Survivre à Gantz
Près de trois semaines s'étaient écoulées depuis ma soirée avec John. Lui et moi restions régulièrement en contact pour parler de tout et de rien. Je fus surpris de réaliser à quel point ce gars était sympathique. Bien entendu lors de notre entrevue j'avais aperçu à quel point il était une personne bien plus complexe que le supposé « connard » que j'avais rencontré dans la pièce à la sphère. Lui et moi avions développé en quelques temps une véritable relation amicale. J'en venais même à croire que, même si c'était les épreuves partagées qui nous avaient rapprochées, nous aurions pu devenir amis même sans être passé par l'épreuve de Gantz. On ne reparla plus de son traumatisme ou de son vécu, préférant se concentrer sur les épreuves à venir. Lorsque l'on discutait c'était pour se soutenir mutuellement, parler un peu de Déborah afin de renforcer sa détermination, ou bien se marrer autour de sujets plus banals. Quoiqu'il en soit, à l'instar de mes acolytes, Stan et Bastien, il devint un véritable pote. Pourtant je pouvais presque entendre les réprimandes de Lucie et Roman à ce sujet bien que je n'eus aucun contact venant d'eux depuis notre dernière soirée à l'appartement. J'avais toujours en tête leur enseignement conseillant de ne pas se lier aux gens que l'on rencontrait pendant les épreuves. Si John venait à mourir, pour y avoir très vite réfléchi, je commençais à penser que je serais anéanti. Mais irais-je jusqu'à utiliser mes points pour le ramener ? Lorsque je débattais à ce sujet en mon for intérieur je ne pouvais m'empêcher de me sentir à la fois très triste et fortement égoïste. Mais dans le même temps je développais une nouvelle résolution. Si je devais me faire un ami, alors qu'il en soit ainsi ! Il y avait quelque chose de rassurant et de vivifiant à se dire que l'on ne se battait pas que pour soi, mais aussi pour quelqu'un d'autre. Je me mis alors en tête l'idée de protéger John et de l'aider à accomplir son objectif, ramener Déborah à la vie.
Un soir alors que j'étais sur le point de me coucher, mon esprit fermement résolu à cette nouvelle façon de vivre les prochaines missions, je reçus un étrange coup de téléphone. Le numéro était celui de Roman et je ne répondis pas tout de suite. Je ne sais pas ce qui me poussa à laisser la sonnerie tourner. Je ne comprenais pas pourquoi il m'appelait. Certes, Lucie et Roman avaient été des mentors, à leur façon. Mais en dehors de l'unique soirée passée chez eux et des mes deux passages à leurs cotés dans Gantz, ce n'était pas comme si nous avions développé des atomes crochus. La seule idée qui me vint était qu'il m'appelait certainement pour me donner une nouvelle information, quelque chose qu'ils auraient oubliés de me mentionner la première fois. Je décrochais donc mon téléphone juste avant que ma messagerie ne prenne le relais.
- Oui Roman ?
- Salut Alessio, désolé de te déranger aussi tard mais...
La pause qu'il marqua alors était comme lourde de sens. Il avait été très bref durant ce premier échange et je ne le connaissais pas tant que ça, mais son hésitation était très claire.
- Non t'inquiètes pas, je dormais pas encore.
- Ah okay...bien...
De nouveau il se stoppa avant d'aller au bout de son propos. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il voulait me dire mais il était désormais évident que ça ne lui était pas facile.
- Ah et puis merde. Est-ce que tu serais disponible ce soir ?
- Ce soir...mais il est déjà 23h30...
- Je sais mais, j'ai a te parler, c'est à propos de Gantz. Il y a quelque chose qui me chiffonne depuis un moment et j'aimerais t'en parler.
J'étais un peu surpris par sa demande, me demandant pourquoi il était aussi pressé. J'étais dans mon lit, avec juste mon boxer sur moi. Mon ordinateur portable était posé sur mes genoux et j'avais l'intention, potentiellement, de me branler avant de dormir. Et voilà que Roman, à qui je n'avais plus parlé depuis la dernière mission, voulait me voir.
- Si ça concerne Gantz, tu ne peux pas en parler à Lucie, demandais-je un peu énervé.
- Elle n'est pas au courant de ce que j'ai en tête.
Sa dernière phrase était très lourde de sens. Si il avait été face à moi j'aurais parié que j'aurais vu son visage s'assombrir. Je me levais presque aussitôt, commençant déjà à me rhabiller bien que je n'avais techniquement pas encore accepté de le voir. Mais l'idée d'un sujet probablement secret attisa ma curiosité. Et quel secret ! Roman, qui me connaissait à peine et dont la règle était d'éviter l'amitié avec les autres Gantzeurs, voulait partager quelque chose avec moi. Quelque chose de si lourd à porter qu'il n'en avait même pas parler à la femme de sa vie.
- Tu me fais flipper là...tu ne peux pas en parler au téléphone.
- Lucie est endormie là, j'aurais trop peur de la réveiller et qu'elle surprenne notre conversation.
- Carrément... ?
- Oui carrément, confirma-t-il très sérieusement, tu vois le bar à rhum sur la grande avenue menant à l'arc de triomphe dans le centre ville.
- Oui le Dry Dock, je connais.
C'était un fameux bar qui restait ouvert jusqu'à trois heures du matin. On pouvait y déguster principalement du punchs, des cocktails à base de rhum et bien entendu, des shooter. Un petit bar mais avec du cachet, décoré comme un vieux bateau. J'y allais souvent en soirée.
- Tu peux y être dans une demi heure ?
- Oui.
Nous raccrochâmes et je terminais de m'habiller. Histoire de bien faire je me faisais beau. Pas pour Roman évidemment, mais maintenant que ma soirée allait se passer dans un bar fortement fréquenté par des étudiants, je comptais sur la chance d'y trouver une fille pour terminer la nuit. Mais d'abord le boulot m'appelait, si les missions horribles de Gantz pouvaient être qualifiées de travail. D'ailleurs, j'eus soudainement une mauvaise impression...comme si j'oubliais quelque chose. Je fonçais vers mon placard et ouvrit le carton où j'avais posé la combinaison. D'ordinaire je la trimballais avec moi dans mon sac de cours et elle ne me quittait jamais. Mais en allant au bar je n'avais pas l'intention d'avoir un sac dans les pattes. J'entrepris donc de me déshabiller, d'enfiler la combinaison et de mettre mes vêtements par dessus. C'était presque à croire que la combinaison avait été faîte pour être portée avec des vêtements. Elle était tellement légère sur le corps qu'on ne la sentait presque pas. L'ensemble était assez bien caché. Seules les chaussures et les gants ne pouvaient être dissimulés. Les chaussures ce n'était pas important, le bas du pantalon cachant ses excroissances, elles avaient l'air de chaussures noires classiques et très lisses. Bon, les gants étaient un problème, mais nous n'étions qu'à la fin février et les beaux jours n'étaient pas encore là. Ils étaient simples à enlever et à enfiler, je n'aurais qu'à les mettre dans une poche quand j'arriverai au bar. Ainsi préparé, et quelque part rassuré, je quittais mon appartement et rejoignais le métro le plus proche.
Le Dry Dock ce soir là n'était pas trop fréquenté, normal pour un soir en milieu de semaine. Mais c'était tant mieux. Sans aucun doute la conversation que Roman et moi allions avoir risquait d'être très sérieuse et lourde de secrets concernant Gantz. Je ne souhaitais pas particulièrement que ma tête explose à cause des oreilles baladeuses de quelques étudiants défoncés au rhum. Le barman me fit un salut de la main au moment ou j'entrais. Je ne connaissais pas son nom et il ne connaissait pas le mien, mais il me reconnut aussitôt. C'est dire le nombre de soirées que j'y avais passé. Je m'installais à ma place habituelle au fond de la salle. Assis sur un haut tabouret, un vieux tonneau en guise de table, et un petit hamac tout proche si l'on souhaitait plus de confort. Roman n'était pas encore là, mais je l'en excusais car je ne vivais pas bien loin du bar contrairement à lui. Je me fis servir un Mojito en l'attendant et laissait mon regard courir dans la salle. Dans le fond une musique passait, une musique actuelle, le genre qui fait danser mais qui moi ne m'intéressait pas vraiment. J'étais plus fan du rock et de ses variantes. Il y avait un groupe d'étudiants assez bruyants proche de l'entrée ainsi qu'un couple assis directement devant le bar. Le reste était vide, et c'était pour le mieux. Encore une fois je regrettais d'avoir arrêter de fumer. L'attente provoqua un certain ennui que j'aurais bien voulu calmer en allant m'en griller une à l'extérieur. Mais dépourvu de clope, je passais le temps en détaillant les gens présents ce soir là.
Ils n'avaient rien d'exceptionnel. Le couple était un peu plus vieux, mais quand même très jeune. Certainement des étudiants eux aussi, avec quelques années de plus que moi. Le groupe qui faisait beaucoup de bruit, à croire qu'ils fêtaient quelque chose, étaient en revanche plus jeunes. Des premières années certainement. Je ne pouvais m'empêcher d'être un peu embêté par leur présence, un peu comme un vieux con se plaignant des nuisances provoquées par les jeunes. Pourtant ils devaient avoir deux ans de moins que moi, fraîchement débarqués du lycée. Deux ans en arrière et c'était moi avec mes potes assis à cette même table qui aurions fait autant de bordel. Pourtant à détailler ce groupe je remarquais rapidement une fille...et autant l'avouer tout de suite, elle me bluffa.
Si j'avais autrefois considéré Déborah comme l'une des plus belles filles que j'avais rencontré elle était désormais bien plus bas dans le classement. En réalité c'était à peine croyable. Bien entendu la beauté était quelque chose de très subjectif, variant selon les goûts et le point de vue de chaque personne. Mais celle ci avait quelque chose capable de mettre d'accord tout le monde. Je ne sais pas ce qui m'attira chez elle. J'avais croisé tout un tas de jolies filles, certaines étaient belles, d'autres avaient énormément de charme. J'en croisais souvent à la fac ou dans les lieux que je fréquentais régulièrement. Et il y avait aussi celles que je ne faisais que croiser dans les transports en publics, dans la rue, et qui attiraient mon regard. Mais à dire vrai, depuis ma mort et qu'une partie de mon esprit n'était occupé que par la survie, je n'y faisais plus vraiment attention. Quelque part je devais penser qu'il ne servait à rien de me lancer dans une quelconque relation sachant que je pouvais crever à un moment ou à un autre. Mais cette inconnue avait un charme magnétique couplé à une beauté à couper le souffle. J'aurais presque eut envie de me lever et de l'aborder si elle n'avait pas été accompagnée par toute sa bande de potes et qu'un mec n'avais pas déjà son bras autour de ses épaules. A défaut de pouvoir lui parler et toujours dans l'attente de l'arrivée de Roman, je me laissais aller à la détailler avec un air un peu rêveur sur le visage.
Bien qu'assise je devinais qu'elle avait une taille moyenne, entre le mètre 65, 70. Elle portait des chaussures plates du genre Converses, montant un peu sur ses chevilles. Son jean slim noir mettait en évidence de longues jambes fines et fermes, certainement le genre de nana à faire du sport. J'aurais aimé la voir debout pour mieux observer mais je pensais deviner, dans son maintien, qu'elle avait de belles fesses et une taille marquée. En guise de haut elle ne portait qu'un léger débardeur blanc dont le col et les bretelles étaient décorés de dentelles. Elle avait un petit buste et mais il y avait quelque chose d'assez sec et nerveux dans ses épaules. Elle avait d'ailleurs les muscles des épaules assez développés, renforçant ma théorie d'une jeune femme sportive. Elle avait une poitrine assez généreuse mais pas débordante, juste ce qu'il fallait. Des seins parfaits qui tiennent dans la main. Je détaillais ensuite ses mains du mieux que je pouvais malgré la distance qui nous séparait. Autant j'appréciais les belles courbes, les longues jambes, j'avais toujours eu une fascination étrange pour les mains. Et pour ce que je pouvais voir, elle avait de très belles mains. Une paume légère, mais des doigts assez longs et fins et de beaux ongles. Puis enfin arriva son visage. Elle avait un petit quelque chose de masculin dans son visage. Des traits peut-être un peu secs et découpés mais néanmoins harmonieux. Elle avait un petit menton, des lèvres charnues, un nez légèrement en trompette mais très discret au milieu de son visage. Je n'aurais su dire la couleur exacte de ses yeux car je ne la voyais que de profil mais je les devinais marrons. Ce que je remarquais c'est qu'ils avaient une belle forme allongée et qu'ils étaient vers le haut. Elle avait des sourcils sombres, légèrement relevés, lui donnant un air naturellement fier, peut-être même un soupçon d'arrogance. Ses pommettes étaient prononcées, mettant en valeur le creux léger de ses joues et la forme de ses yeux. Elle avait de longs cheveux noirs aux reflets presque pourpre qu'elle avait coiffé en une simple natte. Mais ils avaient un côté rebelle à voir les mèches épaisses lui tombant sur le devant des oreilles et les tempes. Pour couronner le tout elle avait une peau assez atypique, légèrement foncée. Je n'en avais pas la moindre idée mais je pariais sur un métissage quelconque.
Peut-être qu'aux yeux d'autres hommes, ou même femmes, elle n'aurait pas eut autant d'impact, mais moi, elle me laissa profondément ébahi. Je continuais de siroter mon Mojito lorsque, par hasard, elle se tourna vers moi un petit instant et croisa mon regard. Elle me fixa peut-être une ou deux secondes, pas plus, et pourtant j'eus le temps de découvrir de nouvelles choses. Elle avait effectivement une note d'arrogance dans son visage et dans son regard. Elle était belle et ne l'ignorait certainement pas. Mais il y avait aussi autre chose, un côté brutal, indomptable, quelque chose de presque agressif chez elle que je n'arrivais pas à décrire. Elle remarqua bien entendu que je la regardais et m'adressa, juste avant de se retourner vers son groupe, un étrange sourire. On aurait dit qu'elle était amusée, mais pas de la meilleure façon. Je me sentais presque jugé, presque comme si elle me disait « Essaie toujours de venir me parler, tu n'as aucune chance. ». Pendant cette seconde, j'eus presque l'impression d'être dans un safari, cherchant à obtenir le meilleur cliché possible d'un félin et tomber nez à nez sur une lionne alors que je ne m'y attendais pas. Je poussais peut-être la comparaison un peu loin mais je me sentis aussitôt très peu à l'aise et détournai enfin mon regard d'elle.
N'empêche...qu'est-ce qu'elle était belle.
- Tu attends depuis longtemps ?
Je sursautais presque sur mon tabouret. Absorbé dans ma contemplation je n'avais pas vu Roman entrer, ni même s'approcher de moi. Le beau gosse qu'il était s'était habillé impeccablement, à tel point que je ne semblais être à côté de lui qu'un misérable insecte. Je regardais une dernière fois la belle inconnue, un peu triste de devoir m'arracher à ma contemplation avant de lui répondre.
- Un peu, mais ce n'est pas grave.
Je levais la main en direction du bar et le serveur me remarqua immédiatement. Heureusement qu'il n'y avait pas foule sinon mon appel serait resté sans réponse. Roman s'installa sur le tabouret face à moi me cachant définitivement la vue avec le groupe d'étudiants et la beauté qui se trouvait parmi eux. Je pouvais faire une croix sur mes rêveries, mais après tout, je n'étais pas là pour ça. Certes j'avais espéré donner à ma fin de soirée une tournure sexuelle potentielle avec une belle inconnue. Mais je me connaissais, je n'étais pas vraiment le genre à aborder les filles comme ça, et je me trouvais d'ailleurs assez maladroit pour cet exercice. Et au fond j'étais ravi de voir Roman, son hésitation au téléphone avait fait naître en moi une certaine curiosité que j'espérais combler durant cette conversation.
- Alors comme ça tu fais des cachotteries à Lucie, dis-je afin d'entrer directement dans le vif du sujet.
- Oui, je sais quelque chose qu'elle ignore concernant Gantz et...je ne pense pas que je dois l'en informer, répondit-il en parlant bas.
- Pourtant vous êtes autant des amis que des amants...pour ce que j'ai vu bien sûr...et tu la connais bien mieux que moi, depuis plus longtemps, continuais-je, et...ah, tu prends quoi ?
Le serveur venait d'arriver et je préférais m'interrompre avant de dévoiler une information pouvant nous mener lui et moi à une explosion de la boite crânienne. A ma grande surprise il prit deux planches de shooter. Une pour lui et une pour moi. Je supposais qu'il cherchait à se donner du courage, quant à moi je n'allais pas dire non...avec mon régime un esprit sain dans un corps sain je n'avais plus bu en grande quantité depuis longtemps, et je devais admettre que ça me manquait un peu. Nous restâmes lui et moi à parler de sujets très banals, comme la pluie et le beau temps, le boulot et les études en attendant d'être servis. Nous souhaitions, lui et moi, avoir la paix avant de commencer à parler sérieusement. C'est pourquoi il ne parla qu'une fois que nous fûmes servis et qu'il s'enfila aussitôt un premier shooter.
- Lucie s'est réveillée quand je suis parti, ne t'en fais pas, elle à l'habitude. Je ne suis pas un gros dormeur et il n'est pas rare que j'aille me promener pour trouver le sommeil.
- Donc elle ne se doute de rien ?
- Non, pas même si je rentre plein comme une barrique...encore une fois il est déjà arrivé que dans mes promenades d'insomniaque je croise des amis et décide de prendre un verre avec eux.
- Mais pourquoi autant de mystère, tentais-je de préciser, je veux dire...enfin c'est Lucie, après tout c'est ta copine, si tu veux lui cacher un truc, pourquoi pas ! Mais c'est quand même de Gantz que l'on parle, elle est directement concernée. Et aussi, pourquoi moi ? Que devient la règle du « Ne pas trop sociabiliser avec les autres ? »
- Tu me poses beaucoup trop de questions auxquelles je n'ai même pas de réponses. Si, peut-être pour Lucie.
Il prit un autre shooter mais le sirota plus doucement. Je remarquais que je n'avais pas encore touché aux miens, terminant doucement le fond de mon mojito.
- Je n'en ai pas parlé à Lucie car j'ai peur que si elle l'apprend, elle fasse une belle connerie.
Je ne savais pas comment ils fonctionnaient en couple tous les deux, mais de ma propre expérience, cacher une information aussi cruciale à sa bien aimée n'était jamais un bon signe. Mais de son avis, l'information en elle même était dangereuse, au point qu'elle pouvait mener sa moitié à ne plus agir correctement. Décidément, j'avais beau me retourner l'esprit, je ne devinais pas son secret.
- Mais si tu es là c'est que tu veux en parler non, alors pourquoi à moi ?
- Je ne sais pas Alessio, j'en sais foutrement rien, dit-il en s'énervant, peut-être parce que j'ai simplement besoin d'en parler, peut-être que ça fait parti des informations que je veux te transmettre en tant que nouveau.
- Okay ! Bon...alors vas y.
Je l'encourageais car je tenais à savoir le fin mot de l'histoire. De plus, je n'allais certainement pas dire non à quelques infos supplémentaires à propos de Gantz et du merdier dans lequel j'étais fourré.
- Tu te rappelles lorsque tu es venu chez nous, on t'a expliqué avec Lucie que nous avions connu un homme ayant atteint les 100 points, pas vrai ?
- Oui, il les a utilisé pour prendre le troisième choix, retourner dans le monde normal et oublier tout ce qui s'était passé.
- Exact, t'as une bonne mémoire. Nous ne t'avons pas menti à son propos...mais il se trouve que j'en sais plus à ce sujet que Lucie.
- Comment ça ?
Je vidais mon mojito et pour le rattraper m'enfilais aussi cul sec mon premier shooter. Le liquide me brûla la gorge. Décidément je n'étais pas un amateur d'alcool fort...sans compter que ce premier shooter avec un goût bien trop sucré.
- Et bien, peu de temps avant la mission où nous t'avons rencontré, j'ai recroisé cet homme, complètement par hasard...ici en ville.
Jusque là ça ne m'étonnait pas vraiment. C'était une grande ville, mais jusque là, Gantz emmenait à lui les morts du coin. Tous les malchanceux comme nous venaient d'ici. Il était peu probable de se croiser autrement que par le biais de Gantz compte tenu de la taille de notre agglomération, mais pas impossible.
- Et donc ?
- Et donc, comme prévu, il ne m'a pas reconnu, répondit-il, mais je n'ai pu m'empêcher de remarquer des choses étranges chez lui.
- Du genre ?
- Il n'était que l'ombre de l'homme que j'avais connu dans Gantz, comme diminué, apeuré, et une espèce de lueur un peu folle dans le regard ?
- C'était un taré, demandais-je un peu bêtement ?
- Pas du temps ou il se battait avec nous, tout à fait sain d'esprit. Un type avec du courage à revendre et le genre très organisé...un chef d'entreprise ou quelque chose comme ça.
- Qui te dit qu'il n'était pas barjo dans la vraie vie ?
- Je n'en sais rien, et au début j'ai préféré en rester là, je craignais de lâcher un mot pouvant mettre ma vie en danger, ou réveiller chez lui de mauvais souvenirs...
Il laissa la un blanc tout en terminant son deuxième shooter, et attrapa le troisième.
- Mais ? Car il y a un mais je suppose, dis-je pour le relancer.
- Mais j'ai tellement été troublé par son changement d'attitude que je l'ai revu...plusieurs fois, comme toi en ce moment, dans le plus grand secret...et il m'a fait comprendre une chose par rapport à Gantz, une chose que lui même n'arrivait pas à comprendre, n'ayant plus de souvenirs de Gantz.
J'avalais mon deuxième shooter aussi vite que le premier, certainement pour calmer mon anxiété face à cette histoire de plus en plus stressante.
- On sait que lorsque l'on choisit de quitter Gantz, la machine efface de notre mémoire toutes les missions, tous les gens rencontrés dans l'appartement, les monstres, les combinaisons, bref, tout ce qui touche de près ou de loin à Gantz...mais ce n'est pas tout.
- C'est à dire ?
- Il m'a dit qu'il se sentait fou, car il y avait un vide dans sa mémoire, un vide de plusieurs mois. Il m'a parlé de gens inconnus avec qui il avait apparemment travailler. Des contrats qu'il avait signé sans s'en souvenir, et même d'une relation extraconjugale avec une femme qu'il ne connaissait pas...bref, il avait aussi oublié tout un pan de son existence dans la vraie vie, en dehors de Gantz.
- Je ne comprends pas, commentais-je simplement.
- Moi non plus au début, mais à force de parler avec lui j'ai réussi à recouper les informations et j'ai réalisé que Gantz ne faisait pas que supprimer de ta mémoire les événements liés à nos missions, mais bien absolument tout ce que tu as vécu depuis ta première mort.
Sur ces mots lourds de sens il avala son troisième shooter et posa sa main sur le quatrième. Face à lui, j'en fit autant. Je pesais chacun des mots que je venais d'entendre...mais je n'osais y croire. Car si tout ceci était la vérité alors ça voulait dire que...
- Attend, attend ! Une seconde, lançais-je en faisant un signe de temps mort avec mes mains, comment ça depuis notre première mort, je ne comprends pas.
- Tu es mort tué par un gars dans une pharmacie après une soirée non...si je me souviens bien ?
- Oui...enfin un lendemain de soirée.
- Et bien voilà. Si tu choisis de quitter le jeu cruel de Gantz, ta mémoire reviendra à ce moment là...alors que...Je ne sais pas combien de temps va s'écouler d'ici à ce que tu obtiennes 100 points, mais probablement plusieurs mois.
- Si je comprends bien...si par exemple j'atteins les 100 points au mois de novembre et que je décide d'arrêter là...je me réveillerais en pensant être toujours à ce lendemain de soirée ?
- C'est ça...tu as compris.
Si j'étais assis sur une chaise ou un fauteuil je me serais certainement enfoncé contre le dossier afin de mieux encaisser l'information. Mais j'étais sur un tabouret et je manquais de peu de me casser la gueule en me penchant en arrière...me rattrapant de justesse au tonneau nous servant de table.
- Ce, ce n'est pas possible...
- J'ai bien peur que si, dit Roman sur un ton solennel en avalant son quatrième shooter.
Mais alors, si je revenais à une vie normale, je risquais de tout oublier. Toutes les conversations passées avec Stan, Bastien, et tous les autres ! J'oublierais chaque heures de cours, chaque exercices, chaque travaux accomplis. J'oublierais ma rencontre avec John, mes retrouvailles avec Déborah. Merde, plus j'y pensais et plus la situation devenait chaotique. D'ici à ce que j'obtienne 100 points je serais peut-être passé en Master...et me réveillerais à ce moment là pensant être encore au milieu de ma troisième année d'études. J'oublierais tout ! Toute ma nouvelle façon de vivre, un esprit sain dans un corps sain, perdue ! Je redeviendrais l'imbécile qui fume, bois et participe à beaucoup trop de soirées au détriment de sa santé, de ses études et de son temps libre. Putain, j'aurais encore l'impression d'être en couple avec mon ex alors que la relation sera terminée depuis plusieurs mois. Tout oublier, tout. Même le souvenir la beauté assise à la table près de l'entrée.
- Mais, mais pourquoi, demandais-je alors.
- Je ne sais pas, mais c'est ce que j'ai compris en parlant avec ce gars. Je ne l'ai pas revu depuis un moment mais il semblait complètement perdu.
- Et, est-ce que l'on peut retrouver la mémoire ?
- Je ne sais pas. Peut-être, le gars a mentionné quelques fois que quelques bribes lui revenaient, très lentement...et que en bien comme en mal il arrivait à reconstruire sa vie.
- Tu parles d'un putain de traumatisme, tu te réveilles un jour et tu réalises que tu as manqué les derniers mois de ta vie, commentais-je.
- Oui, donc...enfin, tu vois pourquoi je n'ai pas pu en parler à Lucie ?
On se regarda lui et moi tandis que je buvais mon quatrième shooter et qu'il sirotait son cinquième. Je réfléchissais à la bombe qu'il venait de me lâcher et cherchait une raison valable pour qu'il ait décidé de ne pas en faire part à sa copine. Certes, l'information en elle même avait de quoi vous décourager de quitter Gantz...quoiqu'il restait le mince espoir de retrouver lentement ses souvenirs et de rebâtir ce qui avait été perdu. Encore fallait-il espérer ne pas se souvenir de Gantz et des événements traumatiques des missions. J'eus beau y réfléchir je ne voyais pas de bonne raison pour Roman de ne pas faire part de tout ça à Lucie. C'était sa meuf bordel, comment pouvait-il cacher quelque chose comme ça à sa meuf ? Ils avaient tout fait ensemble, dès la seconde où ils s'étaient rencontrés dans Gantz...
- Oh...merde, dis-je en réalisant le cœur de son problème, vous vous êtes rencontrés dans Gantz.
- Oui...voilà le problème, affirma Roman, au début nous pensions elle et moi que même si nos souvenirs de Gantz étaient effacés, ils nous resteraient tout ceux de la vraie vie, et que, par conséquent, d'une manière ou d'une autre, notre relation ne serait pas vraiment affectée.
- Sauf que là, si vous atteignez les 100 points ensembles, alors vous vous réveillerez l'un à côté de l'autre, deux inconnus partageant le même appart, le même lit...
- Ce sera choquant de se réveiller auprès de quelqu'un que l'on ne connaît pas et de réaliser qu'apparemment on vit ensemble depuis longtemps, commenta Roman.
- Mais...mais je ne vois toujours pas pourquoi tu ne lui en as pas parlé, je veux dire, tu aurais du lui en parler, pour vous préparer au pire...je sais pas moi, vous laissez des indices afin que vous puissiez vous retrouvez.
- Non !
Il avait violemment frapper du poing sur le tonneau et me regarda avec une certaine violence. Décidément je ne voyais toujours pas où il venait en venir.
- J'ai pensé à ça évidemment, lui en parler, que l'on décide ensemble de la marche à suivre, se laisser je sais pas...des lettres, des photos, un peu comme une piste de miettes de pain à suivre pour que l'on retrouve tous les deux le chemin qui nous réunit...mais tu ne connais pas Lucie aussi bien que moi.
- Alors éclaire moi, parce que là tu passes juste pour un égoïste.
J'étais peut-être violent de lui parler ainsi, et c'était peut-être l’hôpital qui se foutait de la charité, mais c'était ce que je ressentais envers lui à cet instant.
- Je connais Lucie, elle est forte, elle est courageuse et elle est têtue...ma pire crainte, si je devais lui en parler, sois qu'elle choisisse de ne pas quitter Gantz.
- Tu veux dire, pour ne pas perdre ses souvenirs, pour être certaine de rester avec toi ?
- Oui...alors je ne vais pas lui en parler, parce que je veux qu'elle vive.
J'humectais mes lèvres avec mon cinquième shooter, tout en reprenant son argument. Il n'était pas égoïste...au contraire. L'homme que j'avais en face de moi souffrais terriblement, car il savait comment tout ceci allait se terminer. Mais il était prêt, prêt à souffrir pour que Lucie n'en sache rien. Car elle, de son côté, elle devait toujours être sur son petit nuage. Elle devait penser qu'ils atteindraient bientôt les 100 points, qu'ils seraient libres, et qu'ils continueraient leurs vies tranquillement. Mais lui il savait ce qui allait se passer...et jusqu'à ce que sa mémoire soit effacée il allait souffrir en sachant qu'il allait la perdre, quoiqu'il fasse...uniquement pour qu'elle puisse reprendre sa vie normale.
- Désolé...tu es loin d'être égoïste, dis-je alors.
- Non tu as raison, en ne lui en parlant pas je choisis pour nous deux.
- Mais que va-t-il se passer lorsqu'elle se réveillera et qu'elle te verra dans son appart avec tes fringues dans sa penderie et tes meubles un peu partout...je veux dire, le problème de votre « retour à la vie normale » ne sera pas réglé.
- Je vais la quitter avant la prochaine mission.
Et voilà qu'il me lâchait encore une bombe tout en avalant son cinquième shooter, et je l'imitais afin de ne pas être abattu par le sérieux de cette conversation. Et avant que je ne puisse lui poser une nouvelle question il m'expliqua son idée.
- J'ai toujours mon ancien appart, il appartient à mon oncle. Et j'ai même déjà commencé à y bouger certaines de mes affaires...il ne me reste plus qu'à...je sais pas, la quitter, d'une manière ou d'une autre.
- C'est sûr que d'ici à votre résurrection, si tu fais tout ça, il n'y aura plus rien pour vous relier...mais c'est encore pire quelque part, parce que si tu fais ça il n'y aura plus la moindre miette de pain.
- Et qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre Alessio ? Après tout sans Gantz elle et moi ne nous serions peut-être jamais rencontrés en réalité ? Et sinon, quelles sont mes options ? Lui en parler et craindre qu'elle veuille simplement continuer à faire des missions pour ne pas que l'on soit séparés...au risque que l'on meurt tous les deux bien entendu ? Ou alors rester avec elle, créer un scénario avec des indices pour nous aider à retrouver la mémoire, à la condition que l'on ne deviennent pas fous tous les deux !
Il parla alors si fort qu'il couvrit la conversation du groupe de jeunes et que l'on n'entendit plus que lui. Je lui intimais d'un geste de baisser le ton...heureusement personne ne semblait avoir clairement entendu de quoi il parlait grâce à la musique qui était assez forte. Pas de risque d'explosions de la cervelle...mais on avait eu chaud. Il se calma, et avala son sixième shooter. Je ne pouvais pas le blâmer, quelque part, son choix, aussi égoïste qu'il soit, était peut-être le plus sensé. Il allait la faire souffrir juste avant qu'ils n'atteignent les 100 points mais au moins ils seraient libres tous les deux...et reprendraient leurs vies comme si de rien n'était. Rien de tout ceci ne devait lui plaire, mais à l'entendre je comprenais qu'il devait y penser depuis un moment. Il s'était certainement rongé les sangs à penser constamment à la fin de leur aventure. Il avait certainement passé des nuits blanches à réfléchir à ses options. Et voilà qu'il exposait son plan final...à moi. Je pouvais comprendre désormais pourquoi il avait voulu m'en parler. Comme il l'avait dit c'était une information cruciale pour la continuation de mon parcours. Mais il avait tout simplement eut besoin d'en parler, et à sa place, un tel secret m'aurait simplement bouffé de l'intérieur.
- Bon, je comprends pourquoi tu m'as appelé...je tiens à dire que je suis pas vraiment d'accord avec ton idée, mais ce n'est pas à moi d'en décider.
- Non, toi tu es plutôt amateur des petites miettes, dit-il avec une touche d'humour.
- Ouais, vu que vous êtes ensembles et que ça à l'air de coller entre vous, je sais pas, je dois être un peu fleur bleue et me dire que ça serait mieux si vous arriviez à vous retrouver.
- Peut-être...bref. Tu sais tout.
- Ouais.
Nous restâmes quelques instants silencieux lui et moi, on se regarda d'un air entendu et nous reprîmes la conversation sur d'autres sujets histoire de terminer cette soirée sur une note moins dramatique. Nous n'avions plus besoin de parler de ça, il savait que j'avais compris ce qu'il voulait dire, et même si je n'étais pas d'accord avec son choix il savait que je le respectais. Lui même avait aussi fait sa part de boulot afin de m'informer, me permettant à moi aussi de me préparer à la fin de mon parcours au sein de Gantz. Il n'y avait plus rien à dire alors on sirota lui et moi ce qu'il nous restait de shooter tout en discutant de tout et de rien. Il me quitta peu après, payant pour tout ce que nous avions consommé, y compris mon mojito, et je le remerciais pour l'invitation. On se serra la main de façon solennelle et il quitta le bar. Je me levais peu après, saluant le barman et m'apprêtant à quitter les lieux.
Je passais à cet instant près de la table des jeunes, et je marchais juste à côté de la chaise où se trouvait la fille à la beauté renversante. A ma grande surprise, à mon passage, elle se tourna vers moi un court instant et m'adressa un simple sourire. Contrairement à celui du début de soirée, celui ci me sembla presque chaleureux, comme si la lionne s'était calmée entre temps. Je ralentissais le pas, pensant un instant à lui demander si elle voulait un verre, peut-être finir cette soirée sur une note encore plus fantastique à ses côtés. Mais je continuais mon chemin, lui rendant tout de même son sourire. Je me retrouvais alors dans la rue, repensant à tout ceci. Jusque là, j'avais décidé de soutenir John par tous les moyens afin de pouvoir ramener Déborah, mais maintenant je me sentais aussi connecté à Roman d'une manière ou d'une autre. Lui et Lucie méritaient de partir, ils en avaient assez bavé à travers bien plus de missions que moi. Et aussi triste que soient les conséquences de leur départ, je ne pouvais que prier pour que le hasard joue en leur faveur et qu'ils se retrouvent un jour. C'était quand même un sacré coup de pute quand on y pensait. On était obligé de participer à un jeu de massacre extrêmement dangereux, et même quand on arrivait à terminer la partie, Gantz nous prenait tout ce que nous avions vécu durant le jeu et au dehors. Il fallait survivre pour atteindre 100 points et ensuite survivre à la folie et l'incompréhension de se réveiller un jour et réaliser que l'on avait perdu des pans entiers de notre mémoire. Bordel ! Je ressassais pendant tout le trajet jusqu'à chez moi, pestant sur notre situation, pestant sur la combinaison que je portais sur moi. Cette combinaison que je me traînais partout par peur de l'oublier Je rageais à l'idée d'avoir à me battre encore longtemps pour finir par une fin aussi amère. Mon moi qui se réveillerai dans le futur risquait certes de devenir fou en réalisant tout ce qu'il avait manqué, mais au moins il oublierai tout ce que je vivais en ce moment. Même la fille du bar...merde, j'aurais au moins du lui causer...