Le Boucher
Il y avait quelque chose de positif dans l’air aujourd’hui. Il se sentait en veine. S’il restait sur les sentiers battus il finirait bien par tomber sur des brigands. Un vieil homme seul, avec une allure sinistre pouvait décourager certains, du moins. Ce serait une vraie bande d’incapables s’il arrivait à traverser la forêt sans que personne ne le remarque ou ne s’occupe de lui.
Comme il arrivait aux Bois Aux Loups, la forêt devint de plus en plus touffue. Elle comptait des chênes gigantesques, tout noueux, des saules gracieux, des ormes graciles, et toutes leurs branches étaient entremêlées à perte de vue - et bien au-delà, se disait Mors. Le soleil de midi lançait ses rais chatoyants à travers les feuilles, et la brise charriait l’écho de cascades miniatures appartenant à des cours d’eau invisibles. C’était un lieu de beauté et d’enchantement.
À sa gauche, un écureuil cessa de chercher sa nourriture pour observer avec prudence le vieil homme qui passait devant lui en trottinant. À son approche, un renard se tapit dans les fourrés et un serpent se glissa sous un tronc d’arbre tombé à terre. Au-dessus de lui, les oiseaux chantaient, dans un chorus plein de vie.
Durant tout l’après-midi, Mors chevaucha sans rencontrer personne. A la nuit tombante, il se rendit compte qu’on l’épiait.
Il n’arriverait jamais à expliquer comment il pouvait ressentir ce genre de chose. C’était un picotement dans la nuque, comme s’il prenait conscience, tout d’un coup, que son dos était devenu une grosse cible. Quelle qu’en soit la raison, il avait appris à faire confiance à ses sens en la matière. Il dégagea légèrement son épée en acier Valyrien de son fourreau.
Quelques instants plus tard il pénétra dans une clairière, au milieu d’une hêtraie. Les hêtres étaient fins comme des bâtons et reposaient contre des chênes.
Au milieu de la clairière, sur le tronc d’un arbre abattu, un jeune homme était assis. Il portait des vêtements qu’il avait dû coudre lui-même, et des cuissardes en cuir. Il y avait une longue épée sur ses genoux, et à côté de lui un grand arc et un carquois de flèches à pennes d’oie.
- Bonjours mon ami. Lança-t-il à l’approche de Mors.
- Bonjour à toi, mon garçon, répondit Mors, repérant un mouvement sur sa gauche, dans les taillis.
Un autre bruissement de tissus contre une branche lui vint de sa droite.
- Et qu’est-ce qui vous amène donc dans notre charmante forêt ? lui demanda le jeune homme.
L’air de rien, Mors descendit de son cheval et marcha jusqu’à un hêtre pas trop éloigné, et s’assit, bien adossé à l’écorce.
- Tu dis que cette forêt est à toi ? Demande Mors en le regardant avec froideur.
- Non, j’ai dit que cette forêt est à nous. Fit le jeune en souriant plus amusé que jamais, mais vous n’avez pas répondu à ma question.
- Exacte, réplique Mors en plantant son épée au sol. J’aime bien m’isoler de temps en temps en pleine nature.
- Ah, oui. La solitude ! Et maintenant, voilà que vous avez de la compagnie. Ce n’est peut-être pas votre jour de chance.
- Je ne crois pas à la chance, fiston.
Le jeune homme observa l’épée de Mors puis sourit encore.
- C’est une épée en acier Valyrien n’est-ce pas ?
- Oui. Fit Mors en le regardant dans les yeux.
- Elle a un nom ?
- Oui.
- Et c’est … ?
- Epée, rétorqua-t-il en souriant. Pourquoi ne dis-tu pas à tes amis de nous rejoindre ? C’est humide, un sous-bois.
- Je manque à tous mes devoirs, pour sûr. Jeof, Rilo, sortez de là et venez dire bonjour à notre invité. L’air penaud, deux autres jeunes hommes se frayèrent un chemin dans la verdure pour venir aux côtés du premier. Ils portaient tous les deux les mêmes vêtements verts et les cuissardes de cuir.
- Nous sommes au complet, dit le premier.
- Non, fit Mors froidement. Il manque le jeune homme avec l’arc long.
Le jeune homme se mit à rire.
- Sors, Will. Rien n’échappe à ce grand-père, semble-t-il.
Le quatrième sortit à découvert. Il était petit – un gamin, pensa Mors. Mais son regard était meurtrier.
- Et cette fois-ci, mon cher, nous sommes bel et bien au complet. Soyez donc assez aimable pour vous délester de tous vos objets de valeur. A commencer par cette épée sans nom, elle me plait bien.
- Tu sais comment je l’ai eu cette épée ?
- En tuant son ancien propriétaire, je présume ?
- Exactement, fit Mors en se levant et en tournoyant son épée.
- Je devine par votre allure que vous êtes un sacré gros morceau, même pour moi qui sait manier une lame. Que dites-vous d’un duel avec Will l’écarlate, meilleur épéiste de la bande, si vous perdez vous laissez l’épée, mais si vous sortez vainqueur, on vous invite à diner. Je vous aime bien ; vous me rappelez mon propre grand-père.
Mors regarda le dénommé Will qui leva une épée bâtarde en la tournoyant d’un geste vif.
« Ce gamin n’est pas ordinaire ! » - Marché conclut.
Mors marcha à sa rencontre. Will l’écarlate était souple et le prouva en attaquant le premier sans crier gare. Mors fit une pirouette et dévia la lame vers la gauche, puis lança une transversale que Will para avec adresse, il tournoya sur lui-même et lança un coup circulaire que Mors dévia d’un côté pour lui entailler l’avant-bras. Will cria de douleur et recula en tenant son arme par l’autre main.
« Fichtre, il est ambidextre. »
- Aller approche, fils de pute. Grogna-t-il furieusement.
Will réussit à tenir son épée avec deux mains. Mors décida que le combat avait assez duré, soit il tuait le garçon d’un coup, soit il lui coupe les deux mains, il se défendait bien, mais manquait de discipline. Will chargea avec des attaques et des estocs que le Boucher para sans céder du terrain, c’est là que le gamin commit l’erreur d’interrompre la séquence d’attaque. Mors contre attaqua en le blessa a la cuisse puis l’aine. Will tomba a terre et Mors tournoya l’épée pour l’achever quand il suspendait son geste.
« Bon sang, ce damoiseau est une fille déguisée en garçon. » En le voyant hésiter, Will essaya de récupérer son épée, mais Mors le frappa violement d’un coup de pied au ventre. - Est-ce que tu veux mourir mon garçon ? Demande Mors froidement, tu as mal combattu et tu as perdu, acceptes ta défaite comme un grand. Toi la bas ! Ajoute-t-il au chef de la bande, j’ai gagné ton pari.
- Alors vous êtes mon invité pour diner ce soir. Dit le chef d’une voix douce.
Il s’approcha de Will et l’aida à se relever.
- Tu t’es bien battu, mon vieux.
- Il s’est battu comme un idiot, déclara Mors.
Will s’approcha de Mors et le regarda dans les yeux.
- Tu sais quoi ? Je crois que je vais quand même essayer de tuer d’une façon ou d’une autre.
- Oh, mon pauvre cœur est terrorisé, répondit Mors.
- Peut-être voudrais-tu remettre ça, espèce de vieux salaud, que je t’explique ce que signifie être terrorisé, rétorqua Will.
Cette fois le chef intervint pour de bon.
- Will ça suffit, t’as beau être bon avec une épée, mais contre ce type tu n’as aucune chance, laisse tomber.
Will bouillonnait de plus en plus, il n’avait jamais perdu, même contre des chevaliers errants, ou des bandits de grands chemins.
- Ce vieux m’a pris en traître.
- Je suis certes vieux, mon garçon. Réplique Mors en rangeant son épée. Mais bien plus avisé, tu aurais des leçons à prendre de moi.
- De qui tu as pris les tiennes, toi ? réplique Will d’un ton méprisant.
- J’ai combattu des adversaires qui n’auraient pas eu le moindre mal à te tuer de la main gauche pendant qu’ils occupaient leur droite à pisser. Accepte ta défaite comme un grand et passe a autre chose.
- Va te faire foutre.
Will détourna les talons et quitta le groupe en direction de la forêt, le chef poussa un soupire puis se tourna vers Mors.
- Je m'appelle Osmund, bienvenu chez nous.
- Mors Westford.
- J'étais sur que vous n'étiez pas n'importe qui ! S'écria Osmund.