La huitième merveille
Chapitre 29 : WHEN IT’S COLD I LIKE TO DIED
1276 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 05/11/2024 08:25
Moby: When it's cold I like to died
« Il n’y a rien ici » !
Une agréable sensation de légèreté transportait Thésée ; il était comme une plume au vent. Non, en fait, il se sentait plus léger encore ; il était le souffle portant la plume. Il chercha ses mains car il n’arrivait plus à déplier les doigts ; elles avaient disparu. Pourtant, tout semblait normal, indolore. Mieux, il était plongé dans un cocon de douceur.
Une lumière l’aveuglait. C’était si intense qu’il avait un voile blanc de scotché dans les rétines. Mais aussi étrange que cela puisse paraitre, il n’éprouvait pas le besoin de fermer ses yeux. De toute manière, il ne pouvait pas, car il n’avait plus de paupière.
Cela ne l’inquiétait pas. Une chaleur réconfortante traversait chacune des cellules de son être. Thésée était heureux.
Il ne savait pas où il était, ni depuis combien de temps il y était. Mais il s’en fichait.
Une mélodie résonnait quelque part. Au début, il n’y prêta pas d’attention, c’était trop lointain. Mais la récurrence d’un clapotis perturba sa béatitude, comme l’appel strident du réveil durant le sommeil. Il étudia la chose. Finalement, ce n’était pas aussi désagréable qu’un réveil, c’était même plutôt suave. Il associa la mélodie au murmure d’un cours d’eau.
A peine avait-il formulé cette idée qu’un fleuve se dessina devant lui. Cette apparition ne l’étonna pas davantage. Ce fleuve avait toujours été là, mais il n’avait pas fait attention. Cette fois, il prit le temps de l’observer. Ce n’était pas un fleuve ordinaire, c’était un fleuve de lumière. Il était profond, et c’est à peine si on en discernait l’autre rive. Il songea à tremper un orteil, mais il se souvint qu’il n’avait pas de corps.
Aussitôt, des mains lui poussèrent, puis des jambes, et enfin des pieds. Là non plus, il n’avait pas fait attention.
Il s’avança au bord de la berge pour y plonger comme un ange. C’était trop tentant.
— Je serais toi, j’éviterais de m’y baigner.
Il retint son élan et s’étonna, parce qu’il n’y avait personne.
— Et pourquoi ne devrais-je pas m’y baigner ?
— Tu as devant toi le fleuve de l’Oublie, répondit la mystérieuse voix. Plonge dedans, et tu ne retourneras plus jamais sur Gala.
— Ah ! répondit Thésée. Gala ! Mais quelle importance ?
De toute manière, pour rien au monde il ne voulait retourner sur Gala. Il ne s’était jamais senti aussi bien. Rien n’avait plus d’importance.
Un souffle s’éleva tout autour de lui, ses cheveux frémirent.
— Thésée !
Thésée se retourna une nouvelle fois. Une ombre blanche s’était discrètement approchée dans son dos. Il ne voyait pas les traits de son visage, dissimulés derrière une guimpe brodée d’or. Mais cette fois, cette voix, il la connaissait, car, d’une grande tendresse, elle régnait au plus profond de son cœur depuis longtemps, très longtemps.
La silhouette se rapprocha, et, lentement, d’un geste grâcieux, elle releva sa guimpe. C’était une femme, une très belle femme, avec des pupilles violettes.
— Maman !
— Mon grand garçon ! répondit l’ombre blanche.
Sa mère était-là, devant lui, auréolé de pureté. Elle souriait, son visage brillant illuminait celui de Thésée.
— Maman ! répéta Thésée qui ne parvenait toujours pas à y croire.
Il pensait que sa mère était morte. Pourtant, elle se tenait devant-lui, belle. Il voulut se jeter dans ses bras et l’enlacer, mais à chaque fois qu’il avançait, sa mère demeurait lointaine, inaccessible, le dévisageant sans fin, radieuse comme un ange.
— Thésée ! répéta sa mère. Comme tu es un beau garçon.
Une larme roula sur sa joue.
— Maman ! Pourquoi pleures-tu ?
— Parce que je suis heureuse.
Thésée était tout penaud, intimidé. Cette femme qu’il aimait tant, elle était comme une étrangère dont il ignorait tout.
Sa mère s’accroupit au bord du fleuve. Thésée ne l’avait pas tout de suite remarqué, mais elle tenait une petite sébile de bois.
— Tiens, dit-elle en trempant sa main dans le courant.
Elle lui tendit la coupe dans laquelle se reflétaient mille rayons de lumière.
— Mais pourquoi ? s’étonna Thésée qui n’avait pas soif.
— Je serais triste si tu restais ici.
Thésée ne voulait pas attrister sa mère. Il attrapa la coupe, ses doigts effleurèrent ceux de l’ombre blanche. Ce mince contacte suffit à réveiller son courage.
Sa mère attendait, un magnifique sourire gravé sur son chaleureux visage. Thésée savait ce qu’il avait à faire, il ne voulait surtout pas la décevoir. Il trempa ses lèvres dans la coupe et la vida d’une traite jusqu’à la dernière goûte. C’était insipide.
Il voulut rendre la sébile, mais elle avait disparu.
L’air se glaça soudainement, le vent hurla, et le ciel s’assombrit ; des éclairs illuminaient la ceinture de nuages à l’horizon. Un puissant grondement déchira l’espace. Le panache de nuages s’effondra sur lui-même en fracassant le sol avec violence. Thésée réalisa trop tard que l’avalanche céleste déferlait vers lui. En même temps, il était au centre de tout. Il n'y avait aucun endroit pour s’abriter, il allait être englouti, emporté, sans pouvoir l’éviter.
Le visage glacé d’effroi, il chercha sa mère. Sereine, elle continuait de sourire en face de lui ; sa tête penchée sur le côté reflétait les derniers rayons de lune.
— Tu as fait le bon choix, dit-elle pour le rassurer.
Le visage de sa mère commençait à s’étioler ; la nuée se rapprochait furieusement.
Thésée cria :
— Non maman ! Reste… S’il te plait !
— Mon grand garçon, répondit sa mère dont les beaux yeux renvoyaient des étincèles de bonheur. Je suis si fière de toi.
— MAMAN !
Les ténèbres les enveloppaient tous les deux, Thésée était pétrifié, gelé. Il ne voulait pas partir. La nuée ? Il s’en moquait.
— MAMAN !
— Thésée !
Sa mère n’était plus que l’ombre d’une voix.
Thésée hurla ; il hurla comme il n’avait jamais hurlé. Elle venait de disparaitre à nouveau, et elle ne revenait pas. Il savait, au fond de lui, qu’elle ne voulait pas revenir ; mais c’était trop dur à accepter, beaucoup trop dur.
— MAMAN !
Il n’arrivait pas à la rattraper, les jambes paralysées, le cœur fossilisé. Des escarbilles s’envolaient de son âme brisée, elles étaient noires comme sa peine. Le désespoir l’engloutissait de l’intérieur alors que l’abyssal vague noire déferlait sur lui.
— Maman !
Le néant l’ensevelit, les ténèbres moururent. Thésée sombra ! Pourtant, jusqu’à la fin, il ne cessa pas de crier.