Chroniques du Soleil Levant : Avènement d'un Nouveau Japon

Chapitre 4 : 23 mars 1478, Osaka (1/2)

1318 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2017 13:44

Mon très cher Oncle,

 

C'est avec une hâte non dissimulée que je vous écris cette présente afin de vous narrer la nuit d'hier. Il n'est pas exagéré de dire que j'ai pu assister de mes propres yeux à un moment historique.

Confirmant mes pressentiments dans la lettre que je vous avais envoyée la semaine dernière, mes camarades samouraïs et moi-même avons été mobilisés la nuit dernière par notre Daimyo Hosokawa Katsumoto pour marcher sur Kyoto afin de renverser le Shogun. Alors que nous pensions marcher sur le Palais des Fleurs sans être repérés, profitant de l'obscurité de la nouvelle lune, nous avons été interceptés en chemin.

La surprise fut de voir qu'une seule personne était venue à notre rencontre afin de s'opposer à notre avancée, et cette personne n'était autre que le Shogun en personne. Incrédule, tout le monde s'était mis à rire tant la situation était à l'immense désavantage du Shogun, face à notre armée de plusieurs milliers d'hommes.

Mais lorsque le Shogun proposa un duel au général Hosokawa et que celui-ci accepta contre toute attente, nous nous précipitâmes tous autour de ces duellistes sortant de l'ordinaire pour le moins. Tout le monde était excité par le spectacle qui s'annonçait. C'était le genre de duel qui ne se produit peut-être qu'une seule fois dans une vie de samouraï. Et malgré les rangs déjà denses qui s'étaient déjà formés, je parvins à jouer des coudes et à me hisser en bonne place afin de ne rien manquer de ce combat.

En voyant ces deux combattants qui dégageaient un charisme, une aura presque visible, il était facile de comprendre que nous avions à faire à ce genre de personnes à part qui pouvaient faire basculer l'Histoire.

C'est un lieu commun que de dire que chaque individu est unique sans forcément saisir la signification de cette assertion. Après tout, rien ne ressemble plus à une vie ordinaire qu'une autre vie ordinaire. Ce qui distinguait ces deux hommes ce soir-là ne résidaient pas en eux, mais dans leur katana, véritable extension de leur propre corps. Par le travail du maître forgeron, qui martèle l'acier en fusion, le replie, puis le martèle encore et encore, chaque lame, fruit d'une infinité d'heureux accidents, est unique,. Et les deux lames que nous avions sous les yeux, celle entre les mains du Shogun et celle du Daimyo, l'étaient davantage encore.

A en juger par le hamon, cette traînée laiteuse et dentelée, le long du katana du Shogun, il s'agissait là d'une arme forgée par le célèbre prêtre forgeron, Goro Masamune. Elle était simplement parfaite. Un sabre d'une telle qualité n'était réservé qu'à des nobles de haut rang, ce qu'était, cela va sans dire, le Shogun Ashikaga Yoshikatsu. Je remarquai qu'il tenait son katana de façon originale, non pas dressé devant lui la pointe dirigée vers son adversaire, mais tenant la garde des deux mains, au-dessus de son épaule droite, et la lame inclinée vers l'arrière. Cela donnait l'impression de laisser une large ouverture à son adversaire, mais je compris qu'il n'en était rien. C'était dirions-nous une façon de prendre garde sans prendre garde. De plus, l'inclinaison de la lame du Shogun faisait office de camouflage en cela qu'elle rendait malaisé à celui qui se trouvait devant de juger précisément de la longueur du katana, même si d'après mes estimations, il s'agissait d'une longueur standard, soit environ 65 centimètres.

Le Daimyo quant à lui, adoptait une posture classique, campé fermement sur ses jambes, faisant face, katana devant pointant le visage du Shogun. Le hamon de la lame de Hosokawa Katsumoto, contrairement à celle du Shogun, était linéaire et régulier. Ce n'était donc pas une Masamune. Mais pour avoir observé de près ce sabre durant les précédentes campagnes militaires avec le Daimyo, j'avais noté ces gravures discrètes sur l'arête de la lame, caractéristiques du style de Yukihira, célèbre forgeron de la province Bungo. Ce très long katana, d'environ 80 centimètres, devait certainement faire partie des trésors du clan Hosokawa.

Par conséquent, du point de vue de l'allonge, Hosokawa Katsumoto était indubitablement avantagé. Mais je pressentis qu'il faudrait plus que cela pour venir à bout du jeune Shogun.

Les deux hommes se regardaient fixement, intensément. Le silence de mort qui régnait était tel que nous pouvions presque entendre le battement de leur cœur. Sans même avoir croisé le fer, la bataille venait déjà de commencer. La bataille de l'esprit, du sang-froid et de la concentration. C'est aussi cela la puissance d'un samouraï.

La tension au fur et à mesure des secondes s'écoulait à l'image de l'eau remplissant un shishi-odoshi, une fontaine à bascule en bambou, ayant presque atteint le point de rupture.

Soudain les fers s'entrechoquèrent. Profitant de son allonge supérieure, Hosokawa Katsumoto avait bondi sur Ashikaga Yoshikatsu pointe en avant. Mais le jeune Shogun parvint à parer l'attaque et même à riposter dans le même mouvement par un revers du poignet obligeant le Daimyo à reculer et à reprendre sa position défensive. La garde non conventionnelle du jeune Shogun était en fait non seulement une façon de prendre garde sans prendre garde, mais également une garde pour pourfendre en même temps. Mon cher oncle, il me faudra méditer dessus plus posément. Une position ou un mouvement défensif également conçu pour pourfendre, n'est-ce pas là la meilleure des tactiques ?

A en juger par l'imperceptible crispation sur le visage de Hosokawa Katsumoto, le Daimyo était surpris de la parade du Shogun et le complimenta avec la condescendance d'un maître envers un disciple. Le Shogun ne répondit pas, et je pense qu'il avait raison. Sa survie devait passer par la concentration la plus totale.

Alors que la pluie redoublait d'intensité, la terre détrempée faisait de plus en plus place à la boue. Les bottes des deux combattants s'enfonçaient grassement sous le poids de leur lourde armure toute faite de cuir, de fils de soie et de plaques de métal.

La couleur de l'armure de Hosokawa Katsumoto était à dominante noire. C'était une o-yoroi, réservée aux généraux et à l'élite samouraï, elle offrait une protection quasi totale. Une véritable forteresse à quiconque la portait à condition d'en supporter la charge, plus de 30 kg. Le prix à payer était une mobilité très réduite ce qui pouvait être problématique dans un combat au corps-à-corps. Dans le camp d'en face, l'armure rouge-sang de Ashikaga Yoshikatsu, une do-maru, bien qu'il n'était pas possible de la qualifier de légère, était certainement moins lourde de plusieurs kilos, au prix par contre de quelques vulnérabilités, notamment sur les flancs. Mais ce fut un choix avisé et probablement prémédité de la part du Shogun avant de venir en ces lieux, car cela lui conférait l'avantage de la mobilité et de la vitesse face au Daimyo, avantage crucial dans un combat singulier.

Cette analyse fut partagée par Hosokawa Katsumoto puisqu'il commença à retirer son armure pièce par pièce. S'il voulait pleinement bénéficier de son allonge supérieure, son armure était un obstacle. Et par un mimétisme bien compris, Ashikaga Yoshikatsu lui emboita logiquement le pas. Désormais, deux samouraïs, dévêtus de leur carapace, en simple kimono se faisaient face. Il n'était plus possible au simple regard de leur attribuer un rang social. Ni Shogun ou Daimyo, ils n'étaient plus que de simples mortels à la merci de la pluie et du tonnerre qui grondait, sous le regard sans doute curieux des Dieux kami.

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