Monstermen : Les Cinq Seigneurs
Assis pour une énième fois devant le bureau poussiéreux dans le grenier, Isaac termina de placer correctement la petite caméra devant lui, pour filmer son visage ainsi que tous les documents soigneusement empilés des deux côtés. N'ayant pas beaucoup dormi depuis plusieurs jours, le jeune homme souffla un grand coup, passant sa main sur son visage et vérifiant l'heure sur son téléphone portable. Une fois les derniers réglages faits, il enclencha le bouton et parla devant la caméra pour enregistrer un fichier vidéo.
_ Ok. Journal audio entrée 1 d’Isaac Dagon. On est le 20 Octobre 2003, il est huit heures du soir ... ça va faire un peu plus d'un an maintenant que j'ai fait une folle découverte que mes parents m'ont caché pendant toute ma vie.
Il s'empara de la caméra, filmant les fichiers avec précision, puis le mur recouvert de vieux articles de journaux, de dessins et de photos de créatures étranges, puis replaça l'appareil devant lui.
_ Alors, d'après ce que j'ai compris, et bordel ça a été dur, mes parents étaient des sortes de chercheurs, qui étaient particulièrement intéressés par les légendes et les créatures surnaturelles qu'ils pensaient exister parmi nous. Et ce cirque durerait depuis un sacré bail dans la famille, genre depuis les années 1800. Selon leur théorie que j'ai lu dans pas mal de fichiers, notre monde serait en fait entouré de beaucoup d'autres, des sortes de dimensions parallèles, et seraient reliées entre elles par des genres de couloirs dimensionnelles, comme un immense réseau de galeries invisibles se répartissant sans fin ... Oh putain, je peux même pas croire ce que je suis en train de raconter ... Si mes potes m'entendaient, ils me feraient interner direct.
Isaac eut un rire nerveux à cause de la fatigue et du stress, respirant bruyamment pour se calmer et reprit son explication pour le dossier vidéo.
_ Mais ce qui m'intrigue, c'est que c'est trop élaboré pour être juste une blague ... D'ailleurs, quel aurait été l'intérêt de perdre toutes ces années juste pour imaginer un canular comme ça? C'est complètement absurde ... Ou mes parents étaient juste simplement cintrés? ... Pfff, je sais plus ... j'ai mille et une choses à la fois dans la tête et y en à pas une seule qui parait réaliste, c'est à devenir fou ... Ce serait donc ça ma vie maintenant? Devoir chercher une putain de vérité qui n'existe probablement pas?... J'aimerais juste comprendre, c'est tout ce que je demande ... de pouvoir trouver quelqu'un qui saura me montrer la vérité, combler ce vide que je n’arrive pas à remplir ...
Finissant ses mots et plus que fatigué, Isaac arrêta le journal audio et ferma la caméra, avant de retomber doucement sur le dossier de sa chaise. Son regard absent se tourna vers la petite fenêtre donnant sur le ciel qui s'était teint de la couleur de l'encre et laissait apparaître une pleine lune en son sein.
*********
Alice traversait à nouveau le tunnel dimensionnel et savait que cette fois, le moment qu'elle attendait depuis si longtemps était venu. Celui qui se trouvait quelque part n'était autre qu'un humain, qui, selon le seigneur Raegoth, aura eu à subir les caprices cruels que la vie réserve parfois, mais qui aurait tenu bon de toute façon et continuerait à chercher qui il l'est vraiment. Sur les milliards d'êtres humains qui peuplent le monde, Alice espérait trouver cet homme. Elle faisait confiance à son instinct et sa détermination ne lui permettrait pas d'abandonner. Elle repensa à ce à quoi elle avait réfléchie à la forteresse de Lordroth. Elle ne voulait pas trouver son élu uniquement pour mettre fin à la malédiction du Seigneur du Vide, mais aussi pour retrouver ce sentiment du véritable amour qu'elle jadis pensait pouvoir vivre avec Maximilien dans sa vie de mortelle, mais cela s'était avéré n'être qu'un mirage.
Le vortex s'ouvrit à nouveau pour laisser échapper la jeune comtesse, qui marcha sur un sol en béton dur et froid, sous une brise légère venant frôler son visage, le tout sous un ciel nocturne partiellement couvert mais sans annoncer la venue d'un orage. Alice regarda autour d'elle et réalisa qu'elle était sur le toit de ce qui semblait être un immeuble de grande hauteur. Partout autour d'elle se trouvait ce qui s’apparentait à une ville, mais l'architecture des bâtiments semblait plutôt étrange et laid à ses yeux, ne disposant pas de la beauté et de la perfection que pouvait posséder les maisons de son temps. Elle alla au bord du toit et regarda vers le bas. Une cinquantaine de mètres plus loin se trouvait une grande rue, sur laquelle roulaient des voitures métalliques sans chevaux, faisant des bruits étouffés dans leur sillage. Sur les trottoirs, des dizaines de personnes marchaient, toutes occupées à leurs affaires et aucun, heureusement, ne regardant vers le toit de l'immeuble. Tous les bâtiments de la ville laissaient apparaître des lumières sur leurs façades, formant presque un petit champ de lumières dans la nuit. Le monde avait beaucoup changé depuis lors, pensa Alice, dans un amer sentiment de nostalgie. Tout ce qu'elle connaissait du monde humain avait depuis longtemps disparu, et aujourd'hui ce monde moderne était presque pour elle une nouvelle dimension à explorer. Il y avait au moins une chose qu'elle reconnaissait: le drapeau tricolore flottant doucement au-dessus d'un des bâtiments en face. Alice reconnut de suite le drapeau de la France, son propre pays, du moins lorsqu’elle était encore humaine. Elle a également lu les lettres géantes suspendues au-dessus de l'entrée : Mairie de Chartres.
_ Si je me fie à la direction que m’a fait prendre le vortex, c'est donc là que je trouverai celui à qui je donnerai mon coeur? Hmm, très bien, souffla t-elle, quelque peu sceptique malgré le très fort désir de le trouver.
Même s'il faisait nuit, elle ne voulait pas risquer d'être vue par les humains. Elle développa sur elle, à l’aide de ses pouvoirs, un voile d'invisibilité, la rendant totalement indétectable au regard humain, du moins normalement car n’ayant jamais pu expérimenter ce pouvoir en situation réelle. Advienne que pourra, se dit-elle. Alice se laissa flotter doucement au bas du bâtiment, dans la petite ruelle annexe coincée entre le bâtiment et un autre. Debout au milieu de vieux cartons entassés dans cette ruelle sombre, Alice s'avança et vit un chat errant s'enfuir qui, malgré le fait qu'elle était invisible, avait senti sa présence et s'était enfui dans un miaulement agacé. Alice regarda de gauche à droite et après une brève hésitation, s'aventura à marcher sur le trottoir au milieu des humains. Des couples, des célibataires de tous les horizons, tous vêtus plus curieusement les uns que les autres pour elle, passaient à côté d'elle sans ressentir sa présence, heureusement. Pour plus de sécurité, elle choisit également de se rendre aussi transparente qu'un fantôme, et continua à marcher, en regardant cette étrange ville moderne, tout en cherchant celui qu'elle devait trouver. Elle regarda attentivement chaque homme passer à proximité, mais ne ressentit rien de spécial en les observant. Ce n'étaient pas les bons, mais elle n'a pas abandonné et a continué son exploration.
Mais alors qu'elle marchait, des aboiements féroces la firent sursauter de surprise, mais heureusement, elle n'était pas redevenue visible. Devant elle, un rottweiler agité lui aboyait violemment dessus et la regardait droit dans les yeux. Derrière lui, son maître, un homme dans la quarantaine, agacé, tira sur la laisse.
_ Bordel, mais qu'est ce qui te prend enfin? Il n'y a rien là! Allez, ça suffit, on y va !
L'homme s'en alla, emportant avec lui son chien, qui aboyait toujours avec insistance sans que son maître comprenne pourquoi. Alice soupira de soulagement. Même si les humains ne pouvaient pas sentir sa présence, les animaux le pouvaient et semblaient voir sa nature de monstre comme un danger. Elle qui aimait beaucoup les animaux de son vivant et savait gagner leur confiance, voilà qu’elle les rendaient nerveux, cruelle ironie …
Un peu plus tard, vers deux heures du matin, Alice décida de suspendre ses recherches et reprendrait après avoir retrouvé des forces. Pour le reste de la nuit, elle avait trouvée refuge dans un grand immeuble qui semblait abandonné depuis plusieurs années, dans un quartier désaffecté de la ville. L'endroit était rempli de poussière et de toiles d'araignées, et le sol était couvert de débris de toutes sortes. Certaines salles s'étaient complètement effondrées. Elle avait été forcée d'effrayer un groupe de jeunes squatters avec des bruits inquiétants pour les forcer à quitter les lieux et avoir la paix. Assise au premier étage, près d'une des fenêtres maintenant privées de verre, Alice regarda silencieusement les lumières de la ville moderne qui s'étendait devant elle, et la lune, brillante de sa lumière argentée parmi la mer d'étoiles couvrant le ciel.
Alors qu'elle appuyait l'arrière de sa tête contre le mur, elle essayait d'imaginer celui qu'elle devrait rencontrer, qui se trouvait quelque part dans cette ville, et dormait sûrement à cette heure, ignorant qu'elle était là.
Pendant ce temps, quelque part dans la ville, debout à la fenêtre du salon, Isaac était debout, incapable de dormir, puis regarda la lune et ses reflets argentés dans le ciel. Pour une raison qu'il ne comprenait pas, il avait le pressentiment que quelque chose d'inhabituel, allant au-delà des lois mêmes des humains et de leur logique, allait se produire. Il le sentait, dans les frissons qui parcouraient ses membres, son cœur battant et sa gorge nouée. Puis ses doutes grandirent quand il crut voir la lumière de la lune se teindre d’une lueur rouge comme le sang et pendant quelques secondes briller comme un gigantesque rubis. Secouant la tête pour rassembler les esprits, il vit en rouvrant les yeux que la lune était parfaitement normale. Étrange, pensa t-il. Une hallucination à cause de la fatigue ?
Il baissa alors les yeux sur le petit cahier de ses parents qu'il tenait dans une de ses mains, et dans lequel ils avaient notés des choses étranges, et parmi l'un d'eux se lisait ceci: Et quand dans le ciel noir, la lune elle-même rougira du sang qui a été versé, ainsi sonnera le retour des monstrueux seigneurs de jadis, qui dans leur miséricorde pourraient tous nous sauver.
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Alors qu'Alice était partie pour le monde des humains, dans les régions reculées de la Laponie, tout était encore calme, mais pour combien de temps encore, là était la question. Même Raegoth ne pouvait pas le deviner, le Vide étant bien trop vicieux et imprévisible pour laisser voir sa stratégie. Voulant s'assurer qu'aucune menace n'avait encore atteint cette partie du pays, Amon et Tavros partirent en patrouille vers le sud, et UR-66 décida de rester avec Ragoth pour surveiller la forteresse et guetter un éventuel retour d'Alice si un imprévue survenait. La momie et le minotaure marchaient côte à côte, au milieu de la forêt endormie d'arbres ratatinés, observant et écoutant chaque mouvement, chaque son, avec attention. Un groupe de loups aux yeux bleus se montra en courant parmi les arbres, mais ils s'éloignèrent très vite à l'approche des deux monstres, ne les voyant pas comme des proies mais plutôt comme des menaces à éviter.
_ Quand on y pense, vous, UR-66 et moi avons quelque chose en commun, dit Tavros pour briser le silence.
_ Lequel? demanda le pharaon, curieux.
_ Nous sommes tous trois guerriers nés... Vous, en tant que dieu et roi de l'un des plus grands empires de l'histoire, avez sûrement connu des centaines de batailles... UR-66 a littéralement été créer pour combattre, et moi, en tant que minotaure, j'ai été très vite initié au combat par mes pairs.
Amon comprenait son point de vue et reconnaissait réellement ce terrain d'entente qui les unissait.
_ La fatalité semble aimer jouer avec les vies et répéter l'histoire, encore et encore... Ou peut-être qu'après tout ce n'était qu'une coïncidence, qu'en pensez-vous ?
Tavros haussa un sourcil, intrigué par ce que son ami venait de dire.
_ Et si tout cela avait été écrit depuis le début dans les lignes du temps, que vous, moi et UR-66 étions destinés à devenir des seigneurs et à participer à cette guerre ?
Tavros réfléchit un instant à la théorie d'Amon, et dut admettre que même si cela semblait trop fantaisiste pour lui, ce n'était pas impossible. Il existait des forces dans l'univers dont même les monstres ne pouvaient soupçonner l'existence.
_ Croyez-vous aux choses comme le destin ? demanda le minotaure.
_ Mon ami, j'ai vu tellement de choses étranges dans ma longue vie, que je pense que peu de choses peuvent me surprendre aujourd'hui... Si le destin existe, alors j'espère qu'il fera en sorte qu'Alice trouve ce qu'elle recherche, sinon nous sommes tous condamnés.
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Un jour nouveau s'était levé sur la ville de Chartres, et un soleil timide se montrait progressivement au milieu d'un ciel grisâtre, l’humidité ambiante répandant une légère bruine. Dans les rues, les voitures et les gens se rendaient par centaines sur leur lieu de travail pour un nouveau jour. Alice avait dormi quelques heures malgré l'inconfort de son refuge et s'était récemment réveillée, se sentant mieux afin de reprendre ses recherches pour retrouver son élu. Au loin, elle pouvait observer l'activité de la ville en plein essor, dans une monotonie flagrante. Aucun signe de malédiction, aucun phénomène anormal perturbant le climat, et aucune créature maléfique envahissant les rues. Le monde humain était encore hors de portée de Guthul'Araeg, et ignorait que tôt ou tard il deviendrait la prochaine proie du Seigneur du Vide.
Chaque nouveau jour comptait, Alice ne devait plus perdre de temps. Elle devait le retrouver sans tarder. Mais alors qu'elle était sur le point de partir, le bruit de quelqu'un entrant dans la pièce la fit sursauter. Elle se retourna, prête à se battre, mais vit que c'était UR-66, qui était passé par une autre fenêtre du bâtiment et leva droit les bras.
_ Calmez vous dame Alice, ce n'est que moi, dit-il, lui faisant signe de ne pas utiliser ses pouvoirs par accident sur lui.
_ UR-66, par les dieux, prévenez moi avant d'apparaître comme cela, j’aurai pu vous tuer … Au fait, que venez vous faire dans le monde des humains ? Si vous tenez à le savoir, je n'ai pas encore trouvé mon élu.
_ Le seigneur Raegoth a accepté de me laisser vous rejoindre, et compte tenu des circonstances, il a pensé qu'il était préférable qu'il y ait au moins deux monstres de la confrérie dans le monde humain. Alors pendant que vous chercherez, je patrouillerais dans la zone pour identifier les mauvaises surprises qui pourraient survenir.
Alice dut reconnaître que c'était une bonne et sage décision. En ces temps plus que dangereux, mieux valait ne pas rester seul dans un monde. Elle accepta volontiers l'aide de son ami cyborg.
_ Très bien, mais dans ce cas, soyez le plus discret possible. Contrairement à moi, vous ne pouvez pas vous rendre invisible. Il ne faut surtout pas attirer l'attention des humains et prendre le risque de déclencher une panique.
UR-66 lui fit signe de ne pas s'inquiéter et lui promit qu'il serait discret. Le cyborg dévoila un autre de ses gadgets ultra-sophistiqués en activant un dispositif incorporé dans son poignet qui le recouvrit intégralement d'un voile de camouflage reflétant la lumière du jour autour de lui, ce qui le rendit quasi invisible à l'oeil nu et impressionna la comtesse. En regardant attentivement autour de lui, UR-66 commença à s'éloigner en direction du sud, bondissant de toit en toit avec son agilité et sa rapidité surhumaine. De son côté, redevenant invisible grâce à sa magie vampirique, Alice descendit du bâtiment en ruines et reprit sa marche vers un quartier résidentiel qu'elle avait vu hier et décida d'aller y jeter un coup d'œil.
Pendant les quatre heures qui suivirent, Alice chercha sans relâche de quartier en quartier, observant attentivement des centaines d'hommes, mais ne trouvant pas le bon. Elle n'avait pas revu UR-66, mais soupçonnait qu'il était quelque part, probablement sur un toit en train de surveiller les environs grâce à son attirail hautement sophistiqué.
Alice se trouvait à présent du côté du cimetière de la ville, et pouvait voir plus loin la grande cathédrale, dont le sommet disparaissait presque dans le nuage de brouillard qui se formait avec la bruine. Ne voyant personne, elle s'apprêtait à partir chercher ailleurs, mais soudain elle s'arrêta... Du coin de l'œil, elle le remarqua…
Un peu plus loin dans l’une des allées du cimetière, un jeune homme se tenait seul devant deux tombes, et les contemplait dans une de minute de silence. Intriguée, Alice s'approcha en prenant soin de maintenir son voile d'invisibilité et en prenant soin de marcher très lentement sur le sol pour que ses pas ne puissent pas résonner sur le gravier. Elle était maintenant à une dizaine de mètres de lui.
Elle voyait son visage jeune et blanc, les iris bleu-vert de ses yeux brillant d'une certaine mélancolie, ses longs cheveux châtains mouillés par la bruine. Si la plupart des gens qu'elle avait vus étaient habillés de façon ordinaire, ce jeune homme était habillé de façon plus singulière. Bottes noires, pantalon noir, t-shirt noir, une grosse veste noire avec un symbole d'As de pique dans le dos, des mitaines noires sur les mains et un grand chapeau noir, presque comme un chapeau de cow-boy, sur la tête et dégoulinant de petites gouttes de bruine.
Alice se demanda si c'était une tenue de deuil ou s'il s'habillait comme ça tout le temps. Elle regarda les noms gravés sur les tombes, et conclut, en voyant le visage du jeune homme, qu'il s'agissait de personnes très proches de lui, peut-être ses parents. Alice se sentait désolée pour lui même si elle ne le connaissait pas. Ce sentiment d'impuissance qu'elle ressentait venant de lui... C'était le même qu'elle avait éprouvée en faisant face aux tombes de ses propres parents ...
Le jeune homme s'agenouilla et posa sa main, quelques secondes, sur chacune des pierres tombales, et il parla.
_ Maman... Papa... J'ai découvert ce que vous m'aviez caché tout ce temps... Il y a tellement de choses que je ne comprends pas, j'ai la sensation de tourner en rond et ça me rend fou ... Si seulement vous étiez là, vous pourriez tout m'expliquer... C'est tout ce que je demande... Comprendre...
Il parlait d'une voix morose, et vit sa main trembler légèrement de nervosité. Sans qu'il s'en rende compte, Alice assistait à la scène, et bien qu'il soit un étranger, eu pitié de lui. Mais plus elle l'observait, plus il l'intriguait. Elle le sentit dans son cœur. Ce jeune homme était perdu, torturé, seul, mais malgré cela ne voulait pas abandonner et trouver ce qu'il cherchait... tout comme... elle.
Mais alors que le jeune homme se redressait après avoir parlé à ses parents décédés, Alice vit un autre individu d'à peu près le même âge marcher et passer juste à côté d'elle sans la voir ni la sentir.
_ Salut Isaac, dit-il d'une voix calme alors que son ami avait terminé sa minute de silence et le salua lui aussi sans sourire.
Les deux hommes se serrèrent la main. Il s’appelait donc Isaac, se dit Alice en écoutant la conversation.
_ Salut, Aurélien, Isaac a répondu.
_ Alors? Tu tiens le coup ? Mathilde s'inquiète beaucoup pour toi. Elle dit que tu n'as pas dormi ces derniers jours, demanda l'ami nommé Aurélien.
_ Eh bien... J'ai vraiment du mal à accepter ce qui m'arrive ces jours-ci. Il y a des moments où j'aurais envie de me réveiller, comme si tout ça n'était qu'un putain de cauchemar, grogna Isaac en se frottant la tête.
Son ami comprit parfaitement et lui tapota l'épaule.
_ Tu sais qu'on est là pour te soutenir, mec.
Isaac lui sourit et lui rendit sa tape amicale.
_ Je sais bien, et heureusement d'ailleurs. Tout seul je m'en sortirais pas.
Les deux hommes se mirent à marcher vers la sortie du cimetière, et tous deux passèrent près d'Alice, qui s'écarta pour ne pas être touchée. Mais alors qu'il passait juste à côté d'elle, Isaac cessa de parler avec son ami et montra une expression de doute en regardant dans sa direction. La comtesse ne bougea plus d'un pouce. Elle sentit presque qu'il la fixait dans les yeux, alors qu'en réalité il ne voyait rien. Fronçant les sourcils, dubitatif, Isaac tendit la main comme pour toucher devant lui. Alice se recula légèrement, voyant la main du jeune homme brasser l'air juste devant elle. L'autre jeune homme le remarqua.
_ Euh... Isaac, qu'est-ce que tu fais ?
_ Hmm.... Non, rien, il répondit, puis rejoignit son ami, sans justifier, bien qu'au fond de lui, le doute subsistât un court instant.
Peut-être était-ce la fatigue ou son imagination, mais pendant un instant, il avait comme senti une présence juste à côté de lui. Une présence qu'il ne pouvait décrire, mais il avait ressenti une aura profonde de solitude, de tristesse, mais aussi de détermination... Très étrange. Alice, quant à elle, était à la fois intriguée mais aussi confiante. Ce Isaac avait senti sa présence malgré son voile d'invisibilité, et était le seul humain à l'avoir fait. Au fond d'elle, la comtesse le sentit. Et si celui qu'elle cherchait... C'était lui ?
Sentant qu'elle avait enfin trouvé le bon, elle décida de le suivre à l'extérieur du cimetière, en gardant une certaine distance pour ne plus être détectée. Ils discutèrent de diverses choses, l'ami d'Isaac tentant visiblement de lui remonter le moral.
_ Au fait, rassure-moi, on fait toujours le concert de demain soir ? demanda Aurélien.
_ Au début, j'ai pensé à annuler, mais après tout, j'ai besoin de m'amuser... Alors oui, on va le faire.
_ Génial ! Tu verras. Pour la première de notre groupe, ça va être super. Euh... par contre, tu peux me redonner le nom de l'endroit où on va jouer ? J'ai oublié.
_ Décidément, t'as aucune mémoire, soupira Isaac en roulant des yeux, mais se moquant gentiment de son ami. C'est le Jungle Café. Pour t'en souvenir, tu devrais l'écrire sur un mémo sur ton téléphone, c'est à ça que ça sert tu sais ?
_ Je t'emmerde, mec, ricana Aurélien en donnant une tape ferme mais non violente sur l'épaule d'Isaac, qui partagea cette moquerie avec lui.
Les deux hommes continuèrent à parler et commencèrent à déambuler dans la rue, tandis qu'Alice, qui avait tout entendu, resta là où elle était cachée. Elle avait écouté tout cela, et pensait que cela pourrait l'aider à mieux connaître la personnalité d'Isaac et découvrir qui il est. Avant de prévenir ses camarades, elle décida de suivre le jeune humain afin de s'en assurer.
Une demi-heure plus tard, Isaac et son ami se séparèrent, chacun ayant des choses à faire, et Isaac continua seul son chemin vers le centre-ville, toujours suivi à son insu par l'invisible comtesse vampire qui ne le lâchait pas d'une semelle. Isaac se rendit dans un quartier plus vivant, où se trouvaient plusieurs magasins et brasseries, et entra dans un magasin de disques. Isaac se rendit au fond de la boutique, dans un coin spécialisé dans les vinyles et les CD de musique du genre rock et métal. Arrivé devant les rayons, il se mit à chercher parmi plusieurs rangées. Alice l'observait et en même temps regardait autour d'elle. D'autres personnes, pour la plupart des jeunes, étaient dispersées et cherchaient ou écoutaient de la musique avec des casques. N'ayant plus été en contact avec le monde humain depuis très longtemps, Alice se montra plutôt intriguée par tout ceci et se demandait comment la musique avait pu évoluer elle aussi.
Isaac semblait avoir trouvé un album qui lui convenait et décida de l'acheter. L'album d'un groupe appelé Linkin Park. Après avoir payé, Isaac quitta le magasin.
Plus tard, Isaac était de retour dans son quartier et franchi le portail de sa maison pour se diriger vers la porte d'entrée. Alice resta sur le trottoir et le regarda rentrer à la maison. C'est donc là qu'il habite, pensa-t-elle. Parfait, maintenant elle savait où le trouver. Alors qu'il s'apprêtait à fermer la porte, Isaac jeta un coup d'œil derrière lui, ayant toujours cette étrange impression que quelqu'un le regardait, alors que la rue était complètement déserte, ou du moins de ce qu'il voyait. Haussant les épaules, le jeune homme ferma la porte derrière lui. Mais Alice avait finalement décidée de ne pas s'arrêter là. Elle lévita prudemment jusqu'à à la fenêtre, pour jeter un coup d'œil à l'intérieur de la maison. Elle aperçut Isaac ranger quelques affaires, puis monter les escaliers jusqu'au premier étage. Elle s'éleva jusqu'à la fenêtre d'une chambre, qu'elle jugea être celle du jeune homme. La chambre, de taille moyenne, avait un lit modeste, et les murs étaient couverts d'affiches de groupes de métal, de films d'horreur et de films fantastiques. Isaac entra dans la chambre et se dirigea vers un lecteur de CD installé à proximité de son lit. Il prit l'album qu'il venait d'acheter dans la boutique, et inséra le disque dans la machine. Alice l'observa en silence, se demandant ce qu'il allait faire. Isaac prit alors sa guitare basse en mains, et alors que la musique commençait à résonner dans la pièce, une chanson rock assez puissante, il commença à jouer les mêmes notes que la musique sur les cordes basses, reproduisant le rythme, et commença à chanter les paroles de la chanson comme le ferait un vrai chanteur sur scène.
_ When this began
I had nothing to say
And I get lost in the nothingness inside of me
(I was confused)
And I let it all out to find
That I'm not the only person with these things in mind
But all that they can see the words revealed
Is the only real thing that I've got left to feel
(Nothing to lose)
Just stuck, hollow and alone
And the fault is my own, and the fault is my own
I wanna heal, I wanna feel what I thought was never real
I wanna let go of the pain I've felt so long
(Erase all the pain 'til it's gone)
I wanna heal, I wanna feel like I'm close to something real
I wanna find something I've wanted all along
Somewhere I belong…
Derrière la fenêtre, Alice écoutait avec une certaine fascination. Isaac avait fermé les yeux, chantant et jouant les notes à la basse, et semblait vivre ce moment à fond. Ce genre de musique lui semblait être une chose importante, et les paroles profondes de cette chanson en étaient la preuve. Dans son coeur, elle put sentir à nouveau cette chaleur unique, une sensation qu’elle n’avait plus ressentie depuis un âge, ce qui la conforta davantage. Après avoir mémorisée l'endroit où habitait le jeune homme, Alice pensa que c'était bon pour aujourd'hui. Elle commença à s'éloigner, souriante, pensant à la prochaine étape du plan. Mais pour cela, elle aurait besoin des autres membres de la confrérie.
_ Je t'ai enfin trouvé, mon élu, murmura-t-elle avec espoir en s'éloignant dans la rue.
Il lui fallait maintenant faire savoir aux autres qu’elle avait trouvé celui qu’elle cherchait. Mais alors qu’elle partait pour retrouver UR-66, une voix éthérée, fantomatique et féminine l’interpella…
_ Es-tu heureuse, Alice Derune ?
Surprise sur l’instant, la comtesse se retourna pour apercevoir une silhouette se tenir à seulement quelques mètres d’elle. Alice reconnut là la femme entièrement de noir et voilée qu’elle avait vaguement aperçue sur l’île de Tavros et avait crût à une hallucination. Maintenant elle savait que ce n’était pas le cas. Cette femme mystérieuse en tenue de deuil tenait toujours dans sa main une rose noire. Méfiante, Alice garda ses distances et prête à se défendre, bien que cette apparition n’aie pas l’air hostile, mais mieux valait se montrer prudent.
_ Qui êtes vous et pourquoi me suivez-vous ? Demanda la comtesse avec méfiance.
_ Es-tu heureuse, chère enfant ? Es-tu parvenue à faire la paix avec toi-même ? Demanda alors l’apparition spectrale.
Répondre à une question par d’autres, voilà qui n’allait pas faciliter la tâche, pensa Alice. Ces demandes étaient étranges… De quoi voulait parler cette chose ? Cette interrogation rendit Alice encore plus suspicieuse vis à vis de cette chose, mais elle pouvait également sentir une aura de profonde tristesse venir de ce spectre, mais aussi une aura presque… bienveillante et étrangement familière.
_ Répondez-moi… qui êtes vous ? Exigea alors Alice, plus confuse que méfiante désormais.
_ Ta nature est encore trop tiraillée, ton esprit perdu dans un brouillard de confusion… Tu n’es pas encore prête à répondre et faire un choix… Nous nous reverrons, mon enfant…
Sur ces mots cryptiques, l’apparition s’évanouit petit à petit comme si elle n’avait jamais été là, ne laissant que les émanations de son aura lourde de froid et de deuil. Alice aurait bien essayé de la retenir et l’obliger à parler, mais sa trop grande perplexité la retint, l’empêchant même de dire un mot. Elle se demandait qui cela pouvait être mais une part d’elle était persuadée de la connaître… Pas encore prête à faire un choix ? Mais… lequel ?