Monstermen : Les Cinq Seigneurs

Chapitre 1 : Alice Derune

4381 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/11/2024 12:48

France, 1802

Ville de Landding, Normandie


Landding, petite ville commerciale et côtière de la Normandie située non loin du Mont Saint-Michel, et dont la principale richesse provenait de la pêche et des nombreuses mines disséminées dans les collines de la vallée entourant la ville. Landding avait été fondée il y a près de cent ans par la famille Derune, dont les plus anciennes racines remontaient à la Roumanie, dont le fondateur, Andrei Derune, avait fait fortune dans l'exploitation minière et avait décidé de s'installer avec sa famille en France, abandonnant même ses origines pour s'initier au français et se forger un nouveau statut.

C'était un début d'après-midi calme qui commençait par cette froide journée de septembre. Un ciel gris et une légère dissimulation du soleil se profilaient à l'horizon, ainsi qu'une brise fraîche et douce venant du bord de l'océan, faisant trembler et danser l'herbe des collines et les feuilles des arbres. En ville, l'activité battait son plein comme l’accoutumée. Les rues grouillaient de gens venant faire leurs emplettes chez les commerçants nombreux et variés du centre de la petite ville, vantant leurs produits comme étant de la plus haute qualité. Un groupe d'enfants revenait de l'école le matin et vint acheter du pain chaud chez le boulanger du coin. Un groupe de jeunes femmes, vêtues de robes très élégantes, se parlaient et regardaient en même temps les quelques jeunes hommes qui passaient. Sur les quais, les marins travaillaient dur, transportant de lourdes caisses en bois, réparant les filets et préparant quelques bateaux pour partir pour de nouvelles expéditions de pêche. Quelques bateaux déjà prêts partaient déjà, glissant lentement sur l'eau grise opaque de la mer, les marins chantant en chœur sous le tumulte des mouettes, pour se motiver et prier pour que le temps reste calme et que la récolte leur soit favorable.

Situé en dehors de la ville mais la dominant du haut de la grande falaise de roche noire, se dressait un manoir de trois étages, grandiose et luxueux, dont l'architecture victorienne raffinée évoquait une richesse des plus conséquentes. Le Manoir Derune, construit par Sir Andrei Derune lui-même lors de son installation dans le pays, et était resté en possession de sa famille après toutes ces décennies, la famille Derune contrôlant toujours la plupart des commerces de la ville et de la région. La Maison Derune avait même conclu des accords commerciaux avec certaines autres grandes familles françaises, afin de renforcer leur position et leur statut social auprès de la haute société. L'actuel seigneur de Landding était Richard Derune, un homme d'une cinquantaine d'années, légèrement rond et au crâne presque dégarni, arborant fièrement une petite barbe bien taillée. Lord Richard, petit-fils unique encore vivant d'Andrei Derune, était connu comme un homme bon, sachant récompenser ceux qui ne l'avaient pas déçu, mais pouvait aussi être intraitable envers ceux qu'il percevait comme des ennemis.

Au premier étage, dans une chambre de l'aile nord du manoir, se trouvait une femme de 23 ans. Très belle, elle avait un petit nez fin, des lèvres fines roses et des yeux brun angélique. Elle portait une longue et élégante robe de lin violet, cousue de fils de dentelle rouge, et un jabot de dentelle autour du cou. Elle s'appelait Alice Derune et était la fille unique de Lord Richard. Née en 1779, Alice n'avait jamais connue sa mère, Elizabeth, qui mourut en la mettant au monde. Bien que submergé par le chagrin, Richard avait juré à sa défunte épouse de prendre soin de leur enfant, et c'est ce qu'il avait fait. Toute sa vie, Alice n'avait jamais manquée de rien, son père étant très protecteur, parfois même un peu trop envers elle.

Fredonnant doucement une chanson entre ses lèvres de sa voix cristalline, Alice était assise devant son grand miroir aux bordures d'or, occupée à coiffer ses longs cheveux lisses aussi noirs qu’une nuit sans étoiles. Sa chambre était plus que confortable. Une moquette douce recouvrant le sol, un grand lit à baldaquin, une grande armoire contenant ses robes, et un lustre d'argent au plafond... Elle n'avait pas à se plaindre de son sort. Mais malgré sa richesse, Alice se sentait parfois piégée ici, comme dans une grande cage dorée.

Posant son peigne sur le petit bureau sous le miroir, elle se leva, pensive et soufflant légèrement, comme s’ennuyant de cette journée qui lui paraissait bien monotone. Regardant furtivement autour d'elle comme pour être sûre de ne pas être vue, Alcina leva alors une de ses mains vers sa table de chevet. Le petit chandelier dessus se mit à trembler et s'éleva comme par magie d'un mètre dans les airs, sous le regard amusé de la jeune femme. Depuis l'âge de cinq ans, Alice s'était découverte ce don télékinétique, dont elle ne connaissait toujours pas les origines, et n'avait jamais osée en parler à personne, pas même à son père. Les habitants de Landding étant très religieux, elle craignait leur réaction face à ce genre de phénomène et s'était entraînée, secrètement, à s'exercer à maîtriser ce don qui au début, elle dut le reconnaître, lui avait fait plutôt peur mais qu’elle avait appris à accepter comme une part d’elle-même.

BAM ! Un petit bruit de choc se fit soudainement entendre contre la fenêtre de la chambre, surprenant Alice qui perdit sa concentration et laissa tomber le chandelier par terre dans un léger fracas. Alice se retourna et se dirigea vers la fenêtre de son balcon, pour voir une légère fissure sur la fenêtre. En ouvrant sa fenêtre, la jeune femme découvrit un petit corbeau allongé sur le trottoir et immobile. Prenant pitié, Alice le prit doucement dans ses mains. L'oiseau semblait mort. Alice n'avait jamais vu un corbeau comme celui-ci, ce dernier arborant des yeux rouges comme le sang.

_ Mon pauvre petit, je suis tellement navrée pour toi, dit-elle tristement.

Regardant à nouveau par-dessus son épaule pour vérifier que personne ne la voyait et s'éloignant de la fenêtre, Alice ferma les yeux et se concentra. Plusieurs secondes passèrent pendant lesquelles le corps du corbeau fut pris de convulsions progressives et alors qu'Alice ouvrait les paupières, le corbeau sembla reprendre vie et poussa un croassement grave. Soulagée de voir cela, la jeune femme le lâcha et rouvrit sa fenêtre pour le regarder sortir et s'envoler vers les hautes collines. Un autre pouvoir qu'Alice possédait et dont elle n'avait aucune idée de l'origine. Elle pouvait en quelque sorte projeter son esprit quelques instants dans celui d'un autre être vivant, pour voir à travers lui, lui parler, le convaincre, voire parfois le ramener et l'empêcher de suivre le chemin de la mort. Un autre don qu’il ne valait mieux pas révéler aux autres à moins de vouloir finir sur un bûcher.

Ce pouvoir, cependant, demandait beaucoup d'effort mental et Alice ressentit un léger mal de tête et ferma la fenêtre. L'étourdissement dût à l'effort mental fut si grand qu'elle vacilla et dût s'appuyer contre le mur, laissant le temps à ses sens de revenir à la normale. Mais c'est alors qu'on frappa à sa porte.

_ Alice ?

Des tocs à la porte suivis de la voix de son père fit réagir Alice, qui s'empressa de remettre le chandelier à sa place, de fermer un des rideaux pour cacher la craquelure du verre de la fenêtre et alla s'asseoir à son bureau, faisant semblant de lire un livre.

_ Entrez, père.

La porte s'ouvrit et Lord Richard entra, habillé d'un de ses riches costumes et suivi d'un des serviteurs, qui tenait dans ses mains une grande et mince boîte en carton fermée par des ficelles. Alice semblait perplexe à la vue de son père souriant.

_ Qu'est-ce donc? demanda-t-elle en regardant la boîte.

_ Tu ne devines pas ? répondit son père sur un ton malicieux.

Le visage d'Alice s'éclaira aussitôt et un sourire se dessina sur ses lèvres.

_ Est-ce que c'est …?

Elle se leva de son siège et ouvrit la boîte, pour découvrir, bien pliée et neuve, une longue et somptueuse robe blanche du plus parfait satin et de la plus fine dentelle française. Alice resta sans voix devant la beauté du vêtement et serra son père dans ses bras, qui l'étreignit aussi, heureux de savoir que sa fille l'était.

_ Oh merci père, merci de tout coeur. Elle est parfaite! Mais ne pensez vous pas que c'est un peu trop. Je veux dire, loin de moi l’idée de refuser un tel présent mais elle a du coûter si chère…

_ Pour le mariage de ma fille adorée, rien n'est de trop, ajouta Richard fièrement.

Le seigneur Derune ordonna alors au domestique de laisser la robe sur le lit et de se retirer, voulant rester un moment seul avec sa fille, ce que fit le serviteur après s'être incliné respectueusement. Alice retourna à son bureau, tandis que son père, les mains derrière le dos, s'avançait, et nota que sa fille semblait comme ailleurs.

_ Comment te sens-tu, Alice ? demanda-t-il, inquiet.

La jeune femme soupira doucement, ne cherchant pas à cacher son ressenti.

_ Nerveuse pour être sincère, mais heureuse aussi. Rien qu'à l'idée de revoir Maximilien demain et de savoir que lui et moi serons unis pour la vie…

Elle parlait comme une rêveuse, ce qui fit doucement sourire son père. Il s'approcha d'elle, posant sa main sur une de ses épaules et sembla la regarder comme si c'était la dernière fois qu'il la voyait.

_ Tu as grandie si vite, autant dans le corps que dans l'esprit ... Toutes ces années passées à prendre soin de toi me semblent avoir été aussi rapide qu'un clin d'œil, mais resteront pour moi parmi les années les plus heureuses de ma vie.

Elle vit l'humidité naître dans les yeux de son vieux père.

_ Père, soupira-elle.

L'homme continua et s'essuya les yeux.

_ Ah, ne fais pas attention ma chérie. Ce sont là les paroles d’un homme vieillissant submergé par une grande fierté envers son enfant. C'est juste que... J'aurais tant aimer que ta mère puisse voir ce jour.

_ Depuis le lieu ou elle se trouve désormais, père, elle le verra, je vous l'assure, affirma t-elle pour le réconforter.

Son père la remercia pour ces mots, l'embrassant tendrement sur la joue et décida de la laisser à ses affaires, quittant la pièce et fermant la porte derrière lui. Alice resta seule, revivant aussi le douloureux souvenir de n'avoir jamais connue sa mère et de ne voir que ses portraits sur les murs du manoir. Assise à nouveau devant son miroir, la jeune femme regarda son reflet, repensant à une phrase que son père lui avait dite quand elle avait 18 ans, et qu'elle n'avait jamais oubliée : "Tu es quelqu'un de spécial, Alice... L'on dit que seul dieu est capable de prédire ce qui va arriver, mais en tant que père, je peux le sentir. Tu seras amenée à faire de grandes choses qui nous rendrons fiers, ta mère et moi."


Pendant ce temps, à plusieurs lieues de Landding, le corbeau aux yeux rouges ramené à la vie par Alice quelques instants plus tôt continuait à voler par-delà les collines et les petites forêts de la campagne normande, sous le ciel gris et la pluie fine qui commençait. Croassant, il descendit en direction d'un ancien cimetière abandonné datant du 10ème siècle aux abords d’un bois isolé, et en grande partie recouvert par la nature ayant repris ses droits. L'oiseau noir vola parmi les tombes et autres voûtes moisies, et se percha sur une vieille croix de marbre, vestige d'une ancienne tombe. Il laissa échapper plusieurs croassements rauques vers une grande silhouette cachée dans l'ombre d'un groupe d'arbres, dont le rouge brillant des yeux laissaient deviner une nature non humaine. La grande ombre écouta le corbeau et poussa un profond soupir de réflexion.

_ Je l'ai trouvée... Après toute cette attente et ces recherches, le moment est enfin venu.


**********


Le lendemain…


C'était sous un ciel bleu vierge de tous nuages ​​et un soleil radieux qui se présenta au rendez-vous pour le jour tant attendu du mariage. Aujourd'hui, Alice de la famille Derune épousait Maximilien Beaucourt, fils et héritier d'une autre grande famille française et l'un des partenaires commerciaux de la famille Derune. L'annonce de l'événement fut portée à la connaissance de toute la région et un grand nombre d'invités, nobles comme roturiers, arrivèrent dans la cour du manoir et reçus par les serviteurs qui leur indiquèrent le lieu de la cérémonie. De grandes tables drapées de nappes blanches et ornées de guirlandes de fleurs tressées avaient été installées dans le grand jardin derrière le manoir, offrant un nombre important et varié de délicieux plats salés et sucrés. Certains convives venaient manger, servis par les domestiques, tandis que d'autres discutaient, conversant de diverses choses dans une bonne et riante humeur.

À côté des tables se trouvait un petit espace vide utilisé comme piste de danse, où quelques couples venaient d'entamer une valse sous la musique du petit orchestre composé de violons, flûtes et harpe installé sur une petite estrade de bois.

Richard Derune, vêtu de son plus beau costume pour l'évènement, se tenait à l'entrée de son domaine et venait saluer tous les invités dont certains étaient de vieux amis ou partenaires commerciaux. Une calèche tirée par quatre étalons blancs s'arrêta devant le portail et laissa descendre un couple, presque cinquantenaire, très richement vêtu, et suivi par un jeune homme de 25 ans tout aussi élégant, cheveux bruns courts et très bien coiffés et portant une très fine moustache. Souriant, Richard vint à leur rencontre.

_ Sir Thomas Beaucourt. Lady Fleur Beaucourt, c'est un plaisir de vous revoir, soyez les bienvenus, dit-il avec grand plaisir en serrant la main de Thomas.

_ Merci mon brave ami, fut la réponse que donna Thomas de bon coeur. Fort heureusement, le temps semble lui aussi de notre côté.

Le jeune homme de 25 ans s'avança et, en digne représentant bien éduqué de son illustre famille, s'inclina respectueusement devant Richard.

_ Lord Derune, c'est un honneur.

_ L'honneur est réciproque mon cher Maximilien. Ravi de faire enfin votre connaissance.

_ Et qu’en est-il de la future mariée ? J'aimerais la voir avant le début de la cérémonie si cela est possible, demanda alors Lady Beaucourt avec une légère froideur dans la voix et se montrant plus distante que son mari.

_ Oh, Alice se trouve toujours dans ses quartiers pour les derniers préparatifs, mais vous pourrez la voir très bientôt, indiqua Richard.

Fleur Beaucourt accepta mollement cette explication et se tourna vers son fils, lui donnant une légère tape sur l'épaule.

_ Maximilien, allons, dépêche-toi et cours te préparer aussi.

_ Tout de suite, mère... Hum, Lord Richard, pourriez-vous m'indiquer la salle de bain je vous prie, j'aimerais me rafraîchir un peu le visage.

_ Bien entendu mon garçon, c’est par ici, venez.


Pendant ce temps…


Alice avait l'impression de vivre un rêve éveillé tant cela lui parut être surréaliste. Debout, immobile au milieu de sa chambre, elle pouvait se contempler dans le grand miroir, vêtue de cette belle robe de mariée blanche comme la neige, ornée de fils de perles courant le long du corset, un jabot de dentelle blanche à son cou et un voile couvrant l'arrière de sa tête. Elle sentit sa gorge se nouer à cause de l'émotion de plus en plus forte. Elle attendait ce jour depuis si longtemps, depuis que Maximilien, il y a quelques mois alors qu'elle accompagnait son père pour un voyage d'affaires, lors d'une promenade dans un parc à Paris, l'avait demandée en mariage. Une fois que les servantes eurent fini les derniers ajustements de la robe, Alice s'exprima.

_ Je voudrais rester seule un moment, s'il vous plaît.

Les servantes s'inclinèrent et quittèrent la pièce, laissant la future mariée seule. Stressée, Alice respirait profondément, essayant de se convaincre que tout se passerait pour le mieux, que c'était le plus beau jour de sa vie et que rien de fâcheux ne pourrait arriver en un tel évènement. À cette heure, Maximilien devait être arrivé, et il lui tardait tant de pouvoir enfin le revoir et le toucher.

Soudain, des bruits étouffés se firent entendre à proximité, comme des bruits de pas pressés se hâtant dans le couloir. Alice s'arrêta presque de respirer et attendit quelques secondes pour s'assurer qu'elle avait bien entendue. Intriguée, elle ouvrit la porte de sa chambre, pour découvrir le couloir, déserté de toute présence. Pourtant, les bruits continuaient, semblant provenir d'une des autres pièces situées au bout du couloir. Alice descendit le couloir, encore plus perplexe, et alors qu'elle s'approchait, les bruits se rapprochaient et se distinguaient, venant de derrière une porte mal fermée d'une des chambres d'hôtes. Alice reconnut les bruits reconnaissables de vêtements retirés à la hâte, mais aussi des gémissements de plaisir, d'embrassades et de fortes étreintes. Plus qu’intrigué, Alice s'approcha doucement et sans se faire entendre jeta un coup d'œil par la fine embrasure de la porte. Ce qu'elle vit alors la paralysa d'horreur.

Maximilien Beaucourt, son fiancé, embrassait le cou d'une autre femme plus jeune avec voracité, et avec ses mains, était occupé à défaire hâtivement son corset, tandis qu'elle enlevait la chemise du jeune homme et la laissait tomber par terre.

_ Et... Et si on nous surprend ici ? Tu devrais faire plus doucement, gémit la femme entre deux baisers gourmands.

_ Allez... ne t'inquiète pas et laisse moi faire, lui répondit Maximilien d'un ton empreint d'un désir et d'une gourmandise non dissimulé pour sa partenaire.

_ Si tu le dis, ajouta la jeune femme inconnue tout en laissant Maximilien continuer de la déshabiller. Mais honnêtement, je ne comprends pas que tu veuilles épouser cette Alice. Elle est tellement naïve et étrange. Qui pourrait vouloir d'une fille comme elle qui passe son temps à rester cachée chez elle?

_ Justement c’est un plan idéal, expliqua Maximilien en venant la poser sur le lit pour continuer son affaire. En épousant Alice, j'aurai finalement accès à l'immense fortune de sa famille. On attend un peu et après quelques accidents tragiques, cette fortune pourrait être la mienne et toi, tu deviendrais ma dame.

Les deux échangèrent un petit rire satisfait, alors que cachée derrière la porte, Alice avait tout vu et tout entendu. Tétanisée, elle sentit son cœur se déchirer en deux dans sa poitrine, et une souffrance indescriptible se répandit dans son corps et son esprit. Les larmes coulaient de ses yeux et, adossée contre le mur juste à côté de la porte, elle resta figée comme une statue pendant que le couple continuait, inconscient de sa présence. Alice se sentait stupide, trahie, abusée... Comment... Comment Maximilien avait-il pu...? Elle avait toute confiance en lui! Elle l'aimait de tout son coeur, depuis leur toute première rencontre! En une seconde, son monde entier venait de s’écrouler…

Alice ne pouvait plus penser. Bientôt, la tristesse fit place à quelque chose de plus sombre qui germa dans son coeur et se répandit comme un virus jusqu'à son esprit… De la colère qui fit bouillir son sang, et un désir de vengeance se marquant dans sa chair, qu'Alice n'aurait jamais soupçonné en elle-même. Avec sa télékinésie, d'un simple clignement des yeux, Alice ouvrit violemment la porte de la chambre, la claquant contre le mur et surprenant le couple qui se tourna pour la voir, les yeux écarquillés de surprise. Alice s'avança dans le plus grand silence, les joues noyés sous les larmes et le regard empli d'une haine de possédée, tandis que Maximilien s'écartait vite de l'autre fille.

_ A… Alice ? Je… je peux tout t'expliquer…

Comment pouvait-il dire cela, lui qui se tenait sous ses yeux avec la chemise et le pantalon à moitié défaits et aux côtés d'une autre? Toujours sans rien dire, Alice referma violemment la porte derrière elle par télékinésie, sous les regards terrifiés et surpris de Maximilien et de l'autre fille.

_ Je… Alice, mon amour…

_ TAIS-TOI !! cracha-t-elle de colère. COMMENT AS TU PU?! JE T’AIMAIS ! JE VOULAIS T’OFFRIR MON COEUR !

Maximilien ne savait pas quoi faire et tenta de s'enfuir, mais fut bloqué par une chaise glissant devant lui et animé par la télékinésie d'Alice devenant de plus en plus forte. Terrorisé et ne comprenant pas ce qu'il voyait, Maximilien recula, rejoint par l'autre fille, également apeurée et qui poussa un cri d'effroi lorsque la chaise vola brusquement dans les airs pour venir se briser en morceaux contre un mur. Les cheveux d'Alice commencèrent à flotter doucement, comme par magie alors qu'elle laissait volontairement un voile télékinétique invisible mais bien réelle se former autour d'elle.

_ Oh mon dieu, souffla Maximilien.

_ C'est… c'est une sorcière! Un monstre! haleta la fille en se cachant derrière lui.

Alice les regarda avec une haine sans bornes. Les draps du lit s'animèrent par télékinésie, et tels des serpents géants de tissu, vinrent s'enrouler autour du cou de Maximilien et de la jeune femme, les soulevant du sol en les étranglant. Alice les contempla sans rien faire, tous deux pédalant dans le vide et luttant contre l'inexorable suffocation. Et d'un mouvement ferme et bref de la main, Alice leur brisa le cou avec les draps, laissant les deux cadavres sans vie retomber lourdement sur le sol de la chambre.

Alice venait de commettre un acte des plus graves, mais n'en n'avait cure. Silencieusement, elle s'avança vers le corps de Maximilien, qui semblait la regarder avec des yeux sans vie et observer le néant. Tremblante, Alice laissa échapper un hurlement de colère et de tristesse. Sa voix était si puissante, amplifiée par cette force surnaturelle qui vivait en elle, que le verre des fenêtres se fissura et le lit de la chambre fut soulevé par une force invisible brutale et s'écrasa sur le sol. Un domestique, alerté par le bruit, arriva avec précipitation à la porte pour découvrir le macabre spectacle.

_ Oh seigneur... Mademoiselle Alice…

Il eut à peine le temps d’en dire plus qu'une onde télékinétique le frappa de plein fouet et le projeta contre le mur, le tuant sur le coup d'une fracture d'une crâne et de la nuque. Comme possédée et inconsciente de ce qu'elle venait de faire, Alice revint dans sa chambre et sortit du tiroir de sa table de chevet un poignard médiéval qui lui avait été offert par son père. La jeune femme sortit par l'arrière du manoir, sans être vue et regardant droit devant elle sans rien dire, les joues ruisselantes de larmes. Elle marcha sans s'arrêter vers le labyrinthe de haies fleuries situé vers le bas du domaine. Sans avoir besoin d'un plan du labyrinthe, Alice traversa le dédale de couloirs sans se perdre, jusqu'à atteindre le centre, un espace ouvert et circulaire, dans lequel se trouvait un petit autel de marbre, le même autel devant lequel Richard avait jadis demandé Elizabeth en mariage. Alice se dirigea vers l'autel, le poignard à la main et écoutant le vent siffler dans les haies.

La jeune femme s'assied sur les marches de l'autel, et resta quelques instants sans bouger, regardant droit devant elle et laissant le vent froid caresser son visage et ses cheveux noirs. Le ciel bleu et le soleil commençaient à laisser place à des nuages ​​noirs menaçants, et un grondement de tonnerre fusait au loin, comme si la nature ressentait et exprimait la même colère que la jeune femme. Alice regarda vaguement la lame argentée du poignard.

_ Ça aurait dû être… Le plus beau jour de ma vie.

Et sur ces mots, elle plongea la lame ancienne mais toujours affûtée droit dans son cœur. La douleur fut soudaine et insoutenable. Le souffle coupé et souffrant le martyr, Alice retira la lame rougi de sang, et se poignarda une deuxième fois au cœur, puis une troisième et quatrième fois, chaque coup étant plus douloureux que le précédent. Ne pouvant plus respirer, sa robe se teintant de rouge, du sang coulant de son nez et de sa bouche, Alice laissa tomber le poignard sur le sol et s'effondra, suffoquant dans son propre sang et laissant couler à nouveau les larmes. Alors qu'elle sentait le souffle froid de la mort venir s'emparer d'elle, elle remarqua alors la silhouette volante d'un corbeau, venir se poser sur l'autel et la regarder droit dans l'oeil, poussant un croassement sinistre ... Un corbeau aux yeux rouges…

Allongée au milieu d'une flaque grandissante de son sang, Alice ne luttait plus, fermant les yeux dans un dernier et faible soupir.


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