De feu et de braise (Diluc x Varesa)
Je crus que mon cœur allait s’arrêter.
Un frisson, puis mille. Une vague, puis un raz-de-marée. Mon corps n’était plus le mien, traversé par une chaleur si intense que j’en oubliai l’air, la tente, le monde. Ma voix se brisa contre le creux de son cou, un soupir tremblé, étranglé. Mes mains s’agrippèrent à lui, sans même savoir où, sans comprendre pourquoi. Et puis… ce fut l’instant.
L’instant exact où tout chavira. Une lumière blanche, douce et vive à la fois, m’éblouit de l’intérieur. Mon ventre se contracta, mes jambes aussi, et je crus un instant que j’allais éclater en étoiles. Je ne contrôlais plus rien. C’était trop, c’était beau, c’était… lui.
Diluc.
Je me blottis contre lui, incapable de parler, de penser. Il ne dit rien non plus. Il m’enveloppa. Sa main passa doucement dans mes cheveux, sa respiration chaude caressa ma tempe. Il ne me demanda rien. Il m’offrait juste ça : sa présence, son silence, sa chaleur. J’aurais voulu lui dire merci, mais ma gorge était nouée.
Je n’avais jamais imaginé que cela puisse être ainsi. Que ça puisse… remuer autant. C’était à la fois merveilleux et terrifiant. Merveilleux, parce que je ne m’étais jamais sentie aussi vivante. Terrifiant, parce que ce sentiment nouveau qui grondait en moi, plus fort que le désir, plus profond que la curiosité, je ne savais pas le nommer.
Je ne voulais pas bouger. Ne plus jamais quitter ses bras.
Et pourtant, le sommeil finit par m’emporter, bercée par ses mains qui traçaient des cercles apaisants dans mon dos, par son souffle calme et régulier. J’aurais juré qu’il veillait sur moi jusqu’à ce que mes paupières se ferment.
Je me réveillai bien plus tard, dans une chaleur douce, cotonneuse. Ma tête reposait contre son épaule. Mes jambes croisées avec les siennes. Et sa main… toujours là. Dans mes cheveux.
Je mis plusieurs secondes à comprendre où je me trouvais. Puis d’un coup, la mémoire me revint. Mon visage s’enflamma si fort que je crus que mes cornes allaient fondre. Je venais de passer la nuit dans les bras de Diluc. Avec lui. Vraiment avec lui.
Et maintenant… qu’est-ce que j’étais censée faire
?
Je tentai de bouger, mais il remua avant moi. Ses bras m’enveloppèrent un peu plus, et il murmura d’une voix grave, encore embuée de sommeil :
— Tu comptes t’échapper en douce ?
Je me figeai. Mon cœur fit un triple salto arrière.
— Je… non. Enfin… peut-être… un peu… je sais pas…
Il ouvrit un œil, mi-amusé, mi-sérieux. Il était trop beau, avec ses mèches un peu en bataille et cette lumière dorée filtrant par la toile de la tente.
— Tu n’as rien à fuir, Varesa. Rien à regretter. Rien à cacher.
Je crois que je rougis si fort que j’aurais pu cuire une omelette sur mes joues.
— C’est juste que… c’était la première fois. Et… je ne sais pas si j’ai fait ce qu’il fallait. Si j’ai été…
— Tu étais parfaite, m’interrompit-il doucement.
Je ne répondis rien. Mon estomac gargouilla à ma place. Je clignai des yeux. Puis encore. Était-ce… moi ? Moi, qui n’avais pas faim ? Moi, la grignoteuse invétérée de figues séchées et de noix caramélisées ?
Je poussai un petit grognement confus. Diluc éclata d’un rire bas, grave, délicieux.
— C’est pas ma faute, marmonnai-je en attrapant la couverture pour m’y enfouir. C’est mon corps. Il… il est bizarre aujourd’hui.
— Ton corps est parfait.
Et juste comme ça, j’eus envie de me cacher dans le sable du désert.
Nous sortîmes enfin de la tente. La lumière du matin tapait déjà sur les dunes. Kaeya était accroupi près du feu de camp, les bras croisés, son regard perdu dans les flammes mourantes. Il ne tourna même pas la tête en entendant nos pas.
— Ah. Les tourtereaux se lèvent enfin, dit-il, sans émotion.
Je me sentis toute raide d’un coup. Mon cœur se serra. J’avais l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Il ne me regardait pas. Pas vraiment. Et encore moins comme la veille. Il avait ce ton distant, un peu moqueur, mais qui cachait autre chose. Une ombre, une pointe d’amertume.
Diluc, lui, resta impassible. Il s’approcha du feu.
— Tu as veillé toute la nuit ?
Kaeya haussa les épaules, sans répondre.
Je m’assis doucement, un peu à l’écart. Mes jambes étaient lourdes, mon esprit flou. Je n’avais jamais été aussi gênée de ma vie. Et pourtant… quelque chose en moi vibrait encore. J’avais envie de me blottir contre Diluc à nouveau. De sentir sa main dans mes cheveux. Mais pas ici. Pas devant Kaeya. Il y avait quelque chose entre eux, quelque chose que je ne comprenais pas.
Kaeya me tendit une figue séchée.
— Mange. Tu vas tomber dans les pommes sinon. Et ce serait dommage. Tu viens à peine de découvrir le goût du péché.
Je faillis m’étouffer. Diluc leva un sourcil.
— Kaeya…
— Quoi ? J’essaie juste de la nourrir. C’est important, la récupération. Surtout après une initiation au feu si… intense.
Je sentis le rouge me monter aux joues, jusqu’à mes cornes, mes oreilles, mes coudes, mes genoux. J’étais certaine de briller comme une torche.
Diluc se contenta de poser une main dans mon dos. Une pression légère. Réconfortante. Et brûlante. À nouveau, je me sentis stupide, émue, débordée. Je ne savais plus comment respirer.
Kaeya me jeta un regard bref, presque attendri — mais je perçus, malgré tout, une lueur étrange dans ses yeux. Mélancolie ? Jalousie ? Je ne savais pas. Et plus je tentais de comprendre ce qu’il pensait, plus mon esprit se perdait.
Pourquoi est-ce que c’était si tendu, tout à coup ?
Pourquoi est-ce que Diluc, pourtant si calme, semblait légèrement crispé dans son silence ? Pourquoi est-ce que Kaeya, si rieur d’ordinaire, avait ce sourire forcé, un peu trop brillant, un peu trop tranchant ?
Je regardai l’un, puis l’autre, cherchant à percer ce mystère silencieux qui planait entre eux. Et plus je regardais, plus je sentais que quelque chose m’échappait.
Quelque chose de vieux. De profond. De non-dit.
Et moi, au milieu de tout ça, je me sentais minuscule. Confuse. Heureuse. Et pourtant… vaguement coupable.
Je me sentais soudain de trop. Isolée au milieu d’un triangle d’émotions contradictoires.
Je repoussai doucement le reste de la figue que Kaeya m’avait donnée. Mon appétit s’était envolé — mais pas suffisamment vite pour échapper au regard moqueur de Kaeya.
— Tu boudes la nourriture maintenant ? Toi ? s’étonna-t-il avec un sourire en coin. Serait-ce que tu as déjà bien trop… croqué cette nuit ?
Je m’étranglai presque en avalant ma salive. Diluc se tendit à mes côtés, et je crus voir ses doigts blanchir sur la gourde qu’il tenait.
— Kaeya, grogna-t-il avec un calme glacial.
— C’est bon, c’est bon, je plaisante, leva-t-il les mains, faussement innocent. Mais avouez que l’appétit de cette demoiselle est aussi… impressionnant qu’il ne l’était cette nuit.
Je crus mourir sur place. Mon visage s’enflamma, mes cornes chauffèrent, et j’eus presque envie d’enfouir ma tête dans le sac de provisions. Pourquoi avait-il fallu que ce soit Kaeya qui partage cette tente ?
Kaeya, lui, détourna le regard, mais je vis sa mâchoire se crisper légèrement. Il avait tenté l’ironie, mais je sentais que derrière, il y avait autre chose. Une pique. Une blessure mal dissimulée.
Diluc croisa mon regard, et dans ses yeux, il y avait cette flamme douce — pas celle de la passion brûlante, mais celle de la tendresse patiente, rassurante. Il me sourit, un sourire presque imperceptible, mais qui suffisait à faire battre mon cœur plus fort.
Et malgré tout… je me sentais seule. Isolée au milieu d’un triangle d’émotions contradictoires.
Je m’efforçai de mâcher une datte, mais sa texture sucrée, collante, me sembla soudain étouffante. Mon estomac, d’ordinaire si réactif, si enthousiaste, restait comme noué. Un désert. Comme si quelque chose avait détraqué l’horloge interne de mon corps. Ou comme si mes émotions prenaient trop de place, éclipsant jusqu’à mon appétit légendaire.
Le silence s’était abattu entre nous trois. Épais. Chargé. Presque visqueux.
Kaeya jouait avec une pièce de monnaie d’un geste lent, presque théâtral, le regard ailleurs. Il avait ce petit sourire en coin que je ne lui connaissais pas. Pas tout à fait moqueur. Pas tout à fait triste. Quelque chose entre les deux. Et je n’arrivais pas à en identifier la cause.
— Alors, c’est Mondstadt, la prochaine étape, hein ? fit-il finalement, d’un ton neutre.
Je levai les yeux vers Diluc. Il hocha la tête, sérieux.
— Je dois voir Donna. Savoir si elle va bien.
Je baissai les yeux. Mon cœur se contracta. Jalouse ? Oui, peut-être. Même sûrement. Et surtout, blessée. Pourquoi cette Donna était-elle encore si présente dans ses pensées ? Pourquoi son nom semblait-il le préoccuper autant ?
Kaeya se leva, lissant sa tunique d’un geste sec.
— Alors on remballe ?
Je ne répondis pas. Mon regard s’était perdu dans les cendres du feu de camp. Et mon cœur… dans un mélange étrange d’émotions que je n’arrivais pas à trier.
Kaeya s’approcha du sac de vivres, l’air un peu plus tendu qu’à son habitude. Il s’accroupit pour attraper une gourde, et lança sans me regarder :
— Donna, hein… Voilà un nom qu’on pensait ne plus trop entendre, n’est-ce pas, frère ?
Il avait mis l’accent sur le mot comme une lame qu’on aiguise sur une pierre. Un éclat bref, vif, mais profondément aiguisé.
Diluc ne répondit pas tout de suite. Je le vis se raidir, infime mouvement dans ses épaules pourtant toujours si droites.
— Ce n’est pas le sujet, souffla-t-il.
Mais c’était un sujet. Je le sentais. Dans l’épaisseur du silence qui suivit. Dans ce regard que Kaeya finit par lancer à Diluc. Un regard que je ne parvins pas à décrypter. Trop chargé, trop complexe. Il y avait là un passé que je ne connaissais pas. Une histoire que je n’étais pas censée voir.
Je me sentis subitement de trop. Comme un fruit tombé d’un arbre dont je ne connaissais pas la saison.
— Elle est dans quel état ? demandai-je, pour briser la tension. Donna.
Les deux hommes se tournèrent vers moi comme s’ils m’avaient oubliée un instant. Kaeya sourit — mais il y avait dans son sourire quelque chose de cassé.
— Elle va s’en sortir. Enfin… peut être ….
Je déglutis. Mon ventre se contracta. Un goût métallique dans la bouche. Je ne savais même pas à quoi elle ressemblait, cette Donna. Mais son nom m’était désormais insupportablement familier.
— C’était… ton ancienne compagne ? demandai-je à Diluc, sans le regarder.
Je regrettai ma question aussitôt posée. L’air sembla se figer autour de nous. Kaeya laissa échapper un rictus — trop rapide pour être un vrai rire, trop nerveux pour être du mépris.
Diluc hocha doucement la tête.
— C’était une relation… du passé.
Kaeya tourna brusquement les talons pour rouvrir son sac, mais je vis ses épaules se crisper à cette mention. Ce n’était pas qu’un passé lointain. Pas pour lui, du moins.
— On était jeunes, lança-t-il d’un ton neutre. Un peu fous. Un peu… curieux.
Et puis Kaeya ajouta, avec un sourire lent :
— Tu te rappelles cette nuit à la taverne ? Celle où elle avait trop bu ce vin à la pêche, et où vous…
Il s’interrompit. Ou fit mine de s’interrompre. Son sourire s’étira. Diluc, lui, resta de marbre, mais ses doigts se crispèrent un peu autour de sa pièce de monnaie.
Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Quelque chose dans le on me heurta. Pas il, pas Diluc, mais on. Il s’était inclus dans l’histoire. Et pourtant… il ne regardait pas Diluc. Ni moi.
Je baissai les yeux vers mes doigts crispés sur mes genoux. Mes ongles avaient presque entaillé la peau. Mon cœur battait à mes tempes. Il y avait là, entre ces deux hommes, un pan de leur vie que je n’étais pas censée connaître. Quelque chose de trop intime. Trop noué.
Et moi, j’étais tombée au milieu.
Je sentis mon cœur se crisper.
— C’est du passé, trancha Diluc d’une voix ferme.
— Oui, oui, bien sûr, concéda Kaeya, faussement docile. C’est juste que… certains souvenirs sont tenaces. Surtout quand ils impliquent un feu d’artifice. Et des draps humides.
Un éclat de rire faux. Un regard évité. Et moi, au milieu de ça, qui ne comprenais rien mais me sentais soudain ridiculement déplacée.
Mon esprit s’agita. Ils ont été ensemble tous les deux ? Diluc et Donna ? Kaeya et Donna ? Diluc et Kaeya… ? Non. Non, c’était idiot. Et pourtant… pourquoi ce sous-entendu me frappait-il aussi fort ? Pourquoi avais-je l’impression qu’un pan entier de leur passé m’échappait, et que ce pan avait des draps, du vin, et des soupirs ?
Je baissai les yeux vers mes mains. Mes doigts jouaient nerveusement avec un noyau d’abricot. Mes joues brûlaient. Je ne savais plus où me mettre.
Diluc sembla le sentir. Il posa une main sur mon genou, à peine un effleurement, mais qui me fit sursauter.
— Donna est une amie, dit-il, en me regardant. C’est tout.
Un long silence. Kaeya leva les yeux au ciel.
— Une amie… avec quelques chapitres annexes, peut-être.
Je crus que j’allais imploser.
Diluc se leva.
— On remballe.
Son ton ne souffrait aucune discussion. Kaeya se contenta de hausser les épaules, mais son regard suivit Diluc avec une intensité étrange.
Je rangeai mes affaires en silence, les mains tremblantes sans raison. Une boule logée dans ma gorge. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je n’avais jamais été amoureuse. Jamais même intéressée. Et voilà que je sentais ce poids sur ma poitrine, ce tiraillement, cette colère sourde et cette tristesse confuse.
J’avais envie de pleurer. Et de frapper Kaeya. Et de demander à Diluc ce qu’il avait partagé avec cette Donna. Et pourquoi Kaeya semblait aussi… concerné.
Je relevai la tête. Diluc me regardait. Et dans ses yeux, il y avait de la douceur. Mais aussi… une forme de tristesse. De lassitude.
Je n’étais pas sûre de ce que je voyais. Et ça me rendait folle.
Je pris une grande inspiration. Je ne voulais pas qu’ils me voient fragile. Pas après cette nuit. Pas après ce moment suspendu que j’avais cru partager avec lui.
Est-ce que j’étais juste un nouveau chapitre dans sa collection de souvenirs ? Une version différente de Donna ?
Non. Il m’avait regardée différemment. Il m’avait… guidée. Touchée. Chérie. Cela n’avait rien de mécanique. Rien de feint.
Et pourtant… une part de moi doutait. Faute de repères. Faute de comprendre ce monde d’adultes et d’histoires passées qui me dépassaient.
— Je… je vais aller replier la tente, soufflai-je, déjà debout.
Personne ne me retint.
Je me penchai dans la tente, rassemblant les tissus, les sacs de couchage, les couvertures qui portaient encore notre chaleur partagée. Une odeur de cendre et de sueur, de peau et de sable. Je faillis pleurer. De honte. De colère. De confusion.
Pourquoi étais-je si troublée ? Pourquoi est-ce que j’avais mal, sans comprendre pourquoi ?
C’était un nom, juste un nom. Donna. Une fille du passé. Rien à voir avec moi. Rien à voir avec ce qu’il s’était passé entre Diluc et moi cette nuit. Et pourtant, tout en moi brûlait de doutes. Est-ce que j’étais… une distraction ? Un passage ? Une nouveauté amusante ?
Est-ce que lui et Kaeya… ?
Non. C’était absurde. Ils étaient comme des frères. Ils s’appelaient ainsi. Et pourtant… ils n’étaient pas liés par le sang. Et l’intimité dans leurs silences, leurs non-dits, était palpable. Suffocante.
Je me laissai tomber à genoux, le tissu roulé contre moi. Mes mains tremblaient.
Je ne savais pas où je me situais, ni dans leur histoire, ni dans leur vie. Et je commençais à craindre de n’être qu’un écho fugace dans un passé plus vaste que moi.