Recueil de légendes proverbiales de la famille Gordon

Chapitre 1 : Proverbe français, première partie

2903 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/01/2024 19:38

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr, Chroniques d’antan (janvier à février 2024)



Avertissement : Dans cette fiction, nous faisons une entorse importante à la série. Nous considérons que Thomas Gordon est le père de Mélinda, et non Paul Eastman, et qu’il détient la capacité de communiquer avec les esprits. Tout comme sa mère, Élizabeth, n’ignore pas son don et soutient activement sa fille.



« Les yeux sont le miroir de l’âme »
Proverbe français

Les yeux reflètent les émotions, c’est-à-dire qu’on peut lire le caractère et les sentiments d'un individu dans ses yeux.




Par une belle journée ensoleillée du mois de février 1990, âgée d’onze ans, Mélinda, une brunette plutôt petite pour son âge, mais toujours enjouée et joyeuse, bien vêtue d'un pull rose et d'une jupe de laine beige, était confortablement assise sur un canapé brun foncé alors que sa mère, Élizabeth, une élégante brunette de trente ans, discutait avec sa grand-mère maternelle, Mary-Ann, et son père, Thomas, à l’extérieur, tous très bien emmitouflés respectivement dans leurs manteaux vert olive, bleu ciel et beige et leurs bonnets blanc, bleu marine et vert forêt. Ennuyée des réunions familiales, la fillette observait la neige tomber. Les flocons de neige qui se collaient sur la vitre du salon et sur les branches des arbres décharnées offraient un spectacle comique. L’enfant, discernant sa mère et sa grand-mère en discussion très animée, était très intéressée à connaître leur débat en voyant leurs mains gantées s'agiter. Son père, Thomas, était un grand homme aux traits délicats et sévères et aux yeux bleu glacial qui s’illuminaient toujours de joie et de fierté lorsque sa fille ou sa femme lui partageaient les cas d’esprits errants. Il discutait avec les femmes à l’extérieur d’un cas d’un esprit errant qui frisait l’horreur, ne voulant pas perturber leur fille avec les détails. À les voir gesticuler, la discussion semblait animée, pensa l'enfant, intriguée et curieuse. Seul son grand-père paternel, Jean, un grand et élégant vieillard aux yeux bleu glacial caractéristiques de la famille Gordon habillé de sa chemise blanche, de son complet brun et de ses pantoufles beiges bien assorties, observait sa petite-fille et réchauffait ses doigts engourdis sur une tasse de thé préparé par son épouse. Cette dernière s’occupait de mijoter le repas pour les familles, puisqu’aujourd’hui était l’anniversaire de sa petite-fille. Jean sourit à la jeune occupante du salon, son visage ridé par l’âge s’illumina de joie à sa pensée et demanda à sa petite-fille :

— Mélinda, veux-tu que je te raconte une histoire familiale ?

L’interpellée retourna immédiatement sa tête vers lui, ses yeux marrons, comme ceux de sa mère, pétillants de curiosité et d’avidité de connaître. Son regard interrogateur et brillant disait plus que ne le pouvait les mots, attendrissant le vieil homme austère.

— Oui, papi. Quelle histoire ! Je ne connais que celles racontées par maman et mamie Mary-Ann !

— Très bien, continua-t-il. Veux-tu une légende de famille qui se transmet depuis plusieurs générations que je connais de mon père ?

— Raconte-moi l’histoire ! J’ignore tout des histoires de famille du côté de papa.

Se raclant la gorge, Jean sourit, les yeux rêveurs, se replongeant mentalement dans sa propre enfance lorsqu’il entendit pour la première fois cette histoire à l’âge de quinze ans. Prenant une grande inspiration avant de commencer, il but un peu de son thé.

— Savais-tu que l’expression Les yeux sont le miroir de l’âme est ô combien véridique ?

— Comment ? En quel sens ? chuchota-t-elle, très intriguée, les yeux agrandis de curiosité, fixant intensément le vieil homme.

— C’est l’histoire des Gordon qui nous le dira, affirma théâtralement le grand-père en prenant ses grands airs de conteur.

— L’histoire commença lorsque mon propre père, Benjamin, avait quinze ans. À l’époque, il était un garçon encore insouciant et ignorant qu’il détienne un don unique dans la famille que je n’ai pas hérité, mais que ton père, Thomas, semble posséder. 

— Lequel ?

— Celui de communiquer avec les défunts, ceux que mon père appelait les âmes perdues.

— Et que mamie Mary-Ann appelle les esprits errants ? Je sais bien que papa et maman me comprennent et m’encouragent pour aider les esprits errants. Ils interagissent souvent avec les défunts lorsqu’ils viennent à eux.

— Très certainement, confirma-t-il, incertain, plissant les yeux.

Mélinda, continuant à fixer son grand-père, avide d’entendre plus sur cette mystérieuse capacité commune de son arrière-grand-père, se tenait sagement assise, ne réagissant même pas lorsque l’épouse de Jean, une élégante femme aux yeux bleu clair toujours enjouée, apporta du chocolat chaud pour elle.

— Merci, Catherine, chuchota-t-il à sa femme, le regard pétillant de joie.

Buvant une gorgée de son thé, il continua la légende familiale.

— Benjamin Gordon, mon père, capable de communiquer naturellement avec les âmes perdues, comprend ce don d’une manière assez singulière. À l’époque, sa famille était en vacance en Angleterre, dans le petit village de Pluckley, peuplé de huit cent âmes vivantes et de beaucoup plus d’âmes perdues, ajouta avec humour le vieil homme. Mon père, se promenant dans les rues, observant les belles maisons en briques rouges et les vignes qui recouvraient des paravents et des clôtures, constata bien que des entités surnaturelles étaient aussi présentes. 

— A-t-il compris qu’il avait ce don en notant l’impassibilité de ses parents ? Comme que papa et maman ont été les premiers à m’encourager et à m’expliquer la manière de gérer mon don lorsqu’ils remarquèrent que je parlais avec un esprit errant. C’est grâce à leur aide et conseil que je suis parvenue à passer dans la Lumière Sarah Applebaum, une élève de ma classe ! s’exclama la fillette, ravie de son succès auprès du premier esprit errant.

— Exactement, ma petite chouette ! Et félicitation qu’à un âge si précoce, tu sois capable d’aider les âmes perdues ! se récria, radieux, Jean. … Revenons à mon histoire. 


Tout d'un coup, Thomas, Élizabeth et Mary-Ann, revenant à l’intérieur, apportèrent un courant d’air glacial pendant quelques minutes avant de refermer la porte. Mélinda grelotta de froid et chercha les chaudes couvertures vert forêt tricotées sagement rangées près du canapé. Les trois nouveaux arrivants, déposant leurs manteaux sur une patère, lancèrent un regard interrogateur à Jean et à Mélinda. 

Le père de Thomas les invita à s’assoir confortablement avant qu’il poursuive son récit. Tous l’écoutèrent attentivement, sauf Mary-Ann qui partit dans la cuisine aider Catherine, en attendant que l’heure pour manger soit sonné :

— À Pluckley, Benjamin était avec ses frères et sœurs aussi. De ses deux frères et de ses deux sœurs, seul l’aîné, Joseph, partageait le même don que lui. Personnellement, je pense que ce don provient du Ciel même, Dieu seul peut octroyer de telle capacité. 

— Beau-père, si vous permettez de vous interrompre, s’immisça la mère de Mélinda, enlaçant tendrement la main droite de son mari, je peux vous confirmer que cette capacité, celle de communiquer avec les esprits errants, âmes perdues, fantômes, appelez-les comme vous voulez, est loin d’être un cadeau. Au contraire, je dirai que c’est un fardeau et une punition par moments ! Mais bon ! Dieu en voulait autrement pour une raison mystérieuse et nous n’avons qu’à faire du mieux que nous pouvons avec ce don, en l’utilisant à bon escient.

— Merci ma bru pour le commentaire très éclairant… Benjamin avec Joseph, lorsque leurs parents partirent acheter quelques chose au marché, allèrent proche d’une maison où une âme perdue d’un paysan se promenait encore, se comportant comme s’il était encore vivant. Mon père, en croisant le regard de cette âme, comprit toute la tristesse et la mélancolie de ce pauvre homme, mort il y a longtemps, en l’an mille huit cent et quelques. Chaque fois qu’il me parla de cet épisode, il éclatait en sanglots, profondément ému et attristé, incapable de me décrire la réalité de l’expression, de ces émotions si fortes, encore plus réelles et puissantes lorsque les yeux mêmes de l’âme sont rencontrés… Il discuta avec cette âme et comprit la raison de ses errements. L’homme se sentait fautif de n’avoir rien fait pour sauver sa femme et sa fille du bûcher, accusées de sorcellerie. Depuis sa mort, il ne cessait d’errer sur ses terres et se vengeait des prêtres de la paroisse, les considérant responsables de la mort des deux femmes qui lui étaient chères. Mon père et mon oncle se rendirent jusqu’à la paroisse pour raisonner cet esprit. En rencontrant le prêtre, ils comprirent que le pasteur maintenait des âmes perdues sur Terre à l’aide de démons — son regard possédé et effrayant, démoniaque confirma cette théorie — et de rituels occultes à l’aide des miroirs. Les deux apprentis passeurs d’âmes aidèrent ce pauvre homme-âme perdue à partir dans la Lumière. Mon père se souviendra toujours du regard brillant de joie et de bonheur qui irradie de celui-ci, indescriptible, paradisiaque. Depuis le cas de ce pauvre paysan, mon père était devenu un passeur d’âmes et partagea avec moi ses conseils, mais ne possédant ce don, je ne le comprenais guère, hormis que je ne retiens qu’un conseil : les yeux sont le miroir de l’âme, en jetant un coup d’œil, même bref au regard de son interlocuteur, il était capable de connaître l’état d’âme, les sentiments, l’authenticité de l’interlocuteur lorsqu’il lui parlait. En un mot, les yeux ne mentent jamais. Je ne peux que vous le confirmer ! Maintes fois, les yeux trahissent la pensée et les intentions réelles de l’homme. Je ne pouvais jamais mentir à mon père, puisqu’il lisait dans mes yeux mes réels états émotifs, joie de la rencontre de mon âme-sœur, tristesse d'un travers au travail, doute pour un choix de carrière... Lorsque je compris que mon fils, Thomas, présentait ce même don que mon père, je lui expliquais les conseils paternels.


Soudain, un vieil homme se manifesta à la droite de Mélinda, c’est-à-dire à la gauche de Thomas. Élizabeth, Thomas et Mélinda tournèrent simultanément la tête vers l’esprit errant et le détaillèrent. Un vieil homme de quatre-vingt cinq ans, courbé par l’âge, visage ridé, mais ses yeux bleu glacial souriants contrastaient avec le reste de son apparence et incita la famille à le considérer sincère et bienveillant. Élégamment vêtu d'un complet bleu marine et d'une chemise blanche, le vieillard ressemblait, par certains traits, à Jean. Aucun doute, pensèrent les trois chuchoteurs d’esprits, nous sommes en présence de Benjamin Gordon. Thomas se racla la gorge, sourire aux lèvres, et demanda :

— Père, nous avons une visite maintenant, certainement Benjamin Gordon, n’est-ce pas grand-père ? l'interrogea-t-il rhétoriquement.

L’esprit confirma d’un geste de la tête son identité. Puis informa ses descendants :

— Mes fils et petit-fils et ma arrière-petite-fille, je dois vous apporter des clarifications sur l’évènement à Pluckley.

— Que veut mon père ? demanda le grand-père de Mélinda, confus.

— Patience, père ! J’écouterai ce que grand-père nous communiquera et je t’informerai, l’avisa son fils, lui signifiant d’un geste de ne plus poser de question pour laisser son défunt père prendre la parole.

— Merci pour les bonnes manières et la politesse d’antan ! s’offusqua faussement l’esprit, ses yeux riants démentirent ses propos et fit rire la famille. Je vais apporter une précision que j’ai compris en entrant dans cette église pour aider cette pauvre âme perdue qui est partie finalement dans la Lumière. Si l’expression Les yeux sont le miroir de l’âme est exacte, son contraire également l’est.

— En quel sens ? Demanda Thomas, les yeux plissés, incrédule du sens des paroles de son grand-père.

— Petit-fils, toujours si impatient et incroyant ! Comme Saint Thomas, ton prénom te sied bien, le taquina-t-il.

Thomas se renfrogna un peu, mais écouta néanmoins intrigué de ce retournement de l’expression auquel il n’avait jamais pensé et qu’il n’avait jamais entendu.

— Ainsi, continua l’esprit errant, les yeux brillants d’une sourde colère. Le miroir est un passage pour les âmes, le miroir devient leur yeux. Une manière de les garder prisonnière dans la dimension spirituelle, une manière de passer du monde spirituel au nôtre, une passerelle entre les mondes, et nous déranger. Rappelez-vous d’Alice au pays des merveilles ! Elle passa par un miroir pour arriver dans l’Autre-Monde, l’Au-Delà. D’ailleurs, l’une des âmes perdues que j’avais rencontrée beaucoup plus tard se prénommait Alice et était prisonnière d’un miroir. Mais laissons cette digression ! Dans la chambre où je dormais, le propriétaire laissa un miroir, miroir maléfique, enchanté. Chaque soir, je recevais la visite d’esprits malveillants, je faisais des cauchemars ! Terrible moment de ma vie ! Les regards du prêtre et du propriétaire qui loua à notre famille les chambres pour les trois nuits étaient des plus inhumains, monstrueux, résultant d’une possession démoniaque ! Leur regard n’était pas humain ! Mais revenons au miroir yeux des âmes. Je disais que les âmes perdues, surtout les mauvaises, celles qui eurent affaire à l’occulte et à la magie noire de leurs vivants, sont particulièrement éprises de passer par des miroirs pour créer des cauchemars chez des hommes ordinaires. Je vous avertis, ce n’est pas une légende que je raconte, mais bien ce que j’ai vécu en tant que passeur d’âmes. Je vous donne le conseil suivant : éviter d’avoir des miroirs dans votre chambre, je ne l’ai compris que trop tard, parce que des sombres esprits m’ont ainsi sournoisement tué, m'étouffant.

Benjamin Gordon s’évapora et Thomas résuma à son père ses propos.

— Merci, père de cet éclaircissement ! s’exclama le vieil homme. Quelle triste fin pour lui ! Revenons à l’expression initiale… Et mon père depuis ses quinze ans, aida activement plusieurs âmes perdues à partir dans la Lumière. Dix ans plus tard, il rencontra ma mère, feue Amélie. Juste en un regard, il remarqua tout l’amour réciproque et la beauté de son âme. D’ailleurs, n’est-il pas connu que le miroir renvoie aussi à l’image du soi, le reflet fidèle, la vérité et la connaissance de soi ? 

Les trois opinèrent du chef à son attention, par politesse.

— Et les yeux, partie la plus pure et la plus véridique de tout le corps humain, réfèrent à ce miroir, à cette plongée dans le cœur de l’homme, jusqu’aux tréfonds de son être. Benjamin, un jour, rencontra une âme perdue des plus bizarres, un homme tout en noir qui répondait au nom de Luc Lisandre. Il pensa avoir affaire à un pauvre veuf, mais en rencontrant ses yeux, pendant une fraction de seconde, il lisait une immense duplicité et malhonnêteté qui l’incita à se méfier de ses paroles mielleuses, très convaincantes par ailleurs, s’il n’était pas frappé par son regard qui disait tout le contraire. Mon père évita de suivre une fausse piste en prêtant foi à la parole mensongère de cette âme perdue démoniaque et aida adéquatement son épouse, Sarah, une pauvre âme simplement perdue dans le monde, rendue folle par son mari. Et le regard étincelant de Sarah, comme celui de chaque âme errante au moment de quitter définitivement le monde des vivants, touchait profondément mon père.

— Père, je te confirme la beauté indescriptible qui se lit dans les yeux de ses âmes perdues… tellement émouvant ! s’exclama Thomas, lâchant une larme de joie qu’il essuya rapidement. Élizabeth approuva d'un geste de la tête les propos de son mari.

Jean sourit à son fils et affirma posément :

— Je pense qu’il est l’heure de manger, je continuerai après le repas les autres histoires et légendes familiales.

Ces mots sortirent à peine d'entre ses lèvres que Thomas, Élizabeth et Mélinda s'attablèrent rapidement, très affamés.


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