Tu le paieras un jour William Afton
William observait la foule de journalistes tapant à sa porte depuis le premier étage. Il commençait à en avoir l'habitude. « La morsure de 1987 » comme ils l'avaient appelée avait fait le tour du monde en seulement quelques heures. En d'autres occasions, il aurait été ravi de voir son nom diffusé à l'international, mais malheureusement, ce n'était pas dans un but pacifique que les vautours étaient là aujourd'hui. Ils voulaient des réponses. Pourquoi les robots bougeaient tout seul ? Comment avaient-ils pu échapper à son contrôle ? Est-ce que les robots étaient hantés ? Cette dernière question revenait encore et toujours à chaque nouveau scandale.
Mais contrairement aux années précédentes, quelque chose avait changé. Peut-être était-ce de l'orgueil, peut-être le résultat des enquêtes passées, mais William se savait intouchable. Ils avaient beau cherché, ils avaient beau remonter la mort de ses enfants et la disparition des cinq autres, ils n'avaient aucune preuve qu'il était impliqué d'une façon ou d'une autre dans tous les événements qui avaient secoué le restaurant depuis 1983. Bien sûr, les dossiers s'empilaient, bien sûr les doutes et les coïncidences devenaient difficiles à masquer, mais ils n'avaient aucun élément matériel contre eux.
Une semaine après l'accident, William n'avait toujours pas fait d'apparition publique. Un petit communiqué, tout au plus. Dedans, il avait expliqué qu'une fuite de gaz avait fait halluciner tout le monde et avait perturbé les circuits des robots. Il ne s'était pas gêné pour renvoyer l'ascenseur en policier en accusant le système de reconnaissance faciale qu'on l'avait forcé à installer dans les robots et qui avait causé la mort de Jeremy, le gardien de nuit de la pizzéria. Pour l'instant, les médias et les policiers avaient gobé le mensonge. Il ne pouvait de toute manière pas leur avouer que tout avait eu lieu parce qu'il avait retiré un robot du restaurant et que les autres avaient fait un caprice pour le récupérer. William avait cédé pour retrouver un peu de calme. Revoir le visage de cette foutue poupée des enfers ne lui plaisait pas, mais depuis son retour, les robots avaient repris une activité plus normale. Si tant était qu'on pouvait qualifier leurs promenades nocturnes de normales.
Le restaurant était toujours fermé et ses employés attendaient des nouvelles pour pouvoir se remettre au travail. William savait que ça ne se ferait pas sans détruire quelques robots. Mangle finirait sans aucun doute à la poubelle, avec le reste des Toys. D'après les médias, on réclamait de toute manière le retour des anciens robots. William avait donc commencé à travailler sur de nouveaux costumes. Avec les pièces neuves de Toys, tout devrait se faire simplement. Ce n'était pas lui qui pleurerait la disparition de ces morceaux de plastiques souriants de toute manière, il les avait toujours détestés.
Il s'étira, et décida d'aller prendre des nouvelles de Michael. Des deux, son fils était clairement le plus affecté par la mort de Jeremy. William ne s'émouvait pas vraiment de son sort, après tout, ce n'était qu'un témoin gênant de plus qui disparaissait. Pour Michael, en revanche, le gardien de nuit était avant tout un ami d'école. Ils côtoyaient la même université et s'étaient lié d'amitié au fil des mois. Depuis ce qui était arrivé, Michael restait prostré dans sa chambre à attendre que le temps passe. William commençait à s'inquiéter de son inactivité, mais il n'était pas exactement le genre à pouvoir donner des leçons de vie. À un moment ou un autre, il fallait bien accepter la vérité : en tant que père, il était complètement et pour toujours un raté.
Il toqua à la porte de son fils et entra sans attendre son approbation qui ne viendrait de toute manière pas. Comme la veille, Michael était assis devant la fenêtre à regarder la foule de journalistes à la fenêtre, le visage fermé.
« Tu ne devrais pas leur accorder autant d'attention, lui dit William. Tout ce qu'ils veulent, c'est avoir raison pour mieux nous couler et faire de nouveaux reportages sur le sujet. Ce sont des rapaces.
— Comment est-ce que tu fais pour ne pas les écouter ? J'ai l'impression que... Peu importe ce que je fais, peu importe si c'est à la télé ou à la radio, ils continuent de sortir des horreurs sur toi, sur Jeremy, sur... Sur moi. Ce matin, il y a eu une émission sur ce qui est arrivé à George. Ils ont dit que j'étais un déséquilibré mental et qu'ils ne comprenaient pas pourquoi je travaillais encore au restaurant.
— Ce ne sont que des mots. Ils veulent te faire mal pour que tu cèdes à leur pression. Ne leur accorde pas tant d'importance. Après tout, si on les écoutait, les robots seraient hantés, rit-il nerveusement. »
Michael ne répliqua pas et regarda ailleurs, troublé. Ce silence voulait tout dire. William sentit son rythme cardiaque s'accélérer légèrement. Inventer des raisons stupides pour expliquer comment les robots pouvaient bouger devant les médias était simple. Parler ouvertement devant son fils en revanche... William ne voulait pas mêler plus de personnes au cauchemar qu'était devenu sa vie au fil des ans, et surtout pas lui. Pas maintenant.
Mais Michael en décida autrement.
« Papa, est-ce que... Est-ce que les robots sont hantés ? Je ne suis pas stupide, tu sais. J'ai étudié la mécanique comme toi, et ces histoires de gaz, c'est n'importe quoi.
— Les robots ne sont pas hantés. Ce sont des foutaises inventées par des illuminés. Si tu veux tout savoir, c'est cette fonction de libre-circulation qui a planté, ou que quelqu'un a hacké. Il n'y a rien de magique derrière tout ça. »
Des mensonges, toujours des mensonges. William devenait de plus en plus fasciné de la facilité avec laquelle il réussissait à les formuler. Mais son garçon était bien moins crédule que les médias. Même si Michael ne répliqua rien, il put lire le doute dans son regard. Ce n'était pas bon. Le doute ne menait qu'à des problèmes supplémentaires dont William n'avait pas besoin en ce moment.
Le bruit de la sonnette le sauva de questions plus approfondies qui les auraient attirés tous les deux en terrain dangereux. William s'enfuit de la chambre et dévala les escaliers. Tant pis s'il s'agissait d'un stupide journaliste, cela valait toujours mieux qu'une discussion glissante.
Ou pas.
Scott repoussa sèchement un journaliste qui lui avait attrapé le bras et rentra dans la maison. Des micros se tournèrent vers William, mais il claqua la porte avant qu'ils ne se jettent vers son hall d'entrée. S'il passait la porte, impossible de les en faire ressortir. Son ami continua vers la cuisine sans lui accorder un regard. William hésita à le suivre. Lui qui était toujours si poli et jovial, s'il restait silencieux, ça n'annonçait rien de bon.
« Des nouvelles du restaurant ? demanda William, comme si de rien était. »
Après tout, s'il faisait comme s'il n'avait pas vu que Scott était en colère, peut-être qu'il arrêterait de l'être ? Son manager lui lança une œillade sombre.
« Il faut qu'on parle, William. »
William perdit son sourire forcé. De toute évidence, il avait échappé aux questions de son fils pour subir celles plus acides et sèches de son employé. S'il avait su, il n'aurait pas ouvert la porte. Le roboticien soupira et s'installa en face de lui.
Il n'avait vu Scott qu'à deux reprises depuis l'accident. Le lendemain, pour faire l'inventaire des dégâts, et deux jours plus tard au commissariat pour sa déposition. Le manager était resté assez froid et distant, contrairement à d'habitude, et William avait mis cela sur le compte du choc. Il réalisait maintenant qu'il avait sans doute un peu sous-estimé son vieil ami. Il n'était pas doué pour lire les signes d'une tempête qui approche, mais il commençait à comprendre que la discussion qu'il s'apprêtait à avoir ne serait pas plaisante.
« J'ai été patient. Très patient, même. Un accident, passe encore. Deux, c'est de la malchance. Mais ça continue de se répéter, encore et encore, et à chaque fois tu trouves une nouvelle excuse pour les médias pour sauver l'entreprise. Le problème, William, c'est que je commence à me demander s'il y a des choses que tu ne me dis pas. Si les excuses que tu m'as sorties ne sont pas non plus du vent.
— Depuis quand est-ce que tu crois leurs conneries ? Je pensais que tu étais au-dessus de tout ça ?
— Ne ramène pas le sujet à moi. Écoute... Je sais que les dernières années ont été compliquées, mais comment veux-tu que j'achète tes histoires ? Que tu mentes à la presse, je peux le comprendre. Mais à moi ? Funtime Foxy n'était pas un accident. Ce qui s'est passé la semaine passée, ce n'était pas un accident ! Les robots bougent tous seuls la nuit ! Des enfants disparaissent ! Et il y a ces gardes de nuit qui n'arrêtent pas de mourir ! Ce n'est pas un jeu, William. À chaque fois qu'un de ces robots de malheur est impliqué, tu ne m'enlèveras pas de l'esprit qu'il y a quelque chose de bien plus louche que juste quelques circuits buggés. »
William ne répliqua pas et détourna le regard. Scott frappa du poing sur la table, le faisant sursauter.
« Tu n'es même pas capable de me regarder dans les yeux ! hurla-t-il. Est-ce que tu réalises comment je vis depuis 1983 ?! Je me suis sali les mains ! J'ai regardé des parents dans les yeux en leur promettant de retrouver leurs gamins alors que je sais pertinemment qu'on ne les retrouvera jamais ! J'ai vu des amis, des personnes qui allaient très bien, crever du jour au lendemain comme des animaux ! Et jamais, jamais, tu ne m'as demandé comment je le vivais ! Je n'en peux plus, William ! Chaque matin, je me réveille la boule au ventre en me disant que je vais découvrir un nouveau cadavre, que quelque chose de mauvais s'est passé pendant la nuit, et ça me tue ! Et puis, il y a toi. Pourquoi est-ce que ça n'arrive que quand tu es là ? Comment est-ce que toute cette merde peut-elle sans arrêt tourner autour de toi, mais que tu agisses comme si c'était normal ? Comme si tu savais que ça allait arriver.
— Scott... Je...
— Non, ne me dis pas yeux dans les yeux que je surréagis. Tu sais comme moi que c'est faux. Je veux des explications, maintenant. Je suis prêt à tout entendre, et je pensais que tu l'avais compris depuis le temps, mais à chaque fois que je pense pouvoir te cerner, il y a toujours quelque chose de nouveau pour me faire douter. Au départ, j'ai cru que ça venait de Henry, mais plus j'y pense et plus... Plus je me dis que je suis peut-être du mauvais côté depuis tout ce temps. »
William resta muet. Par plusieurs fois dans le passé, Scott avait presque deviné ce qui se passait réellement. Jusque-là, William avait toujours réussi à détourner son attention ou à le mettre sur de fausses pistes, mais les choses venaient de changer. Scott n'avait jamais été aussi près de tout découvrir. Et s'il le faisait, il était foutu. Aussi fidèle soit-il, même lui ne cautionnerait pas ça. Il ne pouvait pas se le permettre. Mais il ne pouvait pas non plus le perdre. Scott avait été son seul véritable ami et confident toutes ces années. S'il avait tenu après la mort de Georges et d'Elisabeth, s'il avait ressenti des remords après avoir tué ces cinq enfants, c'était parce qu'il était là pour lui rappeler que ses actes avaient des conséquences. Mais maintenant ? Maintenant, tuer de sang-froid ne lui faisait plus rien. Voir des cadavres ne lui faisait plus rien. Il n'était plus que l'ombre de ce qu'il était auparavant, et peut-être que sacrifier ce qui le retenait encore en arrière était la seule façon de continuer. Henry l'avait prévenu. On ne devient plus le même si l'on cède à l'appel du sang.
Pour la première fois depuis qu'il avait commencé à tuer, William se retrouvait devant un dilemme moral auquel aucune réponse n'était satisfaisante. À trop laisser ses émotions de côté, à trop jouer avec la vie et la mort, il en avait perdu ce qui faisait la définition de l'être humain : la compassion, la capacité à ressentir des émotions pour quelqu'un. Et maintenant, il le payait cher. S'il n'agissait pas, tout ce qu'il avait bâti tomberait en cendre comme un château de cartes brûlé. S'il parlait, tous ces travaux, toutes ces années de souffrance n'auraient servies à rien. Dans les deux cas, il perdrait tout. La personne qu'il était ou la personne qu'il était devenu. Il ne pouvait pas retourner en arrière, mais il ne pouvait pas avancer s'il continuait à avoir des remords pour sa vie passée.
Alors il garda le silence. Scott attendit encore quelques secondes avant que son visage ne s'étire sous la surprise et la douleur. Il venait de découvrir une nouvelle facette de William ce jour-là. La lâcheté. L'éternelle lâcheté qui ne cessait de le tirer en arrière, un peu plus loin dans l'obscurité. Le roboticien baissa les yeux. Il n'y avait rien à dire.
« Je vois, répliqua Scott, écœuré. Je ne vais pas insister dans ce cas. J'ai entendu ce que je voulais entendre. »
Il se leva et partit en direction de la porte d'entrée. La main sur la poignée, cependant, il s'arrêta.
« Une dernière chose. Une seule. »
Il se retourna pour regarder William dans les yeux.
« Sais-tu ce qui est le plus douloureux dans mon métier depuis 1985 ? À chaque anniversaire de leur disparition, ils viennent pour discuter, encore plein d'espoir, et je les regarde yeux dans les yeux en leur disant de continuer à espérer. Quelle honte ce serait si je devais leur annoncer que leur meurtrier se trouvait tout ce temps à côté de moi, au plus proche de moi, et que je n'ai rien vu. Je suis peut-être optimiste, William, mais je ne suis pas un idiot. »
Il sourit, amer.
« Tu sais, je l'ai deviné depuis un moment. Je n'arrête pas de te lancer des perches pour que tu parles, mais je crois que tu ne te rends même plus compte d'à quel point tu as changé. Ton regard, pour commencer. Tu es toujours en train de chercher des ruses pour arriver à t'échapper, mais tu ne réalises même pas que tu t'es enfoncé si loin dans tes mensonges que tu ne réalises même pas à quel point ils font du mal autour de toi. À moi. À Mike. Je ne sais plus qui tu es. Tu n'es certainement plus l'homme que l'on m'a demandé d'aider en 1983. Mais... »
Il se tut un instant, le visage plus froid.
« Mais s'il y a bien une chose que j'ai appris ces dernières années, c'est que la vengeance trouve toujours un chemin. Continue de jouer avec le feu si tu le veux. Mais un jour ou l'autre, tu le paieras, William Afton. Je te l'ai dit, je peux tout entendre, je peux même pardonner. Mais tant que tu vivras dans cette illusion, personne ne pourra plus rien pour toi. »
Sur ces derniers mots, Scott quitta la maison, sous les flashs des journalistes à l'extérieur. William resta figé sur le pas de la cuisine, sous le choc. Il savait. Quelqu'un savait, et tout le monde stable sur lequel il avait basé son palais d'argile commençait à s'effriter. Il allait devoir réagir. S'il ne le faisait pas rapidement, il était foutu.
Il prit une inspiration et vida son esprit. La panique ne le mènerait à rien. Comme toujours lorsqu'il se retrouvait dans une impasse, il y avait un homme qui pouvait le sortir de là, par des moyens risqués, bien souvent, mais jusqu'à présent, ses méthodes avaient fait leurs preuves. Et cet homme, c'était Henry Miller.