La huitième merveille

Chapitre 28 : La conscience de Gala

2127 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/11/2024 08:23

Au moment même où Thésée avait arraché les câbles, l’ombre d’Agamemna disparut et le compte à rebours s’estompa. Tout était de nouveau silencieux dans la demie sphère.  

— Vous avez réussi, confirma Voxa. La bombe est désactivée. 

Thésée poussa un ouf de soulagement et se laissa basculer sur le sol en fermant les yeux. Il se prit la tête entre les mains. Quand il réouvrit les yeux, Célia était penchée au-dessus de lui et le regardait d’un œil de chat curieux. Elle dit : 

— On a eu chaud.

— Tu l’as dit. 

Il se redressa. 

— Agamemna ? 

— Non, moi c’est Célia. Et vous c’est Thésée London ! 

— Célia ! Est-ce qu’Agamemna est encore en toi ?

— Il n’y a personne en moi, répondit simplement le robot comme si Thésée venait de poser une question stupide.

Il inspecta Célia ; ses gaines de cuivre arrachés pendaient comme des morceaux d’intestin éventrés.  

— Tout semble en ordre.  

Il arracha les dernières gaines et referma la plaque ventrale.  

— Je ne peux plus bouger, avertit Célia. 

— Je suis désolé ma grande, mais je ne peux rien faire pour toi. 

Il aida le robot à s’assoir dans un coin de la pièce. En débranchant les fils, il avait non seulement désamorcé la bombe, mais aussi la conscience d’Agamemna enfermée dans la boite de conserve. 

« Il faut que je trouve le moyen de sortir d’ici. » 

Thésée entreprit d’explorer Gala. Il plongea la main dans l’hologramme de l’étoile qui brillait au cœur de la grande sphère. Ses doigts rencontrèrent le petit globe argenté, représentation du noyau où il se situait actuellement. Une série d’images holographiques apparurent devant lui, mais rien qui ne l’informe sur la manière de sortir du noyau d’Archiloque où il se trouvait. 

Il cliqua sur un étrange symbole que Voxa ne connaissait pas.

— Je n’arrive pas à déchiffrer ces signes-là, avoua son génius. Cette langue n’est pas dans mon répertoire. 

Thésée s’impatienta. L’idée de rester enfermé pour le reste de ses jours lui retournait l’estomac. Il appuya sur toutes les icônes accessibles, les unes après les autres, sans savoir ce qu’il faisait, ni quelle répercussion cela aurait. Comme il commençait à s’énerver, Voxa mobilisa toutes son énergie pour aider son hôte. 

— L’ingénieur, dit-elle, Archiloque, il a bien réussi à sortir du noyau quand il a créé l’étoile !

— Parce que tu crois que je n’y ai pas pensé ?  

— Dans quoi sommes-nous exactement ?

— Dans un noyau d’étoile artificielle.  

— Plus précisément. Quelle est la forme de ce noyau ?

— Sphérique !

— Exactement, et pourtant ?

— Pourtant ? Nous sommes que dans la moitié d’une sphère. 

— Ce qui veut dire qu’il y a une autre moitié.

— Qui doit être sous mes pieds. Je le sais, ça. 

— Alors voyez si vous pouvez pivoter le noyau ! 

Thésée s’empressa d’obéir. Il serra la sphère au centre de l’étoile holographique entre son index et son pouce et essaya de la pivoter. Des secousses firent trembler toute la salle. Le mur de la demi-sphère glissait sur lui-même, révélant un passage dans le sol.

— Voxa, tu avais raison. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.  

Il s’agenouilla à l’ouverture. Les ténèbres qui régnaient au fond absorbaient les rayons de lumière. Il ne voyait rien.

— Je suppose que je dois descendre.  

Il s’appuya sur ses mains et glissa les pieds en premier. Au moment où sa tête s’apprêtait à franchir l’interstice, une petite voix l’interpella :

— Au revoir, Thésée London !

Il croisa le regard de l’ingénue Célia. Elle avait, dans l’intonation, une note qui rappelait Spéciae. Un terrible pincement de cœur étreignit Thésée.  

Voxa qui connaissait mieux que quiconque les pensées de Thésée, dit :

— Ne vous en faites pas pour Célia, elle ne peut plus rien désormais. Puis c’est un robot. Souvenez-vous qu’elle ne ressent rien. 

— Ça te va bien de dire ça, ironisa Thésée.

Il avait répété cent fois la même chose à son génius. Pourtant, sur le coup, il avait du mal à y croire. Il fixa une dernière fois Célia. C’était l’enfant de Spéciae, une mignonne création avec une bombe à la place du cœur et un réseau de neurones déjantés.

— Adieu ! répondit-il simplement.

Il franchit la trappe, décidé. 

Une étrange bascule s’opéra au moment où il toucha terre. Le plafond s’inversa avec le sol, comme un sablier retourné. Thésée trébucha et s’étala à plat ventre.

D’opaques ténèbres régnaient sans partage dans cette partie de la sphère. Il éclaira la pièce avec ses gants. Elle était entièrement vide, à l’exception, en son centre, d’une table de pierre posée sur un catafalque.

— Ouvrez-le, dit Voxa. 

Thésée obéit. Le couvercle bascula sur ses gonds. 

Les poils de Thésée se dressèrent le long de son échine. C’était un sarcophage, et il était occupé par une momie. 

— L’étoile d’Archiloque est un tombeau, murmura Voxa. 

Le cadavre se tenait droite comme un i. Thésée déglutit une première fois à la vue de la momie, et il déglutit une seconde fois quand il remarqua les trois impressionnantes aiguilles enfoncées dans le crâne du cadavre. Une quatrième aiguille transperçait profondément la nuque. 

— Je suppose que c’est l’ingénieur, dit Voxa.

— Il est plutôt bien conservé.

La momie tenait un boitier dans sa mains droite.  

— Je comprends mieux maintenant, poursuivit Voxa. 

Elle souriait.

— Qu’est-ce que tu comprends ?  

— Vous allez prendre la place de l’ingénieur dans le sarcophage. 

Thésée pâlit. 

— Tu es folle ! Je n’ai pas envie de finir trépané.

Mais Voxa continuait de sourire et répondit : 

— La mort n’est pas la fin du voyage, Thésée London, elle n’est qu’un passage. 

— Je ne te comprends pas !

— Vous comprenez trop bien, au contraire. Les aiguilles sont là pour opérer un transfert de conscience. Vous allez implanter votre esprit dans le Serveur Central de Gala. Votre mémoire, vos souvenirs, et tous les éléments qui constitue votre existence seront sauvegardez. Vous ne ferez plus qu’un avec la station. 

Thésée n’était plus sûr de vouloir faire confiance à son génius.

— C’est bien joli tout ça ! Mais supposons que tu aies raison. Une fois que ma conscience est là-dedans. Je fais quoi ? Je ne veux pas rester bloqué là ad vitam aeternam.

— Faites un effort, Thésée, cela n’arrivera pas, rassura Voxa.

— Comment ça ?

Voxa soupira. 

— Une fois que vous serez dans le Serveur, vous pourrez implanter votre conscience dans un clone depuis le laboratoire de clonage. 

— Mais comment ? 

— Vous le découvrirez quand vous y serez.  

Thésée déglutit, il connaissait son sort. 

— Je ne suis plus trop sûr de vouloir. 

— C’est la seule solution pour sortir d’ici.

— Oui mais… Mon corps ? 

— Votre corps ?

Voxa chercha ses mots. 

— Votre corps, vous en aurez un nouveau. Ce sera le même, et ce sera un autre. Celui-là restera là, dans ce cercueil, jusqu’à ce que l’étoile d’Archiloque se consume. Vous n’en aurez plus besoin, ce sera comme un résidu de vous-même, votre mue. Vous vous réveillerez comme une aube ordinaire, sans rêve ni souvenir. Car je suppose que vous ne pourrez pas vous souvenir de ce que vous verrez dans le Serveur Central de Gala. Pour que votre corps vous soit rendu à l’identique, vous devrez retrancher de votre âme ce que vous aurez appris une fois là-bas, car nul mortel ne peut posséder une telle somme de connaissances. 

Tout au long de l’année, Thésée s’était entrainé à focaliser son esprit sur les actions essentielles à la survie. Il essaya de mettre en pratique son apprentissage et de cloisonner sa pensée pour ne pas se laisser conduire par ses émotions, mais il ne put empêcher les serrements de son cœur, ni les accélérations de son pouls, ni, non plus, les palpitations douloureuses qui lui pincèrent la poitrine. 

Il libéra la tête du mort, avec une précaution respectueuse. Les aiguilles se rétractèrent d’elles-mêmes, et le bouton du boitier s’enclencha. Il souleva délicatement la momie. Elle était légère comme trois bouts d’os au bout d’une plume. Il la déposa par terre. 

— Désolé mon vieux, changement de locataire. 

Il s’assit dans le sarcophage. Le fond était rembourré et plutôt confortable. 

Mais Thésée réalisa une chose. 

— Voxa ! Comment vas-tu faire pour sortir ? Le Babel ! Il va rester coincé ici ! 

Voxa élargit son sourire: 

— Ne vous inquiétez pas pour moi, Thésée. Comme vous me l’avez si bien dit, je suis artificielle. Je n’y comprends rien aux sentiments.

— Il n’est pas question de ça ! Je ne veux pas te laisser là. 

— Il le faut pourtant. Vous devez vivre, et je ne peux pas mourir. 

Des trémolos roulaient dans la voix de Voxa. 

— Je trouverais le moyen de venir te chercher. Tu dois être enregistré quelque part dans ce foutu Serveur.  

— Vous êtes parfois bêtes, se moqua le génius en souriant.

— Je trifouillerai le Serveur de Gala de fond en comble, mais je te jure que tu ressusciteras avec moi. 

Il caressa les contours de l’oiseau de feu imprimé sur la coque de son Babel. Sa montre ne lui avait jamais paru aussi belle.

— Je vais vous accompagner, dit Voxa. Une fois en place, vous n’aurez plus qu’à appuyer sur le boitier.   

Thésée s’allongea et referma le sarcophage. De son autre main libre, il saisit le bouton pressoir. Son cœur frappait sa poitrine avec la rage d’un lion enfermé dans une cage. Son sang gonflait ses artères, son pouls battait la cadence sur ses tempes, et son foie gargouillait, il n’avait pas fini de digérer. Il mit ses mains en croix, sa main droite contre son cœur, serrant fort son Babel sur son torse, car la montre représentait le corps de Voxa.  

— Êtes-vous prêt ? demanda cette dernière. 

Thésée prit le temps de répondre :

— Je ne sais pas où on va, mais on y va ! 

Il songea aux quatre aiguilles menaçantes qui allaient lui transpercer le crâne. Il commençait à se demander sérieusement s’il ne préférerait pas plutôt mourir de faim. Mais il était piégé dans le sarcophage, il ne pouvait plus bouger.

Voxa l’accompagna jusqu’au bout, resplendissante ; elle n’arrêtait pas de sourire.  

— Thésée, dit-elle d’une voix angélique.

— Thésée se contenta de la regarder avec les yeux de l’esprit. 

— C’est ici que s’arrête notre voyage. 

— Arrête tes conneries, répondit Thésée, je ne t’abandonnerai pas. Je trouverai une solution.   

— Thésée, continua le génius. Je suis heureuse de vous avoir rencontré.

Il voulait la rassurer. Trop tard. Il n’eut pas le temps de trouver les bons mots. Une décharge électrique, reliant son Babel à son Âme, le secoua promptement de la tête au pied, ce qui contracta machinalement les muscles de sa main et le força à appuyer sur le bouton pressoir. 

Au même instant, Voxa s’était exclamée :  

— Alors renais ! 


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