Histoires entre vivants et esprits

Chapitre 8 : Début des enquêtes sérieuses de famille, première partie

11399 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/10/2023 13:31


9 janvier 2003, appartement de Jim Clancy et de Melinda Irène Gordon-Clancy, 13h30.


Jim a congé. Il regarde alors leur fils aîné, Aiden (trois ans), jouer au salon, tandis que Melinda Irène s'occupe des deux autres enfants (Mary, un an et quatre mois; Nicolas, un mois). « Ils sont vraiment des anges » pense la jeune mère. Elle sort de sa rêverie par l'apparition soudaine d'un esprit errant. Un vieil homme aux mêmes yeux bleus glacials que son père. La passeuse d'âmes frémit. L'esprit sourit méchamment.

Melinda Irène dit d'un ton sûr malgré la peur qui se lit dans ses yeux : – Qui êtes-vous ?

L'esprit répond d'un ton aussi froid que ses yeux : – Я не говорю по-французски [Je ne parle pas le français].

– Извините... Кто вы [Désolé... Qui êtes-vous] ?

– Ты знаешь ! Не все истины полезно знать ! [Tu le sais ! Toutes les vérités ne sont pas bonnes à savoir !]

Puis l'esprit errant disparaît de sa vue.

« Cet homme peut avoir un rapport avec la famille paternelle, » pense Melinda Irène Gordon-Clancy, « en tout cas, il a les mêmes yeux et quelques traits du visage qui se retrouvent chez mon père... Peut-être est-il mon grand-père ? Dans tous les cas, je ne me souviens pas de lui, puisqu'il est décédé lorsque j'étais petite... Cependant, étant donné son complet noir, sa chemise blanche et ses souliers noirs, il me semble l'avoir déjà vu... Mais où ? Est-ce dans un rêve d'enfance ou dans une vision ? »


Le reste de la journée est tranquille pour la belle petite famille, car Cassandre Haziza surveille Aiden. La Juive s'amuse parfois avec lui; elle trouve le garçon très attachant. Le couple pouvait ainsi s'occuper dans la cuisine pour les repas du midi et du soir, et bien sûr, de la vaisselle. Au cours de l'après-midi, comme le temps est ensoleillé, la famille en profite pour une promenade. Dans le parc, alors que Jim joue avec Aiden, Melinda remarque un esprit qui se tient immobile. « Visiblement, un Observateur », pense-t-elle. L'esprit lui confirme sa pensée par un mouvement affirmatif et s'approche d'elle. Mary et Nicolas le regardent de leurs grands yeux étonnés. L'Observateur lui touche l'épaule droite de sa main droite. Elle est transportée dans une vision. Elle voit un homme, visiblement le Russe qu'elle a rencontré plus tôt mais plus jeune, vers la vingtaine, dans un parc. Il est assis sur un banc, comme s'il attend quelqu'un. Et une jeune femme passe devant lui. Et Melinda Irène entend une voix impersonnelle dire : « Les démons de cet homme l'ont guidé pour trouver son épouse. De même pour elle ! » Fin de la vision.

La jeune femme est perplexe. Elle pense : « Qui est-ce ? »

L'Observateur lui répond : « Votre grand-père, Алексей Гордон (Alexis Gordon), et votre grand-mère, Ольга Шпак-Гордон (Olga Szpak-Gordon). »

« Merci de l'information » ajoute aussitôt la jeune femme.

Et l'Observateur disparaît de sa vue.

Melinda Irène pense : « On dirait une enquête sur la famille paternelle... Au moins, je connais les noms ! Ce qui facilitera la tâche à mon père spirituel et à mon ami... » Contente, elle ne remarque pas que Алексей Гордон et Thomas Gordon sont derrière elle : mais Cassandre les interpelle; sa protégée se retourne, mais les deux âmes ont disparu. Jane Lawrence-Gordon se manifeste à la droite de la Juive et lui révèle l'identité des deux esprits en question. Puis les deux esprits féminins disparaissent de la vue de Melinda Irène.


Le soir, la nuit est bizarre pour la passeuse d'âmes. Elle rêve qu'elle surprend son mari avec un homme et une femme dans leur lit. Elle s'éclipse loin de leur chambre... Mais la jeune femme est simplement dégoûtée de la scène qu'elle a vu... Cependant, un détail attire son attention : on dirait comme si le rêve était un mauvais montage. Melinda Irène se réveille brusquement. Pour se calmer, elle enlace Jim, qui se réveille à son contact. Elle lui raconte son rêve. Et elle commente en serbe : « Peut-être qu'il s'agit de mes grands-parents paternels... Quelles ordures ! »

Deux esprits se manifestent au pied du lit : Алексей Гордон et Ольга Шпак-Гордон. La vieille femme avait visiblement connu une mort violente, étant donné les traces de lacérations autour du cou. Ils fixent leur petite-fille pendant quelques minutes puis disparaissent de sa vue.



Le lendemain matin, Melinda Irène Gordon-Clancy décide de téléphoner à Paul Eastman pour lui soumettre l'enquête sur sa famille paternelle (en lui rapportant aussi son rêve). Le policier répond favorablement à sa demande et prend note des noms. Il en informe aussitôt son collègue Carl Neely, par l'entremise de Karl Pulluow. « Quand à l'autorisation d'enquête, je m'en charge personnellement ! » ajoute-t-il au vieux policier. Il fait un salut militaire puis disparaît. En effet, l'esprit errant a possédé temporairement James Chisholm lorsque Paul Eastman demande l'autorisation d'enquête sur la famille de Thomas Gordon. Pulluow ne se laisse effrayer par la présence de Lorenzo Romano et de Giovani Baldini autour du supérieur; au contraire, ce sont les sombres esprits qui paniquent à la vue du militaire russe. Mais Romano en avertit Gabriel, qui le dit à son père, qui le dit à Oswald Neely... Ce dernier, sachant que son neveu débute une enquête dérangeante, réunit ses amis deux jours plus tard pour discuter de leurs prochains plans en vue de ralentir Carl... « Que ceci lui serve d'avertissement ! » pense le juge...


Carl Neely se montre intéressé à seconder Paul Eastman dans son enquête sur la famille de Thomas Gordon. « Logique, puisque nous avons déjà commencé avec son premier mariage... »

En raison de leur horaire, les deux policiers ne peuvent point débuter ensemble l'enquête; Paul lui fait savoir, par l'entremise de Pulluow (ce qui évite des appels téléphoniques), qu'il débutera l'enquête à partir de ce qu'il peut trouver dans les archives de Grandview et d'Ottawa. Inutile de dire qu'Алексей Гордон et Ольга Шпак-Гордон viennent le déranger en lui suggérant des fausses pistes, sauf que le vieux policier n'est pas dupe... De plus, ils prennent la fuite devant une démonstration de force de Karl Pulluow. De sorte que Paul Eastman parvient, en deux semaines, à mettre la main sur des documents intéressants, qu'il vérifie et contre-vérifie. Au moins, il dispose de certaines informations de base. Certaines sont confirmées par des Observateurs. Ainsi, Алексей Гордон est né le 19 décembre 1900 à Гро́дно (Gordno; aujourd'hui Гро́дна), en Biélorussie (alors. dans l'Empire russe). Sa femme, Ольга Шпак, est aussi née dans la même ville le 2 janvier 1909. Ils se sont mariés le 3 février 1928 à l'église orthodoxe de Saints Boris et Gleb. Le jeune couple a quitté le pays en avril 1929, pour s'établir à Grandview jusqu'en mars 1930. C'est à Grandview qu'est né leur fils unique, Thomas. La petite famille déménagea à Belview, une banlieue située à cinq kilomètres d'Ottawa. Ils sont tous, par ailleurs, citoyens canadiens. De profession, Alexis Gordon était juge. Au Canada, il a travaillé à la Cour provinciale de l'Ontario. « Ceci explique comment Thomas Gordon trouve facilement un emploi en tant que juge à Grandview ! » pense cyniquement Paul Eastman.

À ce moment-là, un esprit errant se manifeste devant lui, nul autre qu'Алексей Гордон.

L'esprit lui dit : – Сэр [Monsieur]...

Le policier répond : – Paul Eastman. A вы [Et vous] ?

– Алексей Гордон. Я предупреждаю вас! Если вы продолжите в том же духе, последствия будут серьезными... [Alexis Gordon. Je vous avertis! Si vous continuez ainsi, une conséquence grave...]

– Не пытайся меня напугать! [N'essayez pas de me faire peur!]

D'un ton grave, l'esprit errant réplique: – Bы не будешь смеяться, если знаешь, насколько мы серьезны! [Vous ne rirez pas si vous savez à quel point nous sommes sérieux!]

Ensuite, l'esprit éclate d'un rire diabolique puis disparaît de la vue du policier.

Paul Eastman ne sourcille pas. « Il ne serait pas le premier qui me menace ainsi... Et il ne serait pas le premier qui m'empêchera de terminer mon enquête... Heureusement, je sais comment me protéger de telles attaques ! » Ainsi rassuré, il termine de noter les dernières informations sommaires. Alexis Gordon et sa femme sont morts dans leur maison à Belview; lui, le 5 juin 1985 de vieillesse, elle le 4 mars 1988 par pendaison. Puis le vieux policier décide de contacter un ami archiviste à Ottawa pour savoir quand il pourrait venir pour continuer une enquête. Celui-ci l'informe qu'il peut venir quand il le veut, car il est toujours la bienvenue. Le policier le remercie de sa collaboration et raccroche le téléphone. Après son quart de travail, Paul Eastman revient chez lui. Il embrasse Sara puis lui résume les principaux événements de sa journée; elle lui donne quelques conseils puis ils s'affairent à la cuisine pour le souper.



Simultanément à la recherche de Paul Eastman dans les archives de Grandview, Melinda Irène Gordon-Clancy reçoit la visite de l'âme de son père, alors qu'elle berce Nicolas. La jeune femme sursaute.

L'âme de Thomas Gordon dit : « Comme ils sont mignons, les petits-enfants... Mais je viens pour t'avertir... »

Melinda Irène, sans regarder son père : – À propos de ?

– De l'enquête de tes amis policiers...

– Pourquoi ?

– Simplement, s'ils fourrent leur nez dans ce qui ne les concernent pas, ils peuvent y perdre la vie...

– Que Dieu les protège !

– C'est pourquoi avertis-les !

Et l'âme de Thomas Gordon disparaît. Sa fille se retourne dos au berceau de Nicolas pour pleurer, car elle est attristée à l'idée de perdre l'un de ses amis policiers. Cassandre Haziza se manifeste devant elle et dit : – Madame Gordon-Clancy, reprenez-vous ! Si Aiden vous voit pleurer, il commencera aussi à pleurer... Évitez d'appeler le malheur sur vous et vos amis ! Vous ne voyez pas qu'il est fourbe, votre père ?

Encouragée, la jeune passeuse d'âmes se rend à la logique de l'explication; elle sèche rapidement ses larmes. Et elle revient au salon surveiller Aiden et Mary qui jouent avec beaucoup d'insouciance.

Une heure plus tard, Melinda Irène en informe Paul Eastman, alors qu'elle le rencontre en route vers l'un des parcs de Grandview pour amuser les enfants. Avec, bien sûr, le dernier bébé dans une poussette.



Une semaine depuis que Paul Eastman a débuté cette enquête, Carl Neely, lui, reçoit un appel de son frère. Par le ton de sa voix, le policier comprend que son aîné est inquiet. Radoslav lui recommande prudence, car il semblerait que leur salaud d'oncle veut sa tête, comme dans dans la chanson traditionnelle bulgare La perfidie du pacha de Vidin, en particulier les vers 3 à 6 :

От царя хабер довтаса

до вндпнеюн-то нашенцн,

Рьдана да уловжт

или глава му да земжт.

Телалин вика из Видин:

рой-то Радана улови

гођм ще бакшиш за земе.


Voici la traduction française :

Du Sultan un ordre est arrivé

au pacha de Vidin

d'arrêter Radan

ou de lui prendre la tête.

Un crieur proclame dans Vidin:

quiconque prendre Radan

recevra une grande récompense.


Le policier remercie le poète. Mais il s'efforce de ne pas s'inquiéter. Il pense, une fois rendu devant la porte de son appartement : « Ce ne serait pas la première fois qu'il me traque... On dirait une chasse à l'homme... »

Maurice Solms et Karl Pulluow se manifestent à sa droite.

Carl Neely pense : « Avez-vous quelque chose à me reprocher ? »

Les deux esprits errants à l'unisson : « Votre insouciance ! »

Karl Pulluow ajoute aussitôt : « Pour être franc, vous vous comportez comme un chevreuil qui gambade dans un pré où se cachent beaucoup de loups. »

Carl Neely, un peu froissé : « Merci de la remarque ! »

Maurice Solms ajoute : « Pourtant, c'est sérieux ! Rendez-vous à l'évidence avant qu'il soit trop tard... »

Carl Neely : – Quand ?

Maurice Solms : – Je ne le sais pas... Mais que le Miséricordieux vous prenne en pitié !

Et les deux esprits alliés font un salut militaire au policier puis disparaissent de sa vue. Carl Neely n'est que plus perplexe. Pour se changer les idées, il regarde discrètement Maria, Sara et Samuel jouer innocemment au salon.



Maison d'Oswald Neely, 22h45.

Le juge et ses amis vivants et esprits errants débutent un rituel très sombre sur la photographie de Carl Neely. Et ce, d'une manière très professionnelle, afin d'être sûr de ne pas rater le coup...


Le soir est agité pour Carl Neely, qui fait un cauchemar. Il se trouve dans une maison, maison qu'il ne parvient point à identifier. À peine est-il entré qu'une rafale de balles le transpercent. Le policier se réveille en sueur. L'âme de sa femme est à ses côtés, pour le rassurer. Un autre esprit se manifeste au pied du lit : Jane Lawrence-Gordon. Celle-ci dit : « C'est encore une fois votre salaud d'oncle avec mon salaud de mari... Ils ont une dent contre vous... Soyez très prudent ! » Puis elle s'excuse auprès d'Hana Nasan-Neely de l'interruption puis disparaît de la chambre. La Syrienne caresse doucement le dos de la main gauche de son époux pendant quelques minutes puis disparaît à son tour. Carl, lui, s'endort dans un sommeil sans rêve.



Le lendemain, Carl Neely se rend à son bureau. Pause de l'enquête sur les Gordon. Il a son horaire de patrouille à faire avec Arthur Davidson. Ceci signifie aussi de subir les moqueries de Lorenzo Romano, de Giovani Baldini, d'Andrew Lewis, de Calvin Byrd et de François Janet. Heureusement, ils ne l'ont pas ennuyé trop longtemps, car il fait de grands efforts pour ne pas répondre à leurs provocations. Une telle attitude plaît à ses parents, à son grand-père maternel, à Maurice Solms et à Karl Pulluow, qui arrivent lui prêter main forte pour mettre en fuite les mauvais esprits. Cependant, vers la fin de la patrouille, son collègue le mène par hasard près d'un bar d'où en sort sept hommes musclés, visiblement bien entraînés. Carl Neely a l'impression de les avoir déjà vu... « Les salauds de camarades de classe... Est-ce dans les archives lors de l'enquête sur Gabriel Lawrence ? » Karl Pulluow apparait à sa droite et lui confirme sa pensée. Notre policier craint alors une autre attaque armée de leur part, car ils sont très perfides et toujours aussi méchants. Il n'a quand même pas oublié l'humiliation dans les archives de l'Hôpital Général d'Ottawa. D'un ton sec, il chuchote en anglais à Arthur Davidson : « Arthur, si nous passons sur la rue ici ? »

Ils se trouvent près d'une rue perpendiculaire au bar; Carl pense que s'ils passent sur cette rue, ils éviteront les militaires.

Son collègue lui réplique en anglais : « Pourquoi ? »

Carl le foudroie du regard, puis le traîne brusquement par le bras pour le forcer à tourner sur la rue perpendiculaire. Arthur se débat puis le regarde bizarrement, comme s'il voulait dire : « Quelle mouche l'a piqué ? »

Carl lui dit à voix basse en anglais : « Pourquoi je te propose de dévier la route de patrouille ? Parce que des connaissances indésirables sont sorties d'un bar... »

Arthur lui réplique : – Franchement, ne sois pas une mauviette ! Depuis quand tu as peur des gens ?

– Non, mais c'est une longue histoire... S'il te plaît, écoute-moi, pour une fois ! Ne m'oblige pas à passer des menottes à tes mains pour te forcer à me suivre...

– C'est sérieux ou tu te moques de moi ?

Carl Neely remarque la présence olfactive des esprits errants suivants, à savoir Lorenzo Romano, Giovani Baldini, Karen Blavatsky-Neely, Andrew Lewis, Calvin Byrd, François Janet, Jane Lawrence-Gordon, David Neely, Milena Vladikin-Neely, Dragomir Vladikin, Maurice Solms et Karl Pulluow. Le Français et le Russe disent à l'unisson: « Ne changez pas d'idée ! »

Les deux Italiens les foudroient du regard et disent à l'unisson : « Votre Altesse, ne soyez pas si méfiante... Votre collègue vous aidera s'il vous arrive de quoi... Par ailleurs, comment expliquer vos impressions devant lui sans paraître bizarre ? »

Carl Neely pense : « Je le reconnais, mon comportement n'est pas très rationnel... Est-ce que je dois une fois pour toutes surmonter ce traumatisme d'enfance ? Mais à penser au dernier traitement que ces salopards m'ont fait subir, je n'ai pas envie de les rencontrer à nouveau... Je préfère les éviter... Je n'ai pas les couilles molles, mais les affronter serait une folie, même à deux contre sept... »

Devant le silence et le regard perdu de son collègue, Arthur Davidson dit : – Sérieux, Carl, concentre-toi !

Après s'être éclairci la voix, l'interpellé répond d'un ton sec : – Tu m'ennuies avec tes questions...

– Alors, aucune raison de changer la route de patrouille !

Énervé, Carl réplique : – Continue-la si tu veux ! Moi je prends cette rue et nous nous rejoignons à la station... Ça te convient ?

– D'accord... Mais calme-toi avant... Il faut être plus posé...

Carl le foudroie du regard et tourne sur la rue perpendiculaire.

Maurice Solms apparaît à la droite de son protégé et dit : « Monsieur Neely, je vous avertis que dans quelques minutes, ce salaud de collègue avertira ces salauds... Ils sont soudoyés par un criminel qui travaille pour votre oncle, selon les informations que m'a dit Madame Jane Lawrence-Gordon. Soyez très prudent. Nous, nous ferons de notre possible pour vous aider ! » Puis l'esprit disparaît de son nez. Le policier soupire et continue sa patrouille tout en regardant un peu plus souvent autour de lui, question de ne pas être encerclé par les huit hommes.

Effectivement, Arthur Davidson signale la rue où se trouve Carl Neely à l'officier instructeur des cadets de l'Armée canadienne. Et les sept hommes, armés de pistolets avec silencieux, suivent notre policier. Ils sont, bien sûr, accompagnés de Romano, de Baldini, des trois esprits psychiatres et de Karen Blavatsky-Neely. Et ce petit groupe rattrape Carl Neely. Sauf qu'informé par Karl Pulluow, notre policier évite de justesse une balle. Il décide alors de zigzaguer un peu dans les rues de Grand-voile, dont il en connaît le moindre recoin et cul-de-sac. Et une chasse-poursuite s'engage...

Carl Neely, ne tenant plus le rythme au bout de deux heures, s'appuie le dos contre le mur d'une bâtisse (une librairie), question de se reposer un peu. Quelques minutes plus tard, Karl Pulluow apparaît devant lui, le faisant sursauter. L'esprit errant dit : « Les fascistes vont diriger les salauds jusqu'à vous ! Nous ferons divergence... Mais si Monsieur Maurice Solms apparaît, courrez, c'est clair ? »

Le policier hoche de la tête pour toute réponse. L'esprit errant disparaît pour réapparaître quelques rues plus loin, où se trouvent les huit poursuivants. Maurice Solms, Karl Pulluow et David Neely taquinent Romano et Baldini pour les déconcentrer. Tout à coup, une âme se manifeste dans le décor : Oswald Neely. L'esprit pilote grogne et arrive au-devant lui. Les deux frères se fixent du regard; ils comprennent que le premier qui lâche la partie ne peut pas s'approcher de Carl. Les autres esprits ne se laissent pas pour autant déconcentrer de leurs tâches. Les huit hommes, eux, se demandent bien où le policier peut-il se cacher.

David et Oswald se fixent longtemps.

David dit : « Pourquoi poursuis-tu encore mon fils ? N'es-tu pas assez content de ce que tu as fait jusqu'à maintenant ? »

– Non ! Tant que ton petit chou ne nous rejoint pas...

– Premièrement, Carl n'est pas un chou ! Deuxièmement, il ne t'appartiendra jamais ! Et, troisièmement, toi, espèce d'enculé et de cannibale, que le Diable t'emporte !

De rage, l'esprit du pilote donne un coup de pied bien solide dans le derrière de l'âme du juge (si une âme peut encore faire une telle action), qui vole quelques mètres plus loin. De peur, l'âme du juge revient rapidement dans son corps propre.

Malheureusement, les sept anciens camarades de classe et le collègue de Carl Neely se rapprochent de plus en plus de lui... Maurice Solms apparaît à ses côtés. Notre policier sursaute, mais il se lève rapidement, regarde autour de lui. Il pense : « Où s'enfuir ? » L'esprit errant lui répond : « À votre droite ! » Il lui obéit. Il continue sa marche d'un pas rapide, trop fatigué pour continuer la course. Carl pense : « Tant pis s'ils me rattrapent ! »

Maurice Solms l'encourage : « Prenez le chemin le plus court jusqu'à la station de police et j'espère que vous y serez tranquille. » Il se traîne jusqu'à la station de police, n'ayant plus de force dans les jambes pour courir, sauf que son collègue l'a repéré... Voilà ses poursuivants qui le rattrapent à un mètre de la station de police, dans une rue parallèle très tranquille. Les esprits, peu importe pour lesquels des vivants ils sympathisent, regardent la scène d'un air intéressé. « Maintenant, le moment le plus intéressant ! L'attaque fatale ! » pensent les mauvais esprits, en se frottant les mains de joie. Les bons esprits prient le Seigneur pour leur protégé parvienne à éviter le coup fatal...

Carl se retourne et leur dit d'une voix forte : « Messieurs, que me voulez-vous ? »

L'officier instructeur des cadets de l'Armée canadienne s'approche de lui et répond : « Ta peau, vermisseau sans famille ! »

Carl Neely pense : « L'insulte de vermisseau sans famille me rappelle ma triste enfance ! Pourquoi ces souvenirs doivent revenir encore une fois ? J'en suis fatigué ! Qu'est-ce qu'il m'énerve, celui-là ! Mais bon... Garde ton calme ! Calme-toi ! »

Il s'éclaircit la gorge puis dit d'un ton sévère : « Collègue Arthur, ne vois-tu pas qu'il s'agit d'une attaque personnelle ? Peux-tu faire comprendre à Monsieur... Monsieur, veuillez décliner votre identité... »

L'officier répond : – Voilà le vermisseau qui se permet de faire ce qu'il veut parce que l'uniforme lui donne l'impression qu'il est plus important à ses propres yeux...

Arthur Davidson lui coupe la parole : – Monsieur, mon collègue vous a demandé de décliner votre identité.

L'officier : – Ça va, on se calme ! Mais voilà, je me présente : Officier William Clyde.

Carl Neely fixe l'officier pendant quelques secondes puis ajoute : – Monsieur Clyde, pourquoi vous me poursuivez ? Vous saviez très bien que je ne vous ai rien fait... Pourquoi attaquer un innocent ? Je ne fait que patrouiller quelques rues. Je fais mon travail, c'est tout... Ne me dérangez pas et je ne vous dérangerais point.

L'officier, pour toute réponse, se rapproche du policier; les sept autres hommes s'approchent de lui. Arthur Davidson se place derrière son collègue. Carl évite d'être encerclé, ce qu'il ne peut pas; il ne lui reste qu'à prier l'Archange Michel d'être sain et sauf. L'officier lui fait face. Il sort une arme à feu; les autres font de même. Silence lourd. Le silence semble s'éterniser. William Clyde vise sur notre policier, l'atteignant au pied gauche. Carl Neely réplique en visant près des pieds de celui-ci. Les autres répliquent rapidement, ce qui le blesse sérieusement. Il se retourne vers son collègue, qui lui assène un coup de matraque sur la tête. Sonné, il lui lance ses plus beaux jurons et lui donne un coup de poing au ventre, le faisant un peu reculer.

Romano s'approche du passeur d'âmes et dit : – Reconnaissez-le que l'Officier Clyde a raison...

Carl Neely lui réplique mentalement : – Âme puante de l'Enfer, dégagez de mon nez !

Romano rit méchamment puis réplique : – Ignorez-moi, ça vous aidera à mieux vous concentrer... Si vous ne voulez pas nous rejoindre...

Carl ne peut pas s'empêcher de grogner de colère; ses opposants, au signal de l'officier, tirent une rafale de balles, mais heureusement aucune ne transperce son gilet pare-balles. Par contre, assommé par les coups aux bras, aux jambes et à la tête, il s'écroule, inconscient, aux pieds de l'officier. Sa tête heurte lourdement le sol. Au moment où ils le saisissent pour le désarmer et lui ôter son gilet pare-balles, Paul Eastman, Sam Blair et dix autres policiers arrivent près du groupe. Paul Eastman, averti par Karl Pulluow, parvient à convaincre des collègues de le rejoindre pour sauver le pauvre Carl Neely. Les policiers arrivent au moment où l'officier ôte le gilet pare-balles et le jette dans une poubelle. Les huit hommes sont surpris par la soudaine venue des policiers. Sam Blair, avec un porte-voix, les somme de lâcher la victime et de se rendre. Ses collègues masculins procèdent au désarmement puis au menottage des hommes. Sam Blair est étonnée de voir leur collègue Arthur Davidson avec eux... Et les huit hommes sont amenés dans quatre véhicules de la police de Grandview pour subir une interrogatoire serrée par Christopher Smith. Mais la policière, gardant son sang-froid, dépêche d'appeler les ambulanciers pour amener le blessé. Un véhicule passe rapidement pour l'amener à l'Hôpital Mercy. Il se rétablit au bout d'une semaine et demie. Disons que la semaine de rétablissement n'était pas du tout du repos, car la même infirmière exerce le même chantage sur lui (Nora Sutherland-Clancy était alors en congé de maternité)... Sauf qu'il ne cède pas au chantage. Cependant, le docteur lui recommande d'éviter tout surmenage, pour ne pas trop se fatiguer. Évidemment, la travailleuse sociale est informée de la situation. Elle tente de rassurer les enfants du mieux qu'elle peut. Hana Nasan-Neely l'aide beaucoup, en l'influençant dans le choix des mots (une mère sait quand même comment dire les choses à ses propres enfants). Ceci fait sourire Maria, Sara et Samuel de voir leur mère comme le siffleur de la travailleuse sociale.



Une fois revenus à la station de police, Sam Blair, visiblement terrorisée par la scène qu'elle a vu, dit à Paul Eastman : « Tous mes respects, Monsieur Eastman, mais je pense clairement que je donne ma démission... Avec des attaques armées comme ça en temps de patrouille, c'est trop dangereux... J'ai bien beau avoir suivie la formation en techniques policières, mais en pratique, c'est tout autre chose... Je vous ai apprécié comme collègues, Monsieur Carl Neely et vous. » Le vieux policier lui sourit paternellement et lui souhaite tout le meilleur dans sa recherche d'emploi. Puis la jeune policière, sourire aux lèvres, annonce de vive voix à James Chisholm, son supérieur immédiat, et au service des ressources humaines du service de police de Grandview sa démission. Une semaine plus tard, sa démission est officiellement reconnue. Entre-temps, la jeune femme postule aux différentes offres d'emploi qu'elle voit dans les journaux locaux et qui lui paraissent intéressantes.

Deux semaines après sa démission, Sam Blair est embauchée comme caissière à temps partiel dans la boutique d'antiquités The Same it was ever (la boutique d'Elizabeth d'Arenberg-Gordon, la mère de Melinda Irène Gordon-Clancy), pour les journées que Délia Banks et Andrea Marino sont libres. Une semaine plus tard, elle obtient aussi un poste de secrétaire d'école à temps partiel à l'école primaire Family School. Bien qu'elle n'a pas de diplôme professionnel en secrétariat, elle est embauchée, car elle réussit très bien les tests de présélection, en plus de faire bonne impression au cours de l'entrevue. « En attendant », pense Sam Blair, « deux emplois à temps partiel font le travail. Au moins les taux horaires sont corrects. Avec le cumul des heures, c'est un bon revenu. » Bien qu'elle rencontre ses deux autres collègues de la boutique d'antiquités, à savoir Andrea et Délia, Sam Blair préfère garder ses distances avec elles, car elle ne les trouve pas sympathiques. Elle n'a rien en commun ni avec une Italienne célibataire, dont le frère travaille dans l'immobilier, ni avec une femme de l'âge de sa mère et qui est mère monoparentale. Disons que Sam Blair est encore la caissière et la secrétaire la plus sérieuse (déformation de son ancien emploi de policière), mais elle sait être sympathique (en raison de son enthousiasme).



Depuis une semaine que Paul Eastman a débuté son enquête, Melinda Irène Gordon-Clancy, elle, a des nuits et des visions bizarres... Elle comprend que ces rêves et visions se rapportent à ses grands-parents, dont une à sa mère... La pauvre passeuse d'âmes est vraiment étonnée. Au moins, en discutant avec son mari le soir, lorsque leurs enfants dorment depuis un certain temps, elle parvient à comprendre que son grand-père paternel était initié dans une société secrète et qu'il semblait connaître deux Anglais, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, et qui ont visiblement un rapport de famille. Melinda Irène comprend qu'ils sont très familiers, à un tel point qu'ils se connaissent un peu trop intimement... Le seul indice dont elle dispose concernant leur identité, ce sont leurs prénoms : le plus âgé se prénomme Zachary, le plus jeune Orpheus. Un autre fait qui trouble notre passeuse d'âmes : il semblerait que sa grand-mère paternelle aurait noyé un bébé garçon de quelques mois. Aussi, il semblerait que cette même grand-mère serait bisexuelle comme son mari. De tels rêves et visions coupent tout appétit sexuel à la pauvre Melinda Irène; c'est Jim qui a du travail pour la rassurer. En ce qui concerne sa propre mère, notre sympathique passeuse d'âmes comprend, dans un rêve, qu'elle a connu Gabriel Lawrence. Ceci l'étonne. « Logique », dit Jim, « puisque ta mère et ton demi-frère sont du même âge... Dans tous les cas, ils ne savent pas ce qu'est la moralité... Quelle famille immorale ! Comme n'importe quelle famille ! » L'ambulancier l'enlace en signe de soutien. Melinda Irène se blottit contre lui.



Karl Pulluow, au cours du rétablissement de Carl Neely, propose sérieusement à Paul Eastman de remettre à son jeune collègue le casque militaire de son père, afin de le protéger des balles. Paul se rend à l'argument; heureusement, il garde dans un coffre tous les vêtements militaires et vêtements de parade de son père, car il est sentimental. Ceci lui rappelle son enfance. « Ça ne va pas me rajeunir ! » pense le policier. Il retrouve le casque que jadis son père, Ivan Ilitch Eastman, avait porté; casque que l'avait protégé dans maintes batailles... Le policier est très fier de son père. Il pense : « Que ce casque protège mon fils spirituel comme il avait protégé mon père ! »



Le 31 janvier 2003, Paul Eastman se rend à Ottawa en conduisant une voiture de fonction. Il n'est pas seul, car Karl Pulluow le tient compagnie en tant que co-conducteur. Ils se rendent aux archives, où il consulte puis photocopie les documents les plus pertinents. Bien sûr, il reçoit la visite de l'âme de Thomas Gordon, mais aussi des esprits errants que sont Alexis Gordon et Olga Szpak-Gordon. Sauf que notre policier, qui mérite bien le surnom de « Vieux Renard Russe » que lui donne Romano, ne se laisse pas déconcentrer et les met en fuite en les menacer de leur faire tâter de l'aubépine et du charme. Les parents de Thomas Gordon n'osent plus le déranger depuis. Entre les lectures des documents et des visions que lui accordent des Observateurs, le policier parvient à comprendre certaines pièces manquantes de son enquête. Il sait alors qu'Alexis Gordon avait une correspondance avec Zachary Neely et Orpheus Neely, dont le premier est le père du second. En fouillant un peu plus, le policier comprend qu'Orpheus Neely est le grand-père paternel de son collègue Carl... Par ailleurs, les trois hommes se sont connus personnellement, ce qui explique comment, par la suite, Thomas Gordon se lia plus tard d'amitié avec Oswald Neely... « Comme le monde est petit ! Encore plus dans un cercle de bisexuels ! » pense cyniquement Paul Eastman. Comme toujours, il ne se laisse pas intimider par les menaces des esprits qui se manifestent. Effrayés par sa protection, ils s'enfuient après trente secondes, comme sonnés. Aussi, Thomas a un frère aîné, prénommé Сергей (Serge), né à Гро́дно en Biélorussie le 8 janvier 1929 et mort le 1er mai 1929. Et ce frère a été noyé rituellement pour Satan. Ainsi, Alexis Gordon a trouvé un poste de juge très bien rémunéré en Biélorussie puis au Canada. Pour en ajouter, les deux parents de Thomas Gordon participaient à des orgies bisexuelles. Par ailleurs, ils y ont introduit leur fils... Heureusement, Paul Eastman à l'estomac solide et n'a pas vomi sa bile lors de telles visions. Il est seulement un peu dégoûté et ne fait qu'enlacer sa Sara pour se rassurer.


Une fois sorti de l'Hôpital, le 1er février, Carl Neely, encore pâle comme linge, revient chez lui, heureux d'être encore vivant. Il demande par voie téléphonique à son supérieur s'il doit revenir au travail le lendemain. James Chisholm lui réplique d'un ton sec qu'il arrête de jouer le malin et qu'il revient le 3 février au travail. « Depuis ses derniers temps, je trouve que vous passez trop de temps à l'hôpital Monsieur Carl Neely... Je voudrais que vous soyez davantage présent au travail... Merci ! » Notre pauvre policier n'a pas le choix que de se rendre au travail...



Au cours du mois de février, Carl Neely n'est pas tranquille, puisque des espions rôdent autour de lui. Il a l'impression d'être suivi. Mais ce qui l'enragea le plus, c'est la menace qu'il pense apercevoir dans un cas d'infanticide... Par ailleurs, Maurice Solms lui confirme une tentative de meurtre sur ses enfants. Le cœur battant à la chamade, Carl Neely se dépêche de revenir dans son appartement, de sorte qu'il revient plus tôt du travail. Notre policier, tombe nez à nez avec trois hommes armés devant sa porte. Il les somme de se rendre. Les voisins, curieux, regardent par le judas de leur porte d'appartement. Ils observent la scène d'un regard amusé. Les hommes, surpris, mentent effrontément puis sortent de l'immeuble. Notre policier prend de grandes inspirations pour se calmer, car ses mains tremblent sous l'effet de l'émotion. Après quelques minutes, il ouvre la porte de son appartement puis la referme derrière lui une fois qu'il y entre. Il salue d'un ton neutre les enfants, qui ignorent à quel danger ils ont échappé. Le policier, nostalgique, pense : « Qu'est-ce que j'aurais aimé être aussi innocent et insouciant que mes anges ! » Il dépêche de changer son uniforme et les regarde jouer. Au bout de quelques minutes, Carl Neely, abandonnant tout sérieux, se joint à leurs jeux. Mais le téléphone sonne : son frère. Le poète le supplie d'être très prudent lors de son enquête, car des espions et des tireurs d'élite veulent l'attirer dans un guet-apens. Le policier le rassure en disant qu'il serait prudent puis il raccroche le téléphone.

D'autres tentatives de meurtre sur les trois enfants du policier ont eu lieu, sauf que l'âme d'Hana Nasan- Neely les guide de manière à être en sécurité le temps que leur père revient rapidement du travail, alerté par Maurice Solms, n'ayant pas le temps d'ôter son uniforme. De plus, Karl Pulluow prête main-forte au trio d'esprits et fait divergence auprès des tueurs à gages. Inutile de dire que James Chisholm remarque bien que Carl Neely quitte plus tôt au travail que prévu sans préavis... Il l'avertit une fois et lui en demande la raison. Lorsqu'il lui répond que c'est en raison d'urgence familiale, son supérieur lui dit qu'au prochain mois, il va falloir rester plus longtemps, pour faire les mêmes heures. Le policier rechigne à obéir à son supérieur, mais il sait qu'il n'a pas le choix.



Tricia Mizrahi-Conrad, vingt-huit ans, est une femme au foyer bien occupée : entre ses deux enfants (Natalie, trois ans, et David, deux ans), l'entretien de l'appartement et la cuisine. Son époux, John Conrad, travaille comme serveur dans l'un des restaurants de Grandview, le Delicious Meal. Voilà quatre ans de vie commune et ils sont très heureux.

Le 26 février, en après-midi, alors que son mari est parti depuis une heure au travail, le téléphone sonne. Tricia regarde l'afficheur : Hôpital Mercy.

Inquiète, elle soulève le combiné. « Bonjour. C'est Madame Tricia Mizrahi-Conrad à l'appareil. »

La secrétaire de l'hôpital : – Bonjour, Madame Conrad ! Simplement pour vous dire que votre époux, John Conrad, est à l'hôpital depuis un peu moins d'une heure... Son état est critique...

– Qu'est-ce qui s'est passé ?

– Un accident alors qu'il traversait la route. Un camion l'a happé. Le choc est terrible... Et les prochaines vingt-quatre heures sont déterminantes.

Tricia ne peut pas s'empêcher de faire une moue. Elle ajoute : – J'arrive tout de suite ! Merci de l'information ! Passez une bonne journée !

– Bonne journée à vous aussi, Madame Conrad !

Tricia raccroche le téléphone, puis se pointe dans le cadre de la porte de la chambre des enfants et leur dit : « Natalie et David, nous allons voir votre père à l'hôpital ! »

Et le trio se rend à l'Hôpital Mercy, où la réceptionniste leur communique le numéro de la chambre où se trouve son époux. Les enfants sont à la réception et jouent avec des petits modules installés à cet effet. Ils ne doivent pas voir l'état dans lequel leur père se trouve. Seule Tricia se rend dans la chambre où il se trouve. Elle s'assied sur une chaise à côté du lit et serre la main de John pour l'encourager. Il est allongé, inconscient. Son âme est sortie de son corps. Attendrie par le soutien de sa femme, qui sérieusement prie Allah pour un bon rétablissement, elle veut revenir dans son corps, mais son ange gardien la retient par le bras. Elle comprend que ça ne sert à rien de rester dans un corps comme dans un tombeau et d'être réduit à l'état d'une plante... Le moniteur sonne alors. L'infirmière se dépêche de faire la réanimation cardiaque, en vain. Constatant le décès de John, Tricia ne peut s'empêcher de pleurer silencieusement. L'âme de son époux se tient à sa droite et essaie de la consoler. Elle sèche rapidement ses larmes puis revient à la réception. Natalie, étonnée : « Maman, pourquoi es-tu triste ? Papa est à ta droite. »

Tricia lui répond d'une voix étranglée : – Ma chouette, même si ton père est là, ce n'est que son âme...

– Pourtant, il semble aller bien !

– Heureusement, ma chouette... Mais il ne pourrait...

Sa voix se brise. Mais elle pense « Au moins, il semble que ma Natalie voit les âmes errantes, comme Irène, l'épouse de Jim. C'est encourageant ! »

L'âme de John Conrad dit à sa fille : – Natalie, peux-tu dire à ta mère de ne pas me pleurer... Je fonds dans ses larmes et ça m'attriste. Dans ce cas, je suis aussi triste qu'elle.

Natalie hoche de la tête.

Tricia la regarde et dit : – Qu'est-ce qui se passe, ma chouette ?

– Papa me dit de te dire d'arrêter de le pleurer, car il fond dans tes larmes et ceci l'attriste. Il est alors aussi triste que toi.

Tricia, encouragée par de tels propos, sèche rapidement ses larmes. Ceci fait sourire l'âme errante qu'est devenue son mari. À la droite de John Conrad se manifeste un esprit féminin, notre très sympathique Jane Lawrence-Gordon.

Natalie la regarde avec ses grands yeux étonnés. Jane se présente à la fillette et à son père, puis ajoute : « Toutes mes condoléances, Monsieur... »

Le mari de Tricia : – John Conrad.

– Si vous pensez que votre mort est un accident, tel n'est point le cas. C'est un avertissement pour l'ami de votre femme, à savoir Carl Neely. C'est le salaud de mon mari, Thomas Gordon, et son salaud de collègue, Oswald Neely (qui est, par ailleurs l'oncle de Carl Neely) qui sont responsables de l'accident qui a causé votre mort par des moyens occultes. Ils pensent par votre mort dissuader Carl Neely de continuer ses enquêtes. Ils doivent avoir de lourds secrets, les pédés !

Ainsi parle Jane Lawrence-Gordon puis elle disparaît de la vue de Natalie Conrad. La fillette répète à peu près les propos de l'esprit errant. Son père la corrige quelque fois, l'embrasse paternellement sur le front puis disparaît de sa vue.

Tricia, étonnée des propos, est songeuse : « Si ces deux hommes (et leur cercle d'amis) n'hésitent pas à tuer ainsi des innocents pour avertir un individu en particulier, ils sont vraiment des monstres... Qu'Allah protège Carl Neely et les siens! » Dans tous les cas, en bonne amie, elle avertit le policier de la menace qui pèse sur lui. Celui-ci la remercie.


Voilà Tricia officiellement veuve ! Évidemment, elle en avertit ses propres parents, sa sœur et ses amis Jim Clancy, Melinda Irène Gordon-Clancy et Carl Neely, qui lui présentent leurs sincères condoléances. Après les funérailles, elle se trouve un emploi à temps partiel comme caissière dans une petite boutique de livres anciens The Antique Books, située sur une rue parallèle à la boutique d'antiquités The Same it ever was.



Le 27 février 2003, appartement de Jim et Melinda Irène, 14h.

L'ambulancier est au travail. La jeune mère regarde Aiden et Mary jouer au salon. Elle chantonne une berceuse pour Nicolas. Un esprit errant apparaît : Kate Rodenwaldt, la première épouse du professeur Richard Payne. La passeuse d'âmes pense : « Pourquoi vient-elle ? Ça fait plusieurs années que je ne vous ai pas vu... »

Kate dit dans un anglais impeccable : – Madame Gordon-Clancy, l'affaire est sérieuse... Mon mari et son cercle de connaissance préparent un coup terrible, très terrible à Carl Neely... Dites-lui d'éviter une maison abandonnée, car elle est maudite !

– C'est en lien avec son enquête sur ma famille paternelle ?

– Exactement !

L'esprit errant disparaît. Un autre apparaît à la droite de Melinda Irène : Jane Lawrence-Gordon. L'esprit sourit puis commente : « Madame la Professeur dit la moitié de la vérité ! Elle fait cet avertissement pour mieux gagner votre confiance, alors qu'elle-même collabore avec eux... Quelle hypocrisie ! »

– Êtes-vous sérieuse ou cynique ?

– Je suis sérieuse !

Melinda Irène, d'une voix tremblante : – Qu'est-ce qui se passe ?

– Je préfère mieux ne pas vous le dire, pour ne pas appeler le malheur sur notre ami... Que Dieu lui soit clément !

L'esprit errant se signe puis disparaît de sa vue. La passeuse d'âmes et perplexe. Mais elle en avertit Paul Eastman par voie téléphonique. De plus, elle en discute avec Jim lorsqu'il revient du travail. Celui-ci la rassure.



Début mars 2003, station de police de Grandview, bureau de Paul Eastman.

Paul Eastman et Carl Neely discutent de l'état de l'enquête sur les Gordon; ainsi le vieux policier l'informe des conclusions provisoires à partir de ses lectures et des rêves et visions de leur amie Melinda Irène Gordon-Clancy. Paul lui remet le casque de son père, en lui expliquant que l'idée lui vient de Karl Pulluow. Carl, ému, le remercie du cadeau et le range dans un grand sac bleu marin. Puis les deux policiers discutent de la prochaine étape. Ils s'entendent pour visiter la maison d'Alexis Gordon à Belview. À ce moment, Karl Pulluow, Maurice Solms et Jane Lawrence-Gordon apparaissent dans la pièce et disent à l'unisson : « S'il vous plaît, ne visitez pas cette satanée maison ! Si vous ne voulez pas que Carl Neely meurt ou soit invalide ! »

Carl dit : – Ne vous inquiétez pas pour moi, je saurais me montrer prudent...

Karl Pulluow dit d'un ton militaire : – N'essayez pas d'être courageux contre une douzaine d'hommes armés jusqu'aux dents avec des balles pouvant transpercer votre gilet pare-balles... Ce serait une folie !

Un autre esprit errant apparaît derrière Carl Neely : Calvin Byrd. Il essaie de l'influencer, mais disparaît une minute plus tard, pour réapparaître avec... Andrew Lewis, François Janet et Lorenzo Romano.

Le jeune policier roule des yeux et pense : « Monsieur Pulluow, n'exagérez pas ! Je ne suis pas un enfant depuis longtemps ! »

À ce moment, les mauvais esprits s'approchent de Carl Neely. Ils le fixent comme un fauve sa proie. Ils veulent le convaincre de visiter la maison d'Alexis Gordon, puisqu'il ne s'est pas encore, à proprement parler, impliqué dans l'enquête sur les Gordon. Partagé entre ces deux idées, le policier hésite... Paul Eastman sort son icône portative et des brindilles de charme, de saule pleureur et d'aubépine, qu'il place sur le bord de son bureau. Les sombres esprits disparaissent aussitôt. Sauf que leur influence a fait son effet; Carl Neely s'est décidé de seconder son collègue.

Paul Eastman lui réplique d'un ton sérieux : – Mon fils, êtes-vous vraiment sûr de m'accompagner ? Vous savez que vous courrez beaucoup de risques... Et s'il vous arrive quelque chose (que Dieu vous en protège!)... Pensez, s'il vous plaît, à vos enfants...

David Neely apparaît à la droite de Carl et ajoute : – S'il te plaît, fiston, écoute ton collègue... Tu dois penser à tes enfants... Je sais très bien que tu ne voudrais pas qu'ils soient orphelins...

Carl Neely, ému, mais il se ressaisit et dit d'un ton sûr : – C'est gentil d'essayer de me dissuader, mais l'exploration de la maison d'Alexis Gordon se fera plus vite à deux que seul. Je vous accompagne, mon père, seulement je n'oublierais aucune protection. Voilà ! Comme ça, tout le monde est content !

Paul Eastman, David Neely, Milena Vladikin-Neely, Karl Pulluow et Maurice Solms soupirent à l'unisson. Incorrigible Carl...



Simultanément à la décision de Carl Neely à seconder Paul Eastman, Melinda Irène reçoit la visite de Lorenzo Romano... Son ennemi juré la nargue en disant que son don ne la permet pas de protéger ses amis. Il ajoute en guise de conclusion : « Les jeux sont faits Melinda! Ah!Ah!Ah!Ah! » Puis il disparaît de sa vue, laissant la pauvre passeuse d'âmes très inquiète pour ses amis policiers... Cassandre Haziza se manifeste à sa protégée et la rassure du mieux qu'elle peut puis disparaît de sa vue. Comme Jim a congé, elle lui rapporte les propos des esprits errants. Il l'écoute attentivement puis l'enlace en silence. Ils regardent Aiden et Mary jouer au salon; Nicolas, lui, dort, tranquille, dans son berceau.


Station de police de Grandview, bureau de Paul Eastman.

Les deux policiers s'entendent pour savoir quand visiter la maison d'Alexis Gordon. En raison de leur horaire de patrouille qui ne leur laisse pas beaucoup de temps commun pour mener leur enquête, ils parviennent à trouver du temps que le 15 mars. Contents de leur journée, chacun revient chez soi.




Entre-temps, Oswald Neely et son cercle d'amis se réunissent pour monter un coup duquel ils seront à peu près certains que son neveu ne s'en sortira pas... À croire qu'il l'imagine comme un chou dans son assiette... À consommer avant qu'il ne vieillisse trop... Les nuits du jeune policier sont par conséquent très agitées, mais il ne veut pas changer d'idée...




15 mars 2003. Station de police de Grandview, 8h00.

Paul Eastman et Carl Neely embarquent dans un véhicule de fonction. Ils se sont assurés de n'avoir rien oublié : des branches d'aubépine, de charme et de saule pleureur, le casque militaire, leurs gilets pare-balles, une armure complète (pour Carl), leurs matraques, leurs armes de fonctions, des munitions en réserve, leur repas du midi, et bien sûr, leurs icônes portatives de l'Archange Michel. Paul Eastman conduit le véhicule de fonction. Heureusement, Karl Pulluow et Maurice Solms les avertissent de la présence de Romano et de Baldini, qui ont possédé des conducteurs qui roulent en sens contraire. Nos deux policiers sont alors à deux doigts d'être victimes d'un accident, mais Paul se montre vigilant. Sinon, ils se rendent sans plus d'histoires devant la maison d'Alexis Gordon. C'est une grande maison, pour ne pas dire un château. Le lieu est visiblement abandonné, comme le témoignent les lierres qui envahissent la façade en pierres. Deux petits jardins se trouvent à l'avant; toutes les fleurs desséchées rendent le château pas très accueillant... L'automobile est stationné dans un endroit prévu à cet effet. Une fois sortis du véhicule, Paul Eastman et Carl Neely adressent une prière à leur protecteur, se signent puis s'arment de tout ce qui est nécessaire. Paul ouvre la porte d'entrée, qui grince avec un bruit infernal. Karl Pulluow apparaît devant eux et dit : « Feu dans cinq seconde ! Avec autant de bruit, ils vous ont repéré ! » En effet, cinq secondes plus tard, des dizaines de balles se plantent dans la porte entr'ouverte. Le jeune policier sursaute, car le rêve qu'il a eu en janvier lui revient à la mémoire...

Karl Pulluow et Maurice Solms apparaissent lorsque les deux policiers décident de voir s'il n'y a pas un autre moyen d'entrer sans faire trop de bruit. Les esprits errants font un salut militaire et le Russe prend la parole : – Camarades ! Il n'y a pas d'autre entrée ! Toutes les fenêtres sont surveillées par au moins deux hommes bien armés, des professionnels...

Les deux policiers s'entr'observent. Finalement, Paul entre le premier, suivi par Carl. Ils explorent le long couloir, qui semble être long d'un kilomètre. Nos deux passeurs d'âmes, armés de branches d'aubépine et de saule pleureur dans chaque main, leur arme de fonction à leur ceinture, marchent lentement pour ne pas attirer l'attention des tireurs. Carl Neely n'a ni oublié le casque militaire sur sa tête ni l'armure sous son gilet pare-balles. D'ailleurs, ils remarquent de nombreuses âmes qui hantent le château, ce qui le rend encore plus sinistre. Tout à coup, une balle passe près de Carl Neely, qui pousse un peu son collègue pour l'éviter, lui-même poussé par Karl Pulluow. Les deux agents de l'ordre continuent l'exploration des lieux. Plus ils avancent, plus les pièces semblent sinistres. L'air est oppressant avec les nombreuses âmes errantes qui se promènent encore comme si elle étaient encore vivantes. Rendus près de la cuisine, un esprit sombre attend nos policiers, le sourire aux lèvres : Lorenzo Romano. Il donne un signe aux autres âmes errantes dans la pièce, qui s'empressent de lui obéir.

Maurice Solms apparaît à la droite de Carl Neely et dit : « Attention ! »

Karl Pulluow apparaît à son tour et dit : « À vos armes ! À mort le fascisme ! »

Les âmes réunies dans la cuisine encerclent Carl Neely et lui suggèrent tantôt de se rendre ici, tantôt là. Lui, d'un ton sévère, leur ordonne de se taire, mais les âmes l'ignorent et essaient de l'influencer... Paul Paul Eastman, fatigué de leurs jeux, traîne son collègue par le bras droit; il se laisse entraîné. Ils trouvent dans la cuisine trois tireurs qu'ils ont affronté. Bilan : Carl est blessé aux pieds. Dans cette pièce, ils trouvent des objets bizarres qui confirment que les grands-parents paternels de Melinda Irène Gordon-Clancy sont très bien versés dans l'art occulte. À ce moment-là, les esprits errants que sont Alexis Gordon et Olga Szpak-Gordon apparaissent derrière nos deux policiers. Ils influencent Carl Neely, qui se dirige, comme un automate, vers une boîte au fond de la cuisine. Maurice Solms apparaît devant lui et dit : « N'ouvrez pas cette boîte ! » Le policier suspend son geste, partagé entre l'idée d'ouvrir ou de ne pas ouvrir la boîte. Il se retourne vers son collègue, qui le traîne par le bras comme un méchant gamin surpris les doigts dans un pot de confiture. Le vieux policier l'éloigne ainsi brusquement de la boîte. Ils sortent de la cuisine, mais des tireurs, guidés par des âmes errantes, tirent plusieurs fois de suite sur le jeune policier, qui essaie d'éviter comme il peut les balles. Il a même renversé la table pour s'y cacher derrière. Paul Eastman s'y cache aussi. Ils déposent les branches des arbres par terre, de sorte que les âmes errantes se tiennent loin d'eux. Mais l'un des tireurs, possédé par Alexis Gordon, s'approche de nos policiers, sauf qu'il reçoit la table sur ses côtes et deux coups de matraques bien appliquées. Sonné, il s'écroule. Les autres tireurs d'élite répliquent par des rafales de balles, ce qui blesse sérieusement Carl Neely aux jambes. Ceci l'oblige à s'asseoir. Puis les hommes armés dégagent la porte de la cuisine. Après quelques minutes, Romano et Baldini se manifestent à la gauche du policier blessé; Paul les foudroie du regard, Carl Neely les maudit. Les deux sombres esprits s'amusent à lancer des couteaux de cuisine sur leur victime, qui se protège du mieux qu'elle peut. Finalement, les deux policiers parviennent à sortir de la cuisine, en récupérant au passage leurs branches d'aubépine, de charme et de saule pleureur qu'ils ont amené avec eux. Ils se rendent dans la prochaine pièce : le salon.

Karl Pulluow apparaît devant eux et dit : « Les fascistes ont sonné l'alarme ! Ils se dirigent vers vous ! À votre place, je vous recommande de sortir immédiatement par la fenêtre ! Et faites vite ! » Puis ils disparaît de leur vue. Paul Eastman se signe puis ôte le moustiquaire de la grande fenêtre du salon, ouvre la fenêtre et sort à l'extérieur. Au moment où Carl Neely sort aussi, Romano et Baldini ont dépêché deux tireurs qui visent le jeune policier, de sorte qu'il tombe par terre, dos sur le sol. Un troisième arrive et avertit les autres au moyen d'un émetteur-récepteur portatif. Deux minutes plus tard, les tireurs sont aux fenêtres, leurs armes pointées sur le pauvre policier, immobilisé par la douleur au sol. Paul Eastman est un peu en retrait, inquiet pour son fils spirituel. Les tireurs d'élite tirent tous ensemble, blessant sérieusement Carl Neely. Un peu avant d'être inconscient, il se redresse à moitié et s'écrie de sa voix la plus forte : « Frères en Dieu ! Que me voulez-vous ? »


Note : Frère en Dieu est une manière habituelle (pour les Bulgares) d'implorer le secours de quelqu'un, ou même la pitié d'un ennemi qui menace; cet appel s'accepte ou se refuse expressément.


Sauf que personne ne se laisse émouvoir, sauf Paul Eastman et les esprits alliés. Personne ne répond. L'un des tireurs sort à l'extérieur, s'approche de Carl Neely, qui se traîne; il lui donne un coup de pied solide dans les côtes; le policier est plié en deux par la douleur. Le tireur dit dans un anglais impeccable à Paul Eastman : « Monsieur, restez où vous êtes... Si vous ne voulez pas terminer comme votre ami... » Et pour en ajouter sur la menace, il tire vers sa direction, obligeant le vieux policier à reculer pour ne pas recevoir la balle dans son genou gauche. Puis le tireur se penche au-dessus de Carl Neely et le retourne brusquement, l'assommant complètement sous l'effet du choc, pour ensuite se tenir un peu à l'écart. Deux autres, depuis la fenêtre du salon, l'atteignent au dos, entre les omoplates puis les jambes ; la victime, étourdie par les différentes blessures, gît, inconsciente, à même le sol. Au moins, sa tête est protégée grâce au casque militaire; de même pour sa poitrine grâce au gilet pare-balles et à l'armure. Voyant que leur victime ne bouge plus, les tireurs s'éloignent des fenêtres. Le tireur qui regarde la scène d'un air amusé (ce qui dégoûte Paul Eastman, Karl Pulluow et Maurice Solms), vérifie le pouls de Carl Neely. Un sourire carnassier aux lèvres, il fait un signe à ses semblables. Il se retourne vers le vieux policier, qui est atterré de constater l'âme de son collègue à côté de son corps. Le tueur dit, avec une pointe de joie ironique : « Monsieur Paul Eastman, vous pouvez dire adieu à votre ami ! »

L'âme de Carl Neely, pour lui faire taire son arrogance, s'amuse avec l'arme à feu du tireur, qui effrayé, la lâche par terre, puis revient en courant dans la maison d'Alexis Gordon. L'âme de Carl Neely, réalisant qu'elle ne peut pas abandonner ses enfants encore en bas âge, se rapproche de son corps propre pour le ranimer. « Je ne veux pas faillir à ma promesse ! » pense-t-elle avant de regagner son corps.

À ce moment-là, Karl Pulluow se manifeste devant Paul Eastman, qui analyse la situation, ne sachant pas s'il faut appeler ou non les urgences. Le militaire dit : « Qu'attendez-vous pour agir ? Monsieur Solms et moi ferons divergence auprès des tireurs le temps que vous partez avec le pauvre Carl Neely... Mais faites vite, car chaque seconde compte ! »

Paul Eastman, ignorant le sang qui qui coule des blessures de son collègue, le soulève comme s'il était un petit enfant, en l'agrippant fermement par les jambes et par la taille, en tenant sa tête appuyée sur son épaule gauche. Il s'éloigne rapidement du château, sauf qu'il n'évite point une balle au coude gauche, car l'un des tireurs, possédé par Romano, le pousse à être près de la fenêtre, de sorte qu'il a vu le policier amener son collègue.

« C'est encore un moindre mal pour moi... » pense le vieux policier. « Au moins, il a encore une chance de s'en sortir. Son âme n'est pas à nouveau sortie de son corps... Allez, mon fils ! Vous êtes capables... »

Heureusement, la divergence de Karl Pulluow et de Maurice Solms fonctionne; d'ailleurs, ils obtiennent le soutien d'autres âmes errantes, dont des amis du militaire Russe, de David Neely et de Dragomir Vladikin. Ces deux derniers sont fâchés de la manière dont ils ont lâchement blessé leur fils ou petit-fils. Des esprits en colère, c'est terrible... Au moins, ceci permet à Paul Eastman de passer inaperçu et de se rendre, avec son collègue, jusqu'à la cabine téléphonique la plus proche. Il dépose doucement Carl Neely de manière sécuritaire à côté de la cabine téléphonique le temps de faire l'appel. De là, le vieux policier appelle les urgences. Karl Pulluow et Maurice Solms se dépêchent d'agir sur des bons ambulanciers (entre autres, Jim Clancy, Tim Flaherty et Bahman Mīzrā) pour qu'ils ramènent rapidement les blessés; Lorenzo Romano et Giovani Baldini agissent sur des ambulanciers complices (parmi lesquels se trouvent Bobby Tooch) pour qu'ils ne se pressent pas de ramener les blessés. Là, c'est vraiment le point capital : lequel des deux groupes d'ambulanciers sera chargé de ramener nos deux policiers blessés... Heureusement, les bons ambulanciers se dépêchent d'agir lorsqu'ils entendent l'appel de détresse dans l'interphone. Comme le son est transmis depuis le répartiteur d'urgence, il semblait encore plus sinistre, vibrant comme un émouvant appel de secours. Les ambulanciers s'embarquent rapidement à bord de deux véhicules; Jim Clancy conduit l'un, Bahman Mīzrā conduit l'autre; chacun est accompagné d'un collègue qui est co-conducteur. Les conducteurs activent les sirènes de leurs véhicules et arrivent cinq minutes plus tard auprès des policiers. Et ils sont aussitôt acheminés vers l'Hôpital Mercy, où des docteurs évaluent les blessures de Carl Neely et de Paul Eastman. Heureusement, le vieux policier s'en sort assez bien; seul le plus jeune est dans un état critique. Carl ne reprend conscience que trois jours après l'opération.

Le docteur sourit et lui dit d'un ton neutre comment il se sent aujourd'hui.

Il répond : « Monsieur, dois-je m'inquiéter du fait que je ne ressens pas mes jambes ? »

Le docteur hoche discrètement de la tête et dit calmement : « Monsieur Carl Neely, la nouvelle des radiographies nous confirme votre impression... En raison des blessures par balles à la colonne vertébrale, des nerfs sont endommagés... Et il semblerait que... » Il fait une courte pause et regarde attentivement le patient.

Le docteur complète sa phrase : « ...vous êtes paraplégique, c'est-à-dire que vous ne pourrez jamais marcher sans l'aide de fauteuil roulant... »

Voyant l'air abattu du patient, il ajoute aussitôt : « Mais Monsieur, sachez qu'il est toujours possible d'essayer une rééducation pour savoir si la paralysie est totale ou partielle... Au moins pour apprendre à vivre avec votre paraplégie... »

Carl Neely dit d'un ton brusque : – Merci pour l'encouragement !

– Il n'y a de quoi.

Et le docteur sort discrètement de la chambre dans laquelle se trouve le blessé.

Le policier, déconcerté, pense : « Désolé, mes enfants, d'avoir un père si con... Si insouciant... Mais certes, vivant... »

Maurice Solms commente : « En tout cas, le docteur est très froid... Je partage votre colère... Je suis seulement désolé de ne pas vous avoir averti plus tôt... »

Carl Neely lui réplique : « Ne soyez pas désolé, alors que c'est de ma propre faute... Ah ! Maudit entêtement policier ! »

– Au moins, vous le reconnaissez...

L'esprit l'enlace paternellement et dit : « Bon rétablissement ! » Puis il disparaît de la chambre d'hôpital.


Au cours des semaines suivantes, Carl Neely reçoit la visite des ergothérapeutes et des kinésiologues pour s'habituer un peu à sa nouvelle condition. Cet accident lui tombe un peu lourd, lui qui s'est habitué à bien tenir solidement sur ses jambes. Hors de doute : la paralysie de ses jambes est totale... Ne rien ressentir, c'est terrible... Carl Neely soupire. Il s'encourage en pensant qu'au moins, ce n'est pas à l'un de ses enfants qui se trouve handicapé. « Que Dieu les protège ! » pense-t-il. « Arhhh ! Voilà qu'est-ce que c'est que «tuer à petit feu» ! Et bien, que les salauds qui sont derrière le coup brûlent pour des millénaires en Enfer ! Je me moque complètement d'une aventure ou d'un second mariage ! Je peux dire: re-bonjour, célibat ! Et après, ma seule consolation, c'est d'être un jour grand-père ! Et que personne ne touche à MES enfants, sinon, ils verront que je suis un père enragé prêt à tout pour défendre MES ENFANTS ! »


Une semaine depuis l'hospitalisation de Carl Neely, Paul Eastman termine seul l'exploration de la maison d'Alexis Gordon à Belview, guidé par Karl Pulluow, et avec toutes les précautions nécessaires, ce qui lui évite les influences pernicieuses des mauvais esprits qui s'y trouvent. Il y trouve les derniers indices révélateurs : des rayons complets de livres en russe, en français et en anglais de magie et d'autres arts divinatoires et d'autres pratiques occultes. Il se signe avant de poursuivre l'exploration des lieux. Il retrouve aussi la corde avec laquelle Olga Szpak-Gordon s'est pendue; il a par ailleurs vu dans une vision ses dernières heures, ce qui lui confirme son hypothèse de suicide que déguise un sacrifice volontaire à Satan. Paul Eastman a du travail pour chasser l'âme errante en question, car elle veut qu'il revit la sensation d'étouffement à mesure que la corde avait serré son cou. Il sort ses plus beaux jurons et ses branches d'aubépine, de charme et de saule pleureur pour la tenir loin de lui.


Une fois qu'il a rangé soigneusement tous les papiers de l'enquête sur les Gordon, Paul Eastman téléphone à Melinda Irène Gordon-Clancy pour s'entendre de passer chez elle afin de lui transmettre les résultats, en plus de lui communiquer les dernières nouvelles concernant Carl Neely. La pauvre femme pleure à la nouvelle de l'handicap du pauvre policier; Paul la calme comme un père le ferait envers sa petite fille qui a eu un cauchemar.



5 avril 2003, Hôpital Mercy, unité de naissance, 11h.

Marianna Radziwiłł-Neely, la femme de Radoslav Neely, accouche d'un fils, qu'elle prénomme Miroslav. Elle pense : « Pourquoi n'es-tu pas le fils de Carl ? » Elle pensait le séduire, sauf qu'elle n'en n'avait pas l'occasion, car les visites de son beau-frère étaient rares... Lorsqu'elle était enceinte, elle se l'interdisait, pour éviter des rumeurs... Au moins, maintenant qu'elle a accouché elle pourrait reprendre son plan, pense la jeune Polonaise... Lorsqu'elle rencontre son beau-frère dans un fauteuil roulant en mai lors d'une promenade avec Radoslav Neely, elle abandonne son projet de séduction.



Ce n'est qu'à la fin du mois d'avril que Carl Neely, en fauteuil roulant, se rend au travail. Les séances avec les ergothérapeutes et les kinésiologues n'ont pas été vaines : il parvient de manière autonome à se placer du fauteuil à une chaise ou au lit. Évidemment, déclaré inapte au travail, James Chisholm le congédie. Le voilà sans emploi... De retour dans son appartement, Carl Neely s'empresse d'écrire une lettre pour une demande d'indemnisation en raison d'hospitalisation de longue durée. Sinon, au cours des semaines suivantes, il cherche un emploi, dans l'espoir d'en trouver... Heureusement pour lui, la travailleuse sociale lui suggère quelques postes au sein de l'administration du Centre d'Aide Sociale de Grandview, pour lequel elle travaille. Et qui est le Centre où les frères Neely ont été placés dans l'attente d'une famille d'adoption... L'ancien policier postule aux offres qui lui semblent les plus intéressantes et il attend une réponse...



Le 19 mai 2003, Hôpital Mercy, unité de naissance, 9h.

Nora Sutherland-Clancy, l'épouse du docteur Daniel Clancy, accouche de jumeaux. Deux garçons, l'aîné est prénommé Jacques, le benjamin Emmanuel. Le couple est content d'être enfin parents, pour égayer leur appartement. C'est Madame qui fait une pause de son travail, le temps que leurs enfants grandissent un peu. Jim Clancy aussi est content, le voilà oncle ! Ces bonnes nouvelles compensent les plus tristes...




Pour l'instant, le bilan est le suivant : un décès, trois naissances et un handicapé au chômage mais en recherche active d'emploi. Et un esprit errant de plus dans les décors !





Mais d'autres nouvelles attendent nos trois chuchoteurs d'esprits...







À suivre.

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