Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 18 : Deuxième partie, Enjeux importants, 2e partie. Sonner le glas d’une vie

8705 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 21 jours

18. Enjeux importants, Seconde partie
Sonner le glas d’une vie




— Attendez un peu ! ordonne sévèrement une voix masculine derrière le dos de la médium. Voix qu’elle a déjà entendue un peu plus tôt en après-midi.

Le couple tourne la tête vers le son pour remarquer la présence de Konstantin Pavlovitch Tcherevitchenko. Ce dernier ordonne d’un ton qui ne souffre ni la réplique, ni la contestation : 

— Ne partez pas si tôt ! Vous n’avez pas encore fini votre existence sur Terre ! Revenez immédiatement dans votre corps ! Sachez que vous êtes le Gardien du Livre. Une lourde responsabilité qui n’est pas destinée à tous les hommes, ne mésusez pas vos privilèges !

L’âme de l’ambulancier se déplace jusqu’à son corps et le réanime sans hésiter une seconde de plus, n’osant pas l’interroger plus longtemps, ni douter de ses paroles.


Instantanément à la réintégration du principe de vie dans l’organisme, le rythme cardiaque et la respiration s’activent en accéléré. L’infirmière qui continue la réanimation sourit et informe le médecin : 

— Reprise de l’activité cardiaque ! Il est revenu ! Il est revenu ! La phase critique est passée !

Mélinda, encore incrédule de ce qui vient de se passer sous ses yeux, pleure de joie. Elle murmure :

— Jim, tu es de retour ! Mon amour ! Dieu en soit loué !

L’Observateur russe lui sourit poliment et s’évapore dans les airs, regagnant son poste d’observation à une intersection.

— C’est bien toi, Jim ! s’exclame la médium, la vue encore brouillée par les larmes, brillant d’espoir.

— Oui, je suis bien de retour…, bredouille l’interpellé, comme sonné. Mais Mél, je voudrais bien… tout remettre en ordre… dans mon esprit… avant de penser à quoi que ce soit d’autre…

Elle sourit à son mari, enlaçant tendrement sa main droite en silence.

— Laissez-le se reposer, lui ordonne de sa douce voix l'infirmière.

Mélinda se rendort sur la chaise, rassurée que tout aille bien pour Jim.



Le lendemain matin, au bureau du recteur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Dès que Josué met les pieds dans son austère bureau, il ressent un courant d’air froid. 

Des voix criardes à l’unisson murmurent : 

— Vous avez échoué ! Vous avez échoué ! Notre vengeance approche ! Et nous n’avons aucune pitié !

Le vieil homme devient blême, tremblant de tous ses membres, il fait un geste d’apaisement vers les voix et les supplie, à genoux : 

— Jim Clancy est encore vivant, mais je saurais m’approprier le Livre ! L’ancien Gardien en saura un mot, non ?

— Certainement !

— Et dès que j’obtiens l’information, je n’aurais qu’à récupérer le Livre, sachant exactement où il est ! Compris ?

Les Ombres ricanent et lui hurlent : 

— Nous acceptons, mais sache que c’est ta dernière chance ! Si tu échoues, nous allons te ramasser avec nous, t’emportant dans notre sillage, pour l’éternité !

Le recteur déglutit sa salive et s’avachit sur son fauteuil, atterré par ces paroles. Il vide son centième verre d’alcool pour se calmer. 


Deux heures plus tard, Josué s’arrête au bureau du professeur de Psychologie.

Ajustant son veston noir, il entre, accueilli par Élie, debout, dans un bureau en désordre où tous les livres sont tombés au sol, pêle-mêle. Il avance d’un pas feutré vers lui, analysant minutieusement les livres et papiers épars.

— Élie James ! l’apostrophe-t-il.

L’interpellé, sursautant, lui lance un regard interrogateur :

— Que cherchez-vous ?

— Soyez prudent ! lui conseille une Ombre à sa gauche. Il ne faut qu’il devine trop aisément votre venue !

L’homme aux cheveux blancs opine du chef, petit sourire, et se frotte les mains de joie. Il balaie du regard les divers ouvrages au sol qui ressemblent à un carnage après un champ de bataille.

— Quelle manière pour rendre un nouvel ordre dans sa bibliothèque ! s’exclame-t-il, agitant théâtralement ses mains.

— Non, estimé recteur, c’était ainsi lorsque je suis arrivé, il y a quelques minutes.

— Un tel désordre mérite d’être signalé à la sécurité ! s’offusque Josué, en se dirigeant prestement vers le téléphone.

Le recteur songe que le petit criminel qu’il a payé récemment a lamentablement échoué pour trouver le Livre dans la bibliothèque du professeur.

— Il ne faut pas négliger un vol ! s’alarme Josué. Ce n’est guère reluisant pour notre Université !

Élie avance d’un pas pour lui bloquer le passage au téléphone, posant la main sur le combiné.

— Non, je ne pense pas que ce soit nécessaire ! Je le ferai si ceci se répète, réplique le professeur, traits affaissés. De toute manière, il est évident que pas un livre ne manque. Pas nécessaire d'informer la sécurité.

Haussant les épaules, le recteur s’avance vers le bureau et commente : 

— Comme vous le voulez ! …

Affichant son sourire le plus aimable, lueur d’intérêt dans le regard, il s’exclame : 

— … Mais je vous invite ce soir à un repas en tête-à-tête.

Un étonnement se lisait sur le visage d’Élie. 

Le recteur continue son discours sur une note très joyeuse.

— J’aimerais vous interroger sur votre dernier article publié dans le Bulletin de psychologie, il m’a fortement intrigué !

Devant la moue hésitante du professeur qui ne comprenait pas trop ce changement de comportement soudain du recteur, ni son intérêt pour ses recherches, Josué s’empresse d’ajouter d’un ton rempli de sous-entendus.

— Vous n’avez guère le choix…

— Comment ? murmure le professeur dans un souffle, fronçant des sourcils.

— Si vous ne voulez pas que votre carrière soit réduite à néant ! le menace-t-il froidement.

Un frisson parcourt le dos d’Élie, incertain et effrayé par la lueur de folie dans le regard du vieil homme. Le trentenaire comprend que son interlocuteur est sérieux. Il soupire et répond d’un ton résigné : 

— Très bien, Josué Berthelot, j’accepte votre rendez-vous ! Mais ne pensez pas que vous avez un pouvoir sur moi ! Je sais ce qui vous intéresse réellement !

— Alors, à ce soir !

Josué quitte d’un pas rapide le bureau en faisant résonner bruyamment ses souliers noirs cirés contre le plancher. Élie le suit du regard, bien intrigué par son comportement. Une fois seul au bureau, il range les livres sur les étagères, exaspéré.



Arrive le soir, dans un restaurant chic de Reims.

Josué et Élie discutent de divers thèmes et non seulement du dernier article publié, tout en mangeant et en buvant, mais pas un traître mot sur le Livre. Avant de se quitter définitivement, sur le trottoir à quelques mètres du restaurant, un peu éméché, le recteur, le retenant par la manche de son complet noir lui affirme sur un ton glacial, à quelques centimètres de son visage : 

— Élie, vous savez ce qui m’intéresse ! Ne jouez-pas l'innocent !

Le regard vide de son interlocuteur l’incite à développer sa pensée, bien que celui-ci ait une vague idée de sa curiosité.

— Vous êtes le Gardien du Livre…

Élie recule de quelques pas, titubant, et lève une main en l’air en signe de protestation.

— Ou plutôt, je l’ai été, le rectifie le professeur en bredouillant.

Josué cligne brièvement des yeux, nullement départi de son calme glaçant, avant de lui poser immédiatement la question tant redoutée : 

— Mais vous savez qui est le prochain Gardien ! Où est le Livre ?

Le recteur fixe l’ex-fiancé de Cassandre, tel un serpent hypnotisant sa proie. Il se sent mal à l'aise. Le professeur soupire, refusant d’affronter le regard insistant du vieil homme. Un lourd silence plane avant qu’une réponse surgisse de la gorge nouée du professeur.

— Oui, lâche-t-il entre ses dents. Et je sais bien autres choses, l’ayant lu dans … dans le Livre, le Livre des Changements ! Voilà, si vous voulez le savoir !

Josué se rapproche encore plus de lui et ordonne : 

— Dites, maintenant ! Si vous ne voulez pas que votre carrière en paye le prix ! Je connais certaines informations que vous ne voudrez pas que cela soit su ! N’oubliez pas Aurélie Goujon… Et votre expérience de mort imminente, …. Et votre don d’entendre les esprits !

Le plus jeune des deux ravale difficilement sa salive, promenant son regard autour de lui. Il ressent un malaise dans son être. Il ne comprend guère comment le recteur est au courant de tous ces événements.

— Disons que le prochain Gardien est… 

Il se tait, ne sachant pas s’il serait une bonne idée de divulguer l’information ou non maintenant. Il n’a pas oublié que, selon les paroles de la défunte Zoé, le recteur est le cerveau derrière le feu criminel à son bureau en février dernier.

— Jim Clancy, complète avec certitude, sans hésitation, ni tremblement, la voix avinée de Josué.

Les yeux bruns s'agrandissant d’angoisse, dépassé par les connaissances du recteur, l’ancien Gardien du Livre précise d’une voix plus rauque : 

— Le mari de Mélinda Gordon, une femme qui peut communiquer avec les défunts… Et j’ai lu que leur fils aura un rôle important dans le futur… 

Il se tait, cachant sa bouche de sa main, avant de détourner le regard de Josué. Il renchérit d’un ton précipité : 

— Mais comment avez-vous appris son identité ?

Élie baisse les yeux, se laissant le temps de ramasser ses idées éparses et dissiper les effluves de l'alcool de son cerveau embrumé.

— Sans importance, mon cher, ajoute Josué d’un ton nonchalant.

Il reprend son souffle, coupé par les Ombres avant de continuer son discours.

— Et le Livre est donc chez ce Gardien, n’est-ce pas ?

— Oui, tout comme il a été sur l’étagère de ma bibliothèque !

Les deux hommes marchent silencieusement l’un à côté de l’autre pendant plusieurs minutes, avant qu’Élie, mine sérieuse et sévère, avertit le recteur : 

— Mais ce Livre possède une particularité, à savoir que seul son Gardien peut le feuilleter et le lire, les autres hommes ne le peuvent pas !

Une lueur de colère brille dans le regard du vieil homme, sa mine s’assombrit, serrant ses mains en poings.

— C’est ce que nous verrons !

Yeux encore plus grand qu’auparavant, le professeur précise immédiatement : 

— Mais ce n’est pas tout ! Le Livre peut prendre n’importe quelle forme, même le livre le plus inattendu, puisque le Gardien le reconnaît à une caractéristique que je ne peux encore me l’expliquer. Une couverture scintillante, une lumière divine et pure qui sort du Livre.

Lueur d’étonnement dans le regard, Josué s’exclame :

— Merci Élie James du détail ! À la prochaine !

Et chacun retourne chez soi. Josué ne cesse de maugréer : 

— Mes amis, les Ombres, vous voyez bien que nous sommes à deux doigts de mettre la main sur ce Livre et d’obtenir les réponses qui nous taraudent tant ! Un peu de patience !

— C’est ce que nous verrons ! répliquent les Ombres, augmentant l'oppression des voies respiratoires du recteur.

Le vieil homme se tait, dos voûté, et part s’endormir.



Une semaine plus tard, à l'hôpital,

Jim, complètement rétabli de sa blessure à l’épaule, est prêt à sortir de l'endroit. Mélinda, heureuse, l’accompagne jusqu’à leur maison. 

Sur le seuil, un jeune homme les attend, mais il disparaît du champ de vision de la médium avant qu’elle n’ait le temps de le détailler. La seule certitude qu’elle a est qu’il est un esprit errant plutôt jeune. Mélinda s’occupe d’Alexis, bien décidée de résoudre le cas de ce défunt plus tard.

— Jim, murmure-t-elle, déposant leur fils dans son berceau, un fantôme est venu devant notre maison, je veux bien l’aider, mais je n’ai même pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu’il est parti.

L’ambulancier lui sourit et l’étreint tendrement contre lui. Il l’entraîne un peu plus loin de leur fils, près de la fenêtre, et lui répond d’un ton rassurant : 

— Mél, ne te soucie pas pour l’instant. Il reviendra certainement ! D’ailleurs, rien ne t’oblige à aider chaque esprit errant que tu vois, puisque certains ne méritent pas ton aide, ma chère. Je comprends bien que tu es trop gentille avec eux, mais, parfois, il faut savoir mettre une limite. Je ne veux pas que tu ruines ta santé pour eux ! 

Une moue s’esquisse sur son délicat visage, secouant sa chevelure brune, elle s’exclame : 

— Ne sois pas si méchant ! 

Il se penche vers son oreille droite et lui affirme à voix basse : 

— Je ne suis pas méchant, mais réaliste ! C’est plutôt toi qui est trop généreuse à vouloir aider tous les défunts que tu rencontres… N’oublies pas qu’Alexis a impérativement plus besoin de toi que les fantômes. Une petite gestion de priorité, non ?

— Ne sois pas si cynique !

Son mari soupire, mais ne réplique pas. Il râle quelques paroles indistinctes avant de partir dans la cuisine.

Mélinda s’arrête sur le seuil du salon pour noter la présence du même esprit errant qu’un peu plus tôt. Elle le détaille : un jeune homme dans la vingtaine, grand et élégant. Yeux bleus-gris, qui brillent d’une lueur de tristesse et de colère, et cheveux châtain qui ornent à merveille son visage délicat et quelque peu juvénile. Vêtu d’un uniforme militaire de l’armée nationale, il fait claquer ses bottes de surprise. La tenue serait impeccable s’il n’y a pas un trou béant près du cœur, laissant une tache de sang séché qui dégouline. Leurs regards se croisent et la mélancolie du fantôme se mue pendant quelques secondes en étonnement.

— Vous me voyez ?

La médium lui sourit gentiment, malgré l’horreur qui se lit dans ses yeux, et répondit doucement : 

— Oui, exactement, je peux communiquer avec vous.

— Ça explique pourquoi les autres m'ignorent ! commente-t-il amèrement. Il n’y a qu’un seul homme que j’ai rencontré qui peut m’entendre, mais dont j’ai rapidement abandonné de l’approcher, puisqu’il ne peut s’aider lui-même, alors comment pourrait-il me comprendre ?

— Est-ce un professeur à Reims en philosophie et en psychologie ?

Il approuve d’un signe de tête avant de répliquer : 

— Mais laissons ce pécheur !

Yeux aussi grands que des assiettes, son interlocutrice demeure silencieuse pendant quelques minutes.

— Un chat à manger votre langue ! ironise le défunt, croisant les bras en-dessous de sa poitrine.

— Non, non, pas du tout, s’empresse-t-elle de répondre. Mais votre remarque… est bien particulière, puisque je pense savoir de qui il est question. Mais bon, je vous vois, tout comme Élie James vous entend et Gabriel Lawrence peut interagir avec vous, parce que nous avons un don. Dans mon cas, c’est depuis mon enfance.

Elle fait une pause, observant minutieusement le défunt. Elle reprend la parole quelques minutes plus tard.

— Je suis Mélinda Gordon et je peux vous aider à accomplir votre dernière volonté.

— Enchanté, je suis Jean Kretschmer.

Il lui fait un salut militaire.

— Comment puis-je vous aider à partir dans la Lumière ? lui demande-t-elle chaleureusement.

Les yeux agrandis d’effroi, il répète : 

— Le Livre ! Le Livre !

Et Jean disparaît, laissant Mélinda très intriguée.



Au même moment, au bureau du recteur.

Josué, confortablement assis sur son fauteuil en face d’Élie James, l’interroge d’un ton sérieux : 

— Cessons de jouer au chat et à la souris. Dites-moi où est-il, ce Livre des Changements ?

— Il est où ? Arrêtez de poser des questions et trouvez-le ! hurlent les Ombres, courroucées, autour des hommes, introduisant une vague de froid dans leurs corps et alourdissant l’air du bureau.

Josué réprime un tremblement de ses bras. Élie demeure coi. Il réfléchit avant de répondre, hésitant.

— Il est chez son Gardien… Très certainement à sa résidence à quelque part à Grandeville ! Son épouse est propriétaire d’une boutique d’antiquités dans cette petite banlieue en périphérie de Reims.

Se prélassant sur son fauteuil, le recteur vide un verre de vodka, observant minutieusement le visage de son interlocuteur. Cet examen le met mal à l’aise.

— Quoi d’autre à ajouter ? réplique-t-il d’un ton froid qui a l’effet d’un couteau coupant un fruit, vif et sec.

— Euh, hésite-t-il, fuyant le regard du recteur. Euh… Rien à dire, sauf un petit détail ! Ce Livre ne peut pas être lu par n’importe qui !

— Ne tergiversez pas ! s’énerve le recteur, manquant de peu de briser son verre dans sa main.

Déposant le verre, il lève les mains dans les airs, transformant ses mains en poings avant de se ressaisir. Il fixe le professeur et l’interroge :

— Comment avez-vous appris l’existence de ce second Gardien ?

— Histoire de circonstances…

— Mais encore ?

— Mélinda m’a contacté pour une recherche d’esprits errants…

Élie boit une gorgée d’eau pour se laisser le temps de réfléchir. Il continue son explication : 

— En fait, l’immense avantage qu’à le Gardien lorsqu’il consulte le Livre est qu’il peut avoir accès à n’importe quelle information, passée, présente et future. Informations véridiques ! Mais, je vous avertis, ce Livre ne peut être lu par n’importe qui, vénérable recteur de notre université.

— Telle n’était pas la question !

Élie soupire d’exaspération, mais ne commente pas. Josué vide un autre verre de vodka avant de prendre la parole d’une voix plutôt traînante : 

— Élie, vous oubliez un détail… À savoir que j’ai la patience de mon côté. Bon ! Je vous laisse. À la prochaine !

Le professeur de psychologie se lève de son siège, serre poliment la main du recteur et quitte l’endroit, sortant à l’extérieur de la bâtisse. Il n’est pas si certain d’aider quiconque en communiquant des informations au recteur concernant le Livre des Changements, mais d’un autre côté, il est conscient qu’il ne peut supporter une carrière universitaire ruinée. Il continue sa promenade, sans s’attarder sur son environnement, ni le brouhaha des passants, ne cessant de remâcher les mêmes idées.



Simultanément, dans la maison aux esprits de Gabriel.

Le chuchoteur d’esprits sursaute en notant Charlie Luc Wogel devant lui. 

Un large sourire au visage, le défunt psychiatre s’enthousiasme, criant, regard pétillant de joie : 

— Élie James est votre allié incontestable ! Essayez de l’approcher ! Il collaborera certainement avec vous ! 

— D’accord…

Le demi-frère de Mélinda le fixe, comme s’il attendait une suite à son discours.

— Mais aussi, méfiez-vous de Jim Clancy, s’énerve le défunt, parce qu’il est le Gardien. Gardien qui est prudent, trop prudent ! Il n’est pas aisé à manipuler !

— Merci de l’information ! À la prochaine !

— L’échappé de l’asile, vous oubliez un petit détail.

— Lequel ?

— N’oubliez jamais que j’ai un immense avantage sur vous ! Je connais mieux la psychologie humaine que quiconque !

Le vivant hausse les épaules et s’avachit sur le canapé, réfléchissant au meilleur moyen d’approcher l’universitaire. Une idée germe dans son esprit, ravi, il vaque à ses occupations quotidiennes. Balaie à la main, il fait le ménage, malgré des esprits errants féminins dans sa maison, pas une ne veut faire les travaux domestiques.



Le lendemain matin, au domicile de Jim et Mélinda.

Berçant Alexis entre ses bras, l’élégante médium se rend au salon où Jean Kretschmer se promène de long en large près de la bibliothèque, parcourant du regard la pièce. Son apparence peu présentable fait pleurer le petit bébé. Sa mère parvient à le calmer en l’asseyant à table, dans la pièce voisine. Jim veille sur leur fils. Agitant son ample jupe verte à chaque pas, elle rejoint rapidement l’esprit errant et lui demande doucement : 

— Que cherchez-vous ? Je peux vous le dire si j’ai le livre dans les rayons ou non. Et s’il n’est pas dans les rayons, je peux vous le trouver…

Se retournant, il lui sourit amèrement avant de répondre : 

— C’est à cause de ce Livre que je suis mort ! Et je le recherche, bien qu’un Observateur m’a dit d'abandonner, puisque en dehors de mes capacités, mais je considère comme étant de mon devoir de savoir le Livre en sécurité !

Soudain, l’Observateur russe se matérialise près de la fenêtre et affirme d’un ton sévère : 

— Jean Kretschmer, je vous ai déjà expliqué qu’il ne sert à rien de rester encore parmi les vivants pour le Livre, parce qu’il sera toujours entre de bonnes mains. C’est Dieu Lui-même qui s’en charge, bien que Ses voies nous sont impénétrables et incompréhensibles !

— Facile à dire ! Par contre, ça ne m’empêche pas de vouloir en avoir le cœur net !

Le défunt militaire fait une petite moue.

— Mais de quel livre parlez-vous ? Pouvez-vous me donner son titre ou son auteur ? interroge d’une petite voix la médium, très confuse de l’échange énigmatique des deux entités invisibles.

— Vous le savez ! ajoute, petit sourire malin, l’Observateur. Sinon, ne négligez pas votre mari !

Et il s’élève dans les airs. 

La petite brunette soupire et affirme : 

— Quel est ce livre ?

— Un livre qui n’est pas comme les autres ! Un livre que mon meurtrier recherchait activement !

— Quel est son titre ou son auteur ? Quelle est l’identité de votre meurtrier ?

Jean s’estompe de la salle sans répondre aux questions, lançant un regard chargé de colère à la fenêtre. Elle se retourne, mais personne n’est à l’extérieur. La jeune mère revient auprès de son mari et commente : 

— Eh ! Il semble que je vais devoir jouer à l'inspecteur !

Lueur d'étonnement dans ses yeux clairs, il lui demande : 

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a avec cet esprit errant ?

Elle expire bruyamment l’air et gémit : 

— Jean Kretschmer, un jeune militaire, veut retrouver un livre, mais j’ignore lequel, ni pourquoi. Ah ! Le seul indice est que son meurtrier est également intéressé par ce livre ! 

Elle lance un regard déterminé à Jim et ajoute d’un ton ironique.

— Quel indice ! Mais heureusement, je ne suis pas novice dans le métier.

Petit sourire aux lèvres, l’ambulancier lui répond posément : 

— Mél, laisse-toi le temps d’enquêter et tout deviendra plus clair ! Je sais que tu es capable !

— Tu as raison, comme toujours ! 

Jim jette un rapide coup d'œil à sa montre, sourcils relevés.

— Bon, je te laisse, je dois partir au travail ! Le temps passe tellement vite ! À ce soir, Mél ! 

— À ce soir, Jim !

Le couple échange un chaste bisou sur les joues et les lèvres avant que le mari traverse le seuil de la porte. La chuchoteuse d’esprits fouille dans les journaux et sur Internet pour trouver le plus d’informations concernant Jean Kretschmer, mais la recherche n’est guère fructueuse. 


Au même moment, dans une rue de Reims.

Lunette de soleil pour se donner un air nonchalant et pour ne pas attirer l’attention des passants, Gabriel guette la présence d’Élie. Assis sur une terrasse d’un petit café, il promène son regard autour de lui, incertain. Le professeur de psychologie passe près de lui, empressé d’aller au marché. Le défunt psychiatre, assit en face du demi-frère de Mélinda lui tonne : 

— C’est lui, celui que tu cherches ! 

L’entendeur d’esprits se retourne vers Gabriel qui le fixe malgré les lunettes, lueur d’étonnement dans ses yeux bruns. Il décide de l'ignorer, continuant son chemin. Le chuchoteur d’esprits, lui, prend discrètement des photographies de son potentiel allié avant de s’éclipser.



Un peu plus tard, à la résidence des jeunes parents.

Mélinda soupire et se demande la meilleure des manières d’obtenir des réponses, sans qu’elle doive trop se déplacer. Faisant les cent pas dans le salon, une idée surgit en son âme. Elle appelle Paul Eastman, Gabriel Lawrence et Carl Neely l’un après l’autre et les supplie en ces mots : 

— Je serais intéressé à obtenir plus d’informations à propos de Jean Kretschmer, un jeune militaire, fils de militaire qui a été dans la Résistance lors de la Dernière Guerre. Il est né le 27 novembre 1941 et est mort accidentellement tué d’une balle dans le cœur par un homme le 8 novembre 1966 près d’une base militaire, sans témoin. Il demeure encore esprit errant parce qu’il recherche un livre, convaincu que son meurtrier a convoité ce même livre. J’ignore s’il est possible de m’aider.

Les inspecteurs prennent note de sa demande et procèdent à une recherche dans leurs documents d’archive, veillant à ne pas éveiller la curiosité de leurs collègues. Gabriel, bien intrigué, se promet qu’il essaiera de comprendre ce mystère.


Dès que Mélinda raccroche le téléphone, le défunt militaire lui murmure : 

— Caserne Niel.

Et il se dissipe dans l'air. La jeune mère note les paroles du défunt et soupire. Elle effectue une recherche rapide pour trouver la localisation de cette base militaire. Elle attend avec impatience son mari pour se confier sur sa prochaine destination.

— La Caserne Niel est à Bordeaux ! À plus de 600 km de distance de Reims ! 

— Es-tu certaine de vouloir y aller seule ?

— Je n’ai guère le choix.

Elle hausse les épaules.

— Tu le sais que les défunts sont très énigmatiques, donc si en me rendant là-bas, je peux obtenir des indices supplémentaires, je ne néglige rien… Ce doit être le lieu où il a trouvé la mort… Il est encore lié à cet endroit.

Tournant le regard vers son fils endormi, elle continue d’un ton chaleureux et maternel.

— Mais je ne vais pas amener Alex. Je ne veux pas qu’il ait peur du défunt, celui-ci n’est pas présentable. Je vais appeler ma mère, elle sera bien plus capable de s'occuper de lui que tu ne peux l’être !

Les traits délicats de Jim se détendent. Il l’encourage en ces termes : 

— Mél, fais-toi confiance ! Tu es capable d’amener cet esprit à son terme… Mais je dois t’avouer que je suis tout aussi curieux de ce mystérieux livre que recherche ce militaire. Un livre rare ? Un livre secret et révélateur ? Que sais-je encore !

Une lueur d’inquiétude traverse ses yeux clairs.

— Surtout que son meurtrier a un étrange mobile qui ne présage rien de bon ! Et qu’il ne semble posséder aucun scrupule !

Le couple part dormir, passant une nuit plutôt agitée.



Le surlendemain, à la maison de Jim et Mélinda.

La jeune chuchoteuse d’esprits se prépare pour partir à la base militaire, vêtue d’un simple jeans et d’un chandail gris pâle à manches longues. Elle salue sa mère. Élisabeth est arrivée tôt le matin pour veiller sur son petit-fils, comprenant bien qu’il est impossible d’amener le bébé avec elle. Une fois qu'elle embrasse son mari, donne une caresse maternelle à Alexis et fait une accolade à sa mère, Mélinda se met en route pour la caserne en train.


Plusieurs heures plus tard, dans les environs de la caserne.

Mélinda continue sa promenade, bien que cent questions se succèdent dans son esprit. Qui est ce meurtrier ? Que recherche-t-il ? Quel livre est si précieux qu’il puisse en payer de sa vie ?

Un frisson parcourt son échine à ces questions. S'appuyant contre un arbre pour ordonner ses idées et pour faire un halte, la médium a une vision.

Elle marche d’un pas cadencé et rapide, ne cessant de se retourner pour vérifier que personne ne la suive, sens aux aguets. La nuit commence à tomber sur la forêt, l’empêchant de discerner quiconque à quelques mètres à la ronde. Un vent s’élève, agitant les feuilles, en plus des hululements et des criquètements qui ajoutent une angoisse à l’épaisseur des ténèbres qui envahissent les environs. 

Soudain, un bruissement dans les halliers et arbustes voisins éveille son attention. Elle se retourne pour discerner une paire de yeux qui la fixe. 

— Qui êtes-vous ? Sortez de votre cachette !

De l’endroit émerge un jeune homme plutôt imposant, aux yeux marron avec une lueur étrange en eux et aux cheveux noir comme l’ébène. Son pantalon classique bleu foncé à patte d’éléphant et un veston moutarde contrastent avec le sourire démentiel au visage. Il lui affirme froidement, traits figés en un masque d’impassibilité.

— Où est le Livre ? Donnez-le moi ? Si…

Il sortit de sous son veston une petite arme à feu qui scintille brièvement.

— … Vous ne voulez pas payer le prix le plus élevé pour votre insubordination, jeune soldat !

Regard durci de colère, Mélinda lui hurle : 

— Non, jamais je ne vous…

La phrase n’est pas complétée, interrompue par un coup de feu. La balle se loge en plein cœur. 

— … donnerais ce Livre, termine-t-elle son discours, consciente que son interlocuteur ne peut l’entendre.

Sans ménagement, le meurtrier fouille le sac de sa victime, enragé, vociférant contre le destin de ne pas trouver ce qu’il cherche. Alors qu’il s’éloigne, Mélinda rencontre le regard d’un grand homme vêtu d’un pantalon classique gris foncé et d’un gilet gris clair en-dessous d’un manteau gris moyen près d’un arbre, immobile. Ses yeux gris observent sévèrement son entourage, ne disant mot, taciturne.

 

Mélinda, revenant de sa vision, étreint solidement le tronc de l’arbre près d’elle. Son cœur bat la chamade et elle se demande l’identité du monstre qui suivait ainsi le défunt. Jean se matérialise à sa droite, lui souriant tristement. Elle le questionne, dans un souffle :  

— C’est ainsi dans cette forêt que tu es mort ?

Il opine du chef.

— Mais qui est ton meurtrier et quel est ce livre qu’il recherche ?

— Ce monstre est quelqu’un de très connu à Reims… Vous en serez assez étonnée… Et le Livre qu’il recherche et celui-là même que je veux savoir en sécurité !

— Quel est le titre de ce…

La jeune antiquaire extraordinaire n’a pas terminé sa question que le défunt militaire disparaît de sa vue. Elle soupire et est sur le qui-vive, guère désireuse d’être interceptée par des soldats bien vivants. Mélinda revient à Grandeville, certaine de ne plus trouver d’indices éclairants.



Deux jours plus tard, dans la boutique d’antiquité.

Mélinda, déposant avec délicatesse son fils dans un petit lit, guette la venue de Paul, de Gabriel, de Carl et d’Élie. Les quatre hommes arrivent en quelques minutes d’intervalles. La jeune mère les invite à s’asseoir autour d’une table en cerisier et les tient au courant de ce qu’elle sait. 

— Et la question qui se pose, affirme-t-elle d’un ton sérieux, traits tendus, est de connaître l’identité du livre recherché et du meurtrier ?

— De mon côté, je ne suis parvenu à aucun résultat satisfaisant, commente, penaud, Gabriel. Mais je suis très intrigué par cet homme et son mobile, un singulier personnage et cruel homme !

— Par contre, commente Carl, je suis perplexe de la présence d’une arme à feu, il y a une réglementation et des permis autour du port d'armes ! Cet homme serait-il un chasseur, un amateur de tir récréatif qui ferait un usage illégal de son arme ? Pour l’instant c’est l’unique hypothèse sérieuse que j’envisage. Donc arme de catégorie B.

Les sourcils froncés d’Élie et son attitude pensive attirent l’attention des autres. 

— Je pense avoir une idée de l’identité du meurtrier et du Livre, Livre avec un l majuscule, s’empresse de préciser l’ancien Gardien.

— Pourquoi ? s’exclament à l’unisson Paul, Carl, Mélinda et Gabriel.

— Le Livre est l’abrégé du Livre des Changements, un ouvrage particulier qui a un Gardien, le seul qui peut le consulter, se confie le professeur d’un ton sérieux. Je l’avais dans ma bibliothèque ! Ce manuscrit peut prendre n’importe quelle forme: vieux grimoire, manuscrit, roman classique, pièce de théâtre, manuel scolaire… Je ne parviens pas encore à m’expliquer cette particularité, une lumière… mais bref, laissons pour plus tard mes spéculations ! 

Il marque une pause, reprenant son souffle, joues rougies de gêne au regard insistant de Gabriel sur lui.

— Sinon, la description du meurtrier de Jean Kretschmer correspond à celle de Josué Berthelot lorsqu’il était plus jeune ! Et il est recteur de l’Université où je travaille. Il est obsédé par le Livre ! C’est lui qui est le cerveau derrière le feu criminel à mon bureau, selon ce que mon ex du temps des études, Zoé, m'avait dit. Sans oublier la récente conversation avec lui confirme ce fait. 

Mélinda, Gabriel, Paul et Carl échangent un regard interrogateur entre eux. Le front de l’inspecteur plus âgé se plie et ses yeux se rétrécissent.

— Une obsession, continue Élie en appuyant son propos d’un geste de la main, et il est prêt à tout pour parvenir à ses fins ! Machiner un incendie à l’Université, il faut être particulièrement retors pour en venir à l’idée !

Gabriel écoute d’un air très intéressé l’explication du professeur, comprenant un peu mieux les paroles du défunt psychiatre, bien qu’il subsiste des zones grises. Un silence plane aux confessions de l’ancien Gardien. Après quelques minutes, Mélinda conclut : 

— Donc, ça veut dire que Jean Kretschmer, mort à l’âge de vingt-cinq ans, est tué froidement par Josué Berthelot, l’actuel recteur de l’Université de Ardenne…

— De Reims Champagne-Ardenne, la rectifie Élie.

Elle le remercie d’un signe de tête avant de continuer.

— … qui recherche activement le Livre des Changements. Il le recherche tellement qu’il en est obsédé et est prêt à tout pour parvenir à ses fins… Donc, il se peut qu’il soit l’ultime responsable de la tentative d’assassinat de Jim quelques semaines plus tôt.

Elle se tait, ne pouvant croire à l’ampleur de sa conclusion.

— Mais, ajoute Paul, énumérant une liste de ses élégants doigts, mes collègues et moi ne pouvons l’arrêter, puisque le tueur à gages…

Se tournant vers Carl, esquissant un geste de la main.

— Et tu me le confirmeras, collègue… Mais Robert Langowski n’a avoué aucun nom, aucun commanditaire ! …

Son collègue hoche la tête.

— … Donc, continue Paul en soupirant, nous ne pouvons procéder à l’arrestation sur une déduction logique qui, à strictement parler, n’est pas la plus évidente et irréfutable. N’importe qui peut être le commanditaire de ce tueur à gages, pourquoi accuser spécifiquement le recteur de l’Université à Reims ?

— Mais pourtant, précise Konstantin Pavlovitch, apparu près de la fenêtre, c’est la vérité ! Votre déduction est exacte !

Mélinda, Gabriel et Paul tournent leurs têtes vers l’Observateur, bouches entrouvertes d’incrédulité. Carl et Élie s’entr’observent, étonnés de la confirmation. 

— Alors, commente Élie, c’est une plus grande folie que je ne l’imaginais ! 

— Comment ce meurtrier est-il parvenu à avoir en sa possession une arme ? interroge Paul, lançant un regard suppliant au nouveau venu invisible.

Le Russe s’élève dans les airs, refusant de répondre.

— Bon ! s’exclame Carl, serrant les mains en poings, on va devoir trouver par nous-mêmes cette réponse ! Mais je pense qu’il y a une question plus capitale qui nous préoccupe maintenant !

Il observe attentivement les autres autour de la table pour donner plus de poids à ses paroles.

— À savoir, complète-t-il d’un ton inquiet, l’identité du Gardien.

— N’est-ce pas vous, Élie James, qui avez cette tâche ? intervient Gabriel d’une voix rauque.

— Oui, mais il y aurait un autre candidat…

— Mon mari, s’exclame la médium en se frappant légèrement le front de son paume. Je comprends mieux les paroles de l'Observateur !

Une lueur d’angoisse et de tristesse traverse les yeux de la jeune brunette.

— Et je dois craindre pour la vie de Jim ! Le recteur serait donc capable de s’en prendre à lui !

— Apparemment, renchérit Paul. Et ce recteur ne recule devant rien ! 

— Tout ceci me dépasse ! geignit Mélinda. Mais au moins, continue-t-elle sur un ton plus calme, je pourrais faire partir dans la Lumière Jean Kretschmer. Je n’aurais qu’à demander à Jim de me trouver ce Livre pour convaincre cet esprit errant qu’il est en sécurité.

Le défunt militaire se manifeste derrière le dos de Carl et les yeux aussi grands que des soucoupes, exulte : 

— J’avais raison que le Livre était dans votre bibliothèque ! Mais je ne suis pas certain que son Gardien soit encore en sécurité !

Et il se dissipe, réapparaissant au salon au domicile du couple. 

Gabriel murmure : 

— On peut dire que son cas est réglé ?

— Oui, d’une certaine manière… lui confirme Mélinda, fixant le dernier endroit où Jean a été présent dans la salle.

Et chacun se quitte, vaquant à leurs occupations.



Au même moment que la réunion à la boutique de Mélinda, au bureau du recteur, à l’Université.

Josué, debout, fixe intensément son reflet dans le miroir.

— Je ne suis qu’à quelques pas d’obtenir le Livre, et il m'échappe !

Il fait demi-tour et frappe puissamment contre son bureau, laissant exprimer son ire qui l’envahissait.

— On te l’avait dit que tu as encore peu de temps, hurlent les Ombres autour de lui, le traversant de part en part, lui instillant un froid dans la moelle de ses os.

— Mais je l’aurai, je l’aurai, ce Livre ! Ce n’est pas en vain que je le poursuis depuis tant d’années !

Il fait quelques cent pas dans son bureau avant de s’exclamer : 

— Je vais appeler l’antiquaire pour l’avertir du Livre ! D’ailleurs, est-elle consciente que son mari est le Gardien ?

— Oui, il ne lui manque pas beaucoup pour le réaliser !

— Alors je dois mettre la main au plus vite sur ce Livre ! Je lui poserais un ultimatum !

Et le recteur compose le numéro de la boutique de la chuchoteuse d’esprits qu’il a trouvé dans l’annuaire téléphonique de Grandeville pour tomber sur elle. Mélinda n’a pas encore quitté son commerce, réfléchissant à toute la discussion.


— Oui, bonjour, la Boutique d’antiquité…

— Madame Mélinda Gordon-Clancy, insiste la voix lente et menaçante de Josué. Dites à votre mari que je sais qu’il a le Livre ! Et je veux le consulter, vous devez collaborer !

Une lueur de panique traverse le regard de la médium lorsque Jean lui gesticule pour couper la ligne.

— N’oubliez pas qu’il est capable du pire, commente le défunt.

D’une main tremblante, elle baisse le combiné.

— Madame Gordon-Clancy, répondez-moi !

— Je ne peux pas… vous répondre… pour l’instant.

Et elle raccroche. Respirant bruyamment, ses bras et jambes tressautent de frayeur de la menace à peine voilée.

— C’est impossible, mon Dieu ! gémit-elle, les yeux remplis de larmes.

Elle se laisse doucement glisser au sol, se recroquevillant.

— Mon meurtrier est un monstre, s’exclame le fantôme à ses côtés, mais je peux essayer de vous aider ! 

Relevant sa tête, une lueur d'espoir brille dans ses yeux noisette.

— Réellement ?

— Oui, puisque cet être immonde a toujours la même tactique, alors je vous conseillerais de ne jamais laisser votre mari seul le soir ou même en tête-à-tête avec lui. Pour le reste, je concevrai un plan d’attaque et vous reviendrai sous peu !

Et le militaire s’éclipse de sa vue. L’épouse de Jim se lève et s'assoit pour bercer Alexis qui pleure doucement dans son berceau. Une fois le bébé calmé, la médium revient chez elle, épuisée et angoissée au-delà de l’imaginable.


Plusieurs heures plus tard, à la demeure du couple, au salon.

Jim revient du travail pour être accueilli par son épouse prostrée, fixant le vide. Prudent, il s’assit à ses côtés : 

— Mél, que se passe-t-il pour que tu sois dans cet état ?

Elle s’appuie contre sa poitrine et lui murmure entre deux sanglots : 

— De ma discussion avec Élie, Paul, Gabriel et Carl, j’ai tout compris. Le meurtrier de Jean Kretschmer est le recteur de l’Université à Reims… Josué Berthelot. Il recherche le Livre et ce militaire veut être certain qu’il soit en sécurité. Et comme tu es l’un des Gardiens, ce Livre doit être là…

Elle montre d’un geste de la main droite la bibliothèque qui trône au fond de la petite pièce baignée des rayons solaires. Le défunt militaire est devant la bibliothèque, observant l’interaction du couple, petit sourire aux lèvres.

— Jean le cherche, peux-tu le trouver ?

— Oui, ma chère !

Et le grand homme se lève prestement, repérant du regard le Livre. Il le sort de son rayon et dit d’une voix de stentor : 

— Jean Kretschmer, tu n’as pas à craindre, le Livre qui se présente comme un simple manuel d’initiation au métier d’ambulancier ne peut pas être aisément trouvé !

— Je discerne bien une droiture en votre être, commente le fantôme. Me voilà en paix de savoir le Livre entre de bonnes mains.

— Jim, lui précise son épouse. Là n’est pas mon principal souci, mais bien plutôt l'acharnement de ce recteur à vouloir mettre la main sur le Livre. Il est prêt à tout pour y parvenir. Il ne présente aucun scrupule ! Il a tué cet homme, potentiel Gardien, dans l’espoir d’y accéder. Il est le cerveau à la fois du feu criminel au bureau d’Élie James et de ta tentative d’assassinat quelques semaines plus tôt ! Il ne recule devant rien ! Sans oublier qu’il m’a menacé au téléphone après ma réunion avec Élie, Carl, Gabriel et Paul ! Et il est sérieux ! Je crains tellement de te perdre ! Bien qu’Élie m’a expliqué que n’importe qui ne peut pas le lire, je ne suis pas rassurée de la colère du sinistre personnage !

Elle éclate en sanglots, sous le regard troublé de Jim et de Jean. Son mari la berce tendrement contre sa virile poitrine pour la calmer, passant sa main ornée de l’alliance d’or dans ses cheveux soyeux.

— Mél, soit forte ! Rien ne peut m’arriver ! Si personne d’autre ne peut lire le Livre, alors je n’ai rien à redouter de lui, puisque je pourrai même le lui donner, il ne pourrait jamais obtenir de réponse !


Soudain, plusieurs coups puissants à la porte résonnent, effrayant le couple. Jim se lève, regard lançant des éclairs, suivi par son épouse. Ouvrant la porte, il interroge sévèrement : 

— Qui êtes-vous ? 

— Vous le savez, répond énigmatiquement le vieil homme, lueur de folie dans ses sombres yeux.

— Vous n’entrez pas chez moi ! Restez à l’extérieur et dites-moi ce que vous voulez !

Il grommelle quelques paroles incompréhensibles et demande : 

— Votre épouse ne vous informe point ? Le Livre, monsieur ! Si vous voulez être vivant.

Mélinda, essuyant les larmes de ses yeux encore rougis devient blême, passant sa main droite autour du bras musclé de Jim.

— Attendez-moi sur le trottoir, lui ordonne l’ambulancier, je vous rejoins avec l’objet de votre désir !

Le recteur attend, suant à grosses gouttes aux froids chuchotements des Ombres qui l'entourent en permanence.

Mélinda, avec le petit Alexis entre ses bras, suit son mari. Ce dernier, Livre sous le bras, confiant, arrive devant le vieil homme et lui dit : 

— Allons au parc près de la boutique de mon épouse. C’est un endroit beaucoup plus convivial que de demeurer debout, n’est-ce pas ?

Hésitant, Josué approuve d’un hochement imperceptible, conscient qu’il ne peut refuser la proposition. Jean sourit à la médium et lui murmure : 

— Tout est sous contrôle ! C’est la tactique B.

Il lui fait un salut militaire avant de disparaître. Jim, Josué et Mélinda arrivent ainsi au parc, sur un banc. Jim donne en main propre le Livre. Les yeux du vieil homme brillant de convoitise, ses mains tremblantes ouvrent le précieux manuscrit. 

Jim et Mélinda, debout, se distancient du recteur, craignant une manifestation de colère.


Les yeux du recteur se plissent. Ébahi, il hurle : 

— Mais il n’est rien écrit ! Vous vous moquez de moi !

— Non ! Je ne peux pas me tromper, lui réplique Jim. Je reconnais le livre entre mille. Déjà que je n’ai pas une quantité phénoménale de livres dans ma bibliothèque, donc, impossible de vous fourvoyer.

Les poings serrés de colère, Josué explose, touchant son arme sous son veston. 

— Vous vous moquez de moi !

— Non ! D’ailleurs, lui suggère ironiquement Jean, à la droite de Mélinda, peut-être que monsieur le recteur voudrait le consulter à tête reposée chez lui, ça peut aider à trouver des réponses ? Le Livre est sensible à l’état émotif de celui qui le consulte. Madame, rapportez mes paroles à ce meurtrier.

La médium rapporte le discours du défunt, l’ironie en moins. Josué, malgré l’oppression dans sa tête, approuve d’un geste de la main et, livre sous le bras, quitte les lieux, revenant à sa maison. La petite famille, encore sous le choc, demeure assise sur les canapés du salon. Ni Jim, ni Mélinda ne connaissent le dénouement à s’attendre de toute cette étrange histoire.


Au même moment à Reims, 

Josué, confortablement assis sur son fauteuil noir, consulte le fameux Livre qu’il a inlassablement recherché pendant plus de trente ans. Ignorant le murmure froid des Ombres, mains tremblantes d’exaltation, il prend l’ouvrage avec attention, le feuilletant tel un vieux manuscrit fragile. Son front se plisse, lorsqu’il constate qu’aucune lettre n’apparaît, pas même des hiéroglyphes. Le Livre est vierge de toute écriture. Jean, présent dans la pièce pour observer le dénouement, est proche de la fenêtre, impassible. Josué parcourt frénétiquement toutes les pages, alors qu’il commence de plus en plus à suffoquer sous la pression de ses démons.

— Attendez, mes chers amis ! J’ai le Livre, il ne suffit que je me concentre… Je n’y arrive pas !

— Vous vous moquez de nous ! lancent des voix stridentes.

Lorsqu’il s’arrête sur la dernière page, il ne lit qu’une seule phrase en caractère gothique : 

« On ne peut leur échapper ! »

Le recteur lâche le Livre, comme s’il était enflammé. Sautant d’un bond du siège, il supplie les Ombres, agenouillé : 

— S’il vous plaît, ne soyez pas fâchés. J’ai trouvé ce que vous voulez ! Je n’y peux rien s'il s'efface de lui-même.

Un sombre voile s’approche de lui, tel un essaim de guêpes. Le vieil homme veut l’éviter, mais en vain, à chaque mouvement, il est toujours encerclé par eux.

Soudain, l’arme qu’il a laissée dans la poche interne de son veston s’agite. Un coup de feu retentit. La balle se plante dans son cœur et le corps s'effondre au sol, dans une mare de sang.

— Telle vie, telle fin ! commente le militaire en secouant tristement la tête.

— Vous ? s’étonne l’âme du recteur qui promène son regard de son corps, devenu cadavre, jusqu’au défunt Gardien.

— Je ne suis nullement responsable de votre mort, mais vos amis !

— Tu ne peux nous échapper ! éructent les Ombres.

Et les ténébreuses entités amènent avec elles l’âme du recteur qui ne pouvait offrir aucune résistance devant leur nombre.


Un peu plus tard, avant d’aller dormir, chez Jim et Mélinda.

Mélinda sursaute en constatant la présence de Jean devant la porte. Le défunt lui résume la fin du recteur et s’exclame : 

— Maintenant, me voilà en paix ! Je peux enfin quitter ce monde !

Tournant sa tête à droite, il voit une douce lumière étincelante et immaculée, visible à lui seul, qui l’invite à abandonner définitivement le monde des vivants.

— Wow ! Je remarque une lumière tellement belle et accueillante. Je suis en paix, plus rien ne me tourmente, s’exclame le militaire. Est-elle pour moi ? Puis-je y aller ?

Une lueur de béatitude scintille dans ses yeux clairs. Une sérénité telle que la médium ne l'a jamais vue auparavant. Petit sourire au visage et larmes au coin des yeux, elle murmure chaleureusement : 

— Oui, cette Lumière est pour vous ! Bon voyage !

Le défunt se dirige vers sa droite, se retourne une dernière fois et dit : 

— Je ne me suis jamais senti aussi léger de ma vie ! Le Livre est à sa place, de retour dans la bibliothèque de votre mari ! Ma fiancée, mes parents et ma sœur m’attendent, agitant les bras pour m’inviter à les rejoindre. J'arrive !

Et, doucement, il s’éclipse du regard de la jeune mère, enveloppé par une douce et pure lumière blanche imperceptible pour la médium.

L’épouse de Jim, essuyant une larme de joie, rejoint son mari et s’endort d’un sommeil léger, aucunement inquiète pour leur futur.

Dans la pénombre de la chambre, le médecin collaborateur Charlie Luc Wogel, petit sourire sardonique aux lèvres, guette le couple avant de s’évaporer.




À suivre

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