclame : – Enfin libre ! Mais je veillerai encore sur toi, mon enfant chérie. Je sais que je dois, selon l’ordre des choses, partir dans la Lumière, ou dans l’Au-delà, peu importe le nom… Sauf que je ne veux pas partir tant que je ne te sais pas en sécurité, non seulement toi, mais aussi ton père…

Et l’esprit errant qu’est maintenant devenue Elizabeth Gordon s’évapore dans les airs jusqu’à disparaître complètement de la vue de sa fille, qui éclate alors en sanglots. Thomas entre à ce moment, puis se joint à ses pleurs. Il prend sa fille par les épaules pour la rassurer, mais rien n’y fait. 



Sa mère, faible sourire aux lèvres, répondit dans un murmure : 

– Des ombres, des parties d’esprits fragmentés(4), qui sont devenus méchants et qui obéissent à un sombre esprit sorti tout droit de l’Enfer, qui s’appelle Romano(5)… Ce dernier est assisté par un autre sombre esprit dont je ne connaîs pas le nom(6)… Mais ce n’est pas grave… 

Elizabeth fit une courte pause puis s’exclama : 

– Ces esprits sont des suppôts de Satan !

Effrayée, sa fille sursauta, les yeux grands comme des soucoupes, la bouche en o

L’esprit errant s’excusa aussitôt puis ajouta : 

– Mais tu dois savoir, mon enfant bien-aimée, que de telles ombres rôdent autour de ta belle-mère et de ses filles… Ce sont ces entités qui leur inspirent leurs mauvaises actions envers toi…

Melinda, tremblante comme une feuille sous le vent automnal, manifesta sa compréhension d’un mouvement de tête positif. Elle revint à ses tâches dans la cuisine, suivie par sa mère qui l’observa en silence.



Il arriva que le fils du médecin du roi, lui-même médecin et ancien ambulancier, un certain Jim Clancy(7), donna un bal soigneusement organisé par son père, le médecin Aiden Clancy(8). À cet événement étaient invitées toutes les demoiselles en âge de se marier. Aiden envoya des messagers dans tout le royaume pour dire aux pères d’envoyer leurs plus belles filles au bal organisé à cet effet pendant trois jours. Nos deux demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà alors bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur seyaient le mieux.  Thomas Gordon voulut y inviter sa fille du premier lit, mais sa seconde épouse s’y opposa. Il n’osa pas alors se répéter deux fois. Ses deux belles-filles appelèrent Melinda et lui ordonnèrent de les coiffer, ce qu’elle fit en pleurant, attristée de ne pouvoir participer elle aussi au bal. Elle alla demander la permission à sa belle-mère, qui refusa catégoriquement. Nouvelle peine pour Melinda, car c’était elle qui repassait les robes de ses belles-sœurs et qui godronnait leurs manchettes. Elles ne parlaient que de la manière dont elles s’habilleraient. L’aînée essaya tantôt un habit de velours rouge avec une garniture d’Angleterre, tantôt une robe de soie et dentelle. La cadette essaya une jupe en lin avec un manteau d'or, tantôt une robe de soie brodée d'or avec une ceinture de diamants. Melinda supporta avec beaucoup de patience les différents essayages des toilettes, passant plusieurs heures dans la chambre de l’une et de l’autre. De plus, elle les coiffa avec beaucoup de soins. Une autre que Melinda les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne et les coiffait parfaitement bien. 

Une fois après un essayage terminé, Melinda alla pleurer près du noisetier. Sa mère la consola du mieux qu’elle put, mais la passeuse d’âmes était triste d’être exclue du bal. L’esprit errant appela deux pigeons et leur ordonna de suivre sa fille. À ce moment précis, la marraine de Melinda apparut. Elle était une gracieuse fée et une Observatrice(9), ce qui veut dire que rien ne lui échappait. La voyant ainsi pleurer, recroquevillée près du noisetier à proximité de la tombe de sa mère, la fée Observatrice demanda d’une voix douce : 

– Et bien, seras-tu une bonne fille ?

Sur un ton larmoyant, Melinda leva ses yeux brun rougis de larmes, répondit d’un mouvement de tête positif.

Sa marraine demeura pensive puis affirma : 

– Ne pleure pas comme ça, mon enfant… Tu iras au bal, puisque tu es très gentille…

La jeune femme la regarda d’un air étonné, les yeux écarquillés de surprise. 

Comment peut-elle faire en sorte que je puisse me rendre au bal sans être reconnue par mes belles-sœurs ?  

Sourire énigmatique au visage, la fée Observatrice répliqua à sa pensée : 

– Tu n’auras qu’à m’apporter une grosse citrouille, six souris grises, six lézards et trois rats…

Perplexe, Melinda se demandait bien comment une citrouille, des souris et des lézards pourront l’aider à aller au bal du fils du médecin de la cour. Mais elle apporta tout ce que sa marraine lui avait demandé, guidée par les deux pigeons, qui lui désignèrent la plus belle citrouille du jardin de son père, la cachette des souris, des rats et des lézards. Et, d’un coup de baguette, la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré. La marraine flatta les souris, qui furent changées en chevaux. Les lézards, aussi flattés par la fée-Observatrice, se transformèrent aussitôt des laquais. Les rats, eux, devinrent des cochers.

Elle commenta d’un air enjoué : 

– Voici, mon enfant, ton attelage pour aller au bal !

Elle frappa le carrosse, qui redevint une citrouille, les chevaux des souris, les laquais des lézards et les cochers des rats.




Enfin l’heureux jour arriva ; on partit et Melinda les suivit des yeux le plus longtemps qu’elle put. Lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer.

Sa marraine, qui la vit en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait.

D’une voix gémissante, la jeune brunette répondit : 

– Je voudrais bien…

– Tu voudrais aller au bal ?

– Oui !

– Et bien, mon enfant, apporte une citrouille, six souris, six lézards et trois rats…

La chuchoteuse d’esprits, aidée des deux pigeons, apporta la citrouille, les souris, les lézards et les rats. Sa marraine, d’un coup de baguette, changea le tout en un joli attelage de six chevaux gris pommelé qui tirèrent un magnifique carrosse en or mené par un cocher gracieux. À l’arrière furent accrochés les six laquais.

Melinda, muette de surprise, promena son regard de sa marraine à l’attelage et inversement. Elle balbutia : 

– C’est parfait pour le bal… Mais est-ce que j’irai comme ça, avec mes vilains habits ?

La marraine répondit d’une voix douce : 

– Bien sûr que non, mon enfant… Tu dois avoir une robe appropriée pour un tel événement… Va la chercher sous le noisetier…

La brunette courut jusqu’au noisetier. Elle vit en effet une robe d’or et d’argent chamarrée de pierreries tombée de l’arbre. Aussi, une paire de talons hauts en or s’y trouvèrent. Étonnée, elle la revêtit en vitesse et chaussa les talons hauts. De plus, des bagues en brillèrent de mille feux sur ses doigts élégants, dont une dont le chaton était une citrouille. Cette bague, lorsqu’elle tournait le chaton vers le paume de sa main, lui permettait de faire venir son carrosse, peu importe où elle se trouvait. 

La fée-Observatrice, contente pour sa protégée, ajouta une dernière recommandation : elle devait quitter le bal avant minuit. Si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards et sa robe riche redeviendrait ses vieux habits, ses talons hauts deviendraient des sabots de bois. Melinda promit à sa marraine de faire attention à ce détail. 


Ainsi parée, Melinda se rendit au bal organisé par le père de Jim Clancy. Ce dernier, qu’on alla avertir qu’une princesse qu’on ne connaissait point venait d’arriver, courut la recevoir. Elle reconnut sa belle-mère et ses demi-sœurs. De peur d’être reconnue par elle, la jeune brunette fixa Jim Clancy, qui fit fière allure avec son habit d’or et de lin, qui rehaussait bien ses yeux bleus et ses cheveux noirs coupés courts. Melinda tomba amoureuse de lui, tout comme Jim tomba amoureux d’elle. Il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Cependant, ni la belle-mère ni les demi-sœurs ne reconnurent Melinda, pensant plutôt que ce devait être là quelque fille de roi étrangère au pays, tant elle était belle dans sa robe d’or.

Lorsque Jim entra avec elle, il se fit alors un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler la beauté de cette inconnue. On n’entendait qu’un bruit confus : « Ah ! Qu’elle est belle ! »

Melinda, en regardant les autres gens présents dans la pièce, remarqua plusieurs esprits errants, des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, près de leurs proches. Parmi eux, se trouva un jeune homme, vêtu d’un complet de lin argenté et d’une chemise de soie blanche très fine, à la gauche de Jim, visiblement son frère, étant donné leur air de famille(10). Les défunts regardèrent vers sa direction lorsqu’ils comprirent qu’elle les avait vu. Elizabeth, derrière sa fille, s’adressa en ces termes à ces âmes : « Mesdames et Messieurs, laissez ma fille profiter du bal. Elle réglera vos cas après… »

La brunette approuva d’un mouvement imperceptible de tête positif. Les esprits errants continuèrent à observer les vivants en silence. Melinda les ignora, afin d’éviter des questions des autres invités. Jim la mit à la place la plus honorable, y apporta une fort belle collation, dont il ne mangea point, tant il était occupé à la considérer, et ensuite la prit pour la mener danser.

Le médecin du roi même, tout vieux qu’il était, ne lassait pas de la regarder et de dire tout bas à sa femme, Faith(11), qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si belle et si aimable demoiselle. Elle partagea son avis et tous les deux furent d’accord pour marier leur fils benjamin avec cette mystérieuse demoiselle. Leur aîné, Daniel, avait été marié à une demoiselle, fille d’un docteur, sauf qu’il mourut quelques jours avant son mariage(12), ce qui jeta une ombre sur la famille Clancy.


Et Melinda dansa avec Jim. Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage. La brunette s’étonna elle-même de marcher avec aisance avec des talons hauts – surtout que c’était la première fois de sa vie qu’elle portait de tels souliers élégants. Le jeune docteur ne voulut même pas danser avec nulle autre, et c’est pourquoi il ne lui lâchait pas la main. Si quelque autre cavalière venait pour l’inviter à son tour, Jim disait : « C’est ma cavalière. » Jusqu’au soir elle dansa et causa avec le médecin et d’autres invitées, parmi lesquelles étaient ses demi-sœurs. Melinda s’étonna qu’elles ne la reconnurent point. La passeuse d’âmes entendit sonner onze heures trois quarts ; elle voulut rentrer chez elle, mais Jim lui dit qu’il irait avec elle et l’accompagnerait, tant il était curieux de voir de quelle famille venait cette jolie jeune fille. Elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s’en alla au plus vite qu’elle put. Jim l’accompagna, en effet, mais au dernier moment elle lui échappa et sauta dans son carrosse, qui partit aussitôt. De plus, il dut se débattre avec les deux pigeons qui suivirent la mystérieuse demoiselle, car l’esprit errant qu’était Elizabeth les influença à agir ainsi, de sorte qu’il ne put la rattraper malgré son agilité. Déçu, il revint dans la salle de bal pour annoncer la fin de la journée. Tous retournèrent chez eux. 


Melinda, elle, alla trouver sa marraine, qui apparut devant elle lorsqu’elle entra dans la maison paternelle, la remercia puis lui dit qu’elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal, parce que le fils du médecin de la cour l’en avait priée. Elle lui demanda aussi comment elle n'avait point été reconnue par ses demi-sœurs. Sa réponse fut la suivante : étant donné le changement de coiffure, de vêtements et de chaussures, elle lui avait ajouté un léger maquillage sur son visage et des faux cils prolongeant les siens, afin d’accentuer ses qualités, de sorte qu’elle était une autre personne. Au moins, Melinda savait qu’elle n’avait point à tout raconter à sa marraine, puisqu’en tant qu’Observatrice, elle savait tout ce qui s’était passé, de sorte qu’elle alla immédiatement dormir.

Pendant que les autres invités quittaient la salle du bal, Melinda, dans son costume misérable et souillé, était couchée près de l’âtre, avec une veilleuse à huile qui clignotait dans la cheminée. 




Le lendemain, les deux filles de Charlotte allèrent de nouveau au bal. Melinda se rendit à nouveau près du noisetier, sous lequel sa marraine et sa mère apparurent devant elle. La fée-Observatrice lui ordonna d’apporter la citrouille, les souris et les lézards, qu’elle frappa d’un coup de baguette, les transformant aussitôt en un magnifique attelage – le même que la veille. De plus, elle fit tomber près de l’arbre une robe d’or et d’argent encore plus belle que celle de la veille et des talons hauts dorés. Ainsi vêtue, Melinda alla à nouveau danser avec Jim. Ils parlèrent de tout et de rien. Ils n’étaient que plus amoureux l’un de l’autre. Il voulut savoir son identité, ce à quoi, inspirée par sa marraine, qui apparut à sa droite, la brunette lui répondit qu’elle la lui révélera un jour, en plus de lui dire quelque chose d’important la concernant(13). Chacun, charmé par l’autre, ne remarqua pas le temps passer rapidement. Melinda avait presque oublié que minuit se rapprochait à grands pas.

Elizabeth apparut soudainement à sa droite pour lui murmurer à l’oreille : 

– Mon enfant bien-aimée, il est bientôt minuit ! N’oublie pas la recommandation de ta marraine !

En panique, le cœur battant la chamade, les yeux agrandis de peur, Melinda se libéra de l’étreinte de son bien-aimé, pour sortir en vitesse de la salle. Jim s’exclama : « Pourquoi me fuyez-vous, Mademoiselle ? ». 

Sa question demeura sans réponse. Il la suivit, mais elle lui échappa, et les deux pigeons l’attaquèrent sans le blesser, incités à agir ainsi par la possession de l’un d’eux par Elizabeth, ce qui le ralentit dans sa course. Dans son hâte, elle laissa échapper le talon haut de son pied droit. Elle n’y prêta pas attention, sauf quand elle faillit tomber en raison de son pied déchaussé. De rage, la passeuse d’âmes ôta prestement son autre talon haut qu’elle tint dans sa main gauche puis elle sauta, pieds nus, dans son carrosse, qui partit aussitôt. Melinda revint dans la maison paternelle, essoufflée de sa course.

Sa marraine apparut devant elle et la sermonna d’un ton sévère : 

– Melinda, s’il te plaît, ne me désobéis pas !

La jeune brunette gémit d’une voix larmoyante : 

– Je suis vraiment désolée ! Je serais prudente…

La fée-Observatrice s’éclaircit la gorge pour commenter d’une voix douce : 

– Aucune inquiétude, mon enfant… Ton bien-aimé saura ton identité grâce à ton talon haut, puisque tu es la seule qui puisse le chausser…

Melinda, perplexe, pensa : Êtes-vous sûre que l’une des invitées ne profitera pas de l’occasion pour se jouer de Jim car elle a la même pointure de chaussure que moi ? Je serais jalouse qu’il en connaisse une autre…

Sa marraine répliqua à sa pensée d’une voix douce : 

– Ne t’inquiète pas, mon enfant… Je t’assure que tu es la seule à pouvoir chausser ce talon haut… Car il ne s’ajuste qu’à ton pied… Si une autre en venait à le chausser, il serait soit trop grand soit trop petit.

La jeune passeuse d’âmes, moue dubitative, se demanda bien comment une telle chose était possible. 

La fée-Observatrice lui fit un clin d’œil complice puis ajouta : 

– C’est la beauté de mes possibilités d’actions sur le monde des vivants ! 

Ainsi parla la marraine de Melinda, qui disparut ensuite de sa vue. La jeune passeuse d’âmes alla dormir près de l'âtre.




Le lendemain, Jim Clancy lança un message dans les journaux locaux qu’il épousera la demoiselle à laquelle appartient le talon haut perdu. Il précisa que ce message ne concernait que les femmes de plus petite taille, entre un mètre cinquante et un mètre soixante, car il avait remarqué que sa cavalière, malgré ses talons hauts, était plus petite que lui. Il pria les pères des invitées de le contacter par une lettre. Les pères des demoiselles qui correspondaient aux critères énoncés écrivirent un message à Jim pour signaler leurs filles. Et voilà le fils du docteur qui alla de maison en maison chez ces messieurs, afin de demander à leurs filles d’essayer le talon haut et il leur demanda si elles en portaient. Celles qui ne portaient point de talons hauts ne purent pas l’essayer. À celles qui portaient des talons hauts, pour certaines, celui-là était trop grand, pour d’autres, il était trop petit. Cela dura plusieurs jours, avant que Jim se rendit chez Thomas Gordon, qui l’accueillit bien dans son salon. Les demi-sœurs de Melinda essayèrent le talon haut ; sauf que pour l’aînée, l’orteil n’entrait pas ; pour la cadette, le talon ne pouvait entrer. Jim demanda alors à Thomas s’il n’avait pas d’autre fille. 

Le juge répondit : « Monsieur Clancy, il ne me reste que Melinda, la fille de ma première femme, qui est dans la cuisine… Mais elle ne saurait être la fiancée, c’est impossible ! »

Il pensa tristement. Dommage que Melinda n’ait pas été invitée au bal ! Comment pourra-t-elle alors se marier, en s’enfermant ainsi dans ma cuisine ?

Sa seconde épouse ajouta : 

– D’ailleurs, elle n’est pas présentable ! Elle n’est pas digne de vous !

Jim, d’un ton sévère, répliqua : 

– S’il vous plaît, si elle répond aux critères…

Thomas hocha la tête.

Le jeune homme ajouta, en agitant sa main droite qui tenait la délicate chaussure : – Laissez-la essayer le talon ! Car aucun des demoiselles qui l’ont essayé ne peut point le chausser… Pouvez-vous comprendre ?

Le juge, devant le regard noir que lui jeta Jim, n’osa lui désobéir. Il en avertit Melinda. Cette dernière se lava les mains et le visage puis accourut au salon. Elle salua Jim, qui la salua en retour puis il lui tendit le talon haut doré. Elle la chaussa aussitôt, épousant parfaitement son pied. Sous les regards ébahis de son père, de sa belle-mère, de ses demi-sœurs et de Jim, Melinda sortit de la poche de son tablier l’autre talon haut.

 À ce moment, la fée-Observatrice arriva devant elle. Étonnée, la passeuse d’âmes lui jeta un regard interrogateur, mais elle n’eut pas le temps de dire un seul mot que sa marraine la frappa doucement de sa baguette, changeant aussitôt sa misérable robe grise en une robe encore plus magnifique que les précédentes.

Jim fronça des sourcils devant cette transformation. Qu’est ce que j’ai bu ? De l’alcool pour avoir de telles hallucinations… Mais hors de doute, elle est ma bien-aimée !

Il reconnut aussitôt la mystérieuse princesse du bal. Comment un tel changement de comportement est-il possible ? Je n’aurai jamais douté que cette jeune demoiselle sache danser avec autant d’élégance… Je ne suis pas un psychologue ou un psychiatre, mais un simple médecin

Thomas, Charlotte, Emma et Jessica s’entr’observèrent, perplexes. Elles pâlirent de jalousie. Le juge se demanda bien comment sa fille du premier lit avait pu se rendre au bal sans que personne n'ait rien remarqué.

Jim, fou d’amour pour la brunette, la releva du canapé sur lequel elle était assise en la prenant par la main. Il lui demanda son nom. Elle se présenta d’une voix songeuse puis elle avoua comment elle s’était rendue au bal ainsi que son don, celui de voir les esprits errants. Puis un silence plana dans le salon. La marâtre et ses deux filles s’observèrent, interloquées. Comme Charlotte ouvrit la bouche pour protester, Thomas intervint et expliqua  que Melinda avait hérité le don de voir les esprits errants de sa mère, Elizabeth. À nouveau un silence régna dans la salle.

Jim embrassa Melinda sur les lèvres et murmura à son oreille : 

– Mademoiselle Gordon, vous êtes vraiment adorable ! Je ne peux que vous aimer encore plus ! Marions-nous !

Les pigeons, lorsque Jim et Melinda passèrent près du noisetier, vinrent se poser gracieusement sur les épaules de Melinda, une à droite et l’autre à gauche.





Le jour des noces de Melinda avec le fils du médecin de la cour, à l’heure de la cérémonie, arrivèrent les deux sœurs pour l’accabler de flatteries et de doux compliments, car elles voulaient s’insinuer dans ses bonnes grâces et avoir part à son bonheur. Le cortège gagnait l’église derrière les fiancés, et la sœur aînée marchait à droite de Melinda, la cadette à sa gauche. Dans sa bonté, la passeuse d’âmes permit à Jessica et à Emma de se marier. Les demi-sœurs de Melinda se marièrent quelques printemps plus tard, respectivement à Robert Tooch et à Timothy Flaherty, deux ambulanciers, anciens collègues de Jim Clancy(14).




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(1) Nous avons un peu modifié la relation des parents avec Melinda Gordon. Dans la série, Elizabeth, sa mère, est seule à l'élever. Thomas Gordon n’est que son beau-père. Sauf que pour cette fiction, nous avons décidé de faire de lui son père. Dans la série, c’est Thomas Gordon qui meurt à la fin de la troisième saison, tandis qu’Elizabeth est toujours vivante. Sauf que nous avons décidé de respecter un peu le conte en ce qui concerne la mort de la mère de la fillette. De plus, nous avons changé le caractère de la mère à Melinda, car dans la série, elle ignore son don. Par contre, nous demeurons fidèle à la série lorsqu’il s’agit de l’héritage du côté maternel du don (celui de voir les esprits errants).


(2) Dans Ghost Whisperer, ce n’est pas sa mère qui a appris à Melinda les tâches qui incombent à un passeur d’âmes, mais sa grand-mère maternelle, Mary Ann.


(3) Melinda Gordon est le personnage principal de la série Ghost Whisperer. Son prénom est d’origine grecque, dérivé de melanos, qui signifie « noir ». De sorte que nous faisons un jeu de mots avec son prénom.


(4) Les Ombres (Shadows en anglais) apparaissent seulement dans la dernière saison de la série. Elles sont des parties fragmentées d’esprits, puisque ce sont des parties qui ne sont pas parties dans la Lumière, lieu où vont les âmes après leur mort physique. Elles sont des formes non humaines sombres, comme des fumées noires. Les Ombres ne peuvent point être vues par Melinda. Dans la série, c’est son fils, Aiden, qui les voit.


(5) Romano est un esprit errant, l’ennemi de Melinda au cours des trois premières saisons de Ghost Whisperer. De son vivant, il était le chef d’une secte, qui est mort empoisonné au cyanure, avec son associé et les membres. Il est un esprit manipulateur, vêtu de noir avec un chapeau de même couleur. Cependant, le rapport que nous établissons entre Romano et les Ombres est notre liberté artistique.


(6) Cet esprit est l’associé de Romano, qui est désigné dans la série comme l’homme qui rit. Mais il n’a pas plus de prénom.


(7) Jim Clancy, le mari de Melinda, est un ambulancier qui devient plus tard docteur.


(8) Aiden Clancy est le nom du père de Jim. Sauf que dans la série, il meurt alors que Jim à dix ans. Seulement, nous avons décidé de faire une entorse à ce fait de la série pour le garder parmi les vivants. 


(9) Un Observateur (une Observatrice au féminin) est un esprit qui ne passe pas du tout dans la Lumière et qui regarde tout ce qui se passe. Dans la série, il y a plusieurs Observateurs et Observatrices non-nommés, sauf Carl Sessick, l’Observateur présent à la fin de la quatrième saison et tout au long de la cinquième saison.


(10) Daniel Clancy, le frère aîné de Jim dans la série, est mort jeune. Sauf que les circonstances entourant sa mort ne sont pas précisées. Il apparaît comme un jeune homme vêtu d’un complet noir avec une chemise blanche.


(11) Faith Clancy est la mère de Jim.


(12) Comme dans la série rien n’est précisé au sujet du frère aîné de Jim, nous avons pris un peu de liberté artistique.


(13) Dans la série, lors de leur première rencontre, Melinda a dit à Jim qu’elle lui dira un jour au sujet de son don. Dans tous les cas, il semble le savoir avant leur mariage, étant donné sa réaction dans le premier épisode de la première saison (Pilot - Trente ans d’errance).


(14) Dans la série, Robert Tooch, surnommé Bobby, est un ambulancier, collègue de Jim Clancy. De même pour Timothy Flaherty, surnommé Tim, qui est aussi un ami du mari de Melinda.


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