Une connexion à part
La vie, après cette étrange rencontre à la tour Shinra, avait repris son cours, aussi ordinaire qu’elle pouvait l’être. J'habitais toujours avec ma mère et mon frère, dans une modeste maison du secteur 5 de Midgar. Ce lieu était devenu mon refuge, un endroit où je pouvais m’isoler du bruit de la ville, un abri contre le tumulte constant de ce monde qui me semblait si étranger. C’était dans cette maison que je me sentais le plus moi-même, loin des attentes et des pressions. Ici, je pouvais dessiner, écrire, laisser mon esprit vagabonder. C’était une existence simple, mais elle était la mienne, même si je rêvais d’une vie indépendante, plus artistique, loin des attentes de ma mère.
Ma mère, quant à elle, n'avait cessé, depuis notre arrivée à Midgar, de me pousser à suivre un chemin plus traditionnel, à me conformer aux idéaux qu’elle considérait comme une sécurité. Un emploi stable, bien payé, à la Shinra. Elle m’avait même parlé à plusieurs reprises de devenir secrétaire là-bas, de trouver ma place dans cette grande entreprise. Mais à chaque suggestion, je m’éloignais un peu plus de cette idée. Le simple fait de l’entendre évoquer cela me donnait la nausée. La Shinra représentait tout ce que je rejetais, un monde de calcul, de contrôle, de manipulation. Ce n’était pas la voie que je voulais suivre, mais comment lui expliquer ?
Ce soir-là, alors que ma mère devait passer la nuit à la tour Shinra pour finaliser des données d’une expérience, mon frère décida de convier deux de ses collègues miliciens à la maison. Mon premier réflexe fut de refuser. Je n’étais pas d’humeur à accueillir des inconnus, encore moins des militaires de la Shinra. Mais ma mère avait insisté pour que je sois plus sociable, qu’il fallait apprendre à vivre avec les envies des autres, surtout sous le même toit. Et même si l’idée me déplaisait, je n’avais pas vraiment d’autre choix.
Quand ils arrivèrent, je me réfugiai dans ma chambre, espérant que, si je restais silencieuse et discrète, je pourrais éviter toute interaction. Les bruits de la maison se mêlaient à la voix de mon frère, les rires des miliciens, mais je m’efforçais de ne pas les entendre. J’étais bien plus à l’aise seule, dans mon petit monde, dans mes pensées.
Puis, j’entendis la voix de l’un des invités s’élever, une question posée à mon frère. « Elle est là, ta sœur ? » La question, comme une sonde qui chercha à percer les murs de ma tranquillité, me fit frissonner. Mon frère, sans vraiment y penser, avoua que j’étais présente. Je soupirai en entendant la réponse, sachant que cela signait la fin de ma solitude.
Avec une résistance apparente, je sortis de ma chambre, me dirigeant vers le salon où les deux hommes étaient installés. L’un d’eux, un grand gaillard avec une mâchoire carrée et un regard perçant, me dévisagea de haut en bas dès que je passai le seuil. Je n’aimais pas la manière dont il me regardait, comme si je n’étais qu’un objet d’observation, une simple présence dans la pièce. L’autre, plus petit, avec des cheveux noirs en bataille, me fit un sourire forcé, mais je pouvais percevoir la froideur derrière ses yeux. Ce n’était pas des sourires amicaux, mais des gestes mécaniques, comme s’ils étaient tous les deux trop accoutumés à faire face à des inconnus qu’ils considéraient inférieurs.
Il n’y avait plus de place sur le canapé, alors je m’assis sur la dernière place libre, un fauteuil au coin de la pièce. Je n’étais pas bien dans ma peau, et je pouvais sentir une tension grandissante entre nous, comme si la moindre parole pourrait faire déborder un vase déjà trop plein. Les regards des deux hommes se firent plus insistants, comme si ma présence les dérangeait, mais je savais aussi qu'ils cherchaient à évaluer qui j’étais. Ce n’était pas une simple curiosité : ils me scrutaient, me jaugeaient, et cela me rendait encore plus mal à l’aise.
Je crois que je ne les avais jamais sentis aussi proches, même s'ils étaient physiquement à l’autre bout de la pièce. Il y avait quelque chose d’hostile dans l’air, quelque chose de palpable, comme une pression invisible qui me faisait me replier sur moi-même. Je baissai les yeux, essayant d'ignorer les bruits autour de moi, la conversation des deux miliciens qui semblait ne jamais s'arrêter. Mais je ne pouvais pas fuir ce malaise, cette sensation que j’étais là, mais que je n’avais pas ma place.
Tout semblait jouer contre moi ce soir-là : ma réticence à les accepter, leur froideur, l’hostilité invisible qui pesait sur la pièce. Tout dans l’atmosphère était étrange, inconfortable. Une tension sourde s’installait, et je savais qu’il me fallait sortir de cet endroit, mais je ne pouvais pas me résoudre à fuir comme une enfant. Alors je restai là, immobile, mes yeux fixant vaguement l’écran de télévision qui diffusait des images sans intérêt, espérant que cette soirée se terminerait le plus rapidement possible.
Le temps, ce soir-là, semblait s’étirer à l’infini.
Je ne savais pas ce qui m’avait poussée à me concentrer sur l’horloge du salon, ni pourquoi je me sentais soudainement plus mal à l’aise qu’avant. Mais quelque chose dans l’atmosphère avait changé, une tension palpée dans l’air, une violence muette prête à éclater. Je sentais que l'ombre d’un danger inconnu se faisait plus proche, que ce qui n’avait été qu’un malaise devenait une menace tangible.
Et puis, tout se déroula à une vitesse folle, un enchaînement d’événements qui me laissa sans le moindre repère. L'un des collègues de mon frère se jeta soudainement sur lui, dans un éclat de mouvement brutal. Le cri de mon frère, pris de surprise, résonna dans la pièce, mais ce ne fut pas cela qui me fit réagir. C’était l’autre homme, celui qui jusque-là me fixait avec un regard glacé, se tournant lentement vers moi avec un sourire qui, tout à coup, ne laissait aucun doute sur ses intentions.
Le temps sembla suspendu. Mon esprit hurla à l’instinct de fuite, à la survie, à l’urgence. Fuir. Fuir maintenant. Mais la panique, le danger, m'enfermaient dans une prison invisible. Sans réfléchir, je bondis par-dessus le canapé dans un mouvement brusque et agile, un réflexe qui me surprit moi-même, mais ce n'était qu’un sursaut vain. J'avais beau être rapide, mes jambes n'étaient pas assez puissantes pour fuir loin de leur portée.
Ils étaient des miliciens de la Shinra, entraînés, brutaux, et moi, une simple jeune femme sans défense. En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, je me retrouvai coincée contre le mur, incapables de faire un seul mouvement vers la sortie. La pièce devint plus étouffante, chaque respiration plus lourde. Mes yeux se firent grands, mon cœur battait dans ma poitrine comme un tambour furieux. Je savais ce qui allait arriver. Je savais, avec une clarté effrayante, ce qu’ils comptaient faire.
Je sentis une main se poser sur mon bras, me serrant avec une force qui me coupa le souffle. Et le pire, ce n’était pas la peur qui envahissait mon corps. Non, ce qui m’effrayait encore plus, c’était cette étrange lucidité, cette certitude glacée qui me disait que j’étais à leur merci.
"Ne fais pas de bruit," me dit l’homme d’une voix aussi froide que le métal, un sourire tordu en coin. Son regard me scrutait, froid et calculateur, comme une bête traquant sa proie.
La terreur tenta de m’envahir, mais je n'avais pas le droit de céder à cette faiblesse. Je voulais hurler, me débattre, mais au fond de moi, quelque chose me disait que cela ne ferait qu’aggraver la situation. Mes mains tremblaient, mes pensées étaient en feu, mais je me forçai à respirer, lentement, profondément. Je savais que crier ne servirait à rien. Sauf que cette fois, ce n'était pas juste un cri de frayeur qui se libéra de mes lèvres, mais un cri de colère pure, froide, un cri qui brûlait tout à l'intérieur de moi.
Mon cri fit l’effet d’une détonation dans cette pièce trop silencieuse. Il n’était pas seulement le reflet de ma peur, mais aussi de la rage qui bouillait en moi, de cette colère sourde que je n'avais jamais su exprimer, enfermée dans des années de soumission silencieuse. Ce cri était une revendication. Un rejet de cette violence, un rejet de la situation, un rejet de cette réalité dans laquelle on me réduisait à rien.
Je criai encore, aussi fort que je pouvais, ma voix se répercutant sur les murs. Pourtant, quelque part, je savais que ça ne me sauverait pas. Pas cette fois. Ces hommes étaient des professionnels, et ma colère, aussi authentique soit-elle, ne les impressionnerait pas.
Le premier, celui qui m’avait plaqué contre le mur, fit un sourire carnassier avant de me saisir plus fermement, me maintenant dans une prise de fer. Je me débattais, mais mes efforts étaient vains. J’étais coincée. En l’espace de quelques secondes, la situation m’échappait complètement, et la peur me rongeait de l’intérieur. La peur de ce qui allait se passer, la peur de ce que je ne pourrais pas empêcher.
Mais au fond de moi, une pensée persistait : Je ne me laisserai pas faire. Je ne serai pas une victime. Malgré l'étreinte des miliciens, malgré leur force, il y avait quelque chose en moi qui refusait de céder. Même si je savais que tout cela ne finirait pas bien. Même si je savais que mes chances étaient nulles face à leur pouvoir.
Je continuai de crier, mon corps tendu, ma voix brisée mais déterminée. Parce qu'il y avait une part de moi qui refusait de se taire, une part de moi qui savait que, même si ce n'était qu'un cri solitaire, il avait le pouvoir de leur faire savoir que je n'étais pas une marionnette qu'on pouvait manipuler à leur guise.
Mais dans cette nuit sombre, je ne savais pas encore que ce cri aurait bien plus d'impact que je n’aurais pu l’imaginer.