Rencontres entre Dieux, esprits et mortels
Par une journée ensoleillée d'avril 2001.
Mélinda Irène Eastman-Clancy, une jeune femme de vingt-deux ans, tient amoureusement la main droite de son époux, Jim Clancy, âgé de vingt-six ans. L'ambulancier a congé. Elle pousse de son autre main la poussette où se trouve leur premier enfant, Aiden, âgé d'un mois. La petite famille se promène sur les sentiers battus du village, pour se rendre au marché.
Tout à coup, une jeune femme apparaît devant eux, vêtue d'une longue tunique d'une blancheur éclatante et d'un voile de la même couleur. Les bijoux d'or reflètent la lumière du soleil, aveuglant les mortels malgré leurs lunettes fumées. Nulle autre que Héra. Elle sourit au couple puis se penche au-dessus de la poussette du bébé, le taquinant de ses doigts divins. Après quelques minutes à le taquiner, elle se relève, la mine sérieuse, et dit à Jim Clancy de sa voix éthérée : « Mon cher protégé, je voudrais bien être la nourrice de votre fils Aiden... Il est tellement mignon... D'ailleurs, voilà des siècles que je n'ai pas tenu un bébé dans mes bras blancs... »
Le couple s'entr'observe et hoche de la tête. Il voit ceci d'un bon œil. N'y a-t-il pas meilleure nouvelle que de savoir son enfant confié à une nourrice divine ? Dans tous les cas, c'est un bon signe. La Déesse bénit en silence le bébé, qui la regarde de ses grands yeux étonnés, puis elle s'éloigne de Jim et de Mélinda Irène pour disparaître comme elle est venue. La Reine revient aux côtés de son époux, sur l'Olympe.
Jim et Mélinda Irène, eux, se rendent au marché, où ils saluent les marchands. La passeuse d'âmes remarque près des pommes, une âme errante. Celle d'une femme âgée vers la quarantaine, vêtue d'une chemise blanche, d'un léger pull rouge et d'un pantalon bleu marine. Ses cheveux bruns tombent librement sur ses épaules. L'esprit essaie de saisir une pomme, mais en fait rouler plusieurs par terre. Mélinda Irène, en ramassant les fruits, lui dit : « Madame, quel est votre nom ? »
Étonnée, l'interpellée répond avec un accent britannique : – Tamara Gardner.
La passeuse d'âmes s'excuse discrètement auprès du marchand, en lui disant qu'un esprit les a déplacé.
Elle se tourne vers l'esprit et dit : – Pourquoi vous restez parmi les vivants ?
D'un air effrayé, l'esprit répond : – J'ai des commissions à faire... Je ne veux pas être en retard !
Puis l'âme disparaît de sa vue.
Le couple fait les commissions. La femme remarque que Tamara Gardner réapparaît devant elle. L'âme errante déambule dans le marché, comme si elle est encore vivante. Mélinda Irène l'interpelle et décide d'engager la conversation.
– Madame Tamara Gardner, qu'est-ce qui vous retient encore sur terre ? Vous savez que vous devez passer dans la Lumière...
– Je le sais, mais mon mari...
– Son nom, s'il vous plaît ?
Le marchand de fruits, ayant entendu Mélinda Irène parler avec un esprit (bien qu'il n'a entendu que les répliques de la passeuse d'âmes), tousse très fort pour attirer l'attention. La passeuse d'âmes, son Génie et l'esprit errant tournent leurs têtes vers lui. Il dit : « Excusez-moi, Madame Clancy, d'interrompre votre conversation avec un esprit errant... Selon ce que vous dites, c'est Madame Gardner qui est là ? »
Mélinda Irène opine discrètement du chef.
Le marchand continue : « Son mari, un certain Roger Gardner, est un homme de l'Angleterre. Ce couple est venu en voyage dans notre pays, avec leurs enfants, deux garçons bien sympathiques, en été 1990. Il semble que Monsieur Gardner, à se fier aux rumeurs, battait sa femme parce qu'il a trouvé une jeune femme à Athènes... »
Tamara Gardner, étonnée : – Roger, violent ?
Mélinda Irène : – Madame Gardner est étonnée que son époux a été si violent...
Une marchande tzigane s'approche du groupe; hors de doute, c'est Héra, étant donné l'intensité de son regard divin. La Déesse dit : – Premièrement, Madame Gordon-Clancy, vous devez savoir que Tamara Gardner n'est pas le vrai nom de cette femme... Son vrai nom est Sarah Evers. Deuxièmement, elle a été enlevée de force par Roger Gardner, qui la retenait prisonnière dans une pièce sombre, les mains et pieds liés. Et il l'a rendu tellement folle qu'ils se sont mariés et ont eu deux enfants... En quelque sorte, elle est devenue malheureusement amoureuse de l'homme qui la maltraitait... En bref, un exemple typique de ce que vous, les mortels, appelez le syndrome de Stockholm... J'espère que les enfants n'ont pas hérité des mauvais gènes de leur père, qui s'est remarié à la mort de Sarah Evers. Cette dernière est morte, frappée mortellement par son époux car elle était venue en retard du marché parce qu'elle a lu des journaux locaux. D'où son hantise d'être en retard pour faire les commissions... Et c'est le sort qui attend sa seconde épouse, sauf que je ne le laisserai pas ainsi bafouer le mariage... Madame, n'oubliez pas une chose: en tant qu'âme errante, vous n'avez plus besoin de vous nourrir, de vous vêtir et de dormir... Voilà, maintenant, Madame Clancy, vous savez son histoire. Quant aux enfants, ne vous inquiétez pas, ils sont en sécurité, nourris par la Biche de Cérynie, celle-là même qui tire le char d'Artémis et qu'Héraklès a capturé vivante plusieurs siècles avant la naissance du Christ...
L'esprit errant, rassuré, dit d'une voix émue : – Merci, Madame...
Elle sanglote pendant quelques minutes, mais se ressaisit devant l'air sérieux de la Déesse.
Héra, le sourire aux lèvres, dit à la passeuse d'âmes : – Madame Clancy, il ne vous reste qu'à convaincre cette pauvre âme de passer dans la Lumière... Moi, je m'occupe de Roger Gardner !
Et la Déesse disparaît de leur vue. Mélinda Irène parvient à persuader Sarah Evers/Tamara Gardner de partir dans la Lumière puisque ses enfants sont en sécurité. L'âme errante supplie la Déesse de lui montrer où sont ses enfants. Héra réapparaît devant Sarah Evers puis l'amène devant les enfants. Rassurée, l'esprit errant, après avoir vu ses enfants, revient vers Mélinda Irène Eastman-Clancy puis part dans la Lumière. La Déesse, elle, apparaît dans la maison où se trouve Roger Gardner, en Angleterre. Ce dernier, en dispute avec sa seconde épouse, veut la pousser dans une trappe cachée sous le tapis du salon. Héra apparaît sous les traits d'un jeune homme et pousse Roger dans la trappe puis la referme, emprisonnant l'homme dans son propre piège. L'épouse, étonnée, lui demande de décliner son identité. La Déesse lui répond : « Je suis Héra, la protectrice des mariages. Maintenant, vous êtes libre de vous trouver un époux digne de vous. Vous avez ma bénédiction ! » Et la Déesse disparaît comme elle est venue, pour réapparaître devant Mélinda Irène, le sourire aux lèvres. Elle dit d'un ton sérieux que la vengeance est faite. Sa voix est éthérée, d'une jeunesse immuable malgré les millénaires qu'Héra a connu. Et elle rapporte fièrement les détails, salue Jim, Mélinda Irène et Aiden puis regagne les cieux sous l'apparence d'un aigle royal. La petite famille, elle, revient dans leur maison. La passeuse d'âmes pense : « Youpi ! Un esprit errant de moins... Mission accomplie ! » Elle serre la main gauche de son époux, qui l'embrasse tendrement sur les lèvres.
La sœur de Mélinda Irène Eastman-Clancy, Ivy Mary Eastman, une brunette de vingt-et-un ans, habite dans une maison en face de celle où vit son aînée. Elle est récemment mariée à Denis Grafton, un serveur qui apprécie le vin local. Eux aussi ont une maison construite par Héphaïstos avec un joli petit jardin dont les Nymphes s'en occupent. Ivy Mary et Denis, main dans la main, se promènent dans le village dont ils connaissent le moindre coin et recoin. Elle salue une Ménade, reconnaissable à son thyrse et à ses cheveux en bataille, qui passe. Depuis quelques années, la passeuse d'âmes est amie d'une Ménade, nommée Mainas. C'est son Génie qui fait la rencontre des deux femmes. Paul et Elizabeth, la première fois qu'elle leur présenta son amie, ne sont pas contents d'une telle fréquentation... « Ça doit être son premier prénom (trop dionysiaque) qui prend le dessus... » pensent les parents, exaspérés. « Au moins, on a une chance qu'Irène ne soit pas Mélinda... » Mais revenons à Ivy Mary. La Ménade, nulle autre que Mainas, la salue; la mortelle lui rend son salut et la présente à son époux. Mainas dit d'une voix stridente : « Ivy, il y a un esprit chez Samuel Lucas ! »
Le trio arrive chez le vigneron, qui les salue. Il prend discrètement les mesures d'Ivy; l'époux le foudroie du regard. Les trois Génies des mortels s'entr'observent et discutent comme les meilleurs amis. La passeuse d'âmes remarque en effet un esprit errant, visiblement un alcoolique âgé vers la soixantaine, qui tourne autour d'une amphore de vin. Elle dit d'un ton sévère : – Excusez-moi, Monsieur ! Pouvez-vous vous présenter ?
L'esprit, ignorant sa question, tente d'ouvrir l'une des amphores scellées. Sauf qu'il renverse deux amphores.
Samuel Lucas soupire puis commente : « Madame, ça fait un mois que je remarque ce phénomène. Je voudrais bien qu'il décroche du vin... Sinon, comment pourrai-je le vendre ? »
Ivy Mary lui réplique : « Ne vous inquiétez pas... Il faut seulement qu'il soit plus collaboratif... Sinon, nous pouvons toujours implorer l'aide de Dionysos... »
À peine prononce-t-elle le nom du Dieu qu'un jeune homme vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon jogging bleu foncé apparaît. Sur sa tête, une couronne de lierre et de pampres. Aucun doute, c'est Dionysos qui vient de faire son apparition. Les mortels, leurs Génies et l'esprit errant regardent le Dieu.
L'esprit prenant peur à sa vue, dit : – Désolé, Monsieur... Je ne voulais pas hanter votre amphore... Seulement, je voulais que vous donnez l'amphore à mon frère benjamin, car je lui avais promis de la lui offrir en cadeau pour son cinquantième anniversaire, qui est demain...
Dionysos intervient : – Parce que votre frère, bien qu'alcoolique comme vous, est encore vivant... Et que vous voulez le féliciter de ne pas avoir connu un seul coma éthylique de sa vie ?
L'esprit, d'une petite voix : – Exactement...
En s'adressant à la passeuse d'âmes : – Madame...
L'interpellée répond : – Ivy Mary Eastman-Grafton.
– Vous donnez cette amphore à mon frère, Georges Andréou, puis je partirai dans la Lumière, promis !
Ivy Mary à Samuel Lucas : – Cet esprit veut seulement donner en cadeau l'amphore qu'il tente d'ouvrir à son frère benjamin, Georges Andréou.
Samuel Lucas commente : – Si Georges Andréou est son frère, l'esprit est alors Konstantínos Andréou, un client régulier, qui est défunt il y a un mois...
Ivy Mary : – Merci de l'information, Monsieur Lucas. Donc, Monsieur Konstantínos Andréou, vous respectez votre parole, nous vous aiderons en y apportant l'amphore en question chez votre frère puis vous partez dans la Lumière...
L'esprit errant hoche de la tête. Samuel Lucas prend l'amphore et les trois mortels et le Dieu se rendent chez Georges Andréou, qui habite dans une petite maison dans le village. Étonné d'avoir des visiteurs, le Grec le accueille chaleureusement. Après lui avoir expliqué la situation, il accepte, content l'amphore. Il propose même à Samuel Lucas, à Denis Grafton et à Ivy Mary Eastman-Grafton de revenir demain pour prendre un verre avec lui. Ils acceptent son invitation.
Konstantínos Andréou, heureux d'avoir tenu sa promesse, voit une lumière. Il dit à la passeuse d'âmes : – Cette lumière où se profilent des amphores et des bouteilles de vin, c'est pour moi ?
Ivy Mary Eastman-Grafton : – Oui. Bon voyage !
Et l'esprit disparaît, car parti dans la Lumière. Dionysos salue les mortels et disparaît comme il est venu.
Le jeune couple revient dans leur maison. Ivy embrasse tendrement Denis, contente d'avoir fait passer dans la Lumière un esprit errant de plus.
Paul Eastman, un homme de 53 ans, est un policier et passeur d'âmes bien sympathique. Avec sa femme, Elizabeth Hewitt-Eastman, 54 ans, ils sont parvenus, par le passé, à convaincre des âmes errantes du village de ne plus hanter les granges. Par une journée d'avril 2001, Paul se rend à son lieu de travail, à Aigion. Heureusement, avec une voiture aux portes automatiques, nul besoin d'avoir une clé de plus dans son trousseau ! Rendu à son bureau, une âme errante apparaît devant lui. Un homme vers la cinquantaine, aux yeux et cheveux noirs, vêtu simplement d'une chemise blanche à manches courtes avec des motifs floraux et d'un pantalon bermuda. Rien sur son apparence ne permet de conclure une mort violente.
Le policier, assis sur la chaise de son bureau, dit : – Monsieur, veuillez décliner votre identité.
L'esprit errant : – Dave Greenstein. Mon pseudonyme est Phénix.
– Moi, c'est Paul Eastman. Et bien, que voulez-vous ? Quelle est votre raison à hanter les vivants ?
– Je veux simplement savoir si vous pouvez m'aider à sauver ma fille, ma chère Marianna, qui joue au même jeu vidéo que moi, le jeu de rôle Vie parallèle... Je veux la protéger d'un homme suspect...
Tout à coup, un jeune homme d'une beauté divine, vêtu en tenue de ville, avec un arc et un carquois, apparaît dans le bureau. Apollon salue le policier passeur d'âmes et l'esprit errant, puis ajoute aussitôt : – Monsieur Dave Greenstein veut protéger sa fille d'un pédophile qui l'a repéré. Le nom du pédophile est Andrew Cornford. Son pseudonyme est Marc Enfant. Son adresse est 93, rue Kiprou. Monsieur Greenstein est mort de déshydratation pour avoir veiller en ligne pendant cinq jours sur sa fille. Monsieur Eastman, je vous accorde le pouvoir d'attraper cet homme dangereux avant qu'il n'embarque Marianna Greenstein dans son véhicule. De mon côté, je demanderai à Héphaïstos de brouiller la messagerie électronique entre les joueurs afin qu'ils ne puissent pas se communiquer... Si vous ne le trouvez pas dans quinze minutes, je ne le raterai pas avec ma terrible flèche !
Ainsi parle le redoutable archer et disparaît de leur vue.
Paul Eastman pense : « Heureusement, être bien-aimé des Dieux me permets de régler plus rapidement les cas compliqués, mais surtout d'éviter des situations malheureuses. »
Il dit à l'esprit errant : – Monsieur Greenstein, pouvez-vous me dire où se trouve en ce moment Andrew Cornford ?
– Oui. Devant son ordinateur, sur le jeu Vie parallèle. Faites vite !
Paul dépêche de se rendre à l'adresse en question. Il trouve l'homme absorbé par le jeu. Andrew Cornford se retourne lorsqu'il entend quelqu'un frapper à sa porte. Il regarde par le judas. Voyant un agent de l'ordre, il pense : « Qu'est-ce qu'il me veut, celui-là ? » Apollon apparaît derrière le policier et lui murmure : « Ouvrez immédiatement la porte ! Même si vous la forcer, je peux faire en sorte qu'elle revienne dans sa position primitive... »
Paul, impatient, force la porte... Et il ne perd pas une seconde pour maîtriser l'homme suspect en lui expliquant qu'il ne veut pas mettre en danger des jeunes filles par sa prédation sur des jeux vidéos. Interloqué, Andrew Cornford tente de se dégager, mais la flèche menaçante d'Apollon le dissuade. Et le Dieu, en un claquement des doigts, fait apparaître toutes les preuves évidentes de sa pédophilie. Paul Eastman place l'homme sur le siège arrière de sa voiture puis revient à la station de police, où il le laisse avec l'un de ses collègues enquêteur pour procéder à l'interrogatoire. Ensuite, il revient dans la maison du pédophile pour photographier les preuves puis les apporte à son collègue. Paul, en revenant à la station de police, remercie Apollon de sa rapide intervention. Le Dieu regagne le ciel sous l'apparence d'un corbeau blanc. Dave Greenstein apparaît sur le siège du co-conducteur, le sourire aux lèvres. Il explose de joie et donne une solide accolade au policier : « Merci, Monsieur Paul Eastman ! Que les Dieux et Dieu vous aident jusqu'à la fin de votre vie et par-delà ! » Après quelques minutes de silence, l'esprit disparaît de sa vue pour dire un dernier adieu à sa femme et à sa fille avant de partir dans la Lumière. C'est le policier passeur d'âmes qui est très content de la tournure des événements. Il pense : « Très bon bilan: un pédophile de moins qui rôde dans les rues d'Aigion et un esprit errant de moins. »
Un lundi ensoleillé d'avril 2001, Université de Delphes, bureau du professeur Élie James, 8h40.
Le professeur, âgé de 41 ans, se prépare pour son cours d'Introduction à la philosophie de Platon. Il sursaute. Une voix féminine, visiblement une âme errante, commence à parler. Par la voix, Élie James déduit qu'il s'agit d'une jeune Anglophone vers la vingtaine. Cette voix lui rappelle une étudiante étrangère qu'il avait dans sa classe à la session passée, à l'automne 2000. L'esprit errant dit : « Monsieur le Professeur Élie James, pouvez-vous m'aider ? »
L'interpellé réplique : – Oui, Mademoiselle... Si ma mémoire est bonne, vous êtes Fiona Raine...
– Exactement.
– Et bien, comment puis-je vous aider ?
– Comme vous le savez, je suis une étudiante étrangère. Et je suis très intéressée par vos cours. Je trouve que vous avez une manière particulièrement captivante d'amener la matière...
– Oui... Et alors ? Vous pouvez suivre les cours en tant qu'esprit: vous pourrez alors suivre gratuitement les cours...
– Bonne idée !
– Assez de blague ! Mais, comment êtes-vous décédée ?
– Dans un incendie...
Tout à coup, un Dieu fait son apparition: un jeune homme boiteux avec un briquet à la main. Le professeur et l'esprit errant pensent à l'unisson : « Bonjour, Héphaïstos ! »
Le Dieu sourit et dit : « Cette jeune femme est morte il y a trois jours dans un incendie qui s'est déclaré dans l'immeuble des résidences étudiantes de l'Université de Delphes. Et je sais qui est le pyromane responsable de l'incendie : le colocataire de Mademoiselle Fiona Raine, Christian Sams. Il m'invoque à chaque acte de pyromanie... Sauf que je ne suis pas responsable de ses actes ! »
Élie James : – Est-ce que les parents de Fiona Raine savent qu'elle est défunte ?
À ce moment, deux Divinités apparaissent : Héra (toujours aussi majestueuse et lumineuse dans ses apparitions humaines) et Aphrodite (sous les traits d'une très belle jeune femme aux formes généreuses). Héra commente : – Les parents de Mademoiselle Fiona Raine ne le savent pas, car ils sont morts alors qu'elle avait trois ans. Elle a été adoptée mais ses parents adoptifs, Andrew et Alison Fordham, la maltraitaient psychologiquement. De sorte que j'ai demandé à Déméter de s'occuper d'elle, pour se rétablir du choc. Ensuite, vers l'adolescence, elle se lia d'amitié avec Christian Sams...
Fiona Raine rougit et dit d'une petite voix : – S'il vous plaît, Héra, ne continuez pas... Monsieur le Professeur n'a pas besoin de tout savoir...
Aphrodite la foudroie du regard puis dit : – Au contraire, il doit tout savoir pour que Monsieur Élie James puisse vous aider.
L'esprit grommelle : – D'accord... Je vous laisse alors parler...
Aphrodite poursuit : – Vous devez savoir, Monsieur le Professeur, qu'elle est amoureuse de Christian Sams. Et elle n'ignore pas qu'il est un pyromane...
L'esprit rougit.
Aphrodite : – Ce jeune homme n'est pas un bon compagnon pour elle, car il la menaçait de mort... Comme il était possessif, pire qu'Héphaïstos, la fois où je l'ai marié il y a quelques siècles, Christian Sams cause un feu dans leur appartement en allumant la cuisinière à gaz. Il était jaloux et la soupçonnait de s'enticher d'un autre...
Élie James : – Merci pour les informations !
Héra, Héphaïstos et Aphrodite disparaissent comme ils sont venues.
Le psychologue dit : « Mademoiselle Fiona Raine, êtes-vous encore là ? »
L'esprit errant : – Oui, Monsieur le Professeur James.
– Très bien... Comme je ne vous ai pas entendu, je pensais que vous êtes partie... Dans ce cas, j'aviserai la police, qui procédera à l'arrestation de Christian Sams, j'informerai vos parents adoptifs de votre mort, puis vous partez dans la Lumière, car le pyromane est hors d'état de nuire. Ceci vous convient ?
D'un ton joyeux, Fiona Raine répond : – Oui !
Et Élie James se lève de sa chaise et se rend près des résidences étudiantes de l'Université de Delphes, où les policiers enquêteurs débutent la recherche d'indices. L'un d'eux, Βίκτωρ Μιαούλης (Victor Miaoúlis) salue le professeur. Ce dernier dit : – Ανακριτικός Υπάλληλος [Chef enquêteur] Victor Miaoúlis, je sais qui est le responsable du feu qui s'est déclaré dans l'immeuble.
Le chef enquêteur lui fait un geste de la main pour qu'il poursuit. Élie James d'un ton sûr : – C'est Christian Sams, le petit-copain de Fiona Raine. Cette dernière est morte dans l'incendie et son âme est venue à moi. Mais c'est Héphaïstos, Aphrodite et Héra qui m'ont expliqué toute l'histoire. Christian Sams était jaloux de Fiona Raine, et c'est pourquoi il a allumé le feu. Il faut savoir qu'il la menaçait de mort... Pour informations, tous les deux sont des étudiants étrangers de l'Université.
Victor Miaoúlis dit d'un ton calme : – Merci beaucoup, Monsieur le Professeur. Votre nom ?
– Élie James, Professeur de psychologie et de philosophie à l'Université de Delphes.
– C'est noté ! Passez une bonne journée !
– Bonne journée à vous aussi !
Le chef enquêteur communique au moyen d'un émetteur-récepteur portatif avec ses autres collègues le nom du coupable. Le jeune homme est retrouvé dans une rue parallèle, en pleine fuite. C'est Arès qui l'empêche de fuir en le taquinant sous l'apparence d'un vautour. Les policiers remercient mentalement le Dieu, qui s'envole dans les cieux.
Élie James pense : « Maintenant, il faut seulement trouver les parents adoptifs de Fiona Raine, Andrew et Alison Fordham. » Et il demande à la secrétaire du Département de philosophie les informations sur les parents adoptifs de l'étudiante étrangère.
Le lendemain, le professeur se rend dans l'appartement où Andrew et Alison Fordham vivent. Il les informe au sujet de la mort de leur fille adoptive puis revient dans son bureau. Fiona Raine le remercie de son aide puis part dans la Lumière, sereine. Le professeur, en se rendant dans l'amphithéâtre pour son cours d'Introduction à la logique aritotélicienne, pense : « Mission accomplie ! Un esprit errant de plus dans la Lumière ! Je vous souhaite plus de chance dans votre prochaine réincarnation ! »
Village d'Eleonas, maison de Paul Eastman et d'Elizabeth Hewitt-Eastman, 10h.
Elizabeth ôte la poussière des meubles. Tout à coup, un esprit errant se manifeste à sa gauche. Une femme âgée vers la vingtaine, vêtue d'une robe noire sans manches. La passeuse d'âmes lui demande de dire son nom et sa raison de demeurer parmi les vivants.
L'esprit répond d'une voix sèche : – Je suis Zoe Harper. J'exige le pardon de ma sœur !
– Pourquoi ?
– Parce que...
Tout à coup, un Dieu apparaît sous les traits d'un vieil homme barbu portant une couronne de fleurs et de fruits sur la tête. Il se présente : le Dieu-fleuve Pleistos. Il ajoute aussitôt : « Cette jeune femme est morte noyée l'été passé dans mon fleuve, qui passe par Delphes. Elle était ivre, car rongée par la culpabilité d'avoir connue le petit-copain de sa sœur jumelle, Nathalie. Toutes les deux avaient nagé dans mon fleuve, car elles se sont lancées un défi, à savoir d'atteindre le plus vite possible l'autre rive. Lorsque Nathalie Harper a vu sa sœur se noyer, elle s'est dépêchée de repêcher son corps, mais son âme est déjà sortie de son corps quelques secondes avant. »
Elizabeth : – Comment s'appelle l'ex-petit-copain de Nathalie Harper ?
Zoe répond : – Thomas Smith.
Le Dieu-fleuve salue la passeuse d'âmes et l'esprit errant puis disparaît de leur vue.
Zoe Harper dit : – Dites à ma sœur que je suis désolée d'avoir connue Thomas et que je voudrais que Nat... Nathalie... réussisse notre défi...
Elizabeth Hewitt-Eastman : – Savez-vous où vit votre sœur ?
– Oui, dans l'appartement 15 sur le 49 rue Apollonos, à Delphes.
– Merci de l'information ! J'y vais de ce pas la voir...
Puis la passeuse d'âmes murmure pour elle-même: « Je dois m'informer du prochain train pour Delphes... »
Hermès fait son apparition dans la pièce; sa protégée le salue. Le Dieu agite son caducée devant elle et dit : « Bon voyage, Madame Elizabeth Hewitt-Eastman ! »
La passeuse d'âmes est transportée sur un nuage en une minute devant la porte de l'appartement de Nathalie Harper. Elizabeth frappe doucement à la porte. Une jeune femme vers la vingtaine la lui ouvre. La passeuse d'âmes lui explique qu'elle a eu la visite de l'âme de sa sœur. Nathalie l'invite alors à entrer. Une fois rendues au salon, Elizabeth explique à la jeune femme ce que Zoe et le Dieu-fleuve lui ont dit. Nathalie pardonne à sa sœur, en la rassurant en disant qu'elle n'est pas fâchée contre elle, puisqu'elle a rompu avec Thomas. Tard dans l'après-midi, Nathalie décide de relever leur défi. La passeuse d'âmes remarque que Zoe Harper regarde sa sœur nager. Et la vivante parvient en quinze minutes de l'autre côté de la rive. L'esprit errant, content, le visage illuminé, dit : « Je vois une lumière... »
Elizabeth Hewitt-Eastman : – C'est pour vous...
– Merci beaucoup !
La passeuse d'âmes dit à Nathalie Harper, bien emmitouflée dans une serviette pour se sécher de sa nage : – Zoe vient de partir dans la Lumière...
Nathalie lui murmure : – Merci à vous ! Passez une bonne journée !
– Bonne journée à vous aussi !
Hermès apparaît devant sa protégée et la transporte immédiatement dans sa maison. Elle n'a jamais voyagé aussi rapidement ! Lorsque Paul Eastman revient du travail, Elizabeth lui résume le cas qu'elle a réglé au cours de la journée. Il l'embrasse tendrement en signe de soutien; elle lui rend son bisou.
Un dimanche nuageux d'avril 2001, Aigion, maison de Gabriel Gordon.
Gabriel, vingt-cinq ans, a congé cette journée-là. Il compte bien profiter de la présence de sa femme (Béatrice Bótsaris, trente-et-un ans) et de leurs enfants, Évelyne (un an) et Théodore (trois mois). Tout à coup, un Dieu et un esprit se manifestent devant lui : Thanatos et un motocycliste. Le Dieu de la Mort dit à l'esprit errant : « Voici un ami qui vous dira la suite. »
Au passeur d'âmes, il dit : « Voici un ami que j'ai trouvé dans le salon funéraire de la ville. »
Puis il disparaît comme il est venu.
Le passeur d'âmes dit d'une voix douce : – Bonjour, Monsieur...
L'esprit errant : – Andy Reader.
– Et bien, je vous propose de rejoindre d'autres âmes. Il faut se reposer avant de partir dans la Lumière...
– Pourquoi ? C'est un long voyage ?
– En quelque sorte...
– Dans ce cas, je prends ma moto pour allez plus vite !
– On se calme ! Il faut y aller doucement...
Le passeur d'âmes, d'un geste de la main, l'invite à le suivre. Le vivant, son Génie et l'esprit errant se rendant dans un grand salon bien éclairé par de grandes fenêtres. Plusieurs canapés et tables basses y sont placés. D'autres âmes sont là et font la fête. Elles se comportent comme si elles sont encore vivantes et peuvent encore festoyer, manger et boire. Tout ce décor est assuré par Hermès, qui s'oblige à aider son protégé, malgré qu'il n'approuve pas complètement son plan (mais il est dans sa phase de coquin)... C'est ce même Dieu qui a apporté aux âmes errantes des objets du Monde des Esprits, car le Monde des Esprits est parallèle au Monde matériel, avec les mêmes objets. De sorte que les âmes errantes s'amusent ainsi pour un certain temps. Andy Reader, voyant une si joyeuse compagnie, se joint à elle.
Gabriel Gordon, lui, revient dans l'autre salon, où sa fille aînée s'amuse avec ses jouets. (Le salon pour les âmes errantes leur est formellement interdit.) Il pense : « Une âme de plus qui cesse de hanter les vivants ! »