Sans perdre de temps

Chapitre 17 : Catabase

5215 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/07/2020 19:03

Elle ne l'avait pas vu, elle n'en avait pas eu le temps. En une fraction de millième de seconde, il s'était approché, avait saisi un couteau dans le bloc sur le comptoir et, d'un coup brusque, l'avait enfoncé dans ses chairs. La douleur était sourde, elle se diffusait lentement dans tout son corps jusqu'à l'emplir totalement. Même après avoir passé tout ce temps en tant que zombie, Liv ne parvenait pas à s'habituer à cette sensation.


Elle s'efforça de se concentrer. Si le monstre en elle remontait à la surface maintenant, elle ne répondrait plus de rien. Et cela, elle ne pouvait pas se le permettre, si elle voulait que son plan se déroule sans accroc. Elle avait besoin de toute sa tête si elle voulait continuer à faire germer les graines du doute dans l'esprit de Barry. Sans connaître le potentiel exact du produit qu'elle avait volé à STAR Labs, il lui fallait des bases solides avant de se jeter dans le grand bassin.


Restait un problème : ce Barry qui se tenait devant elle, attentif, comme s'il attendait de voir ce qu'elle allait faire avant d'agir. Quelque chose lui disait qu'il n'était pas celui qu'elle connaissait. Bien qu'ils se ressemblent trait pour trait, d'autant plus dans la pénombre, il émanait de lui une aura de danger, une impression morbide, aux antipodes de l'innocence naïve qu'exhalait le Flash qu'elle avait vu jusque-là.


— Qui es-tu ? demanda-t-elle.


Il fallait gagner du temps. La seule solution résidait dans la cache qu'elle avait ouverte peu de temps avant l'arrivé de l'intrus. Leonard Snart ressemblait bien au genre de type qui laisse des armes dissimulées un peu partout, juste au cas où.


— Tu sais qui je suis, répondit l'autre, moqueur. Et moi, maintenant, je sais ce que tu es. Alors dis-moi, Liv Moore, comment as-tu eu ces pouvoirs ?


Elle baissa de nouveau les yeux vers l'arme, qui dépassait toujours de son ventre, telle une excroissance grotesque. Elle y plaça sa main gauche et après une grande inspiration, commença à retirer la lame, centimètre par centimètre. En même temps, elle continuait à chercher à l'aveugle. Du temps, il lui fallait plus de temps.


— Pourquoi, ça te fait envie ? répliqua-t-elle en brandissant le couteau finalement extrait.

— Qui ne rêve pas d'immortalité ?


Alors qu'il terminait sa phrase, la main de Liv rencontra une poignée. Avec une lenteur prudente, elle s'en saisit et sortit l'objet de sa cache. Il était lourd mais maniable, même si la crosse demeurait un peu trop large pour ses petites mains. Elle retint un soupir de soulagement quand son doigt arriva jusqu'à la détente. Il s'agissait bel et bien d'une arme.


— C'est pas si marrant que ça en a l'air. Comme tu le vois, il y a des gens qui pensent que c'est une excuse valable pour te poignarder impunément et ça, chéri, c'est pas très gentil.


Elle sortit l'arme de sa cachette aussi vite qu'elle le put et tira. Un rayon bleu traversa la pièce, évité de peu par l'étrange Barry. Il ne put toutefois pas l'esquiver en totalité, et des étoiles de givre se formèrent sur sa combinaison sombre.


La lumière émise par l'arme avait illuminé la pièce pendant un court instant. Liv eut à peine le temps de comprendre ce qu'elle voyait quand elle aperçut l'immense cicatrice qui barrait le visage de son adversaire. Cette fois-ci, elle en était sûre et certaine : cet homme n'était pas Barry.


Il poussa un cri, de douleur ou d'indignation, elle ne le parvint pas à le déterminer. Haletante, elle lâcha le couteau, qui tomba sur le sol dans un bruit sec, et agrippa des deux mains la poignée du fusil, prête à refaire feu s'il tentait quoi que ce soit.


— Tiens, tiens… Alors c'est là qu'il l'avait laissé… dit-il tandis que le givre rongeait son armure. J'aurais dû m'en douter.


Alors qu'elle allait tirer de nouveau, Liv entendit grincer la porte derrière elle. Barry — le vrai, cette fois-ci — sans doute réveillé par le raffut qu'ils avaient provoqué, se tenait dans l'encadrement de la porte. Sans un mot, il observa l'homme dont la silhouette se découpait à la lumière des lampadaires. Sur son visage passaient à tour de rôle des expressions de choc et de perplexité, jusqu'au moment où il comprit ce qu'il voyait.


— Tu es moi… dit-il simplement. Le futur Flash…

— Il t'en aura fallu du temps pour comprendre, ricana l'autre, moqueur. Je suis celui que tu deviendras un jour.


Quelques secondes passèrent. Liv observait tour à tour les deux hommes qui se faisaient maintenant face. Alors, il était bel et bien Barry ? Une forme plus sombre, plus cruelle, plus puissante aussi, sans doute. S'il ne se décidait pas à partir, zombie ou non, Liv n'était pas certaine de survivre à cette rencontre.


— C'est toi qui as tué Len.


Ce n'était pas une question. Barry venait de comprendre ce qui s'était passé cette nuit-là, et Liv aussi.


— Pourquoi ?

— Il devait mourir. Il le fallait, pour que je puisse naître.


Il marqua une pause pour reprendre son souffle, la main toujours posée sur son armure, là où le fusil réfrigérant l'avait touché. Il recula d'un pas, puis deux, comme s'il hésitait à fuir, mais se ravisa finalement.


— Ça m'a brisé le cœur, tu sais… Tout comme ça me détruira quand je devrais tuer Iris, mais je n'avais pas le choix. Tu ne m'as pas donné le choix.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Tu le sauras bien assez tôt. Maintenant écarte-toi, que je nous débarrasse de cette petite gêneuse.


Son regard se tourna vers Liv, qui sentit un frisson descendre le long de sa colonne vertébrale. Elle continuait de braquer l'arme sur lui. Tant qu'elle aurait cette distance de sécurité avec lui, elle ne courait aucun danger. Elle ne se laisserait pas tuer sans se battre.


— Je ne me laisserai pas avoir une seconde fois, cracha-t-il avec arrogance alors qu'il s'approchait d'elle. Abandonne. Ni toi, ni lui ne faites le poids contre moi.


Il fit encore un pas vers elle. Cette fois, pas le choix. Si elle voulait sortir vivante de cette pièce, il lui faudrait utiliser son dernier atout. Feignant un air résigné, elle baissa le fusil et le laissa tomber sur le sol. En un instant, elle calcula l'espace entre elle et Barry. Ce serait limite, mais elle pourrait l'atteindre en faisant un pas vers lui, si elle tendait le bras au maximum.


Elle avait déjà trompé son ennemi une fois. La manœuvre était la même, et la blessure qu'elle lui avait infligée pourrait jouer en sa faveur. Lentement, elle dirigea sa main vers la poche de sa veste et en sortit l'injecteur qu'elle avait volé chez STAR Labs. En même temps, elle s'avança vers Barry, comme pour se dissimuler derrière lui. Celui-ci, dans un geste protecteur, l'écarta de leur adversaire.


— Si tu crois que je te laisserai faire, Savitar… lança-t-il en serrant le poing.

— Essaie toujours de la défendre, mais tu sais que tu ne peux rien contre moi.


C'était le moment. Profitant que l'attention de Savitar était portée sur Barry, Liv fit sauter le capuchon qui recouvrait l'aiguille et d'un coup sec, enfonça la seringue dans le cou du super héros. Désolée, pensa-t-elle tandis que le liquide rouge s'écoulait, consciente tout de même qu'elle n'avait aucune autre solution.


Barry faillit porter sa main à son cou, mais arrêta son geste au dernier moment. Il resta hagard un instant, les yeux perdus dans le vague. Mais déjà la tension dans la pièce avait augmenté d'un cran. L'attention de Savitar s'était, en l'espace d'un instant, détournée de Liv pour se concentrer sur son alter ego.


— Qu'est-ce que tu lui as fait ?


Liv n'en était pas certaine elle-même. Elle connaissait les effets du Max Rager, autant sur le corps que sur l'esprit de ses consommateurs, mais comment savoir à quel point Barry avait été affecté ? Le produit n'était qu'un prototype, qui n'avait jamais été testé. Il pouvait tout aussi bien tomber raide mort dans la seconde.


Ce ne fut pas le cas. Après un moment de confusion, il inspira à fond et cligna plusieurs fois des yeux, comme pour s'assurer de la réalité de ses perceptions. Un crépitement résonna dans le silence, puis tout son corps se couvrit d'éclairs. La vision n'aurait pas été inhabituelle, s'ils avaient gardé leur habituelle teinte orangée, mais ceux-ci étaient différents. Variant du blanc pur au bleu profond, ils semblaient animés de leur propre conscience et menaient une danse étrange et envoûtante. Ses yeux eux aussi avaient changé de couleur, s'éclaircissant au gré des rais de lumière qui parcouraient sa peau. Il brillait dans ses pupilles un éclat dément qui ne tarderait plus à remonter à la surface.


Savitar, lui, restait toujours interdit. Il fit un pas en arrière, le regard braqué sur Barry. Il semblait prêt à s'enfuir, mais sans pouvoir détacher le regard de ce qui se passait devant lui. D'une main, il pressait son crâne douloureux, plié par une force invisible.


— Qu'est-ce que tu lui as fait ? répéta-t-il, sifflant entre ses dents.


Liv n'aurait su répondre. Elle l'avait rendu plus fort, plus rapide, plus imprévisible ; mais jusqu'à quel point ? Elle aussi recula d'un pas, par précaution.


— Je lui ai donné de quoi te battre, déclara-t-elle en s'efforçant de maintenir un air assuré. Je lui ai donné l'opportunité de sauver Leonard Snart.


Au moment où leurs regards se croisèrent, un éclair blanc traversa la pièce. L'instant d'après, Barry avait disparu, les laissant tous deux face à face. Liv baissa les yeux. Le fusil cryogénique reposait à ses pieds, mais elle n'était pas certaine de pouvoir l'attraper sans éveiller les soupçons de Savitar. Le couteau, qu'elle avait laissé au sol un peu plus loin, semblait une meilleure solution. Si elle faisait semblant de trébucher, elle pourrait le ramasser sans encombres. Pourtant, quand elle jeta un rapide coup d'œil vers la cuisine pour s'assurer de son emplacement, il avait disparu. Dans une dernière vaine tentative, elle observa aux alentours. Il avait peut-être glissé derrière une porte ou sous un meuble ? Elle eut beau chercher, elle ne vit rien. Le couteau s'était bel et bien volatilisé.


Pendant ce temps, Savitar avait revêtu son armure au complet. Et, alors que Liv se résignait à vivre ses derniers instants, il tourna les talons et se dirigea vers la sortie.


— Ne te crois pas sauvée, Olivia Moore, dit-il en la désignant d'un doigt menaçant. Je reviendrai m'occuper de toi une fois que j'en aurais fini avec Barry.


L'instant d'après, elle était seule. Le silence complet reprit sa place dans l'appartement et, pour la première fois, elle se rendit compte que, malgré l'été déjà bien entamé, il y faisait froid. Un froid étrange et pesant, qui ne pouvait pas être seulement attribué au rayon réfrigérant qu'elle avait tiré dans la pièce quelques minutes auparavant.


Ses genoux finirent par lâcher sous son corps et Liv s'écroula sur le plancher. Elle avait beau être morte, la peur ne la ménageait pas et la paralysait tout autant qu'un être humain ordinaire. La présence de Savitar, cette puissance qu'elle décelait en lui et dont elle n'avait pas eu le temps de se soucier dans le feu de l'action lui revenait comme une lame de fond. Elle avait fait face à l'un des êtres les plus puissants du monde, sinon le plus puissant. Il lui fallut de longues secondes avant d'être capable de bouger de nouveau.


À la terreur de cette rencontre aussi impressionnante qu'inattendue se superposait le soulagement. Elle avait réussi. Aucune des parties de son plan ne s'étaient déroulées comme elle l'avait prévu, mais à présent, elle avait bon espoir que Barry soit reparti dans le passé et que la résolution de ses problèmes ne soit plus qu'une question de temps.


Quand elle parvint à se hisser sur le canapé, elle s'allongea et s'offrit le confort de souffler. Tous ces événements s'étaient déroulés bien trop vite. Depuis sa transformation en zombie, sa vie n'avait plus jamais été ordinaire, mais elle avait tout de même préservé un semblant de routine. Le cadavre arrivait, elle mangeait son cerveau, ses visions l'aidaient à arrêter le tueur et c'était reparti pour un tour. Jamais ses pouvoirs ne l'avaient emmenée aussi loin, aussi vite. En l'espace de quelques jours, elle avait fait la connaissance de toute l'équipe Flash, qui n'avaient été jusque-là pour elle qu'une réalité aux antipodes de la sienne. Désormais, elle avait l'impression de les connaître depuis des années.


Son repos fut de courte durée. Alors qu'elle savourait sa victoire proche et attendait la fatidique remontée dans le temps, une douce lumière bleue illumina toute la pièce. Elle se releva dans un grognement et se retrouva face à Cisco et ses énormes lunettes noires, ainsi que Babineaux, pistolet solidement en main. Ils se regardèrent, droit dans les yeux, pendant de longues secondes, jusqu'à ce que Cisco décide de prendre la parole :


— Où est Barry ? demanda-t-il, même si Liv restait persuadé qu'il le savait déjà.


Pour toute réponse, elle dirigea son regard vers la seringue vide qui gisait au sol. Le réservoir de verre s'était fissuré à l'impact et quelques gouttes de liquide rouge tâchaient le plancher.


— On arrive trop tard, il est parti, expliqua-t-il à Babineaux, qui baissa tout de suite son arme. Caitlin, dis-moi que tu l'as encore sur les radars et qu'il est juste parti faire un tour, par pitié…


Il porta la main à son oreille, attendit quelques secondes et lâcha un « Merde ! » chargé d'exaspération.


— Est-ce que… tu as… la moindre idée… de ce que tu as provoqué ? articula-t-il en direction tandis qu'il faisait les cents pas autour de la pièce. On a aucune idée des conséquences que ça aura ! Il pourrait bouleverser l'espace-temps tout entier, et maintenant, grâce au « petit boost » que tu lui as apporté, il n'aura même pas la jugeote de faire attention à ne rien modifier de fondamental !


Liv se retint de renchérir en disant que, tel qu'elle l'avait vu, un manque de jugeote paraissait l'euphémisme du millénaire. Bien qu'elle ne connaisse pas aussi bien que ses coéquipiers l'étendue des dommages que Barry pourrait causer, elle ne s'inquiétait pas. Le risque qu'elle venait de prendre était calculé, et le seul moyen pour elle de sortir de cette histoire sans que le secret des zombies ne s'ébruite. Son principal objectif était d'empêcher la mort de Leonard Snart à Seattle, afin qu'il n'atterrisse jamais sur sa table d'autopsie, qu'elle ne mange jamais son cerveau et qu'elle ne soit jamais repérée par l'A.R.G.U.S. Il pouvait bien se faire tuer dès son retour à Central City, ça ne lui faisait ni chaud ni froid…


A cette pensée, elle s'arrêta un instant. Quand était-elle devenue aussi froide ? Si elle avait décidé de pousser Barry à remonter le temps, quelques heures auparavant, alors qu'elle était prisonnière de sa cellule, ce n'était pas seulement pour elle. Elle se souvenait parfaitement avoir été touchée par son malheur, et qu'un petit coup de pouce du destin — ou d'une zombie placée ici par la providence — était tout ce dont il avait besoin pour passer à l'action. Bien sûr, elle avait mené son plan avec ses propres intérêts et ceux de tous les autres zombies en tête, mais elle ne pouvait prétendre n'avoir pas aussi voulu aider Barry.


Le cerveau, se dit-elle finalement. Oui, c'était ce cerveau qu'elle avait mangé qui la rendait aussi monstrueuse. Elle se rappela soudain ce tueur à gage, sous l'influence duquel elle était lors de la mort de Lowell. D'abord bienvenu pour faire face à toutes les émotions intenses qui la submergeaient, il était devenu un fardeau, une barrière de plus entre elle et l'humanité. Et la même chose était en train de se produire avec cette drôle de vieille dame à la vie bien plus mouvementée que ce que Ravi avait prévu.


— Qu'est-ce qu'on fait, alors ? demanda finalement Babineaux.

— On attend, répondit Cisco avec un soupir vaincu.


***


Snart observait son reflet dans le miroir, la clé USB serrée au creux de son poing. Il n'arrivait pas à croire qu'il s'apprêtait à faire une chose pareille, mais c'était la seule solution. Si jamais on la lui dérobait, il aurait fait tout ce travail pour rien et sa fierté lui interdisait de revenir bredouille à Central City.


Il allait porter la main à sa bouche, après une longue inspiration, quand un éclair traversa la pièce. Il crut d'abord aux phares d'une voiture qui serait passée près de sa fenêtre, mais il comprit vite qu'il ne s'agissait pas de ça. Ce frisson qui passa dans tout son corps, entraînant avec lui une vague de chair de poule, il le reconnaîtrait entre mille. La force véloce.

Il tourna le tête en direction de la chambre. Une silhouette vêtue d'une lourde armure sombre lui faisait face. Il ne bougeait pas et se contentait de rester debout à deux mètres de lui, imperturbable. Il semblait l'observer, peut-être le jaugeait-il. Sans hésiter un seul instant, Snart sortit son pistolet de son holster et le braqua devant lui.

Quand il était parti à Seattle, il n'avait pas voulu emporter son fusil cryogénique avec lui, trop visible et trop encombrant. Il se contentait donc d'un 9mm des plus classiques, qui aurait pu faire l'affaire s'il s'était retrouvé face à un adversaire ordinaire.


Celui qui se tenait devant lui, il le connaissait. Il ne l'avait encore jamais vu, mais le peu que Barry avait pu lui dire de lui correspondait à la perfection. Savitar. S'il était aussi rapide que ce qu'on lui avait dit, une balle ne suffirait jamais à l'arrêter, mais c'était tout ce que Snart avait à sa disposition.


Peu à peu, l'idée qu'il allait mourir le traversa. Son fusil cryogénique lui aurait donné une minuscule chance de se défendre et il ne l'avait même pas en sa possession. Il était fichu.

Pourtant, il ne renonça pas. Quand Savitar s'avança enfin vers lui, il recula autant qu'il put, vidant son chargeur sur le plastron aux reflets bleus. Il alerterait sans doute ses voisins de chambre, mais tant pis, la discrétion n'était plus sa priorité.


Chaque projectile fut arrêté en un instant et tomba sur le carrelage dans un cliquetis métallique. C'était terminé. Snart avait su que l'entreprise était vaine au moment-même où il pressait la détente. C'était terminé, il allait mourir, ici et maintenant. Dos au mur, il ne pouvait même plus reculer et l'idée-même de tenter de s'enfuir en courant lui paraissait risible tant elle était ridicule.


Doucement, Savitar avança la main en direction de son visage. Il était bien trop lent pour lui porter un coup. Peut-être voulait-il l'étrangler ? Le faire souffrir, prendre son temps à le voir suffoquer.


— Si tu veux me tuer, aies au moins l'égard de le faire vite, lança-t-il, une pointe d'agacement au milieu de la panique.


Le coup ne tomba jamais. À la place, Savitar laissa glisser ses doigts sur le visage de Snart, du creux de sa tempe jusqu'à son menton. La tendresse du geste désarçonna d'autant plus Snart, qui tenta de reculer d'un pas avant de se reprendre.


— Comme c'est bon de te revoir, Len, soupira la voix métallique sur un ton chargé de mélancolie.

— Je crois pas qu'on se soit déjà vus, répliqua-t-il. Ça te dirait de faire les présentations ?


A sa grande surprise, Savitar obtempéra. Il s'agenouilla devant lui et quand le dos de l'armure s'ouvrit pour laisser apparaître un homme, Snart le reconnut immédiatement.


— Barry ?


Une fois encore, Savitar leva la main jusqu'au visage de Snart et caressa sa peau du bout des doigts. Son regard était concentré sur son geste, comme pour accentuer encore l'expérience.


— J'ai cru que je t'avais perdu à jamais, murmura-t-il, la voix empreinte de regret.


Snart ne bougeait pas, plus interloqué qu'effrayé. Cet homme, pas de doute, il s'agissait bien de Barry. Une version de lui déchirée, ravagée par les années et la souffrance, mais toujours celui qu'il avait connu. Il approcha à son tour sa main du visage de l'autre et replaça derrière son oreille une mèche de cheveux bruns. Ses doigts tremblaient, tendus, mais Savitar semblait ne pas y prêter attention.


Un moment s'écoula ainsi, sans un bruit. La menace mortelle que représentait cette étrange forme de l'homme qui l'avait un jour aimé restait présente dans l'esprit de Snart. Il allait mourir, maintenant ou dans très peu de temps. Il allait mourir et il ne pourrait rien y faire. Peut-être était-ce la meilleure solution, se disait-il, la sortie la plus satisfaisante à défaut d'être la plus honorable. Il avait toujours su qu'il ne connaîtrait pas le luxe d'une mort paisible. Autant que la grande nuit vienne d'une main connue.


— Tu es venu pour me tuer ? demanda-t-il, même s'il connaissait déjà la réponse.

— Je n'ai pas le choix. Si je veux naître, alors il faudra que tu meures. Tu n'aurais jamais dû revenir du Waverider après l'explosion de l'Oculus.


Cela, il s'en doutait déjà. Barry ne lui avait pas dit ces mots en vain, quand il l'avait ramené au vaisseau. Il savait qu'il succomberait là-bas et avait décidé de modifier le cours du temps pour lui sauver la vie.


Encore une fois, Savitar s'avança vers Snart. Ils ne se tenaient à présent qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Ici, toutes ses différences avec Barry sautaient aux yeux. Ses traits creusés trahissaient sa fatigue et son regard avait perdu tout de sa chaleur pour ne laisser place qu'à du vide. Ce fut à ce moment que Snart comprit : Savitar était loin de ressembler à tous les autres supersoniques mégalomanes qu'il avait pu rencontrer. S'il voulait le pouvoir, c'était simplement qu'il était son unique raison de vivre. Privé de ceux qu'il aimait et de son esprit héroïque, Barry s'était tourné vers la dernière chose qui faisait de lui un être exceptionnel : sa puissance. Mais sans garde-fou et sans motivation, le pouvoir n'est qu'un poison et finit par ruiner même le plus innocent des hommes. Au final, quand il se tenait ainsi face à lui, il ressentait bien plus de tristesse que de crainte.


Alors, tout doucement, il commença à l'entourer de ses bras. Peut-être était-ce pour le rassurer, peut-être nourrissait-il encore le vain espoir que Savitar renonce, il ne le savait pas lui-même. Ce dernier ne broncha pas, il se laissait faire, silencieux.


— Comme j'ai eu besoin de toi au milieu des ténèbres, chuchota-t-il d'une voix morte, et Snart ne sut s'il s'adressait à lui ou s'il murmurait pour lui-même.


Savitar serrait ses mains dans le dos de Snart, si fort qu'il sentait ses ongles se planter dans sa peau.


— Je suis désolé, tellement désolé, répétait Savitar, comme pour s'en convaincre. J'aimerais pouvoir faire autrement, mais je n'ai pas le choix. Tu n'aurais pas dû survivre.


Tandis qu'il prononçait ces phrases, il plaça sa main contre le cœur de Snart, qui battait à se rompre. Voilà, c'était la fin. C'était ainsi que tout se terminait, et il se sentait étrangement en paix. Il ferma les yeux, se prépara à l'impact.


— Éloigne-toi de lui !


Une silhouette se tenait debout, nimbé d'une douce lumière blanche, d'où s'échappait de temps à autre des éclairs. Malgré la clarté aveuglante, Snart réussit à discerner le contour d'un costume rouge qu'il connaissait bien. Barry. Le vrai Barry.


— Tu arrives trop tard, Flash, cracha Savitar en se détournant de sa cible. Il n'y a rien que tu puisses faire pour empêcher sa mort.


Les deux adversaires se firent face, obnubilés l'un par l'autre comme si Snart n'existait plus à leurs yeux. Il profita de cet instant, qui ne se représenterait sans doute pas de sitôt, pour aller se cacher près du lit. Pas très honorable, sans doute, mais l'expérience lui avait appris qu'il valait mieux être un couard vivant qu'un héros mort. Et de toute manière, il ne pouvait rien faire contre cet adversaire infiniment plus puissant que lui.


Barry ne semblait pas lui-même. Outre cet éclat blanc bleuté qui s'échappait de lui, il paraissait changé du tout au tout. Sa posture, moins droite qu'à l'accoutumée, plus animale, le faisait ressembler à un fauve prêt à bondir hors de sa cage. Mais ce furent surtout ses yeux qui frappèrent Snart. A la distance où il se trouvait, il aurait dû avoir du mal à les discerner, mais une lueur étrange les faisaient ressortir comme du sang sur un tapis de neige. Ils trahissaient une folie pure, une fureur à peine dissimulée sous cette apparence innocente. Jamais il n'avait autant ressemblé à son alter ego.


Il tenait un objet serré dans sa main droite, mais Snart ne put voir de quoi il s'agissait que lorsqu'il le brandit devant lui pour en menacer Savitar. C'était un couteau de cuisine, à la lame longue et effilée, dont le métal étincelant brillait à la lumière de son propriétaire.


— Laisse-le partir !

— Tu crois vraiment pouvoir m'arrêter avec ça ? s'esclaffa Savitar dans une hilarité exagérée.


Snart devait admettre qu'il avait raison. Lui aussi doutait qu'un simple couteau puisse venir à bout d'un être aussi puissant.


Il ravisa son jugement lorsque Barry, loin d'attaquer son adversaire, retourna l'arme contre lui pour en poser la pointe au creux de sa gorge. Ce fut suffisant pour contraindre Savitar au silence pendant un court instant.


— Tu penses que tu mettras combien de temps à disparaître si je meurs ?


Jamais Snart ne l'avait entendu employer un tel ton. Il semblait guilleret, joueur, comme si la situation se résumait à un jeu pour lui.


— Tu ne ferais pas ça… tenta Savitar.

— On parie ?


Et avant que Snart ait pu esquisser un geste pour l'arrêter, il fit glisser la lame le long de son cou. Un lent flot rouge s'échappait un peu plus de la blessure à chaque centimètre taillé dans sa peau, et s'écoulait sur sa gorge blanche pour finir par se confondre avec l'écarlate de son costume. Bientôt, il se mit à tousser et un flot d'hémoglobine s'échappa de ses lèvres.


— Arrête ! hurla Savitar tandis qu'il portait sa main à son propre cou, comme pour se protéger.

— Pas tant que tu ne seras pas parti !

— Tu n'empêcheras pas sa mort ! Tu ne m'empêcheras pas de naître, Flash, tout ça est déjà écrit !


Il continuait à entamer ses chairs du bout du couteau, haletant mais sans jamais hésiter. Ses jambes tremblaient, tout son corps chancelait. Il était difficile d'estimer l'étendue des dégâts dans la pénombre, mais il était clair que sans intervention, il ne tarderait pas à se vider de son sang.


Savitar, lui, ne bougeait plus. Une main tendue vers l'avant, comme pour arrêter son alter ego dans un geste désespéré, il semblait figé. En proie au doute, à la crainte, Snart n'en savait rien. Peut-être ressentait-il lui-même les effets dévastateurs des actions de Barry.


Enfin, après de trop longues secondes, le couteau tomba au sol. Lentement, les mouvements hésitants, vidé de ses forces, Barry se dirigea vers la cachette de fortune de Snart. Des lourdes gouttes sombres tombaient sur la moquette à chacun de ses pas. Enfin, il se plaça entre la proie et le prédateur, protecteur malgré sa faiblesse.


— Si tu touches à un seul de ses cheveux, articula-t-il, la voix hachée, je me suicide.

— Tu ne ferais pas ça.


La réponse de Savitar ressemblait bien plus à une prière qu'à une affirmation.


— Tu es moi, non ? Tu dois savoir si je le ferais ou non…


L'argument sembla faire mouche. Après de longues secondes de réflexion, Savitar retourna à son armure et s'y glissa. Barry restait positionné entre lui et Snart. Tous ses membres étaient secoués de tremblements, son visage était si blanc qu'il semblait à l'article de la mort et à la distance où il se trouvait, Snart pouvait apercevoir les sueurs froides qui coulaient le long de son visage.


— Tu as gagné pour cette fois-ci, Flash, cracha Savitar, la voix déformée par le synthétiseur de son armure. Mais ne crois pas que nous en avons terminé.


L'instant d'après, il disparut dans un grand éclat lumineux et Barry s'effondra sur le sol. Les éclairs bleus dansaient toujours autour de lui, mais Snart doutait qu'il puisse utiliser ses pouvoirs en de telles circonstances.


La plaie était large, béante. Elle s'ouvrait sur une dizaine de centimètres de longueur et Dieu savait combien de profondeur. D'un geste, Snart retira sa parka puis son pull, qu'il appuya d'une main ferme contre la plaie.


— Ça fait du bien de te voir, murmura Barry.


Il le gratifia d'un large sourire couvert de rouge. Même si sa folie semblait s'être dissipée, il restait dans son expression un côté bestial, et Snart eut du mal à soutenir son regard. Préférant se concentrer sur la blessure, il évalua l'étendue des dégâts.


Chez une personne normale, une hémorragie pareille aurait signifié une mort quasi instantanée. Snart se doutait qu'il n'en allait pas de même pour Barry, il ne connaissait rien de sa résistance physique. Ce n'était pas comme s'ils avaient pensé à discuter de la marche à suivre si jamais il s'égorgeait volontairement. Il lui faudrait un long moment pour récupérer de cette blessure — si jamais il s'en sortait tout court.


— Hé, Len…

— Ne parle pas, répliqua-t-il en augmentant la pression sur la plaie. Tu vas aggraver la situation.

— C'est important…

— Ce qui est important pour le moment, c'est que tu restes avec moi le temps que j'arrange ça. On discutera dès que tu seras tiré d'affaire.



Pour toute réponse, Barry esquissa un petit rictus qui n'était pas sans rappeler à Snart ses propres ricanements sardoniques. Puis, ses yeux se fermèrent, sa tête soudain alourdie tomba sur le côté et il sombra dans l'inconscience.


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