La dernière âme
Une obscurité rassurante encercla Foxy alors qu'il quittait enfin son corps de fer. Hanter un robot avait des avantages, comme se donner l'illusion d'être toujours en vie, mais contraignait également à une existence vide et dépourvue de sensibilité. Il aurait tout donné pour sentir encore les murs sous ses doigts ou la chaleur du soleil. Une lumière blanche illumina l'espace. Il se retourna et sourit. Une forme blanchâtre l'observait. L'esprit aurait pu être un ange, si ses yeux inexistants - desquels des larmes translucides tombaient dans un flot ininterrompu - ne lui donnaient pas des airs de démon.
Foxy se rapprocha de l'esprit. Bien qu'ils paraissaient tous semblables, les fantômes parvenaient sans mal à se reconnaître les uns les autres.
"Tu m'attendais, Chica ? demanda l'âme du robot-renard.
— Oui. La Marionnette m'a demandé de te conduire à elle, répondit une voix enfantine, emplie de tristesse. Elle est au chevet de la petite fille, à l'hôpital. Suis-moi."
Elle traversa l'obscurité sans mot. Foxy prit sa suite. Bonnie, Chica, Freddy, Foxy... L'esprit aurait tout donné pour se souvenir de son nom encore une fois. Réduits à la dénomination de leurs personnages, ils n'existaient plus que par eux. Maintenant que la plupart des Animatroniques avaient été détruits, les pauvres n'avaient d'ailleurs plus rien à quoi se raccrocher. Foxy se sentit désolé pour eux. D'eux quatre, il était celui qui méritait le moins de pouvoir errer. Freddy aurait su quoi faire. Freddy savait toujours tout.
Ils traversèrent sans bruit les couloirs bondés du bâtiment. Sur les murs blancs défraîchis, leurs âmes lumineuses offraient un contraste édifiant. Les deux esprits s'émerveillèrent des machines bien plus avancées qu'à leur époque qu'ils croisaient sur leur route, de la vraie science-fiction pour des enfants décédés en 1985. Aujourd'hui, les gens avaient probablement la chance de survivre à plusieurs coups de couteaux avec l'aide de ces machines qui reconstruisaient la peau en une fraction de seconde. Ils n'avaient pas eu cette chance.
Leur voyage se poursuivit dans le service de pédiatrie. Une foule de journalistes bloquait le couloir, micros et caméras à la main. Ils se bousculaient les uns les autres dans l'espoir de grappiller quelques places pour avoir un meilleur point de vue. Certaines choses ne changeaient jamais. A chaque massacre ces vautours s'amassaient pour être les premiers à s'approprier la nouvelle, sans jamais penser aux familles qu'ils détruisaient derrière par des mots trop crus.
Les deux esprits traversèrent le rideau des oiseaux de proie. Leur forme leur permettait de passer à travers n'importe quoi, y compris des êtres humains. Les plus empathiques d'entre eux pouvaient sentir cette brève traversée. Aucun journaliste ne sursauta à leur passage. Foxy se demanda même, l'espace d'un instant, si l'un d'eux avait déjà eu une âme.
La chambre de la petite fille était plongée dans l'obscurité, faiblement illuminée par les machines qui bipaient à rythme régulier tout autour d'elle. Ses parents se trouvaient à son chevet et lui tenaient la main. Une jeune adolescente brune plus âgée, inconsolable, pleurait dans un fauteuil tourné vers la fenêtre. Foxy, la gorge serrée, repensa à tous ces corps silencieux étendus dans la pizzeria. La scène se répéterait souvent aujourd'hui. Les familles ne cesseraient jamais de pleurer tant que la compagnie Fazbear's Entertainment existerait.
Les esprits de la Marionnette, Bonnie et Freddy regardaient l'enfant, de l'autre côté du lit. Leur silence inhabituel lui indiqua que le massacre les avait autant affectés que ce que lui avait vécu cette nuit. Il s'approcha d'eux avec douceur. La poupée au visage strié se tourna vers lui. Elle lui sourit avec affection, mais le renard comprit que c'était dans l'unique but de le réconforter.
"Comment va t-elle ? demanda t-il.
— Elle est stabilisée, répondit Bonnie, derrière sa compagne de mésaventure, mais les médecins leur ont dit qu'ils devaient se préparer au pire. Elle pourrait ne pas survivre. Elle a perdu beaucoup de sang.
— Elle vivra, le coupa la Marionnette. Elle le doit. Elle est notre dernier espoir pour le combattre."
Les cheveux noirs de la petite fille, toujours tâchés de sang, contrastaient avec la pâleur de son teint. Des câbles sortaient de sa bouche, sa poitrine et ses bras. Foxy se surprit à penser qu'elle n'était pas si différente que lui : sa vie ne tenait qu'à un tas de fils électriques qui la maintenaient prisonnière de cette existence. Il tendit une main vers son visage. Elle passa au travers de son corps, lui arrachant un soupir.
"Et maintenant ? questionna Foxy.
— Tant qu'elle est ici, elle ne risque rien, répondit la Marionnette. Springtrap n'osera jamais venir à la vue de tous. Quand elle sortira, tu devras la protéger. Ton destin est lié au sien, à présent. Il y a une adresse sur son dossier. Dès que la nuit tombe, cherche-la et camoufle-toi.
— Quoi ? Mais Springtrap ? Il risque de fuir !
— Il a le même objectif que toi. Il cherchera à l'isoler. S'il a la même idée que toi, tu seras là pour l'accueillir. Nous serons tous là pour l'accueillir, répéta t-il en pointant les autres âmes. Il se trouve dans l'Eglise en face. Bonnie et Chica garderont un oeil sur lui pour nous avertir de sa progression. Je serais avec toi, Foxy. Tout le temps."
La Marionnette se tourna vers l'enfant.
"Nous la sauverons. Ce sera la dernière âme à subir sa folie. Elle vivra."
Chica, Bonnie et Freddy disparurent de cette réalité, lassés de ce monde. Seul Foxy resta un moment silencieux à observer l'aînée de la petite fille. Il ne connaissait même pas son nom.
"Elle s'appelle Violet, déclara calmement la Marionnette derrière lui, comme si elle avait compris son interrogation. Allez, viens. On doit encore repérer le chemin que tu devras emprunter ce soir."
A contre-coeur, le renard détacha son regard de sa nouvelle protégée et suivit sa complice dans les ténèbres.
****************
Les douze coups de minuit sonnèrent au dessus de la ville. Le sol vibrait à chacun des bruits de cloche. Dans le sous-sol de la cave, l'unique oeil de Foxy se mit à briller. Dans un bruit mécanique, le renard leva la tête. Il prit quelques secondes pour analyser son environnement, à la recherche d'un bruit suspect. La Marionnette, déjà éveillée dans ses bras, pointa la porte d'un de ses doigts fins.
Allons-y, dit-elle mentalement. Nous devons être plus rapide que lui.
Foxy se mit en marche. Il sortit sans mal de l'hôpital et évita sans problème les personnes qui se dirigeaient encore vers l'imposant bâtiment malgré l'heure tardive. Les esprits des autres enfants, privés de leurs corps, avançaient devant eux. Ils avaient repéré le chemin et les guideraient à destination. Foxy ne put s'empêcher de lever la tête vers l'hôpital, vaste forme carrée dans l'horizon obscur, pour prier que rien n'arrive à la jeune fille.
Le robot emprunta plusieurs ruelles pour éviter de se faire remarquer. Dans l'une d'elle, un magasin d'électroménager attira son attention. Les dernières informations se mouvaient sur une vitre de verre, de manière holographique. Plusieurs chaînes diffusaient en boucle les images familières d'un sol jonché de cadavres. Les médias pensaient qu'un individu s'était introduit dans le musée pour voler les Animatroniques et qu'il s'en était pris aux enfants et à leurs gardiens, avant d'être pris de remords et de déposer l'unique survivante à l'entrée de l'hôpital.
Si seulement les choses avaient été aussi simples... La Marionnette posa une main sur son bras robotique.
Nous la sauverons. Nous les sauverons tous.
Foxy détourna le regard et reprit la route. Ce n'était plus très loin. La maison de la petite Violet ressemblait à toutes les autres du quartier : un carré de béton froid et sans vie, un morceau de pelouse défraîchi et un balcon en bois pourri. La cible de l'Animatronique portait le numéro quarante-deux. Par chance, les parents de la jeune fille n'avaient pas encore quitté l'hôpital, il avait quartier libre.
Il fit plusieurs fois le tour de l'habitation, pour en trouver ses points faibles. Leurs recherches les menèrent dans la cour arrière, aussi vide d'âme que les fleurs fânées qui l'encadrait de part et d'autres. Une balançoire esseulée se balançait tristement sous les bourrasques de vent chaud qui animait cette soirée lugubre. La porte en fer contenait une chattière, par chance.
La Marionnette se faufila à l'intérieur et ouvrit la porte à Foxy quelques minutes plus tard. L'Animatronique veilla à bien refermer derrière lui, et commença à détailler l'habitation. Un chat tigré dévisageait les invités depuis la table du salon, à leur droite, les poils hérissés. Les félins, comme la majorité des animaux, pouvaient ressentir la présence d'esprits. L'animal observait les âmes des enfants qui l'entourait avec méfiance. Même s'il ne pouvait pas les entendre, Foxy jura voir la main de Chica caresser son dos, ce qui le fit sursauter. Il détala entre les jambes du renard et monta au premier étage, par l'escalier qui se trouvait à côté de la porte d'entrée, en face de lui.
La chambre de Violet devait se trouver là haut. Il espérait qu'elle comporte un placard où il pourrait se camoufler plus facilement. Si jamais Springtrap entrait dans la maison, il voulait être au plus près de la jeune fille pour la protéger.
Il secoua légèrement la tête à cette pensée. En presque cent ans, les Animatroniques n'avaient réussi à le confronter qu'une seule fois : le jour où ils l'avaient enfermé dans ce costume, et uniquement parce qu'ils avaient réussi à lui faire peur. Mais aujourd'hui ? Leur meurtrier n'avait plus rien à perdre et l'exosquelette décuplait ses forces et chances de parvenir à son but. Bien qu'il gardait ses doutes pour lui, Foxy commençait à se demander s'il serait vraiment capable de l'arrêter, quand bien même les autres esprits l'aidaient.
Rongé par ses pensées, il s'avança dans le couloir carrelé, pour rejoindre l'étage. Au bout du long corridor sur lesquels menaient les escaliers, une porte peinte en violet détonnait des autres, plus sobres, blanches. Le nom de sa nouvelle protégée était inscrit dessus, en lettres colorées. Il poussa lentement la porte, déjà entrouverte. Le chat, qui s'était réfugié sur le lit, se gonfla immédiatement comme un ballon de baudruche, les poils dressés. Il cracha à l'attention des deux robots avant de se réfugier dans la chambre d'à côté, en longeant le mur.
Foxy n'y fit pas attention, il examinait déjà la chambre. Spacieuse, elle contenait un grand lit, défait, qui faisait face à une énorme armoire. Des coffres à jouets, dérangés et disposés au sol pour la plupart, étaient collés au mur. Ils empêchaient l'ouverture d'une grande fenêtre qui illuminait le bureau de verre situé sur le mur d'en face, où un ordinateur était disposé, éteint.
Sans attendre, le renard s'avança vers l'armoire. Plus grande que lui, profonde, elle représentait la cachette parfaite. Le renard se fit une place derrière les vêtements soigneusement rangés sur des cintres. Il plaça deux piles de boîtes de jeux de société devant lui. Vu la couche de poussière sur lesquels ils reposaient, le placard ne devait pas être ouvert souvent. Tout du moins, il l'espérait. Si la fillette pourrait accepter sa présence, Foxy était beaucoup moins rassuré quant aux parents et à la sœur de l'enfant. Il ne savait pas quoi faire s'il était découvert.
Il referma prudemment les portes de l'armoire aux premiers rayons du soleil. Il serra la Marionnette contre lui et se désactiva en silence. Sa tête retomba tranquillement sur sa poitrine alors qu'il reprenait sa fonction d'origine : robot à l'abandon.