Histoires entre vivants et esprits

Chapitre 16 : Suite et fin d'un cauchemar ?

7925 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/11/2023 13:30




Rappel des principaux événements survenus à Carl Neely.


Le 5 avril 2005, Carl Neely épousa en secondes noces Melody Spengler, de dix ans sa benjamine. Il eut avec elle un fils, prénommé Daniel, né en décembre 2005. Leur mariage dura jusqu'au 3 septembre 2007, soit deux ans, trois mois et trois jours.

Le 3 septembre 2007, Melody se suicide avec l'arme à feu de policier de Carl, qui découvre qu'elle lui est infidèle, sauf qu'elle poussa sur lui sa mort. Accusé de meurtre au premier degré, le pauvre homme devra passer vingt-cinq ans en prison avec possibilité de liberté conditionnelle. Autrement dit, il sera en prison jusqu'en 2032. Et s'il en sort, il devra être placé sous surveillance...



Prison de Grandview, 5 décembre 2007.

Voilà trois mois que Carl Neely est dans la même cellule avec le même co-détenu. Ce dernier est dans la cellule depuis juin 2005 pour accusation de viol sur une jeune femme. Carl préfère être prudent et la nuit, il dort sur son fauteuil roulant, appuyé contre un mur plutôt que dans le lit qui se trouve dans la cellule. C'est un lit superposé, dont l'étage est occupé par le co-détenu. Pendant ses journées, notre pauvre passeur d'âmes est torturé entre des influences contradictoires : d'une part, sa première épouse (Hana) qui veut le rassurer et lui ôter la culpabilité qui le ronge ; d'autre part, sa seconde épouse (Melody) qui lui remet à l'esprit la scène de sa mort. Parfois, Orpheus Neely et Marjorie de Rothschild (ses grands-parents paternels), ainsi que Zacharie Neely et Megan Neely (ses arrière-grands-parents paternels) se joignent à Melody. Carl soupire. Parfois, énervé de leurs influences, il leur ordonne sèchement de se taire. Le co-détenu, surpris du ton, lui demande à qui il parle. Lorsqu'il lui dit que c'est à des âmes errantes, son interlocuteur le regarde bizarrement, sauf que le passeur d'âmes n'a rien à cirer de sa réaction. D'ailleurs, ses parents et son grand-père maternel veillent sur lui. Même Maurice Solms et Karl Pulluow viennent parfois le visiter, pour l'encourager à ne pas abandonner son optimisme (ce qui est un peu difficile, compte tenu qu'il est déjà un peu fou) et son esprit combatif.


Ce qui attrista le plus notre pauvre Carl Neely, c'était la nouvelle à la fin septembre, que tous ses enfants ont été placés dans des familles d'accueil différentes (évidemment, sans savoir lesquelles, afin qu'il ne puisse pas les retrouver)... Cette nouvelle l'a complètement brisé. Il ressentait un grand vide, on dirait un gouffre sans fond de tristesse. Le pire vient d'arriver; laisser ses propres enfants dans la même situation que lui, celle d'être adopté, d'être dans une autre famille... Il se demande pourquoi lui, un misérable criminel, est encore en vie... Heureusement, Carl a beaucoup trop de conscience morale pour faire des tentatives de suicide; il préfère encore vivre, même s'il ne voit plus de sens à sa vie... Il sait que le suicide est un grand péché aux yeux de Dieu, et en bon croyant, cette idée le répugne. Il ne se laisse pas tenter par les idées sordides de Calvin Byrd, de François Janet et d'Andrew Lewis, qui essaient de le convaincre par n'importe quel argument fallacieux de mettre fin à sa misérable vie, vie qui n'en est pas une... Au moins, même fou, il veut rester fidèle à lui-même dans la mesure du possible... Si c'est possible...

Carl avait compris que les pauvres enfants ne seront plus jamais ensemble... Lui, un pauvre orphelin, a abandonné ses propres enfants. Il ne lui reste plus qu'à espérer que le Ciel leurs soit clément, surtout pour la pauvre Caitlin Mahoney, qui a perdu ses deux parents... Les pauvres enfants, à être séparés et à ne pas jouir de la présence de leurs parents (à l'exception du parent qui est un esprit errant), c'est bien triste... Pour faire changement de sa mélancolie, Carl Neely prie mentalement en tournant nerveusement la bague d'Ilia Sergueïevitch Istman, le grand-père paternel de Paul Eastman, avec son pouce et son index de la main gauche. S'il ne prie pas devant son icône portative, c'est parce qu’elle lui a été retirée lorsqu'il est arrivé dans la cellule, d'où son anxiété et son angoisse. « Au moins que mes enfants grandissent en paix... » C'est sa seule consolation. Pour encourager son petit-fils, le prêtre orthodoxe lit des extraits de son Évangéliaire. Heureusement, Carl Neely reçoit une visite mensuelle en alternance de son frère Radoslav et de ses amis Jim Clancy, Melinda Irène Gordon-Clancy et de Paul Eastman et de son épouse. Ces visites lui permettaient de moins sombrer dans sa mélancolie sans nom, dans sa léthargie paranoïaque et dans son amorphisme (pour ne pas dire immobilité et aliénation mentales).


Carl Neely n'était que conscient que d'une seule chose: il ne pourrait jamais redevenir normal. Il soupire. Dieu que c'est long à vivre jusqu'à la fin de sa vie fou ! Il ne se fait pas d'illusions: ses enfants l'ont sans doute renié, ce qui blesse beaucoup son amour paternel, mais il se résigne face à une telle situation... Normal, qui voudrait saluer un père criminel et fou ? Il faut l'écraser sous ses pieds, lui cracher au visage puis le jeter sous l'autobus ! Dans ses tristes réflexions, il espère seulement ne plus jamais revoir ses propres enfants... Mais dans ses moments de lucidité, son âme espère bien les revoir un jour... Le pauvre, il ne sait plus que penser. Parfois, souffrant d'hallucinations visuelles, Carl Neely a même l'impression de voir du sang sur ses propres mains, ce qui l'horrifie. Ceci lui rappelle qu'il a littéralement tout perdu: ses parents, ses épouses, sa santé physique et psychique, son emploi, ses enfants et ses amis. Il est seul avec lui-même, s'il est encore Carl Neely, car par moment, il commence à douter si tout cela n'est qu'un mauvais cauchemar ou un mauvais film... Correction : il avait pour seule compagnie les esprits errants, dont certains hantent depuis longtemps cette prison-psychiatrie... Il se concentrait sur leurs propos, mais, commettant des erreurs de raisonnement, notre passeur d'âmes ne parvient pas à les convaincre de passer dans la Lumière. Frustré, Carl les ignore ou bien discute de banalités. Il se concentre à prier, ce qui est la seule chose qui l'encourage encore, s'il peut encore se consoler, car il se trouve inconsolable... De sorte qu'il voyait sa cellule de prison comme un ermitage... Son co-détenu le regardait bizarrement d'une manière à sembler dire : mais d'où il sort, celui-là ?

Au moins, Carl Neely faisait les tâches que les gardiens lui demandaient, content de se sentir utile, ne serait-ce que pour les autres prisonniers. Il mangeait la portion servie. Sinon, il dormait s'il le pouvait. Mais il fait attention pour ne pas se surmener, car il ne veut quand même pas que son cœur le lâche...



Oswald Neely ne le laissa pas pour autant en paix, maintenant qu'il est si près de son but : le chou, bien que desséché par la cuisson, est très près de sa fourchette... Il ne manquait plus que la touche du chef... Il continua à lui faire des sombres rituels dès qu'il le peut, lorsque ce sont des journées néfastes pour son neveu... Par ailleurs, le juge lui rend visite en personne pour lui jeter des sorts préparés la veille. Jane Lawrence-Gordon prend en pitié Carl et l'avertit du danger. Mais elle sait qu'il ne pourra pas l'éviter. De surcroît, dans son arrogance, Oswald nargue, les yeux brillants, sa victime en ces termes : « Tu ne dois pas oublier que Charlemagne disait bien « Quoiqu'il vaille mieux pratiquer la loi que la connaître, il faut la connaître avant de la pratiquer. » Et bien, tant pis pour toi si tu ne la connais pas ! »

Carl, derrière les barreaux, faisait bien triste mine. Cet oncle le dégoûte. Il le déteste, il le haït, il l'abhorre. Il le craint en quelque sorte, surtout lorsqu'il comprend que ses enfants et lui sont à sa merci... Il sait que lorsque Oswald se pointe devant sa cellule, il craint le pire dans les journées à venir. Il a l'impression de revenir à son enfance, lorsque les travailleurs sociaux sont venus le chercher, son frère et lui... Les ombres allongées dans le couloir le terrorisaient... Sauf que cette fois, son interlocuteur, un vieil homme de 59 ans au visage fin et sévère, semblait le dévorer des yeux, comme s'il était un morceau de viande bien (ou plutôt, trop) cuit... Carl aurait préféré le frapper, le mordre; il le déteste comme il se déteste lui-même, sauf qu'il sait qu'il est impuissant. C'est ce que le regard d'Oswald lui dit. Son oncle prend un malin plaisir à le regarder avec hauteur, pour être sûr qu'il se sent encore plus petit (de sorte qu'il se cale bien sur le dossier de son fauteuil roulant)... Par moment, Carl avait l'impression de voir en lui une figure paternelle, cette figure qui lui manque terriblement, mais le grognement de l'âme errante qu'est son père le ramenait quelque peu à la raison. Après chaque visite de son oncle (qui, heureusement, sont rares), Carl Neely avait l'impression que son état empirait, mais peut-être que ce n'était qu'une hallucination... D'ailleurs, averti par Jane Lawrence-Gordon, il sait que son oncle a payé les cuisiniers de la prison pour glisser des drogues hallucinogènes dans son plat. De sorte qu'il décide de ne manger qu'une seule fois par jour, pour éviter d'empirer son cas; il trouve déjà sa folie trop dégoûtante. Il la prend en horreur. Il se prend en horreur. Après, Carl Neely se moque complètement des conséquences à long terme de ce manque de nutrition : irritabilité, asthénie (fatigue généralisée), sensations de vertige, amaigrissement et déshydratation. Au bout de cinq mois, le pauvre détenu n'a que de la peau sur les os. Cet état inquiéta beaucoup son frère et ses amis au cours de leurs visites, visites qui sont devenues rares. Et, dans sa folie, vaincu par les suggestions de Calvin Byrd, de François Janet et d'Andrew Lewis, qui venaient parfois l'agacer de leur puanteur, Carl voulait en février 2008, remettre la bague d'Ilia Sergueïevitch Istman à Paul Eastman. Seule Jane Lawrence-Gordon dit d'un ton sévère que Carl doit la garder, car son icône portative lui avait été confisquée en entrant en prison puis jetée dans une poubelle. Les deux passeurs d'âmes sont vraiment étonnés. Paul ajoute que, par ailleurs, un cadeau ne se rend pas. Le policier était tellement ému des malheurs de son fils spirituel qu'il avait envie de l'enlacer paternellement... Sauf que le geôlier était trop sérieux et a tellement hâte de dire que le temps accordé aux visites s'est écoulé. Mais le policier essaie d'encourager Carl Neely du mieux qu'il le peut, mais il ne sait plus quoi lui dire. Le pauvre, il n'est plus ce qu'il était. Les yeux rougis d'avoir trop pleurer et de ne pas avoir assez dormi, ces mêmes yeux qui exprimaient une ferme volonté, n'expriment plus rien, hormis une folie et une tristesse, celles d'un pauvre homme désespéré. Paul Eastman a beau être endurci à rencontrer toutes sortes d'individus au cours de sa carrière de policier, mais la vue de son ancien collègue réduit à l'état d'un sous-homme lui brise le cœur. Il ne lui reste qu'à prier pour lui devant son icône portative de l'Archange Michel lorsqu'il revient d'une visite à Carl Neely.



Les visites se raréfiaient depuis que Carl Neely s'est battu, malgré sa faiblesse, avec son co-détenu en mars 2008 car il voulait le sodomiser et le tuer. Il a été payé indirectement par son oncle. Averti du complot par Jane Lawrence-Gordon, Carl trouva une tactique pour le dissuader : le maîtriser puis le frapper solidement contre le mur, en l'ayant auparavant heurté avec son fauteuil roulant. Des policiers sont intervenus pour les séparer et Carl Neely est aussitôt transféré dans une cellule séparée. Il suit le mouvement de l'homme qui pousse son fauteuil roulant, fatigué de sa lutte contre son ancien co-détenu, qui reçoit la visite d'un docteur lorsque les policiers ont signalé l'incident. « Au moins, » pense Carl, « je me suis évité un traumatisme supplémentaire... Ma vie est déjà un enfer sans ça... »


Depuis son transfert, Carl Neely est seul. Et les visites sont formellement interdites en raison de son agressivité. Isolé, il peut dormir en paix. Mais cette solitude le fait pleurer. Depuis qu'Hana l'a informé que tous ses enfants et sa belle-fille sont en sécurité dans leur famille d'accueil, il est un peu plus tranquille. Le seul qui l'inquiète, c'est leur fils Samuel, car il est adopté par Frank Karacozoff (le camarade de classe de Carl au secondaire, le drogué possédé qui voulait l'humilier il y a quelques années), car il craint qu'il le familiarise avec des substances illicites...

Toutes les journées sont monotones pour Carl Neely, entre les influences de ses deux épouses, qui le taquinent à chaque soir « avec laquelle dormiras-tu, le bigame ? » ; les prières pour ses enfants (en espérant de ne pas leur porter malheur) ; les corvées journalières imposées par les directions de la prison (qui sont de plus en plus difficiles depuis qu'il est affaibli par son manque de nutrition); ses tristes pensées mélancoliques et ses nuits sans sommeil... Sans oublier qu'avec le temps s'ajoute les effets des drogues hallucinogènes – nausées et vomissements en effets immédiats, puis des phases encore plus dépressives, des hallucinations visuelles et auditives, de la dépersonnalisation et la sensation d'être hors de la réalité au bout de quelques mois. Avec le temps, il finit par ne plus faire la distinction entre les hallucinations visuelles et auditives, la réalité matérielle et la présence olfactive des esprits errants autour de lui, de sorte que son comportement n'est que plus désorganisé...


Carl Neely a alors était transféré dans une unité spéciale de prisonniers souffrant de troubles psychiatriques. Le pauvre, il a l'impression d'être un rat de laboratoire desséché observé par des scientifique en sarrau blanc de l'autre côté de sa cellule... À moins que ce soit l'effet des drogues...

Un jour, lorsqu'il supplia l'un des gardiens d'être clément envers lui et de lui donner de la nourriture qui ne soit pas contaminée par des médicaments, le geôlier lui ria au visage, en le traitant de complotiste et appella un psychiatre pour qu'il évalue le nouveau patient. Diagnostic : folie schizophrénique avec délire de persécution. Et le psychiatre lui prescrivit des médicaments antipsychotiques. Notre passeur d'âmes, vexé, refusa de les prendre, ce qui obligea le psychiatre à lui donner sa dose de médicaments dans son plat, de sorte qu'il bénéficie d'un cuisinier spécial, qui place à la fois des drogues hallucinogènes et des médicaments antipsychotiques... Une telle combinaison est très dangereuse... Oswald Neely pense cyniquement : « Bon appétit, Votre Altesse ! » Les hallucinations et la confusion augmentaient, faisant du pauvre Carl Neely un vrai mort-vivant immobile sur son fauteuil roulant. Parfois, il tournait en rond dans sa cellule, pour échapper à Melody Spengler-Neely, qui le narguait méchamment de sa voix sifflante. Les esprits psychiatres que sont Calvin Byrd, François Janet et Andrew Lewis le narguaient aussi en disant ironiquement : « Ver Santerre est notre ami ! » Parfois, Orpheus Neely, Marjorie de Rothschild (ses grands-parents paternels), Zacharie Neely et Megan Neely (ses arrière-grands-parents paternels) l'insultaient et le dévalorisaient beaucoup... Ses parents tentaient des conversations sur des banalités, ne serait-ce sur le temps météorologique, mais ils étaient très attristés de remarquer l'absence de réaction chez leur fils. Dragomir Vladikin marmonne des prières, ce qui donne l'idée à Carl Neely de faire de sa cellule un ermitage pour la journée, question d'avoir l'esprit tranquille. Il n'y a que cette activité qui le réjouit encore. La seule activité qui calme sa pauvre âme confuse.



Le 3 décembre 2008, 18h20.

Carl Neely prie à voix haute (pour entendre sa propre voix) en tournant nerveusement entre ses doigts décharnés la bague d'Ilia Sergueïevitch Istman. C'est le seul geste qu'il faisait depuis des mois. Tout à coup, une odeur familière se manifeste devant lui. Il a failli avoir un arrêt cardiaque. Il ne peut pas y croire... Ça doit être un mauvais rêve ou une hallucination... Il l'espère... Il dit d'une voix étranglée, presqu'au bord des larmes : « Mon... fils... Mon... Samuel... Est-ce... toi ?... Ça... Ça... ne... ne... ne... peut pas... être... vrai... »

L'esprit errant, d'un air triste et fâché : « Oui, père, c'est bel et bien moi... J'ai quitté mon corps il y a une heure... »

– Pourquoi...

– Je t'en veux d'être indirectement responsable de ma mort... Ma mère m'a expliqué que...

Hana Nasan-Neely apparaît à la droite de son époux, qui a le dos bien calé dans son fauteuil roulant. Elle dit : – J'ai expliqué à Samuel que ce n'est pas de ta faute. Tu y es pour rien dans cette histoire, Carl...

Carl Neely, d'une voix étranglée : – Comment... peux-tu.... en... être... si... certaine ?

Hana : – J'ai entendu la version de tes parents, de ton grand-père et des Messieurs Karl Pulluow et Maurice Solms. Ils affirment que tu n'es que la victime de ton salaud d'oncle qui cherche à tout prix à t'éliminer...

Carl, d'un ton désespéré : – Que le salaud enculé.... vienne immédiatement... me... tuer... avec... un couteau... de la poitrine... et tout le monde sera quitte !

Hana : – Ne dis pas ça, mon amour...

Carl, d'une voix cassante : – Parfois, je me demande pourquoi cet acharnement... Pourquoi moi...

Sa voix se brise. Il pleure silencieusement. Dans ses moments de faiblesse, il se déteste beaucoup... Même plus que son oncle... À ses propres yeux, il est lui-même responsable de ses propres malheurs. Personne d'autre.

Après quelques minutes, Carl parvient à sécher ses larmes, s'excuse auprès de sa femme et de son fils puis dit aussitôt, d'une voix tendue : « Mon cher fils, j'espère que tu partiras dans la Lumière l'âme en paix ». Puis il éclate en sanglots.

Samuel, ému, dit : – Merci, père, pour tes sincères vœux, mais ne te trouble pas trop pour moi... Déjà, je trouve que tu as trop changé depuis la dernière fois que je t'ai vu...

Carl Neely, d'une voix atone : – Je le sais... Il est complètement fou, ton père... Je ne suis plus ton père... je ne suis plus Carl... Je ne suis... qu'un pauvre... fou meurtrier... et agressif... condamné... à mourir... de tristesse... Plus vite ma misérable vie sera terminée, plus je serais content... sauf que je n'ai pas le courage de lever la main sur moi-même, car j'ai trop de conscience morale et je sais que c'est le plus grand péché que je puisse faire. » Il une courte pause, puis continue d'un ton énervé : « Un mort-vivant qui refuse de mourir ! Rien de plus pire ! Il n'y a pas d'aide pour moi ! Ne vous apitoyez pas sur moi, si moi-même... je n'ai rien à cirer à ce qui se passe à Carl... Où il est ? Il n'est plus là ! »

Il fait une courte pause, comme s'il prend le temps d'assimiler ce qu'il vient de dire.

Remarquant que son fils est encore là, il dit d'une voix étranglée : – Samuel, j'espère que tu n'es pas fâché contre moi ? Comment...

Samuel Neely, d'un ton neutre, complète la phrase de son père : – ...je suis mort... d'une chute stupide dans les escaliers de mon salaud de père adoptif, Monsieur Frank Karacozoff, parce qu'il voulait me forcer à consommer de la marijuana. Comme j'ai refusé, j'ai pris la fuite. Il m'a suivi. Et, moi, courant trop vite dans les escaliers, j'ai glissé sur une marche recouverte de glace et j'en suis stupidement mort, la tête contre les marches. Mais au moins, je suis libre. Je demeure quand même un peu fâché contre toi... Il me faudrait du temps pour te faire pardonner, car je doute que mes sœurs, mon demi-frère et moi te pardonnerons rapidement.. Sur ces mots, passe une bonne journée!

Puis l'esprit errant disparaît de son nez, laissant Carl prostré.


Le pauvre Carl Neely, depuis cette conversation, est inconsolable ; il sait qu'il est complètement brisé. À ses propres yeux, il est un homme mort. Plus rien n'est comme avant. Aucun pas à l'arrière n'est possible. Il ne se berce pas d'illusions : ses autres enfants (Maria, Sara et Daniel) ne peuvent que le détester. Il a même sombré dans une forme d'infantilisme inapproprié à son âge (35 ans), avec parfois des phases catatoniques. De sorte qu'il pouvait rester des heures au milieu de sa cellule, sur son fauteuil roulant, ses avant-bras appuyés sur les accoudoirs, parfaitement immobile, son regard éteint qui fixe la porte de sa cellule. Mais quelques heures plus tard, il se fâche comme un enfant (en frappant nerveusement sur les accoudoirs de son fauteuil) lorsque le geôlier qui fait sa tournée l'ignore. Parfois, lorsque l'un des psychiatres l'examinait et lui posait des questions, Carl ne faisait que répéter des bouts de phrases (écholalie) et certains gestes de son interlocuteur (échopraxie). Le psychiatre, après plusieurs mois d'observation, lui diagnostiqua une schizophrénie catatonique apragmatique avec délire de persécution. De sorte qu'il administra au patient une très grande dose de Lorazépam (un médicament de la famille des bezodiazépines). Le pauvre Carl Neely est encore plus confus et étourdi. Avec l'interaction des autres médicaments, il a failli avoir un arrêt cardiaque.

Au moins, le passeur d'âmes accepte d'écouter passivement (car il refuse systématiquement de parler, il déteste sa propre voix et son écholalie) ses parents et son grand-père maternel, pour ne pas montrer sa peur devant les autres âmes errantes qui hantent la prison. Face à celles dont l'odeur lui est désagréable, il leur fait des grimaces. Il n'a pas envie de régler leurs cas. Il attend seulement de mourir. Il attend de les rejoindre. Parfois, lorsque certains psychiatres vérifient l'état des patients internés, notre passeur d'âmes, ayant repéré des mauvais esprits autour d'eux, se signe et se terre au fond de sa cellule, en réclamant d'une voix hystérique une fenêtre, car l'air est irrespirable. La seule activité qui le calme, c'est de répéter après son grand-père les prières. De sorte que Carl Neely ne prête plus attention à la présence de Maurice Solms et de Karl Pulluow. Ces deux esprits tiennent Paul Eastman au courant de la situation de son ancien collègue; tout comme Romano et Baldini tiennent informé Gabriel Lawrence. Ensuite, ce méchant chuchoteur d'esprits en informe son père, Thomas Gordon, et l'ami de son père, Oswald Neely.


Inutile de préciser que Calvin Byrd nargue les pauvres parents de Carl Neely : « La schizophrénie de votre fils est incurable ! Ça ne sert à rien de veiller sur votre petit gamin... Un retardé de 35 ans ! Drôle de manière de se rajeunir de trente-trois ans ! Il faudrait mieux qu'il se fasse euthanasié.... Mais c'est vrai que Carl est adorable dans son mutisme impuissant... Quand même son ombre fait meilleure mine que lui... Il devra seulement se montrer plus collaboratif avec nos collègues vivants et tout ira mieux pour lui... Ah!Ah!Ah!Ah! ». David Neely le foudroie du regard. Milena lui réplique des insultes dans toutes les langues qu'elle connaît. Calvin Byrd se déplace à la gauche de Carl, qui est toujours immobile sur son fauteuil roulant, pour lui murmurer d'un ton sévère quelque chose à l'oreille puis il s'évapore.



Samuel Neely, lui, retrouve ses sœurs Maria et Sara. Chacune d'elles sont étonnées de le voir en tant qu'âme errante. Elles sont appréciées de leurs familles adoptives respectives, car elles gardent le silence sur leur don... La fratrie (du vivant de Samuel) se retrouvaient ensemble dans les pauses entre deux cours. Maintenant que Maria et Sara ont compris que leur benjamin est une âme errante, elles ne sont que plus fâchées contre leur père. Mais la présence de leur mère les réjouit d'une joie naïve. Hana leur explique la situation en les suppliant d'être indulgentes avec leur père, car il est moins que son ombre. Comme leur mère leur explique d'un voix très émouvante, les enfants sont touchés aux malheurs de leur pauvre père... Mais les deux filles ne sont pour autant sitôt prêtes à lui pardonner... À leurs yeux, il est le responsable de leur situation. Sa plus grande erreur était son remariage avec cette vipère de Melody, qui l'a rendu fou... « Et bien, » pensent Maria et Sara, « que papa vit avec les conséquences de ses actes ! »


Samuel salue sa mère. Les deux âmes errantes s'entr'observent. À eux se joignent David Neely et Milena Vladikin-Neely, qui semblent fâchés. L'esprit pilote dit : « Trop c'est trop ! Je me venge !» Et le couple salue leur bru et leur petit-fils. Hana recommande à son fils de tenter de convaincre Maria et Sara de ne pas oublier leur père lorsqu'elles auront terminé leurs études. Elle, elle tentera de savoir où se trouvait Daniel. C'est son instinct maternel qui fait en sorte qu'elle prend en pitié le gamin de trois ans. Samuel Neely, lui, décide de se venger de son père adoptif, en influençant un écureuil de manière à passer devant lui, de sorte que Frank Karacozoff rate une marche et tombe, se cognant solidement le crâne contre les marches. Sa femme, alertée par le bruit de sa chute et voyant de la fenêtre du salon qu'il est immobile, appelle aussitôt les urgences. Il passe quelques semaines à l'Hôpital Mercy.


David Neely et Milena Vladikin-Neely, après une courte prière au Seigneur, se rendent chez Oswald Neely... Pour le pousser en bas des escaliers alors qu'il sortait de sa maison. « Ça t'apprendra, salaud, à vouloir tuer Carl à petits feux ! Que le reste de ta misérable vie te soit aussi bonne que celle de Carl ! » À l'âge que le juge a, il a besoin de temps pour se rétablir de ses blessures. Le couple d'esprits errants font ainsi plusieurs tentatives. De sorte qu'il laisse en paix Carl Neely pour un certain temps... Mais il n'abandonne pas encore son chou de Carl, maintenant qu'il est si près de sa fourchette... Avec un pied dans le plâtre, Oswald persiste à poursuivre son plan machiavélique : « Carl-Charlemagne », pense-t-il, « on verra bien qui rira le dernier, pauvre fou dégénéré ! Ah!Ah!Ah!Ah! »



De mars à décembre 2009, Carl remarque que plusieurs psychiatres tentent bien, au cours de leur visite mensuelle aux patients, de le convaincre, d'une manière voilée de se rendre et d'être leur patient pour comprendre son don parapsychologique d'un point de vue psychologique. C'est une manière pour lui d'être utile à la science. Carl, vexé, accentue son négationnisme, en fuyant leur regard et en ne répondant jamais à leur offre. Malgré que les psychiatres augmentent sa dose de médicaments, ce qui augmente sa confusion à un tel point qu'il ne sait plus ni où il est ni qui il est... Un vrai mort-vivant qui bouge à peine des yeux et qui ignore les vivants et les esprits errants autour de lui...

Depuis décembre, Oswald Neely et son cercle d'amis se réunissent plus souvent chez le juge, pour faire des rituels sur la photographie de leur victime afin de l'affaiblir encore plus. De sorte que Carl remarque, depuis la fin décembre, une vision floue, partielle, déformée et en tunnel. Au bout que quelques jours, il remarque qu'il ne voit presque rien. Devenu aveugle, il préfère rester assis immobile, les yeux fermés, sur son fauteuil roulant. La seule chose à laquelle son âme s'accroche encore dans sa détresse, c'est à la voix de son grand-père qui lisait, ému, son Évangéliaire et qui récitait ses prières en slavon. Son pauvre petit-fils ne trouvait même pas la force de répéter après lui. Il écoutait passivement. La voix du prêtre orthodoxe était un baume pour sa pauvre âme désorientée. Et il attend dans cette position la mort. C'est le geôlier qui devait le nourrir à la cuillère, comme un petit bébé. Ne manifestant aucune résistance, Carl mange sa portion sans mot dire...


Trop affaibli par l'effet cumulatif des médicaments, Carl Neely finit par rendre l'âme le 4 mai 2010. Il meurt à l'âge de 37 ans. Sauf que ces traitements l'ont tellement vieilli qu'il paraît en avoir 47. Son âme est tellement contente d'avoir enfin trouvé la sortie ! Enfin libre de cette carcasse ! Enfin se termine un calvaire et une incarnation ! Elle regarde d'hauteur son corps, complètement ratatiné et recroquevillé sur le fauteuil roulant. Confuse, elle regarde autour d'elle. Ses parents, ses épouses, son fils Samuel et son grand-père le saluent.

Carl les salue à son tour et dit : « Je pense que la première chose à faire, c'est de me confesser... Je ne sais plus... »

David lui coupe la parole : – Fiston, pas de capitulation !

– Je... Je... suis... votre... fils ?

– Bien sûr que oui ! S'il te plaît, Carl, fais un effort pour te souvenir...

Milena ajoute : – Au moins pour Maria, Sara et Daniel...

Carl regarde la cellule. Il est tout aussi confus que de son vivant (à la seule différence qu'il peut faire usage de ses jambes et qu'il ne ressent plus la douleur de son corps), de sorte qu'il prendra du temps à se ressouvenir de son identité. Maintenant, il comprend les âmes errantes confuses qui hantent les lieux. Lui aussi, il se retrouve dans le même état qu'elles : une âme anonyme perdue, rendue folle par des psychiatres...

L'une des âmes errantes, un jeune homme dans une camisole de force, s'approche de lui et dit : « Vous êtes l'un des nôtres ! »

Carl, d'une voix atone : – Je ne vais quand même pas rester ici...

– Pour aller se perdre ailleurs ?

– Non, pas nécessairement, mais au moins retrouver ses proches, si nous en avons encore parmi les vivants...

– Pour cela, il faut savoir son propre nom. Et bien, comment vous vous appelez ?

– Hum... Je pense que... c'est... peut-être... Carl Neely... À moins... que ce soit... Ver Santerre... C'est ce que j'ai entendu, je ne sais plus de qui...

– Mais pourtant, vous étiez le seul qui nous a remarqué...

– Quoi !? Moi, je pouvais interagir avec des âmes ? La dernière chose dont je me souvienne, c'est...

Carl s'interrompt lui-même, renifle puis continue d'une voix tremblante : – C'est d'entendre une voix qui... me récitait des extraits bibliques (d'un Évangéliaire en bulgare, il me semble) et des prières en slavon... J'ai reconnu cette voix masculine comme celle du prêtre orthodoxe que j'ai vu lorsque j'ai quitté cette carcasse de corps...

Carl, étonné que son grand-père maternel est tout à coup apparu à ses côtés, continue sa phrase : – Oui, Monsieur... c'était vous... Euh... Très révérend...

Le prêtre orthodoxe répond : – Dragomir Vladikin.

Carl murmure comme pour lui-même : « Il me semble avoir déjà entendu à quelque part ce nom... Je dois me concentrer... » Il demeure silencieux pendant plusieurs minutes.

Les autres âmes errantes le regardent. Certaines, visiblement des anciens patients-prisonniers, espèrent qu'il se souviendra de son identité... Sinon, elles sont irrémédiablement à la merci des psychiatres, qui les manipulent même par-delà leur mort... Le pauvre Carl baisse les yeux, fixant le sol, pour éviter leurs regards insistants... Il trouve que les autres lui accordent trop d'importance, ce qui le gêne beaucoup. Il remarque que Calvin Byrd, Andrew Lewis et François Janet sont en face de lui.

Carl demande d'un ton sérieux : « Qui êtes-vous ? »

David Neely, irrité de leur présence, rugit : – Démons de l'enfer, que le Diable vous emporte !

Calvin Byrd, un sourire narquois au visage, dit d'une voix calme : – Le pilote, laissez-nous régler nos comptes avec cette âme ! Vous ne faites que la déranger...

David, offusqué : – J'ai un nom, David Neely... Mon fils, n'écoute pas ce serpent perfide !

Carl regarde alternativement son père, les psychiatres et les autres âmes réunies dans sa cellule... En regardant ainsi les âmes réunies, il a une impression de déjà-vu, un souvenir d'interactions avec des âmes... Oui, mais où et quand ? Certainement pas dans une cellule de prison...

Calvin Byrd dit d'une voix mielleuse : – Mon cher Ver Santerre, normal que vous nous voyez, nous sommes de même nature, des âmes désincarnées... N'essayez pas de chercher des souvenirs que vous étiez passeur d'âmes, sinon, vous ne serez pas ici avec nous...

Carl dit d'une voix atone : « Attendez, mais comment vous saviez qui je suis... Il semblerait que j'ai deux noms: Carl Neely et Ver Santerre... Lequel est le pseudonyme duquel ? »

Il fait une courte pause et poursuit en haussant la voix : « Mais que personne n'essaie de m'influencer ! Dégagez de ma vue ! » Même ce ton autoritaire, il se sent... Plus vivant. Ce ton autoritaire, il lui semble l'avoir utilisé à maintes reprises, depuis son enfance, peut-être... En tous cas, il lui sied mieux qu'un ton atone...

Carl ajoute plus calmement : « Très révérend Dragomir Vladikin, pouvez-vous réciter comme vous le faites si bien votre Évangéliaire et votre belle liturgie qui me font tellement du bien ? »

Les autres âmes, effrayées du ton, disparaissent aussitôt. Les psychiatres disparaissent les derniers pour réapparaître dans le corridor, d'où ils cherchent à l'influencer.

Le prêtre orthodoxe apparaît devant lui et récite son Évangéliaire puis ses prières. À mesure qu'il l'écoute, le visage de son petit-fils s'illumine. Il est très content. Cette voix le rassure et le calme tellement... Il n'a aucune conscience du temps... Les psychiatres essaient de manipuler leur victime, mais ils doivent s'avouer vaincus... La pauvre âme pouvait écouter ainsi le prêtre pendant des heures et des jours. C'est tellement intemporel, divin et sincère... Les prières l'émeuvent beaucoup jusqu'aux larmes. Plus elle écoute, plus elle réalise que des souvenirs lui reviennent... À mesure qu'ils reviennent, ce sont les psychiatres qui grincent furieusement des dents puis qui se dépêchent d'agir sur d'autres âmes plus labiles pour se venger...

Après deux jours et deux nuits à s'être bercé ainsi, le petit-fils de Dragomir Vladikin a l'impression d'avoir repris un peu de ses couleurs... En tout cas, sa situation est plus claire... Des larmes de joie aux yeux (si une âme peut en avoir), il dit : – J'ai trouvé ! Ça me revient ! Je suis Carl Neely, fils de Milena Vladikin et de David Neely. J'étais orphelin en bas âge et j'ai été adopté, mon frère Radoslav et moi, par le couple Strong... C'est pourquoi j'étais humilié par des méchants camarades de classe... Qui me traitaient de « Vermisseau sans famille »... c'est sans doute ce surnom qui donne l'idée à ces salauds de psychiatres manipulateurs de me convaincre en la fausse identité de Ver Santerre... (Petite note: je me vengerai un jour de ces psychiatres...) Et j'étais... passeur d'âmes avec expérience olfactive. Mais au moins, j'ai du caractère... J'étais policier puis agent de sécurité... J'avais connu deux épouses : Hana et Melody. Et je me trouve ici parce que j'ai tué Melody... Quoique, selon mon père, il semblerait que je ne suis que la pauvre victime d'un complot de mon salaud d'oncle qui se prénomme Oswald... Le salaud, il voulait que je vende mon âme au Diable. Comme j'ai fermement refusé, il m'a rendu fou, il m'a aveuglé, tout ça parce qu'il s'est inspiré de la vie de Charlemagne et de ses proches, dont il pense que je suis sa réincarnation, bien que ce soit évident que c'est faux... Mais il voulait me briser à tout prix... Là, je comprends pleinement le sens des avertissements de mon frère et de Madame Jane Lawrence-Gordon... Je suis seulement fautif de ne pas avoir été assez prudent et de m'être laissé aveugler par la vipère de Melody... Et je me suis promis de ne pas laisser mes enfants orphelins...

Il s'interrompt lui-même, réalisant à quel point il était à deux doigts de faire comme les autres âmes errantes au regard éteint qui hantent cette prison-psychiatrie... De joie, il enlace son grand-père, comme un enfant que revoit des proches après une longue absence.

Carl Neely continue d'une voix triste : « Je n'ai pas tenu ma promesse... Je ne partirai pas dans la Lumière tant que mes enfants ne seront pas en sécurité... » Il est fautif de leur situation et il sait qu'il ne serait pas tranquille tant qu'il ne demande pas leur pardon et tant qu'il ne se venge pas d'Oswald... C'est tellement bizarre d'être une âme errante, alors que de son vivant, c'était lui qui les aidait à passer dans la Lumière... Un peu ironique, non ? Mais avant, Carl se dit à lui-même qu'il devra faire une visite à Éli James, pour une séance de psychothérapie. Avec tout ce qui lui est arrivé, le pauvre Carl n'est plus certain d'être encore normal... Ce qui est sûr est sûr... Au moins, il a une idée: il propose aux autres âmes errantes d'écouter son grand-père pour trouver la paix puis de partir dans la Lumière. De sorte que le prêtre orthodoxe se promène dans les différentes cellules pour apaiser les vivants et les âmes errantes. La plupart des âmes, émues, parmi lesquels Jane Lawrence-Gordon, partent dans la Lumière. Calvin Byrd, François Janet et Andrew Lewis battent en retraite. Ils ont compris que ce qu'ils redoutaient tant est enfin arrivé : Carl Neely n'aurait jamais pu se ressouvenir de son identité... Pourtant ils étaient à deux doigts de réussir à le convaincre de sa pseudo-identité de Ver Santerre... Ils se promettent d'améliorer leurs techniques sur leur prochain cobaye... La seule chose qui les inquiète, c'est que les âmes perdues ne se vengent sur eux... Les esprits psychiatres disparaissent de leur vue pour avertir Gabriel Lawrence de l'échec de leur plan.



À la nouvelle de la mort de son neveu, Oswald se frotte les mains de joie et pense : « Bon débarras ! » Il téléphone à un médecin complice de la prison pour lui donner un peu de la cuisse de Carl, en languettes. « Un peu sec, mais croustillant... » pense le juge en mastiquant un morceau de viande. C'est Carl Neely qui est offusqué d'un tel traitement.« On ne laisse même pas ce corps en paix ! » Il se promet à lui-même de se venger... Cet acte de cannibalisme enrage aussi David Neely, qui poussa Oswald des escaliers alors qu'il sortait du Palais de justice de Grandview, où il travaille. Le juge était alors obligé de passer un mois à l'Hôpital Mercy.



Voilà Carl Neely qui parle avec Éli James une semaine après sa mort. Le psychologue, surpris de l'entendre, accepte de le prendre comme patient non-officiel. « Au moins quelque chose de bien du fait que Monsieur James entend les âmes errantes », pense Carl avec un peu d'humour. Après un mois de thérapie, le patient se sent mieux. Il le remercie de son aide.



En juin 2010, Carl Neely, le moral haut, apparaît devant sa fille aînée, Maria, une adolescente de seize ans qui fréquente l'école secondaire de Grandview. Il apparaît devant elle alors qu'elle fait son devoir d'anglais. Elle sursaute lorsqu'elle voit l'âme errante de son père, qu'elle n'a pas reconnu. Le seul souvenir qu'elle a de lui, c'était avant son arrestation, il y a trois ans. Carl s'excuse alors de lui faire peur et se présente. Maria le regarde, étonnée. Elle ne peut pas croire que son père ressemble à un squelette, état qu'accentue la chemise blanche (dans laquelle il flottait) et le pantalon avec une petite ceinture autour de sa taille. Au moins, ses yeux ont repris leur lueur normale, celle qui lui va tellement bien avec son esprit combatif. Carl veut seulement savoir si tout va bien avec la famille d'adoption et à l'école. Comme elle répond affirmativement, voire même qu'elle a une amie prénommée Rebecca, il lui explique un peu sa situation, mais il veut surtout se venger personnellement de certains individus et de s'assurer de la sécurité de ses enfants encore vivants, ainsi que de sa belle-fille Caitlin. Maria lui avoue ne pas s'être intéressée aux cas de Caitlin et Daniel, mais, selon les propos de leur mère, ils ont été bien accueillis dans leur famille d'adoption. Ainsi, Carl sait que Samuel n'est pas encore parti dans la Lumière. Il remercie sa fille aînée de l'information puis il se manifeste ainsi devant sa fille Sara (15 ans) et son fils Daniel (cinq ans), qui sont aussi étonnés de son état... Ressentant la colère de ses propres enfants, il n'ose pas encore leur demander leur pardon. « Il me faudrait du temps pour me faire pardonner », pense-t-il tristement en se promenant dans le parc de Grandview.



Le 3 octobre 2017, Caitlin Mahoney, une adolescente de quinze ans, meurt des conséquences de son anorexie mentale, car la famille qui l'avait adopté lui donnait à lire depuis quatre années des revues de mode. De sorte que l'adolescente, se sentant rejetée par ses parents adoptifs, s'imposa un strict régime pour garder une silhouette très mince. Une fois son âme sortie de son corps, elle ne se souvient qu'un d'un seul nom : Carl Neely, son beau-père, qui est pour elle la figure paternelle qui lui manquait tant. Étonnée de voir son beau-père en tant qu'âme errante, elle l'enlace comme une fille qui voit son père après plusieurs années d'absence; ému, Carl l'enlace paternellement. Ralph Mahoney apparaît. Carl lâche sa belle-fille. Il regarde, ému, les retrouvailles de Caitlin avec son père. Melody Spengler apparaît brièvement puis disparaît, car elle ne veut pas affronter ses deux époux... Repérée par Romano, elle le suit jusqu'à la maison de Gabriel Lawrence, où elle se fait de nouveaux amis.



Un mois après sa mort, Caitlin Mahoney apparaît dans la cuisine de Melinda Irène Gordon-Clancy, qui est très surprise de voir une adolescente chétive dans un grand peignoir bleu lui lancer une pomme puis une fourchette. Le fruit roule à ses pieds; la fourchette se plante dans le cadre de la porte de la cuisine. Étonnée, la passeuse d'âmes demande son nom. L'esprit refuse de répondre et disparaît de sa vue. Caitlin réapparaît devant son père et son beau-père, qui se promènent dans les rues de Grandview comme s'ils sont encore vivants. Elle s'adresse à eux : « Connaissez-vous quelqu'un qui peut m'aider ? Je suis en colère contre ma mère et mes parents adoptifs qui m'ont négligé... »

Carl Neely lui propose de rechercher l'aide d'Éli James. Caitlin le remercie puis apparaît devant le psychologue pour lui expliquer son problème. Elle veut qu'il informe ses parents adoptifs de sa situation. Pour ce faire, Éli James se rend à l'Hôpital Mercy, où l'adolescente est morte, sous prétexte de faire une recherche universitaire sur les décès d'anorexie mentale au cours des trois derniers mois. Ainsi, Caitlin Mahoney, derrière la secrétaire-archiviste de l'Hôpital, lit à Éli James les informations la concernant. Celui-ci prend rapidement des notes et remercie la secrétaire-archiviste puis revient chez lui. L'esprit errant apparaît devant lui et lui révèle le nom de ses parents adoptifs. Le psychologue les contacte et leur explique les derniers propos de Caitlin Mahoney. « Dans les faits, la pauvre fille voulait que vous l'aimez comme si elle était la vôtre. Et elle pensait que si elle était maigre, que vous manifesteriez enfin de l'amour parental. C'était seulement de l'attention que cette pauvre orpheline voulait... » dit Éli James en guise de conclusion.

Ralph Mahoney apparaît à la droite de sa fille et l'enlace paternellement. Il dit : « Ma Caitlin, tout est fini... Nous n'avons plus aucune raison de rester parmi les vivants... Et si nous partons dans la Lumière ? »

Éli James : « Allez-y... C'est pour vous ! »

Caitlin Mahoney, le visage illuminé d'une lumière irréelle, se retourne vers son beau-père, qui est apparu un peu en retrait. Elle lui dit : « Monsieur Carl Neely, voulez-vous aussi nous suivre ? »

Carl Neely, ému, dit simplement : « Adieu à vous ! Et plus de chance dans votre prochaine incarnation ! Moi, je n'ai pas complètement fini avec les vivants et certaines âmes errantes... La vengeance est un plat qui se mange froid ! Et je voudrais bien que mes anges me pardonnent, car je ne peux pas moi-même me pardonner mes propres erreurs... »

Ainsi parle l'âme errante qu'est devenu Carl Neely, qui disparaît aussitôt. Il sait que son oncle, âgé de 68 ans, est encore vivant. Il est depuis un an à la retraite.

Éli James commente au couple, dont la femme pleure silencieusement : « Caitlin Mahoney et son père biologique sont partis dans la Lumière, qui est l'Au-delà, lieu où vont les âmes après s'être séparées de leur corps. »

Le couple le remercie et Éli James leur laisse les coordonnées de son cabinet, au cas où ils veulent venir pour une psychothérapie d'aide aux endeuillés, les salue puis revient chez lui, content d'avoir fait passer dans la Lumière deux âmes errantes.




À suivre.


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