La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre
Chapitre 26: Les destins mêlés
La nuit atteignait sa fin lorsque le paladin phénix réveilla le camp. Les guerriers prirent armes et étendards. Lorsque Tilbar rejoignit Galro pour lui annoncer le rassemblement nocturne, le paladin savait déjà qu’une nouvelle attaque allait être lancée. Il se para de son armure de chevalier de l’Ordre et rejoignit Datral qui admirait les rangs des croisés prêts à partir à la bataille. Lorsque le jeune paladin se trouva aux côtés du paladin phénix, il lui demanda:
_ Alors, qu’est-ce que vous avez découvert pour penser qu’un nouvel assaut soit nécessaire.
_ D’après mes sources, ils ne pourront pas résister à une nouvelle attaque de catapulte. Le mur n’est pas aussi résistant qu’il en a l’air, il suffira d’une heure dans le pire des cas et leur fort tombera en miettes.
Datral souriait déjà à l’idée de faire tomber la mine entre les mains farouches de ses hommes. Galro appréhendait
de devoir se battre pour un idéal bien loin de celui qu’il s’était forgé. Lorsque tous les guerriers de l’Ordre de la Pierre Sacrée furent alignés, les drapeaux à l’emblème Phénix claquaient dans le vent glacial tels des battements d’ailes, le paladin phénix donna l’ordre de marche. Les légions d’or et rouge commencèrent à écraser la neige en rythme. Les trois paladins, guides des voies de Dieu, sur leurs cheveux prirent la tête, le soleil levant traversa durant un bref instant les nuages de glace, les illuminant d’une auréole divine. Aux yeux des croisés, leurs chefs étaient pareils aux anges tant de fois représentés sur les murs des églises. Toujours plongée dans l’obscurité, la mine fortifiée d’Aless les attendait. Les trois hommes admiraient la beauté de la montagne lorsque dans un grincement lointain attira toute leur attention. Les portes s’ouvrirent, un guerrier d’argent sur son cheval en sortit, traînant derrière lui une forme obscure au bout d’une chaîne.
_ Que se passe-t-il ? Demanda le Paladin Fradel.
_ Nous allons bientôt le savoir, répondit Datral.
Les portes de pierre se fermèrent juste derrière le chevalier argenté, qui fit marcher son destrier dans la neige de quelques pas. Le soleil fut assez haut pour dévorer les ténèbres sur le chevalier, Galro le reconnut. C’était Taläsna. Juste derrière sa monture, un grand homme à la chevelure blanche au contraire de sa peau noire, il portait une armure lourde, des gants et des bottes d’acier, mais surtout, une lame démesurée dans son dos. Les yeux de Galro s’écarquillèrent, sa mémoire décida de le lui rappeler malgré toutes ces années de cet instant où les chevaliers blancs lui montrèrent le corps de son père sans vie. Il se souvint à quel point il avait souffert, l’image du monstre de ses pires cauchemars se confondait avec celle du démon à genoux derrière la monture du souverain elfe. Une haine ancienne se réveilla dans son cœur, un désir presque éteint, mais une étincelle ranima sa flamme. L’elfe à la longue tresse noire hurla dans le vent:
_ Je souhaite m'entretenir avec le paladin Galro !
Le chevalier répondant au nom hurlé par le roi sylvain s’avança, mais la main du paladin phénix se posa sur son épaule gauche. Datral le scrutait du regard.
_ Quoi qu’il puisse proposer, refuse. Nul négociation avec l’ennemi. C’est un ordre Paladin Galro.
Le chevalier de l’Église ne répondit pas, mais son regard parlait à sa place. Il avait bien l’intention de négocier. Il se tourna vers Fradel qui lui dit d’une voix peu rassuré:
_ Quelle que soit ta décision, Galro, ne te sacrifie pas vainement.
Les deux hommes savaient mutuellement ce qui allait se passer. Galro tourna son regard vers l’assassin de son père. Il talonna son cheval et trotta jusqu’à arriver au niveau de Taläsna. La rumeur du vent emplissait l’air d’un sinistre froid. Ce n’était ni les flocons, ni la glace, ni le souffle de la montagne qui perturbait tant le chevalier blanc, c’était la douleur du passé qui jaillissait en lui. Lorsque le maître et l’élève furent enfin l’un en face de l’autre, les deux cœurs étaient emplis d’une profonde tristesse. Les deux hommes descendirent de leur monture, sans se quitter des yeux, puis l’elfe tira sur la chaîne. Le démon noir attaché au bout n’eut d’autre alternative que de ramper aux pieds de Taläsna. Il était ligoté et bâillonné par une espèce de liane minuscule mais aussi très résistante car capable de retenir cette sombre créature. Il se souvint des descriptions qu’on lui avait donné de celui qui avait décapité son père, il y correspondait parfaitement. Non, c’était lui. Il se rappela aussi de l’elfe noir qui l’avait menacé lors de l’extermination des loups. Ainsi, Galro avait retrouvé son ennemi de toujours, le monstre qu’il s’était juré de tuer depuis sa chère et tendre enfance. L’elfe noir le regarda à son tour, ses yeux étaient à la fois furieux et à la fois débordants de culpabilité. Pour une raison qu’il ignorait, le visage de Galro était familier à la bête.
_Voici le démon noir qui a décapité ton père il y a environ vingt ans Galro, dit Taläsna. Je sais à quel point ce fut une lourde perte pour l’Église, pour ta famille, et surtout pour toi. Je sais que tu étais fils unique, c’est rare chez les humains de ne pas partager son foyer entre ses innombrables frères et sœurs, et contrairement aux autres enfants de ton âge, tu ne pouvais trouver épaule sur laquelle pleurer. Et je sais à quel point tu tiens à restaurer la justice envers ton père. Alors je t’offre à toi, Galro de l’Ordre du Phénix, la possibilité de juger ce criminel et de choisir ta justice. Je sais que pendant longtemps l’Église l’avait cherché, puis renoncé parce qu’ils l’avaient perdu de vue pendant trop de temps. Mais tu as la chance de ramener la justice qui a attendu pendant trop de lunes. Mais si tu tiens à la justice, tu devras nous rendre un service.
Il lança un bref regard vers les légions dorées de l’Ordre. Galro n’eut pas besoin de se retourner pour comprendre. Il savait où Taläsna voulait le mener, mais il savait également qu’il ne pouvait répondre à sa requête.
_ Dès l’instant où justice te sera rendue, reprit le roi elfe, vous devrez tous partir. Tu devras jurer que nul croisé ne nous attaquera, tu devras nous promettre que plus jamais l’Ordre ne nous trahira. Je sais que ce sera difficile pour toi Galro de te faire entendre, mais si tu tiens à faire justice sans baigner ta famille de déshonneur, tu devras le faire.
Ce que redouta Galro arriva. Le voici prisonnier de deux choix sombres. Toute sa vie il s’était juré de trouver le tueur de son père, et de le tuer, mais s' il acceptait d’endosser le rôle de juge, il jurera à Taläsna et les siens qu’il ferait partir les croisés. Hors, c’était désobéir à Datral, et désobéir à un ordre direct d’un paladin phénix équivalait à la mort et au déshonneur de toute sa famille. Il ne voulait pas voir le portrait de ses ancêtres brûler par sa faute, il ne souhaitait pas que sa famille soit jetée hors de la société parce qu’il a refusé d’obéir aux ordres du paladin phénix. Mais à la fois, si il refusait de laver son honneur du sang de son père en versant celui de son meurtrier, il renoncerait à tout ce qu’il a œuvré pendant toutes ces années, et son âme et son cœur disparaîtrait tous deux petit à petit pour laisser place à un vide dont rien ni personne ne sera capable de le combler. S’il repartait en laissant vivant cet assassin, toutes les nuits son père le hanterait en portant sa tête en dessous de son aisselle et demanderait « Pourquoi ne m’as tu pas rendu justice mon fils ? ». Mais que voudrait réellement son père, que Galro venge sa mort ou qu’il devienne un grand paladin respecté. De son vivant, ce chevalier ecclésiastique luttait pour la justice, et le peuple le respectait. Il fut même surnommé « l’ange de la justice ». Comment Galro pouvait gagner l’estime de l’ange de la justice si lui-même refusait de venger son propre père. Dans sa tête, les voix de Datral et de son père se battaient pour dicter leurs volontés opposées au jeune paladin. Puis, ses anciens souvenirs firent surface. Il se rappela de lorsque lui et son père jouaient encore dans les prés, il voyait cet homme défunt lui raconter ses faits d’armes contre les forces du mal alors que le jeune garçon s’apprêtait à se coucher, il lui revint la douce sensation de chaleur lorsqu’ils se serraient l’un contre l’autre, ces yeux sombres insondables. Un jour, ils étaient assis l’un à côté de l’autre, des fleurs blanches étaient en état d’éclosion avec de fines perles d’eau sur les pétales, et son père lui dit « Sache que notre bonheur est éphémère sur ce monde, au même titre que la vie. Un jour, mon fils, tu deviendras toi aussi paladin. Ton rôle sera d’étendre la durée de ce bonheur, et lutter contre les ténèbres, aide le bonheur et la vie à prospérer. » « Comment lutter contre les ténèbres père ? Lui demanda Galro. » « Ton cœur doit d’abord n’être que pureté. Un cœur gâté par un sombre sentiment ne peut qu’amener plus de ténèbres dans notre monde. Nous le savons parce que Dieu l’a dit aux quatre chevaliers fondateurs. Seul le sentiment de justice doit régner dans ton cœur une fois paladin, car tu sera la lumière dans les ténèbres qui guidera les hommes jusqu’au cœur diabolique de l’ennemi. » « Un sentiment de justice père ? Qu’est-ce que nous ressentons lorsque nous avons un sentiment de justice ? » « À vrai dire, peu d’hommes connaissent le véritable « sentiment de justice » même au sein de l’Ordre. Nous ne pouvons le dire comment nous le ressentons, car aucun mot dans notre langue n’est assez fort pour le décrire. Les elfes lui donnèrent le nom de Ryalden. Une fois que nous atteignons le Ryalden, nous ne pouvons plus accepter l’idée même de l’injustice. Nous nous sentons alors obligés d’aider les innocents contre les criminels. »
« Alors si quelqu’un me fait du mal tu le tueras, c’est cela ? » « Certainement, mais je ne dois pas punir un homme parce que je suis en colère, mais parce que je le dois au nom du devoir de justice qui m'est donné. Sinon, ce n’est plus justice, mais vengeance. Un jour, je mourrais certainement mon enfant. Tu devras punir celui qui m’aura occis, mais tu devra rejeter toute haine de ton cœur pour faire le bon choix, Galro. ». Lorsque Galro abandonna ses souvenirs, ses yeux rivèrent sur l’elfe noir. C’était lui l’assassin de son père, il lui avait tout pris. C’était un criminel, il avait causé tort à son aïeul et à Galro. Il ne pouvait être pardonné, il devait mourir. La lame du phénix jaillit du fourreau, dans un crissement furieux de métal, puis le tranchant de l’épée se posa sur la gorge du démon noir.
_ Pourquoi l’as-tu tué ? Demanda Galro en larmes. Pourquoi as-tu tué mon père ? J’ai tant souffert, du moment où on me montra son corps jusqu’à l’heure qu’il est. Je n’étais qu’un enfant lorsque tu m’as privé de mon père, démon. Tout est de ta faute, tout est à cause de toi, toute ma douleur, tu l’as provoquée. Tu dois être châtié pour tes péchés !
Le chevalier blanc appliqua son arme sur le cou de l’elfe noir qui au lieu de prendre un air terrifié, avait le regard d’un homme qui regretterait ses actes du passés. Au lieu de se débattre pour implorer le pardon de Galro, il semblait accepter la sentence. Il inclina sa tête pour lui offrir sa nuque en offrande. Le paladin se raidit, une brève pensée traversa son esprit lorsqu‘il vit une larme couler des yeux rouges de la créature. « Il pleure ? Il accepte de mourir pour se racheter ? Non ! C’est impossible, ce n’est qu’un monstre, il ne peut pas éprouver de sentiments humains. ». Il serra davantage la garde de son épée, ses muscles se crispant dans ses bras. Il devait le tuer pour que justice soit faite, pour que son père ne soit plus déshonoré. Il voulait le tuer car son cœur était empli de haine.
_Taläsna, je voudrais qu’il puisse me parler.
Le roi regarda Galro, l’homme versait des larmes à grands flots sur son visage, ses yeux étaient rouges de chagrin. Il toucha du bout de doigt les branches qui bâillonnaient l’elfe noir.
Lorsque Warda fut désentravé au niveau de la bouche, il leva sa tête vers le chevalier blanc. Il sentait la froide lame lui entailler légèrement la peau du cou, mais il ne sentait plus la douleur charnelle, seulement la douleur du cœur. Il y a vingt ans, dans ce village, il avait non seulement tué un homme, mais aussi le père d’un enfant qui se retrouva orphelin par sa faute. Il était juste que cet homme veuille le tuer. Il approuvait même son choix. Le paladin lui demanda:
_ Quel est ton nom, assassin ?
_Je suis Warda, je me souviens de toi. Nous nous sommes déjà croisés, à la Tanière.
_ Oui, je m’en rappelle à présent. Tu avais juré de me tuer, comme j’avais juré de te tuer. Mais l’un de nous doit faillir à sa promesse, guerrier sombre. Avant de te trancher la tête, je voudrais savoir...
Il laissa place un long silence, son cœur devait être bouleversé. Tout en continuant à laisser perler ses larmes, il reprit.
_J’aimerais savoir si tu regrettes tes actes.
Les fantômes des hommes qu’avait tué Warda hantaient son esprit, et chacun d’eux le fixait avec un regard accusateur, aussi bien le croisé que Warda avait coupé en deux dans la maison de Raon que la pauvre femme qu’il avait battu à mort. Les innocents, les croisés, les brigands, aucun d’eux ne méritait la mort. À cause de lui, Raon et Hélène étaient morts, par sa faute Carnassus fut tué, parce qu’il était ce qu’il était, il avait causé la mort de l’amour de Jaron : Mélane. Tant de vies pesaient sur sa conscience. Tant de morts parce qu’il était un démon. Il leva les yeux vers le paladin et dit simplement:
_ Oui, je regrette.
Alors que Warda était prêt à mourir pour ses crimes, le paladin sentait son cœur électrique prêt à exploser en un millier d’étincelles. Que se passait-il ? Pourquoi devait-il se passer ainsi ? Ce ne devait pas être comme ça. Galro avait déjà imaginé comment il tuerait l’assassin de son père il y a de cela des années. Il pensait qu’une fois face à lui, il allait l’occire sans hésitation, versant son sang sur l’herbe verte, que sa tête volerait dans le vent avant de retomber dans la boue ensanglantée. Il avait prévu qu’il brûlerait ensuite son corps pour que le Phénix lui dévore son âme. Mais ce ne se passa pas ainsi, car Galro avait en face de lui l’assassin, c’était lui qui tenait l’épée pour enfin décapiter le démon, mais lorsque l’elfe noir avoua qu’il regrettait ses actes, une force invisible raidit les muscles de ses bras. Dans tous les livres qu’il avait lus, dans tous les livres dont il était question d’elfes noirs, jamais il n’avait été mentionné qu’ils avaient une « âme ». Ils étaient incapables de sentiments. Ce n’étaient que des bêtes féroces à la recherche de sang frais. Alors, comment l’elfe noir qui se dressait face à lui était capable de pleurer pour les crimes qu’il avait commis si il était incapable de sentiments ? Celui qui se nommait « Warda » ne cherchait point à fuir, son regard était empli de désespoir, et peut-être voyait-il une libération à travers la mort. Non, ce ne devait pas se passer ainsi. Il le haïssait, il voulait le tuer. Tu devras punir celui qui m’aura occis, mais tu devra rejeter toute haine de ton cœur pour faire le bon choix, Galro. répétait la voix de son père dans sa tête. « Le bon choix c’est le tuer ! Hurla le paladin dans son esprit. Je dois le tuer ! ». Tu devras punir celui qui m’aura occis, mais tu devra rejeter toute haine de ton cœur pour faire le bon choix, Galro. « Il t’a tué, je ne peux pas le pardonner ! Il doit mourir ici et maintenant ! ». Puis il se rappela également de l’ordre de Datral. N’accepter aucune proposition de l’ennemi. Mais quel était le bon choix ? Tuer ce criminel et se faire bannir de l’Ordre de la Pierre Sacrée et subir de dures représailles, ou épargner ce démon, permettre à Datral d’anéantir d’autres vies et délaisser l’honneur de ton père ? Quelle que soit ta décision Galro, ne te sacrifie pas vainement. Quoi qu’il puisse proposer, refuse. Nul négociation avec l’ennemi. Tu devras punir celui qui m’aura occis, mais tu devra rejeter toute haine de ton coeur pour faire le bon choix, Galro. Toutes les voix se mêlaient dans sa tête, devenant une horrible cacophonie. Que faire ? Pourquoi ? Comment ? Il lança un regard désespéré vers Taläsna et dit:
_Si je tue ce démon, l’Ordre me châtiera sévèrement, car j’ai reçu l’ordre de ne rien accepter qui pourrait compromettre cette guerre. Sire Taläsna, je vous prie, aidez moi.
L’elfe sylvain regarda son ancien élève d’un air sévère. Pourtant, au plus profond de ses yeux dorés, il y avait une once de pitié.
_ Toi seul peux décider envers qui tu seras fidèle paladin Galro, soit envers l’Église soit envers l’esprit de ton père.
Galro se tourna de nouveau vers le démon. Il n’avait pas bougé, il attendait toujours la sentence mortelle du chevalier de lumière. Pourquoi est-ce que le destin se jouait de lui ? Il tenait enfin sa vengeance qu’il cherchait désespérément à accomplir depuis tant de temps, et lorsqu’il avait l’occasion de faire justice, il était obligé de faire un choix qui le détruirait de toute manière. « Père, que voulez-vous, que j’accomplisse la justice ou que je reste au sein de l’Ordre ? ». Ne pas te détruire pour une vengeance mon fils, car ce n’est pas ce que je souhaite. Car seule la justice compte, et pour accomplir la justice, il faut un cœur empli de pureté.
Le chevalier blanc tenait toujours son épée sur le cou de Warda qui était prêt à rejoindre l’au-delà. Il ferma les yeux lorsqu’il sentit la lame se dégager de sa gorge pour mieux prendre de l’élan pour le décapiter, mais au lieux d’entendre le son de l’acier tranchant sa chaire, ses os et son sang gicler sur la neige, il entendit le son très caractéristique du métal frottant contre le cuir du fourreau.
_ Désolé Taläsna, dit le paladin, je ne peux accomplir justice. Mon cœur est corrompu par la haine, je ne ferai que vengeance. Mon père n’approuverait pas son exécution.
_ C’est à moi d’être navré paladin Galro, répondit Taläsna. Je comptais sur toi pour restaurer la paix entre nos deux peuples.
Le chevalier en armure blanche regarda une dernière fois le roi Sylvestre, et une dernière fois Warda. Il remonta sur son cheval et rejoignit les troupes à l’oriflamme ornée d’une flamme dorée sur un fond rouge.
_J’ai échoué, dit Taläsna. C’était inévitable, la guerre aura lieu. Tu nous es inutile dorénavant.
L’elfe sylvain tira son arme du fourreau, dont la lame noire aux reflets bleutés attira toute l’attention de Warda. Il posa la pointe du sabre sur sa poitrine.
_Je suis désolé guerrier sombre, dit-il en levant son sabre.
L’air siffla sur le fil du rasoir. L’impact tranchant de la lame résonna tel un écho dans la montagne. Le corps de l’elfe noir tomba dans la neige. Le souverain elfe exécuta un vif mouvement de lame avant de rengainer son sabre... Puis, Warda se releva, les branches qui l’entravaient furent toutes tranchées d’un coup net et précis. Ses muscles lui faisaient horriblement mal, mais il appréciait de retrouver la liberté de ses membres. Il entendit le roi elfe lui dire:
_ Va-t-en. Ne reviens plus.
_ Pourquoi ? Demanda Warda en regardant d’yeux incrédules le souverain.
_Ce n’est pas ta guerre, répondit-il simplement en mettant son casque terrifiant sur la tête.
L’elfe sylvain monta sur son destrier blanc et rejoignit la mine. Warda regarda longuement le seigneur elfe qui disparaissait derrière les portes de pierre. Tout en se massant ses bras endoloris, il se retourna et vit le légions dorées prêtes à charger à l’assaut de la mine fortifiée. Il devait vite partir, la bataille débuterait sûrement bientôt. Ainsi, il partit à toutes jambes en parallèle des deux camps. Les armées de croisés de l’Ordre restaient silencieuses à son passage. Lorsque Warda disparut au milieu des flocons et du blizzard, il entendit un cor. Il tourna dos au champ de bataille, mais cette fois-ci, il entendit un pleure lointain, d’abord très grave, montant de plusieurs octaves dans les aigus en un instant, et revenir dans cette sinistre fréquence dans les graves. Ce n’était pas un cor, mais le hurlement. Un hurlement de loup.
Lorsque le paladin rejoignit Datral et Fradel, le paladin phénix souriait. Il donna une tape sur l’épaule de son subordonné et lui dit:
_Tu as fait le bon choix, Paladin Galro.
_Je sais, répondit le paladin.
Il continua son chemin sur sa monture jusqu’à prendre la tête du bataillon qui tendait la bannière du loup hurlant à la lune. Comme pour lui rappeler cette triste victoire sur la meute de ces créatures, il lui semblait parvenir au loin le hurlement d’un des leurs. Il savait qu’il regretterait de ne pas avoir agi alors qu’il avait enfin l’occasion d’occire l’assassin qu’il a cherché toute sa vie. Le destin se jouait de lui, et le fardeau son cœur devint plus lourd qu’avant. Avait-il fait le choix le plus juste ? Il savait que non, mais à vrai dire, lequel de ces choix était « juste ». Il aurait put empêcher cette folle croisade de se perpétrer, mais la compromettre revenait à se condamner à mort et déshonorer le nom de son père. Quoi que fut son choix, c’était trop tard pour faire demi-tour. Sa voie était dorénavant toute tracée. « Dieu, je t’implore, dis moi si mon choix fut le bon. » se murmura-t-il en regardant Datral prêt à donner l’ordre d’attaque. La catapulte fut placée face à la mine, prête à tirer.
_ Envoyez ces nains dans les flammes du Phénix ! Hurla Datral en baissant le bras.
Le mécanisme de la machine de mort grinça et fit voler une météorite destructrice sur les murailles. À l’étonnement de tous les soldats, le rocher explosa en frappant la muraille qui se craquela sur toute sa surface. Le paladin phénix sourit tandis que Fradel et le reste des guerriers étaient encore sidérés de voir le mur s’émietter alors que le jour juste avant il semblait inébranlable.
_ Quelle magie usez-vous sire Datral ? Demanda Fradel.
_ Dieu est du côté des vainqueurs, répondit Datral alors que les hommes rechargeaient la catapulte.
Les portes s’ouvrirent et laissèrent sortir des chevaliers en armure d’or, montant des chevaux cuirassés d’argent. Le roi, portant le casque à l’effigie terrifiante, était à la tête de cet escadron d’elfes armés de Guanduils et de sabres. Trois rangées d’une dizaine de chevaliers s’alignèrent en brandissant les longues épées comme des lances de joutes. Les portes de pierre se refermèrent derrière eux, et lorsqu’elle fut scellée, le seigneur des elfes dégaina son épée.
_ C’est votre dernière chance, Croisés de l’Ordre ! Hurla Taläsna.
Le paladin phénix s’avança sur son cheval et regarda de haut le souverain des bois. Il dégaina son épée et cria:
_ Roi des elfes sylvains, sache que le courroux de Dieu est suprême. Tous ceux qui s’opposeront à la punition divine seront considérés comme ennemi du Seigneur Tout-puissant.
Il se tourna vers ses soldats et montra fièrement la lame du Phénix. Le chant guerrier résonna dans la montagne enneigée, ce qui emplit le cœur du paladin phénix de joie. Il abaissa sa lame et hurla:
_ Tirez !
Les archers de l’Ordre bandèrent leurs arcs et envoyèrent une pluie de flèches affûtées sur les chevaliers elfes. Ils bloquèrent la plupart des projectiles avec des boucliers dorés, mais certains cavaliers malchanceux tombèrent. Les chevaux affolés se débattirent et les rangs organisés à l’instant d’avant se cassèrent, devenant rapidement un flot de folie. Le souverain ne bougea pas, et contre toute attente, les flèches destinées à son corps semblaient le dévier. Comme si même la mort reculait face à lui. Le roi des elfes brandit son sabre et l’abaissa dans la direction des guerriers de l’Ordre du Phénix. Soudain, les cavaliers reprirent contrôle de leurs montures et suivirent le seigneur des elfes dans le fracas des sabots piétinant la neige.
_ Ils veulent nous empêcher d’utiliser la catapulte, hurla Fradel.
_ Alors nous devons la protéger, cria Datral. En rangs ! Croisés !
Les soldats à la tunique rouge et en armure d’or levèrent les boucliers et abaissèrent la pointe hérissée des lances. Malgré les rangs tenus en blocs d’écus et des rangées de piques nombreux, les elfes chargeaient avec la même fougue. Pendant un instant, les croisés regardèrent les chevaliers des forêts. Sous leur apparat magnifique, un regard dorée les foudroyait tous sous les casques d’or. Puis, ils virent tous le masque du chef qui les guidaient à la bataille, un homme fauve aux crocs d’ivoire, créature absolument terrifiante. Il ressemblait au plus redoutable des démons que cette terre put porter, et il menait sa légion de guerriers implacables. Cette même armure qui inspirait le respect et la beauté chez ces hommes avant cette guerre emplissait dorénavant leurs cœurs d’une peur sans précédent. En face d’eux, des cavaliers à l’allure de rêve baissèrent les Guanduils et la pointe de chacun de ces sabres géants était destinée à pourfendre chaque vie qui fortifiait ce mur. Ils reculèrent d’un pas, levèrent légèrement leurs armes, ils hésitaient encore à obéir aux ordres du paladin phénix ou fuir pour leurs vies. Ils n’eurent pas le temps de trouver réponse à cette question, les elfes à l’allure de démons les empalèrent puis les piétinèrent avec les sabots de leurs destriers. L’elfe en armure argenté au masque de monstre trancha la tête d’un croisé et brandit fièrement son arme recouverte de rubis. Les hommes furent rapidement submergés par la charge des chevaliers elfes et battirent en retraite.
_ Paladin Fradel, Paladin Galro, accomplissez votre devoir. Chargez au nom de Dieu !
Les deux paladins dégainèrent les épées à la garde sculptée en Phénix et chargèrent avec une centaine de croisés. Deux rangs furent rapidement organisés, brandissant des hallebardes qui empalèrent cinq des chevaliers d’or. Puis la foudre de leurs frères s’abattit sur eux accompagné de Taläsna frappant d’un bras vigoureux les malchanceux qui obstruaient son passage. Le paladin Fradel fondit sur un chevalier elfe et trancha sa gorge, versant le rouge sang sur la blanche neige. Un elfe armé d’une Guanduil ensanglantée l’attaqua, mais le chevalier ecclésiastique dévia la longue lame et frappa à son tour sur l’écu doré. Le cavalier elfe abandonna son arme et dégaina un de ses sabres sur son flanc gauche, riposta mais sa lame rencontra celle de Fradel qui la fit vriller avant de la projeter au loin. Il frappa dans la poitrine de son adversaire et une effusion de sang aveugla le paladin durant un instant. Un autre chevalier dorée le chargea, brandissant son sabre d’un air menaçant. Au moment fatal, Galro retira un oriflamme plantée dans la neige et l’envoya dans le ventre du guerrier des bois qui fut désarçonné. Le cadavre tomba dans la neige, une large flaque de sang pourpre l’encercla rapidement. Galro se retourna et para avec son épée un sabre effilé d’un elfe sylvain. Déterminé, il attaqua à plusieurs reprises, cherchant la faille du paladin, frappant avec acharnement. Les deux adversaires luttèrent ainsi durant plusieurs secondes, mais le chevalier en armure blanche eut raison de son ennemi, transperçant le ventre de son opposant. Il retira vivement la lame laissant choir le défunt de son destrier, puis para un nouveau sabre. Un sabre noir aux éclats bleutés.
_ Laisse moi passer Galro ! Ordonna Taläsna.
_ Désolé messire, mais je ne peux accéder à votre requête.
_ Alors puisque nous sommes ennemis, je te tuerai au même titre que n’importe quel homme qui s'oppose à moi.
Le roi elfe dévia l’épée de Galro, frappa un second coup et fut une nouvelle fois paré. Le paladin tenta une contre attaque qui fut esquivée, puis bloqua la Dyaladuil une fois de plus. Taläsna retira sa lame et utilisa tout son bras comme un balancier pour donner une grande puissance à son coup, ce qui désarçonna Galro lorsqu’il para. Sa monture effrayée s’enfuit au grand galop, traînant derrière lui un chevalier blanc qui tentait en vain de remonter en selle. La bataille autour de lui était terrible, les cavaliers des bois s’étaient métamorphosés en véritable fléau, les sabres tranchant tout sur leur passage. Finalement, Galro renonça à reprendre contrôle de sa monture, trancha avec son épée son étrier coincé, et tomba lourdement dans la neige. Lorsqu’il se releva, tout n’était que furie et sang. Les croisés ne savaient où se défendre, car la déferlante était suprême. Ils brandissaient des lances et des épées contre des ennemis qui couraient, non, survolaient comme le vent avant de frapper. Le paladin se retourna, vit une silhouette d’or, frappa de son épée dans le corps mouvant, un cri de douleur en jaillit, et dans la neige se trouva étendu le corps d’un elfe aux yeux d’or couvert de sang au niveau de la poitrine. Son regard était affolé, un épais liquide rouge sortait de sa bouche, sa respiration était semblable à celle d’un homme qui se noie. Galro leva sa lame à la garde du Phénix et transperça le cœur du guerrier sylvestre à travers son armure. Lorsqu’il retira son arme du cadavre gisant, il vit Taläsna brandir son sabre et hurler:
_ Dërtar es darkal fel nardrel !*
À son ordre, tous les cavaliers fendirent la foule ennemie et se dirigèrent vers la catapulte. Datral baissa le bras et un nouveau rocher vola. Il se fracassa contre le mur en emportant avec lui un monticule de pierre qui appartenait autrefois à la forteresse naine. Au troisième coup, la muraille tomberait. Lorsque le paladin phénix aperçut les elfes se rapprocher dangereusement de l’engin de siège, il donna l’ordre aux archers de tirer. Une rafale de flèches transpercèrent la peau des chevaliers dorés, faisant tomber une dizaine d’entre eux. Mais un groupe de survivants suivirent leur roi qui menaçait de son sabre tout opposant à son dessein.
_ Massacrez les tous ! Ordonna Datral en talonnant son cheval pour rejoindre le carnage.
Les croisés chargèrent en hurlant, s’apprêtant à vendre chèrement leur vie, ce qui ne saurait tarder, brandissant lances, hallebardes, épées, âmes et détermination face à l’ennemi. Les cavaliers traversèrent les rangs en décapitant, tranchant, tuant, massacrant le mur vivant à leur rencontre. Les pointes affûtés hérissèrent sur leur passage, mais ils les parèrent avec leurs écus. Lorsque les boucliers se brisèrent, ils dégainèrent leur second sabre et frappèrent de toutes parts comme des furieux déchaînés. Mais aussi rapide fut leur progression à travers les rangs de croisés, les guerriers de l’Ordre les stoppèrent en empalant les chevaux et les chevaliers en même temps. Si les guerriers centenaires survivaient à la mort de leurs montures, les hommes ne tardèrent pas à les achever sauvagement en les transperçant de toutes parts. Seulement six chevaliers accompagnaient le roi elfe dorénavant. Ils étaient si proches de la catapulte, mais Datral et Fradel leurs barrèrent la route. Une aura de flammes bleutées flottait autour de la main droite de Datral souriant comme un démon.
_ Que l’éclair divin détruise ces vermines ! Dit-il en tendant la paume de sa main dont les flammes bleues se rassemblèrent à l’intérieur avant de devenir un éclat blanc qui frappant de pleine force deux chevaliers d’or dont la cage thoracique devint un trou béant.
Alors que les deux cadavres encore incandescents tombèrent de leurs destriers calcinés, Taläsna frappa avec rage sur l’épée de Datral. Les deux combattants se regardèrent yeux dans les yeux, voyant la flamme grandissante de colère dans les deux êtres.
_ Jamais nous ne pardonnerons à votre peuple, dit Taläsna.
_ Dieu aura raison de votre non croyance, horde d’infidèles !
Taläsna tendit une main vers la catapulte, la magilith jaillissait déjà de ses doigts.
_ Ne crois pas que je te laisserai faire ! Hurla Datral en percutant le sabre de son ennemi et lui attrapant le bras.
Une lumière bleutée jaillit de sous sa paume ainsi que de la fumée. Le roi elfe retira son bras brûlé par la magilith et attaqua Datral avec plus de conviction. Les deux opposants s’affrontèrent avec toujours plus d’ardeur, l’acier des deux épées se croisèrent à de multiples reprises sans que jamais l’une touche le corps de l’ennemi. Finalement Taläsna fit tomber Datral avec un coup de pied, mais Fradel lui barra la route. Ils s’affrontèrent à coups d’épées avec tant de fougue que des étincelles semblaient jaillirent à chaque impact. Taläsna prit le dessus grâce à son expérience et sa dextérité, et blessa légèrement le paladin au niveau de l’épaule. Le paladin phénix attrapa l’elfe au niveau de la taille et le jeta dans la neige. Fradel descendit de sa monture, et le troisième paladin arriva juste après, ensemble ils encerclèrent le roi, chacun posant son épée sur la gorge ou la nuque du guerrier au masque terrifiant lorsqu’il se releva. Taläsna fixa les trois hommes qui le menaçaient avec de froide pointe d’acier.
_ Ton heure a sonné, dit Datral. Si Dieu éprouve ne serait-ce qu’un peu de compassion envers toi, il veillera à ce que le Phénix te brûle vite.
_ Malheureusement ton Dieu ne m’atteindra pas, répondit le souverain fière.
Il se baissa, les trois lames s’entrechoquèrent au-dessus de sa tête, puis en faisant tournoyer son sabre il les repoussa toutes. Il s’avança vers Galro, le plus hésitant, frappa à deux reprises pour l’obliger à reculer. Fradel croyant avoir une ouverture s’élança lame en avant, mais au dernier moment le chevalier au masque d’homme fauve bondit sur le côté, l’attrapa par le cou et le plaqua à terre. Datral tenta de décapiter le seigneur des elfes sylvestres, mais sa seule victime fut l’air. Très rapidement Taläsna força le paladin phénix à reculer en attaquant de toutes parts, il para l’épée de Fradel qui attaqua dans son dos, frappa dans le ventre de Datral avec son pied, se décala légèrement sur le côté pour éviter la pointe élancée par Galro destinée à l’empaler. Malgré toutes leurs tentatives, les trois chevaliers blancs ne parvinrent à mettre à genoux leur ennemi commun. Ses gestes, sa rapidité, son endurance, sa détermination étaient bien au-delà de ce qu’un humain était capable. Il les maîtrisait tous les trois, leurs lames n’atteignaient jamais sa silhouette fugitive, et son bras était redoutable lorsqu'il brandissait sa Dyaladuil face aux épées du Phénix. Ce n’était plus le paisible elfe qu’avait connu Galro en ces temps anciens, mais un spectre blanc plus terrible que le plus puissant guerrier. Les quatre armes fusaient dans le vent, se martelaient mutuellement, les éclats argentés et bleutées s’entrecroisaient, l’acier hurlait lors des rencontres incessantes entre les épées. Les serviteurs de Dieu ne pouvaient vaincre ce démon d’argent, et perdaient même la face contre lui. Taläsna sauta sur le cou de Fradel, l’enserra avec ses deux jambes, tournoya autour de lui, et grâce à la force développée par la vitesse acquise, il l’envoya sur Datral. Seul Galro encore debout pouvait lui faire face. Mais voulait-il vraiment l’affronter ? Cette bataille semblait si vaine, voire même dépourvue de sens. Taläsna fut un professeur du paladin, et il devait avoir plusieurs siècles d’expériences. Comment vaincre un roi qui a reçu pendant plus d’une vie humaine une éducation royale, un art du combat propre à cette race, capable d’utiliser la magie d’un clignement d'œil ? Même si Galro devenait le plus grand des guerriers au sein des hommes, il sera toujours ridiculement faible face à un elfe. De plus, c’était Taläsna qui l’avait formé. Il est bien rare qu’un élève arrive à dépasser un professeur si fort. Alors, devait-il encore lever son épée face à Taläsna, ou devrait-il renoncer ? Il chargea, monta son épée au-dessus de sa tête, frappa sur le sabre noire, sa lame fut déviée et il tomba dans la neige. Il leva la tête vers Taläsna qui avait un sourire figé au coin de ses lèvres.
_Es-tu certain de ton choix ? Demanda l’elfe sylvestre.
Galro ne répondit pas, il n’en n’avait pas besoin. Tout autour de lui, la lutte était infernale. Les derniers chevaliers elfes emportèrent plus d’un avec eux dans la mort. Le roi contempla le sacrifice de ses guerriers valeureux, dignes jusqu’à la fin. Il se tourna vers le nord-ouest, tendit une main vers le ciel, une flamme bleutée jaillit de ses doigts, s’envola dans le ciel et explosa en une centaines d’étincelles. La terre trembla, le tonnerre de centaines de sabots résonna. Derrière l’arrière garde des croisés apparurent une centaine de cavaliers elfes, brandissant les Guanduils en hurlant dans leur langue un chant guerrier. Le général Tilbar organisa aussi vite que possible les rangs pour lutter contre ce nouvel arrivant, mais les croisés pris au dépourvu furent fauchés par une centaine de Guanduils meurtrières. Le vieux général prit sa hache à une main, son bouclier sur le bras gauche, et se joignit à la bataille.
_ Protégez la catapulte ! Hurla l’homme borgne au milieu des croisés de l’Ordre affolé.
Il désarçonna un chevalier elfe d’un coup tranchant dans son cœur et ses poumons qui se vidèrent de leur sang. Il bouscula un autre d’un coup de bouclier puis para une Guanduil qui fut à deux pouces de son cœur. Il décapita son ennemi, abandonna son écu, tua un autre elfe avec sa hache. Taläsna tendit son bras, attrapa la bribe de son destrier chevauchant sur son flanc, lui grimpa dessus et se dirigea vers la nouvelle bataille. Galro se releva pour le suivre, mais c’était déjà trop tard.
_Tu es à la traîne ! Monte !
Le paladin se retourna et vit le général borgne couvert de sang. Il lui tendait une main pour l’inviter à grimper sur son cheval. Galro l’attrapa et rejoignit le vétéran qui talonna les flancs de son destrier.
_ Ils auront bientôt fini de charger la catapulte, lui annonça Tilbar. Nous devons les repousser !
_ Alors nous sacrifierons nos vies pour la victoire !
Les deux hommes entrèrent dans la foule déchaînée, rencontrèrent deux cavaliers elfes qui les chargeaient Guanduils dressées droit sur leurs cœurs.
_ Prend celui de droite, dit Tilbar.
Galro brandit son épée, et frappa dans la poitrine de l’assaillant sur leur flanc droit, pendant qu’en même temps Tilbar trancha la cage thoracique de celui de gauche. En voyant que deux autres les attendaient, ils inversèrent l’orientation de leur attaque et tuèrent instantanément.
_Bien joué gamin ! Hurla Tilbar en ramassant une lance plantée dans le sol. Tiens !
Galro attrapa l’arme lorsque Tilbar lui envoya, vit un elfe sur leur gauche exhibant ses sabres dans chaque main, lui transperça le cœur et le fit tomber par terre.
_ Comment savais-tu ? Demanda Galro.
_Je l’ignorais.
Le général trancha le cou d’un chevalier doré dont la tête roula dans un blanc drap de neige tâché de pourpre. La silhouette argentée de Taläsna apparut dans les ombres mouvantes de la bataille, Galro pointa son épée dans sa direction et ordonna à son subordonné de le suivre. Il reçu comme réponse:
_ On l’aura ce fils de catin !
Ils traversèrent les rangs de croisés qui faisaient face aux elfes de leur mieux, pourfendirent tous obstacles sur leur chemin. Tilbar donna un coup de hache dans le crâne d’un cheval, faisant tomber le cavalier dessus qui fut achevé à terre rapidement par la horde de soldats qui n'attendait que ça. Ils retrouvèrent le cavalier d’argent galopant au milieu des hommes en armure d’or et tunique rouge, tranchant la gorge de quelques-uns au passage.
_ Le voilà ! Hurla Galro. Ne le perd pas !
_ Puisque je te dis qu’on l’aura cette enflure !
Les étriers du général à l’œil crevé frappèrent de nouveau les flancs du cheval l’obligeant à tenir la cadence. Le roi se dirigea vers la catapulte, dont le rocher était prêt à s’envoler.
_ Il faut le stopper ! Fit Galro en s’agrippant à son compagnon dans un virage.
_ Pas de problème messire !
Le général se dirigea vers une Guanduil plantée dans la neige et hurla:
_Attrape !
Le paladin tendit la main et parvint à s’emparer de l’arme lorsque le cheval fut à son niveau durant un laps de temps très court. Tilbar talonna une fois de plus sa monture, ils n’étaient plus qu’à quelques foulées de cheval derrière le roi elfe, qui tendit une main vers le trébuchet, la magilith rayonnante dans sa main.
_Ne le rate pas, dit Tilbar lorsque Galro envoya le long sabre pourfendre l’air.
Une sphère de lumière se formait dans la paume de la main du roi elfe, la lame géante fendait les flocons sur son passage, les cordes de la catapulte atteignirent leur tension maximale, le paladin phénix se releva, la sphère devint une étoile étincelante entre les doigts de Taläsna, la Guanduil volait droit sur le guerrier argenté, Datral leva et baissa le bras en hurlant l’ordre de tirer, la corde fut coupée par un glaive, l’étoile embrasée se replia sur elle même prête à exploser, l’épée géante s’inclina légèrement et perça le flanc du cheval, le roi déséquilibré perdit concentration durant un instant et sa boule de feu frôla la catapulte qui envoya le rocher vers les cieux avant que le souffle de l’explosion ne l’emporta. Le roc prit de la vitesse lors de son vol et tomba de plein fouet sur le mur qui se brisa, un trou béant éventrait la mine laissant les nains et les elfes réfugiés à l’intérieur exposés à la rage des croisés de l’Ordre qui chargeaient dans leur direction. La boule de feu terrifia la monture de Tilbar qui se cabra et renversa ses deux cavaliers avant de prendre la fuite. Le paladin et le général se relevèrent difficilement, encore désorientés par le tonnerre du feu. Lorsque Tilbar vit le mur effondré, il hurla victoire.
_Par les saintes putes ! Nous avons réussi !
Galro se releva, et regarda Taläsna aux côtés de sa monture, lui caressant le flanc couvert de rouge et lui murmurant de douces paroles dans l’oreille. L’animal agonisant soufflait et lâchait de petits cris torturés, du sang sortait de ses narines et de sa bouche. La Guanduil le traversait de part en part, perforant sur son passage organes vitaux qui mouraient lentement. Le roi des elfes était à genoux à côté de son fidèle cheval mourant, dégaina Jindaïlyu tout en rassurant la pauvre bête, lui ferma les paupières et lui transperça la nuque. Une dernière convulsion secoua le corps de cette magnifique créature qui l’instant d’après devint inerte, pour toujours. Le seigneur elfique se releva, secoua son épée pour se défaire du sang, l’essuya contre le revers de sa main et rangea son arme dans son fourreau. Galro s’approcha de la sinistre scène, Taläsna était encore en deuil de la mort de ce splendide animal.
_ Je suis navré, dit le paladin.
_ Malheureusement, vous ignorez tout du mal que vous causez à ce monde. Ce cheval m’a été confié par un très ancien ami, je l’ai élevé depuis sa naissance. Et voilà que j’ai dû abréger ses souffrances de mes propres mains. Regarde tout autour de toi Galro.
L’homme regarda le carnage qui les encerclait. Les hommes et les elfes usaient de leurs armes les uns contre les autres, luttant pour remporter une victoire qui ne signifierait pas grand-chose. Quand les croisés furent à proximité de la mine, des archers elfes jaillirent de la neige où ils s’étaient cachés en amont de la mine et fléchèrent les assaillants. Les arbalétriers dorés en tunique rouge visèrent et envoyèrent une volée de carreaux assassins qui firent tomber grand nombre de ces êtres qu’ils considéraient autrefois amis. Les nains et les guerriers de Taläsna encore à l’intérieur de la mine sortirent, faisant rempart avec leurs corps, et combattirent les hommes de l’Ordre de leur mieux. Les gardes nains étaient munis d’une hache ou d’une large épée et d’un pavois aussi grand qu’eux, ils envoyèrent plus d’un à terre lorsque leurs terribles armes frappaient. Les mineurs prirent pioches, pelles, marteaux, maillet, lanternes, tout ce qui pouvait cogner ou trancher, et luttèrent pour leur survie. Les grands elfes des bois usaient de leurs lances et de leurs sabres pour faire reculer l’ennemi en surnombre. Les combattants du Phénix furent soutenus par du renfort encore en retrait, le massacre fut total. Des hommes à l’étendard du lion et du loup forçaient les cavaliers elfes à battre en retraite, la victoire de Datral semblait inévitable. Galro sentait un poids pesait sur son âme.
_ Tu aurais pu éviter ces effusions de sang, lui dit Taläsna. Mais tu as décidé d’être obéissant envers une église qui a trahi tous tes idéaux. Pourquoi n’as tu point vengé la mort de ton aïeul ?
_J’ai juré fidélité à l’Église lorsque je suis devenu paladin, répondit Galro.
_ C'est ton Église qui ta trahit ! Si tu crois que tu préserveras ton honneur à ses côtés, sache que tu te trompes. La cause pour laquelle tu te bats est sale.
_Peut-être que je me suis trompé sur l’Ordre, mais j’ai juré de suivre les préceptes de l’Église, comme mon père et tous mes ancêtres.
_ Alors tu seras mon ennemi.
Le seigneur des elfes sortit sa lame noire aux reflets bleus de son fourreau, faisant crisser le métal. Le paladin fit de même, tenant d’une ferme poigne la garde à l’effigie du Phénix. Les deux hommes s’approchèrent l’un de l’autre, piétinant la blanche neige, avec dans leurs cœurs respectifs un mélange de regret et de colère.
_ J’avais dit que je te tuerai avec la même considération que n’importe quel homme qui barrait la route, dit Taläsna. Je pense que je ne peux tenir cette parole. Tu n’es pas n’importe quel homme, tu as été autrefois sous mon enseignement. Nous nous sommes liés inévitablement, et te savoir contre moi est si douloureux pour mon âme. Je te tuerai car tu es un traître au même titre que ta nation, mais ta mort sera plus douloureuse que celle des autres soldats que j’ai occis car tu as blessé mon cœur, et je ne peux pas te le pardonner.
_ J’ai reçu l’ordre de t’arrêter Taläsna, et tant que je n’aurais pas tout tenté pour le faire, je continuerai à croiser ton fer.
_ Alors meurs.
Jindaïlyu et l’épée du Phénix se frappèrent l’un sur l’autre, dans un éclat sonore étincelant. Les deux adversaires se regardaient yeux dans les yeux, cherchant à trouver la faille dans l’âme de l’autre. Galro dévia la lame noire et bleutée, leva sa lame et fut de nouveau paré. Taläsna fit de même et ne parvint pas à toucher le paladin. Ils s’affrontèrent avec tant de cœur et de courage qu’un artiste aurait pu peindre cette scène dans un livre sacré. Les deux guerriers virevoltaient au-dessus de la neige froide, la douceur des flocons contrastait avec la violence du combat, les deux épées se croisaient et se recroisaient à de nombreuses reprises, tranchant sur leur passage les blanches pétales tombantes du ciel. Nul n’arrivait à prendre le dessus tant ils se battaient avec ferveur. Chacun luttant pour l’honneur refusait de céder du terrain. Feintes, parades, esquives, attaques, contre-attaques, revers de lame, toutes tentatives de blesser l’ennemi échouaient. Galro parvint à faire perdre l’équilibre à Taläsna, profita de l’ouverture pour lui donner un coup de pied derrière son genoux droit, se mit dans son dos et sa lame fondit sur la nuque exhibée...
_Tu as bien dis que tu feras tout ce qui es à ta portée pour me stopper, alors pourquoi ne pas me tuer Galro.
La lame glacée du paladin était posée sur le cou du souverain des elfes, à genoux, de dos au chevalier de l’Église. Galro tenait fermement son épée à deux mains, mais il ne pouvait se résoudre à décapiter son ancien professeur qui lui apprit tant dans le domaine de la magie. Il respirait lentement, mais son cœur était emballé dans sa poitrine. Il éloigna légèrement son arme de la peau de l’elfe.
_ Je refuse de te tuer, mais je suis encore capable de t’obliger à te rendre.
_ Nous elfes ne nous rendons jamais à l’ennemi, nous combattons jusqu’à la fin.
_ Pourtant tu as cessé de te battre avant ta sentence. Tu es vaincu, c’est inutile de verser davantage de sang.
Le paladin fit une terrible erreur, il enleva le tranchant de son épée de la gorge du guerrier argenté qui profita de l’occasion pour bondir, se retourner, frapper du pied dans le ventre de Galro qui tomba dans les débris de la catapulte, tendit sa main auréolée de magilith ardente qui se matérialisa en un tourbillon givré dans la paume gantée et gela le bras droit de son ancien apprenti. Un bloc de glace immobilisait dorénavant tout de l’avant-bras jusqu’à l’épaule. Galro regarda son bras puis Taläsna qui se dirigea vers la bataille.
_ Maintenant, j’ai tout tenté, se dit le paladin soulagé.
Le roi des elfes se joignit à la cohue où ses chevaliers, ses guerriers et les résistants nains luttaient pour leur survie. Il éviscéra un soldat, frappa dans la poitrine d’un autre, tranchait les membres des malchanceux qui croisaient son chemin, évitait les innombrables armes élancées dans sa direction. Un croisé de l’Ordre survint dans son dos, mais Jindaïlyu mit fin à ses jours sans même que le seigneur se retourne. Taläsna était un fauve libéré au milieu d’une horde de chiots affolés. Il se retourna, para une épée, se baissa pour esquiver un glaive sifflant au-dessus de sa tête, trancha net les quatre jambes face à lui, acheva l’un des deux blessés, transperça le ventre d’un nouvel opposant, retourna sa lame au milieu des boyaux, la retira avec tant de force qu’il décapita un lâche dans son dos. Il tuait autant d’adversaires que possible, ils étaient toujours trop nombreux, trop téméraires. Le guerrier au masque d’homme fauve sauta sur le côté pour éviter une lance, coupa le bras de son porteur avant de lui trancher sa gorge qui devint fontaine de vin au goût de fer. Un nouveau croisé l’attaqua, mais sa lente lame fut aisément paré et le soldat décapité, mais une vive douleur perça le flanc de Taläsna. Il sentit le métal sortir de sa chaire, du sang coulait sur son armure étincelante. C’était son sang. Taläsna tua son agresseur, mais un autre coup lui fut porté dans son dos. Il se retourna mais il ne put parer l’épée qui lui fut plantée dans la jambe. Il frappa celui qui l’avait blessé, et tendit son bras et dit:
_ Vaërdar jin dalferdals, Jindaïlyu !*
De ses blessures s’échappèrent des émanations de fumées, une brûlante douleur envahit tout le corps de Taläsna. Ses plaies se refermaient à une vitesse prodigieuse, mais pas assez vite pour que le roi qui fut marqué d’une nouvelle plaie. Il attrapa à pleine main une épée qui fut destinée à lui transpercer la tête, empala son ennemi avec sa Dyaladuil avant qu’un autre croisé lui inflige une blessure plus sévère au niveau du ventre. Taläsna tomba à genoux, tentant vainement de se tenir sur son épée, mais son corps affaibli manquait de force. Il allait mourir, malgré sa volonté de survivre. Il allait tomber, Lindilla serait la dernière membre de leur famille, elle allait être seule, et son dernier souvenir de lui allait être cette trahison.
_ Désolé sœur, la mort réclame son dû.
Il sentit une lame posée sur son coup, il voyait le soldat prendre son élan, il allait le décapiter lorsqu’une ombre gigantesque recouvrit Taläsna et son exécuteur. Une longue et large lame trancha en deux le croisé. Taläsna leva son regard, il aperçut une ombre terrifiante qui le fixait avec des yeux rouges.
Vaërdar jin dalferdals, Jindaïlyu !: Soigne mes blessures, Sabre de la vie.
Dërtar es darkal fel nardrel !: L’heure de la mort a sonné