La dernière âme
Assis sur le rebord de la fenêtre, les âmes de Foxy et Freddy regardaient en silence l'installation de la petite Violet dans la chambre. Le lit de bois avait été remplacé par le lit d'hôpital dans lequel une forme frêle somnolait, reliée à plusieurs machines bruyantes. Un bandage blanc couvrait son torse jusqu'au ventre et rappelait de mauvais souvenir aux deux fantômes. Foxy n'osait pas imaginer les dégâts causés par la hache de Springtrap sur un si petit corps. Pire encore, elle avait survécu, certes, mais à quel prix ? Accepterait-elle seulement d'écouter le renard ?
"Elle a eu beaucoup de chance, chuchota Freddy. J'ai eu tellement peur, dans le musée. La Marionnette nous a ramené en catastrophe, mais... On avait pas de corps... On a rien pu faire, on les a regardé se faire massacrer, les uns après les autres.
— Les autres l'ont vécu comment ? demanda tristement le renard.
— Chica était en larmes et Bonnie... Bonnie est le plus en colère. La Marionnette l'a envoyé à la suite de Springtrap pour qu'il se calme et qu'il puisse se défouler dessus s'il en ressentait le besoin. Et... Toi ?"
Foxy baissa le regard. Il joignit ses mains invisibles et les agita nerveusement.
"Tu cherches à aider tout le monde, mais personne ne t'as demandé comment tu avais vécu la situation, reprit l'ours. Je suis désolé, Foxy. Sous la tension, on n'a pas vraiment eu l'occasion d'en parler.
— Je me suis réveillé trop tard, le coupa t-il. Il y avait des morts partout... Mais... Mais ce n'est pas ce qui m'a fait le plus peur. J'étais tout seul, et j'ai eu peur de ne plus pouvoir vous retrouver. De... D'être mis à l'écart."
Freddy posa une main sur son épaule.
"Tu sais qu'on ne te laissera pas tomber, pas vrai ? Je suis là pour toi si tu en as besoin. Toujours.
— Je sais, Freddy. Je ne veux pas vous inquiéter. J'ai simplement peur de ne pas être à la hauteur avec la petite."
Ils baissèrent les yeux vers le lit. La mère de Violet venait d'entrer et son mari paraissait très mal à l'aise. La tension qui animait ces deux-là n'avait pas disparue. Elle s'approcha des draps blancs et passa une main dans les cheveux de sa fille qui poussa un gémissement plaintif. Ses yeux s'entrouvrirent et elle lança un regard perdu autour d'elle. Même si la femme ne disait rien, son attitude trahissait le fait qu'elle n'était dans cette maison que pour sa fille. Elle se tenait éloignée de son conjoint, lui tournait le dos à moitié et fuyait son regard.
"Isabelle, chuchota t-il pourtant, s'il te plaît. On ne peut pas se séparer maintenant, elle a besoin de nous plus que jamais.
— Ma décision est prise. Je... Je ne pourrais juste plus te regarder dans les yeux en sachant que si Violet est de cette façon, c'est parce que tu n'as pas détruit ces foutus robots comme je te le demande depuis des années.
— Tu sais très bien que je ne le pouvais pas. Papa a besoin d'eux pour pouvoir les libérer tous en même temps et...
— Ne me parle pas de ton père, Julian. Si ta fille est dans cet état, c'est parce qu'il t'as légué cette compagnie de malheur. Tu aurais pu dire non, tu aurais pu... Tu me dégoûtes. Comment arrives-tu seulement à te regarder dans le miroir ?"
Elle quitta la pièce à vive allure et la porte d'entrée claqua quelques secondes plus tard. Violet ouvrit les yeux et se redressa immédiatement, paniquée. Son père la consola le temps qu'elle se rendorme avant de sortir de la chambre à son tour, l'air sérieux. Les deux âmes en profitèrent pour se rapprocher et étudier la fillette avec plus de détails. Couchée sur le côté, elle serrait une grosse peluche à l'effigie de Freddy contre elle, ce qui fit sourire son ami. Ses cheveux noirs lui masquaient en partie le visage, mais ses paupières fermées qui s'agitaient frénétiquement montraient qu'elle ne dormait pas d'un sommeil paisible. Bien sûr, le traumatisme aurait des conséquences durables sur le temps, mais au moins, elle était sauve.
"Dommage qu'on ne puisse plus se promener sous forme de fantômes, lâcha Freddy. J'aurais bien voulu l'aider, moi aussi.
— Oui, un ours-robot fantôme aux yeux blancs lumineux qui fait trois fois sa taille va certainement la réconforter, le charria Foxy.
— Dit le renard-pirate qui tombe en ruines avec un crochet de boucher pour main, répliqua malicieusement son ami sur le même ton."
Il furent interrompus par le passage d'une âme blanche à travers la porte. La Marionnette leur sourit tendrement avant de les rejoindre sur le lit. Le visage des enfants se fit plus inquiet : lorsque la Marionnette agissait comme une maman, c'était que quelque chose n'allait pas. Contrairement à Freddy qui explosait littéralement lorsqu'il s'inquiétait trop, cette dernière restait toujours calme et conservait tout à l'intérieur. Parfois, son regard se faisait triste pendant plusieurs jours, et puis tout redevenait comme avant, comme si rien ne s'était passé. Les enfants avaient appris à ne pas intervenir dans ces moments de doute : au lieu de les gronder, la Marionnette développait un instinct plus protecteur, qui allait de concert avec une violence physique hors-norme. Il valait mieux que les gardiens de nuit l'évitent lorsque c'était le cas. Si les Animatroniques pouvaient exploser des crânes comme des pastèques, la Marionnette plantait généralement ses doigts dans les yeux de ses victimes jusqu'au cerveau de manière très sauvage.
Les mains invisibles de leur amie passèrent sur le visage abîmé de la petite fille. Presque aussitôt, ses paupières cessèrent de bouger et elle poussa un soupir d'aise. Un des nombreux talents que son rang de "première tuée" lui accordait : elle pouvait tout simplement faire disparaître et apparaître les cauchemars à volonté, tout comme Golden Freddy. C'est d'ailleurs l'alliance de leurs deux pouvoirs qui avaient créé la prison de l'âme de William Afton : un cauchemar sans fin, où il était voué à une torture éternelle.
"Elle a l'air si fragile, chuchota la poupée. Elle est encore faible, mais je pense qu'elle tiendra le coup. Il le faut."
Derrière elle, Foxy et Freddy s'étaient lancé dans un jeu de regards accusateurs : qui aurait le courage de poser la question qui fâche ? L'ours faisait de grands gestes de ses bras vers la Marionnette, Foxy le pointait du doigt pour l'avertir que lui ne ferait rien pour arranger les choses. Le renard finit par recevoir une méchante grimace de son meilleur ami, avant qu'il ne prenne la parole pour briser le silence.
"Qu'est qui s'est mal passé ? demanda Freddy rapidement."
Il sut que le sujet était délicat à la seconde où leur protectrice posa les yeux sur eux. Dans son regard se lisait une rancœur terrible, et elle serra les poings. Peu rassuré, l'ours se replia légèrement derrière son camarade : il avait fait sa part.
"Springtrap est reparti sur les routes. Il n'a pas dû aller bien loin, l'aube est arrivée vite, mais Bonnie l'a perdu de vue. Le pire scénario est arrivé : Elisabeth a développé ses pouvoirs et les a utilisé contre moi devant Afton. Il sait maintenant qu'elle peut me blesser. Ce n'est plus qu'une question de jours avant qu'il ne trouve un moyen de lui retourner le cerveau. Il l'a gardé dans l'ignorance, elle voit toujours en lui quelqu'un de bien."
La Marionnette baissa la tête.
"C'est peut-être même pire que ça. Tous les Animatroniques qu'elle a côtoyé ont causé la mort de ses proches : son petit frère, elle, la trahison de ses "amis" du cirque, son grand-frère, maintenant elle découvre son père sous ce nouveau jour. Elle... J'ai peur qu'elle soit persuadée que nous voulons la tromper de nouveau pour la séparer de son père. Je connais son regard : elle a trop perdu et elle ne renoncera devant rien pour protéger ce qui lui reste... Juste... Juste comme moi."
Freddy posa une main sur son épaule, en soutien. Foxy resta silencieux, le visage tourné vers la petite.
"Si son père gère la pizzeria, lâcha le renard, elle a peut-être déjà eu un contact avec Circus Baby. Si je réussis à en faire une alliée, peut-être qu'elle parviendra à la convaincre ?
— Oui, répondit son amie. Cependant, gagner sa confiance après un tel traumatisme prendra du temps, et nous en manquons cruellement en ce moment.
— Je serais à la hauteur, répondit-il, déterminé. Concentre-toi sur Springtrap, je peux m'occuper de ça. Avec Freddy. On forme une bonne équipe."
Elle lui sourit faiblement : le coeur n'y était pas vraiment, mais elle l'acceptait. Foxy réfléchit un moment, puis reprit la parole.
"On a aussi de mauvaises nouvelles. Papa Afton a reçu un appel de Grand-Père Afton. Ils savent qu'on est dehors et ils préparent un plan pour nous coincer. Je crois qu'ils veulent nous emprisonner dans la pizzeria. Fais attention, c'est peut-être un piège.
— Si Michael Afton est toujours en vie, nous avons en effet du soucis à nous faire, confia la Marionnette. Il doit être sur les traces de son père. La fuite de Springtrap n'est peut-être pas plus mal, finalement : tant qu'il est loin de la pizzeria, le piège reste ouvert. Merci de m'avoir prévenue."
Elle resta un instant pensive, puis se prépara à repartir.
"J'ai encore des choses à faire. Faites attention à vous deux, d'accord ?"
Les deux enfants acquiescèrent. La Marionnette disparut de la pièce sans un bruit, les laissant dans un silence contemplatif. Foxy jeta un coup d'oeil à l'horloge. Dans deux heures, son tour arriverait. Il ne voulait pas décevoir ses amis et espérait bien accomplir sa tâche à fond.
"Bon, lâcha Freddy, en attendant, on chasse le chat ? Je m'ennuie."
Foxy chercha à résister, mais la moue boudeuse de son ami finit par le faire craquer. Les deux petites âmes descendirent du lit et se lancèrent dans un chat-perché grandeur nature avec l'animal de la maison, en riant. Tout moment d'insouciance était bon à prendre : dans l'autre monde, tout avait tendance à n'être qu'éphémère.