La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 25 : Répondre à la flamme par la flamme

15193 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/12/2024 07:56

Chapitre 25: Répondre à la flamme par la flamme





Les seigneurs elfes sylvains des quatre régions de la forêt étaient réunis devant une grande table, une immense carte dépliée dessus. Assis dans le fauteuil à l’extrémité de la table, Taläsna regardait attentivement chaque commandant. Une étincelle de haine brillait dans leurs yeux dorés. Et l’étincelle était justifiée, car l’heure était grave. Il montra aux seigneurs elfiques une copie traduite de la lettre et la jeta au milieu de la table.

_ Voilà la raison qui m’a poussée à faire appel à vous, proclama Taläsna. L’Etale nous a trahi, en ce moment même ils attaquent les mines situées sur Léondia. Nos alliés nains subissent l’attaque de l’Ordre en ce moment même. Par le pacte d’alliance que nous avons forgé avec les nains, nous devons les secourir.

L’un des elfes qui portait deux tresses le long de ses tempes leva la main pour demander l’autorisation de parler. Le roi l’y autorisa d’un signe de ses longs doigts fins. 

_Ce que vous voulez dire sire Taläsna c’est que nous risquons nos vies pour ces petites créatures qui refusent de nous regarder ?*

_ Il y a de quoi se poser des questions messire, dit un autre.

_ Nous le devons, répondit clairement Taläsna, ne cherchant pas à en ajouter plus.

Lindilla entra dans la salle, et vit le conseil de guerre réuni. Les seigneurs la saluèrent de manière cérémoniale immédiatement, car la vue de la princesse était considérée comme un honneur. Taläsna s’en abstint, et se leva simplement.

_ Puis-je savoir la raison de votre présence sœur ? Nous sommes en conseil de guerre.

_Je venais ici par curiosité, répondit-elle. 

Son frère ne se contenta que de se rasseoir, lui faire un sermon maintenant n’était pas la meilleure chose à faire. Il regarda la carte puis désigna l’Etale. 

_ Ils marchent sur les montagnes qui délimitent notre frontière. La possibilité d’une tentative d’invasion de nos terres n’est pas à exclure. Voilà une seconde raison suffisante pour vous satisfaire messires ?

Les seigneurs elfes restèrent silencieux, plongés dans leurs pensées. Le roi sylvain prit un verre de vin et trempa ses lèvres dedans. Le goût alcoolisé de la boisson avait du mal à couvrir l’amère sentiment de colère. Un elfe aux épaules coiffées de plumes argentées leva légèrement la main pour demander la permission de parler. Le roi fit le signe des doigts et son interlocuteur s’exposa.

_ N’oublions pas la politique de la Guiogne sire Taläsna. Ne n’attaquons jamais, nous défendons nos terres et jamais envahissons celles de nos voisins. Les étalens sont encore chez eux, donc officiellement, ils ne sont pas encore entrés en conflit avec nous.

_ La guerre ne se contente pas de se définir par une agression du sol, mais elle se définit aussi par un conflit entre les peuples. Des citoyens guiogniens nains sont attaqués et massacrés sur ces montagnes. En temps que Guiogniens nous même, il est de notre devoir d’aller leur prêter main forte.

_ Alors vous pourrez compter sur mon bras sire Taläsna, s’écria un elfe en se levant. Si ces nains sont aussi guiogniens que nous, alors je vous suivrai pour les aider.

_ Mon épée sera également de votre côté messire, fit un autre en suivant son compagnon. Ensemble repoussons ces traîtres.

Les uns après les autres, les seigneurs de guerre se levèrent et proclamèrent qu’ils soutiendraient leur roi dans cette nouvelle guerre. Taläsna ramena le silence en demandant le calme, sans forcer sa voix. Les nobles cessèrent aussitôt de s’exciter, reprenant une posture neutre, retrouvant leur fauteuil respectif. 

_ Je vous remercie pour votre soutiens, messires, dit Taläsna. Je suis heureux de me savoir entouré de fidèles sujets. Ces traîtres ont profané notre alliance en s’attaquant à des guiogniens. Nous devons répondre à la flamme par la flamme. J’ai envoyé un faucon messager pour demander la permission au consul de guerre guiognien d’attaquer, et j’ai reçu la réponse ce matin. Nous avons la permission de fouler les terres d’Etale pour repousser les agresseurs. Une fois vainqueurs, nous réclamerons réparation auprès du peuple étalen. 

_ N’existe-t-il aucun autre moyen sire Taläsna, demanda Lindilla. La voie du sang est l’unique solution ? On ne peut les ramener à la raison par la diplomatie ? Répondre à la flamme par l’eau.

_Sœur, je vous prie...

_ L’idée n’est pas mauvaise sire Taläsna, s’exclama un seigneur de guerre. Nous pourrons éviter les rivières de sang si nous arrivons à les convaincre de mettre un terme à leur folie. 

_ Et si ils refusent toute forme de coopération ? Demanda un autre noble sylvain.

_ Alors nous entrerons officiellement en guerre, répondit le précédent. 

_ Et comment pourrions nous les persuader de s’arrêter de manière diplomatique ? Dit un autre. De belles paroles ne servent à rien.

_ Nous devons leur proposer une offre qui pourrait servir leurs intérêts.

L’assemblé se leva et leurs voix s’entremêlant ne donnaient plus qu’un horrible brouhaha incompréhensible. Le roi resta calme, impassible aux querelles de ses subordonnés. Une seule pensée obsédait son esprit: Galro. Qu’est-il devenu après leur séparation ? S' il avait rejoint l’ordre ecclésiastique, il devait être un paladin à l’heure actuelle. Il se rappela de l’histoire qu’on lui avait conté à son sujet. 


C’était pendant que le jeune apprenti était encore sous les instructions du capitaine Tilbar et des prêtres, un paladin était venu voir le roi pour lui proposer de former le jeune homme dans l’art de la magie. Habituellement, l’Église faisait appel aux haut elfes pour former ses chevaliers mais ils firent exception à la règle, afin d’améliorer leurs relations politiques. Taläsna avait accepté sans hésitation, il avait l’opportunité de montrer à ses frères aux cheveux blonds que les sylvains étaient autant capables qu’eux. Avant de s’en aller, le chevalier blanc lui fit un bref récit sur ce garçon. Un démon elfe noir avait tué son père, un paladin phénix. Ce fut une grande perte pour l’église, mais encore plus grande pour l’enfant. Ce démon portait une armure sombre et une épée géante. C’était un guerrier sombre. Un Warda.

Alors que les seigneurs elfes se disputaient pour savoir quel choix faire, le roi regarda son assemblée. 

_ Offrons leur de l’or ! S’écria l’un.

_ Inutile, cela ne les calmera que pendant un temps, après ils recommenceront pour profiter de notre naïveté.

_ Alors quoi d’autre ?

_Je sais, répondit le roi en interrompant le chaos de paroles. 

Les seigneurs guerriers regardèrent silencieusement le roi et se rassirent lentement. Taläsna observa la réaction de chacun puis saisit son verre de vin. Il secoua doucement le liquide qui brillait d’un éclat rosé à travers le cristal. 

_Je peux convaincre l’un d’eux, dit-il. Et si je parviens à le faire rejoindre notre cause, il pourra nous aider à faire cesser cette guerre.

_ Comment comptez vous vous y prendre sire Taläsna ? Demanda l’un des seigneurs.

Taläsna cessa aussitôt de remuer son verre et fixa son interlocuteur. Il ne pouvait leur dire, il devait garder l’existence de Warda secrète. Si on venait à apprendre qu’il abritait un elfe noir, nul ne sait quelle controverse il pourrait en résulter. Il but une petite gorgée en humant le parfum aromatisé. Il regarda ensuite le seigneur sylvain et dit:

_Je ne peux vous le dire. Mais je saurais le convaincre. Vous pouvez compter sur votre roi.

Les nobles se turent, et finalement, Taläsna se leva et s’écria devant tous:

_ Demain, à l’aube, nous partirons pour la montagne de Léondia. Lorsque les haut elfes et les nains auront vent des actes de l’Étale, ils tenteront sûrement de les écraser en passant par la vallée. Notre rôle ne sera pas de vaincre l’ennemi, juste de le repousser pour permettre aux mineurs des montagnes d’évacuer. Nous ferons de notre mieux pour écourter la bataille si bataille il y a. Les chances pour que nous n’ayons pas besoin de lutter sont minces mais elles existent. 

Il quitta sa place et s’apprêta à sortir lorsqu’il s’arrêta sur le seuil de la porte. 

_ Que la chance soit de notre côté, conclut il.


L’eau était chaude, et pour la première fois depuis des années, il se sentait propre. Warda profitait de chaque seconde dans l’eau, délicieuse et délicate. Il se saisit d’un bloc de savon et s’essuya son corps souillé. Il plongea la tête dans l’eau et cracha un geyser étoilé en ressortant. Il prit une brosse à côté de la bassine et se frotta le dos. Que c’était bon. Sa longue chevelure blanche flottait comme des algues qui longeaient la surface. Il attrapa un miroir sur la petite table à côté de lui et se regarda. Jamais il n’avait vu son propre visage ailleurs que sur la surface de l’eau. C’était encore une nouvelle découverte pour lui. Il voyait pour la première fois les écritures noires sur ses pommettes, qui dansaient le long de ses joues, qui ondulaient sur ses sourcils, des arabesques noires dansaient sur tout son visage. Mise à part ces écritures qu’il avait toujours portées, il avait un visage que beaucoup d’hommes auraient rêvé d’avoir, et dont les jeunes femmes en tomberaient amoureuses. Ses yeux rouges n’inspiraient pas l’animosité contrairement à ceux de Galaran, mais plutôt de la détermination et une pointe de culpabilité. Il vit que sur sa joue droite il était resté une cicatrice, laissée sûrement par le sabre noir. Il se leva et sortit de la bassine. Depuis son arrivée ici, il avait l’impression d’avoir repris du poids et du muscle. Il avait passé le clair de son temps à manger. Il attrapa une poire bleue qu’il avait tant appréciée et croqua dedans. Depuis la tanière de Jaron, il n’avait jamais autant mangé. Il inspirait l’air comme un délice. Il n’avait pas l’impression de se noyer dans la gaz vicié de la cellule du cachot, mais se sentait libéré. Il s’essuya de l’humidité du bain avec une serviette de lin laissée à son intention. Lorsqu’il finit de se sécher, il se l’enroula autour des reins et s’assit face au feu. Il posa une assiette sur ses jambes et mangea la viande d’oiseau disposée dedans. Au fur et à mesure que le temps passait, les plats étaient de plus en plus dégarnis, le buffet ne ressemblait plus qu’à une maigre pitance. Warda entendit des pas dans les escaliers. Il se retourna et vit de nouveau le roi elfe. 

_J’ai l’impression que vous ne perdez pas votre temps, dit Taläsna en regardant la table.

_ Désolé messire, mais les rats ne me laissaient pas grands choses dans le cachot.

Le roi sylvain appuya sa main contre le mur et les barreaux s’écartèrent pour lui laisser le passage. Un autre elfe qui accompagnait le roi portait dans ses bras un sac dont il émanait des cliquetis métalliques. Une armure ? pensa Warda. Un autre vint avec Algazalm qu’il portait à bout de bras. Ils déposèrent leurs fardeaux au pied de Warda et s’en allèrent. Les barreaux de bois se refermèrent dans leur dos. 

_ Ceci vous appartient ? Demanda Taläsna en désignant l’équipement que reconnut Warda.

_ Oui, avant que vous me le confisquiez.

_ Prenez ! Ordonna l’elfe sylvain.

Warda déballa le sac et en sortit son armure. Là où Galaran l’avait transpercé, il n'en restait rien. Ils l’avaient réparé. Sa cotte de maille était aussi neuve qu’au premier jour de sa confection. Ses gants d’acier brillaient de milles étincelles. 

_ Merci, dit Warda en regardant émerveillé l’œuvre de son père de nouveau intact.

_Ne me remerciez pas si vite, enfilez cette armure.

L’elfe noir se recouvrit de sa cottes de mailles, enfila son pantlon vert foncé fraîchement lavé, mit ses bottes de fer,, s’habilla de son plastron et de ses épaulières, fit rentrer ses mains dans ses gants d’acier aux doigts griffus. Il finit de boucler sa ceinture quand Taläsna lui montra du menton Algazalm et demanda:

_ Comment la portez-vous ? Elle est énorme.

_ Dans mon dos, là où elle m’encombre le moins.

_ Montrez-moi.

Warda regarda un instant le roi sylvain. Quelque chose clochait. Il y avait encore quelques heures, ils étaient des ennemis jurés et voilà qu’il le laissait prendre son équipement et son arme. Warda savait que le roi le traitait mieux que n’importe quelle membre de son espèce, mais de là à le laisser armé dans la même salle que lui, voilà ce qui était étrange. 

_ Vous êtes certains sire de vouloir me laisser prendre mon arme sire ? 

_Je suis pressé, se contenta-t-il de répondre.

Warda ne rajouta pas un mot de plus. Quelque chose clochait, il en était maintenant certains. Il saisit le pommeau de son arme et la rengaina en bandoulière. Le roi tourna autour de l’elfe noir, comme pour ausculter. Warda remarqua qu’il n’était pas le seul armé, Taläsna portait à sa taille une ceinture en chaînes d’argent qui tenait un fourreau dans lequel était rangée la lame d’un sabre. Il devait certainement pouvoir le dégainer très vite s' il devait en avoir besoin.

_Si je me souviens bien, tu te nommes Warda. Serait-ce à cause de cet accoutrement que tu portes que tu as décidé de porter ce nom.

_Ce n’est que l’une des raisons, dit Warda.

_ Et cette épée, elle porte ton nom dans une ancienne écriture étalen. Elle ne ressemble à rien de ce que j’ai pu voir. Comment la nommes tu ?

_ Algazalm. 

_ La pourfendeuse d’acier. D’après la taille et le matériaux dans lequel elle a été forgée, je peux en déduire que son rôle est de trancher le métal. Le nom que tu lui as offert résume assez bien sa fonction. Mais ce n’est pas très élégant comme nom pour une épée. Mais il y a une chose que j’aimerais savoir.

Il se mit face à Warda et le regarda de bas en haut. La colère brillait dans ses yeux d’or. 

_Il y a vingt ans environ, un paladin a été tué par un elfe noir portant une gigantesque lame. Il l’aurait décapité avec tant de force que sa tête aurait volé par-dessus une grange avant de retomber dans la boue. Le paladin l’aurait fouetté avec un fouet sacré, muni de lames d’argent pour laisser la marque de la rédemption. Ce genre de cicatrices a du mal à partir, même sur la peau d’un elfe noir.

Warda se sentit pris au piège. Il se souvenait parfaitement de cette nuit, comment l’oublier. Taläsna allait le livrer aux croisés de l’Ordre qui le feront payer pour le chevalier blanc dont il les avait privé. Il saisit la poignée de son épée, prêt à la faire jaillir d’entre les lanières de cuir pour fendre en deux le roi sylvain, mais avant qu’il ne puisse faire quoique ce soit, le seigneur des bois posa sa main sur une table et les branches qui composaient les murs, le plafond, le sol, le mobilier jaillirent de toute part et s’enroulèrent autour de son corps, le serrant avec une telle étreinte qu’il lui était impossible de respirer. Il resta figé, le bras forçant pour faire sortir Algazalm de son fourreau, les pieds flottants au-dessus de sol. Bien que très fines, chaque branche qui l’emprisonnait était d’une résistance comparable à la pierre. Warda tenta de hurler, mais les milliers de brindilles qui l’avaient capturé se mettaient à l’étrangler. Pendant que le fauteuil sur lequel il était assit auparavant se décomposait pour former des liens maintenant ses bras dans son dos, le plafond l’attirait vers le haut et le parquet vers le bas, faisant craquer ses vertèbres. 

_Te débattre est inutile, dit Taläsna toujours la main appuyé sur la table. Je contrôle toute cette tour par ma volonté. Si tu ne te soumet pas immédiatement, rien ne m’empêchera de t’écarteler à mort.

Des extensions de bois commencèrent à envahir la bouche de Warda, écartant les deux mandibules de sa mâchoire prête à se désarticuler. L’elfe noir se contorsionnait de douleur et de désespoir, cherchant vainement le moyen de s’extraire de la tour. Il n’avait toujours pas lâché la poignée d’Algazalm restée coincée dans les lanières de cuir. Taläsna le vit, et ordonna psychiquement aux branches de resserrer davantage autour de l’avant-bras de sa marionnette vivante. Warda tenta de crier, mais les branches qui remplissaient sa bouche l'avaient réduit au mutisme. Le bois continua sa lente et douloureuse constriction autour du bras droit jusqu’à ce que la souffrance fasse céder toute résistance de la part de Warda. 

_ Voilà ce qui est mieux, fit Taläsna. Maintenant laisse toi faire, ou tu souffriras davantage.

Le buffet renversa tous les plateaux encore disposés dessus et ses milliers de branches qui la composaient attrapa Warda au niveau des genoux en les obligeant à rester unis. Maintenant l’elfe noir était parallèle au sol, comme couché en lévitation. Les branches du mur derrière lui attrapèrent les deux bras dans le dos du prisonnier et les ligotèrent, tel des fers. Des centaines de minuscules branches le saucissonnèrent autour du torse et des jambes, l’immobilisant complètement. Les branches qui lui écartaient de manière atroce les deux parties de sa mâchoire en sortirent et formèrent des anneaux serrés autour de sa bouche. Les liens entre la tour et Warda se craquelèrent, puis cassèrent, laissant choir l’elfe noir sur le sol dur. Le guerrier sombre regarda Taläsna penché au-dessus de lui. Un sourire malsain s’était dessiné sur ses lèvres. Toutes ses tentatives de lutte contre le bois vivant furent des échecs. Le seigneur le contempla et dit:

_J’ai besoin de toi, car nous entrons en guerre avec un pays avec lequel nous avons pactisé il y a longtemps. Je veux ramener la paix, et il se trouve que tu es le seul moyen. J’ai juré à ma sœur que je te traiterais bien. Je crois que malheureusement le bien de la nation prime sur de simples serments. Gardes !

En même temps qu’il appela les soldats, les barreaux de branches disparurent. Pendant que les militaires se saisirent de Warda, le mobilier se régénérait des branches perdues pendant la bataille. On lui enroula un bandeau devant les yeux puis ce fut le noir totale. 


L’aube se leva, de nombreux étendards flottaient dans le vent, la forêt s’était faite silencieuse. Les centaines de chevaux réunis osaient à peine renifler. Les Guanduils* reflétaient les rayons du soleil, ornant de lumière les armures d’or des chevaliers elfes. Les milliers d’elfes de l’armée sylvestre attendaient leur roi, la lance pointée vers le ciel. Tout était silencieux. Sortant de son palais, Taläsna apparut, habillé d’une armure brillant d’un éclat blanc, pure, étincelante de blancheur, tel un cristal de glace. Ses épaulières étaient ornées de plumes dorées, illuminant de mille éclats. Le roi des bois regarda ses légions prêtes à partir. Il sentait la tristesse profonde envahissant le cœur de chacun. Il allait devoir affronter l’Étale, un pays allié depuis fort longtemps. Peut-être que certains d’entre eux devront combattre d’anciennes connaissances, peut-être même des amis. Mais ils avaient des devoirs, et ils devaient empêcher le royaume d’Étale de marcher sur leurs terres. Au milieu des rangs elfes, quatre soldats tenaient un coffre percé. Et à l’intérieur de ce coffre, Warda était scellé. Les guerriers venant des quatre vents de la forêt saluèrent celui qui gouvernait sur ces bois. Puis, la voix d’une femme retentit au milieu des rangs:

_Taläsna.

Les elfes parés pour la guerre regardèrent derrière eux et divisèrent leur bataillon en deux, laissant passer Lindilla. Sa robe blanche scintillante était son seul et unique vêtement. Elle monta l’escalier qui menait au palais, et lorsqu’elle fut au niveau de son frère, ses yeux étaient perlés de larmes. Elle gifla son frère avec une haine intense, mais son visage était impassible. Taläsna ne réagit pas, il se contenta de tourner sa tête lentement vers sa sœur. Dans ces yeux dorés qu’il avait longtemps vu brillant de bonheur ne régnait que la déception. Le roi sylvain resta à la fixer, et elle à le fixer. Voilà où ils en étaient arrivés. Alors que sa sœur n'était encore qu’une enfant, leurs parents étaient morts pour sauver leur peuple. Il était presque devenu un père aux yeux de Lindilla. Et voilà que maintenant l’amour qu’elle éprouvait envers son frère était mort. Bien plus que le déshonneur, la trahison venait de détruire le lien fraternel entre les deux êtres. Taläsna avait failli à sa promesse, et Lindilla lui fit payer pour son mensonge. Elle regarda Taläsna et vit son orgueil sans égal. Elle dit d’une voix sinistrement basse.

_Tu m’avais juré, Taläsna...

Elle contourna son frère et rentra dans le palais. Le roi ne se retourna pas, se tenant fièrement devant ses légions. Si son attitude ne laissait rien transparaître, son cœur pourtant venait de se briser, laissant ses éclats voler dans le vent de l’anéantissement. 

_ Qu’il en soit ainsi, se murmura-t-il.

Il descendit les marches et fut accueilli par deux soldats et un cheval prêt à être monté. Taläsna caressa l’encolure de l’animal puis monta en selle. Il regarda une dernière fois le palais, où sa sœur devait probablement pleurer. Plus rien ne sera comme avant à partir de ce jour. Dans le plus profond silence, le roi Taläsna guida son armée vers les monts de Léondia. 


Galro marchait dans le noir, tâtant pour trouver son chemin. Il faisait si sombre. Ses mains rencontrèrent un mur, froid et humide, du bout de ses doigts il avait l’impression de sentir une fine pellicule de glace. Ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, et vit des gravures. Le roi regardant sa femme, le signe de la lumière gravée au-dessus de sa tête. La revoilà, la chambre de son rêve. Le sol était recouvert de glyphes, encerclant un symbole en son centre. Dyala. Son corps tremblait, mais ce n’était pas à cause du froid qu’il grelottait, c’était la peur. Il regarda l’histoire décrite par les gravures: la Guerre des Flammes, l’invasion des orques, la naissance des elfes noirs, la rébellion, la malédiction lancée par le roi, jusqu’au moment où il tenait l’enfant Lumière. Il entendit du bruit, le choc du métal contre le métal. Ces bruits se répétaient, toujours plus fort, les édifices tremblaient. Ils ne venaient ni de l’est, ni de l’ouest, ni du nord, ni du sud, ni même des profondeurs. Ils venaient d’au-dessus de lui. Galro se mit à la recherche d’une sortie, mais il n’y avait aucune porte. Alors qu’il tâtait les murs à la recherche d’une issue, un violent coup de tonnerre ébranla les fondations. Galro regarda le plafond, des particules en tombaient. Puis une voix déchirante chargée de peine hurla:

_ Niryya ! 

_ Galro ! Fit brusquement une voix rustre bien familière. Qu’est-ce qui se passe pute vierge !

Galro ouvrit brusquement ses paupières, son cœur chargeait sa cage thoracique à grands coups de bélier. Il fixa le général Tilbar, et ne rendit compte que quelques secondes après qu’il tenait fermement son épée sous la gorge de son ami. Tilbar fixait Galro de son unique œil puis fixa ensuite la lame effilée. Le paladin avait le souffle saccadé, comme après avoir couru pendant des heures entières. Il déglutit alors qu’il récupérait ses esprits et éloigna sa lame lentement. Tilbar reprit son souffle après un instant et fini par dire:

_Je sais que tu n’aimes pas être réveillé brusquement, mais quand même tu exagères là !

_ Je suis navré Tilbar, j’ai mal dormi.

_Je veux bien te croire, tu t’es mis à crier un nom étrange puis tu m’as menacé avec ton arme. 

Le chevalier ecclésiastique regarda ses mains, elles tremblaient encore. Tilbar regarda la bouteille de vin posé à côté de Galro, elle était vide. Il l’attrapa et la secoua devant son ami.

_Tu devrais arrêter de boire Galro, j’ai peur que ça ne soit que trop néfaste pour ton sommeil. 

_ Merci du conseil Tilbar. Mais après ce que j’ai vu je pense que je vais en avoir encore besoin.

Sur ces mots, Galro ouvrit un coffret d’où il sortit une bouteille de gnôle. Galro s’apprêta à mettre le goulot à la bouche quand le général l’arrêta.

_Je suis très sérieux Paladin Galro. Depuis le début de notre croisade, tu ne cesses de boire. Je ne suis pas du genre à cracher sur un bon verre, mais je sais que lorsqu’on vide une bouteille la veille au soir et lorsqu’on démarre le matin à la gnôle, les choses ne font qu’empirer. 

Le paladin regarda le général puis la bouteille remplie de liquide séduisant. Il savait que Tilbar avait raison, il était devenu alcoolique. Souvent il buvait à cause du froid, ou bien pour oublier, voir même « s’éclaircir les idées » comme disait Tilbar. Mais là il était à deux doigts d’être sous l’emprise absolue de l’alcool. Une sensation de quitter son corps, de déambuler sans bouger, cette sensation agréable de ne plus être soit même. Galro lâcha la bouteille que Tilbar prit et rangea dans le coffret. 

_Cette croisade me rend fou, avoua le chevalier blanc. J’ai l’impression que mon cervelet devient glace de jour en jour.

_J’ai aussi l’étrange impression de perdre la raison, répondit Tilbar. Ce doit être à cause de ce vent damné de tous les diables. Depuis des jours il n’a pas cessé de tomber des flocons acérés sur nos faces exposées au blizzard. Si Datral nous garde ici plus longtemps nous ne tarderons pas à nous transformer en glaçon. 

Galro se fourra dans de chaudes fourrures d’ours en se relevant. Il mit sa tête dehors et découvrit une vague de glace qui lui givrait la barbe et les sourcils. Le vent était encore plus violent qu’à leur arrivée. Toutes les tentes du camp étaient à peine maintenues au sol par leurs pieux qui ne tarderaient sûrement à s’arracher de la terre. Les chevaux furent mis à l’abri sous des tentes avec un feu allumé à leurs côtés. Les hommes ne pouvaient pas espérer allumer un feu sans un abri contre les bourrasques glaciales. Le drapeau dressé par Datral claquait en dispersant des pellicules de glace derrière lui. Les sentinelles postés devant le camp étaient enrobés de fourrures et portaient régulièrement une gourde à leur bouche. Un soldat vint vers le paladin avec une gourde à sa ceinture et une casserole à la main.

_ Paladin Galro ?

_Oui, répondit le chevalier blanc.

_Tilbar m’a ordonné de venir ici, puis-je rentrer.

_ Allez-y.

Ils étaient obligés de se hurler dessus pour s’entendre, sinon le vent aurait emporté les vaines paroles vers l’inconnu. Il rentra dans la tente et mit la casserole sur le feu.

_ Que fait-il ? Demanda Galro à Tilbar.

_ Du thé chaud.

_Je hais le thé, s’écria Galro en s’asseyant.

_ Moi aussi, avoua Tilbar. Mais au moins ça nous réchauffera. Au fait, tu as l’intention de l’envoyer finalement ?

Galro savait de qui il parlait. Mayirr Long-couteaux. Le paladin regarda le soldat préparer le thé avec attention. Lorsque l’effusion fut à point, le croisé versa le thé dans deux tasses en fer et les donna au général puis au paladin. Il disparu dans le blizzard. Galro trempa ses lèvres dans l’eau chaude. C’était infect.

_ Je l’ai fait partir hier soir, alors que les hommes changeaient de garde. Il ne nous reste plus qu’à attendre. 

_ Espérons qu’il trouve le bon cette fois-ci, dit Tilbar en buvant son thé qu’il recracha. Sacre Dieu, c’est du jus de chausson fermenté !

_ Ne jurez point mon ami, n’oubliez pas que vous blasphémez devant un paladin.

Tilbar s’essuya sa barbe grise d’en revers de manche puis il regarda Galro. Le paladin ne s’était pas lui-même rasé depuis le début de cette croisade, sa barbe était abondante. Il se gratta les poils du menton en pensant mettre ses doigts dans de la laine de mouton. 

_ Vous vous êtes négligé ces derniers temps paladin Galro, fit Tilbar. 

_ Qui ne l’est pas, répondit le paladin. Mon rasoir est émoussé, tout comme le vôtre apparemment.

Le vieille homme se gratta la barbe et sourit. Il ressemblait vraiment à un loup.

_ Vous avez raison messire, fit Tilbar sur ton amusé. Mais ça tiens chaud, je comprends pourquoi les nains la laissent pousser. 

Les deux hommes rirent ensemble puis se portèrent un toast mutuellement avec le thé qu’ils détestaient tant. Soudain, la cohue générale envahit le camp à l'extérieur. Tilbar et Galro se levèrent brusquement et sortirent de leur tente. Les croisés couraient en tout sens, récupérant les armes laissées à disposition. Galro arrêta un homme et lui demanda en hurlant dans le blizzard ce qui se passait.

_ Une sentinelle a vu une horde de monstres aux abords du camp.

_ Des monstres ? Demanda Tilbar. Qu’est ce que vous racontez ?

Soudain un hurlement déchirant traversa le vent. Les deux hommes accoururent dans la direction du cri, tout comme de nombreux soldats affolés. Le paladin grimpa sur un rocher pour voir par-dessus les tentes. Le blizzard soulevait trop de neige pour que l’on puisse voir au-delà du bout de son nez. Galro plissa des yeux pour éviter que les petits flocons ne rentrent dedans. Un nouveau cri résonna, comme celui d’un porc que l’on éviscérerait. Galro se retourna vers la source du hurlement et courut aussi vite qu’il put. 

_Par là ! Fit un croisé. J’ai vu quelque chose !

Tilbar arriva derrière Galro, la hache au poing. 

_ Restons groupés, nous ne savons pas ce qui nous attend. 

_ Alors découvrons les et tuons les ! S’écria Galro qui brandissait déjà son épée du phénix.

Lorsque Galro fit de nouveau face au vent, il eut juste le temps de voir un objet sombre lui arriver dessus avant de sauter sur le côté. Il roula dans la neige et lorsqu’il se releva, une tête sans corps le fixait avec une expression de terreur figée sur le visage.

_ Faites attention ! Hurla Tilbar aux croisés de l’Ordre. Derrière cette barrière de glace nous ignorons ce qui il y a. Restez sur vos gardes.

Les guerriers de l’Église marchèrent groupés, lances et épées dégainées. Le vent était toujours plus fort, il était difficile d’y discerner quoi que ce soit. 

_ Approchez démons, grogna Tilbar en brandissant sa hache d’une main et faisant signe à ses ennemies de venir de l’autre. Tâtez de mon fer !

_Tilbar ! Fit Galro en se jetant sur le général à temps pour lui faire éviter une lance gigantesque qui se planta dans le corps d’un soldat derrière eux.

Galro jeta un bref coup d'œil au-dessus de sa tête. L’ennemi devait être habitué aux tempêtes de glace. Alors qu’il s’apprêta à se relever, il crut voir une silhouette au loin. Lorsqu’il s’approcha avec Tilbar, ils découvrirent avec effroi une lance planté dans le sol, avec un bâton attaché à l’horizontale, puis surtout, la tête fraîchement arraché d’un soldat de l’Ordre empalée dessus et ses viscères accrochées à son crucifix. Des plumes noires étaient attachées sur son crâne.

_ Quelle horreur ! S’écria Tilbar. Où est le fils de catin qui a fait ça ?!

Galro se tourna vers l’amont et vit à travers deux rafales une immense silhouette humanoïde qui le fixait avec des yeux fendus par une pupille de félin.

_ Il est là ! Hurla Galro en montrant la forme qui disparu dans un manteau de neige soulevé par le vent.

Tilbar se retourna trop tardivement pour le voir. Il se tourna vers le paladin et dit:

_ Il était là, mais il n’y est plus. Nous ne sommes pas les bienvenus sur cette montagne.

Ils regardèrent une nouvelle fois le totem macabre puis Galro fit le signe du Perchoir sur son torse. 

_ Emmenez le et érigez une sépulture décente, ordonna le paladin sans se retourner.

Les croisés se saisirent de la lance et en décrochèrent la tête. Galro fut raccompagné par Tilbar et une petite escorte au camp où Datral les attendait.

_ Que se passe-t-il ? Demanda le paladin phénix. 

_ Nous avons été attaqués par des bêtes, répondit Galro. Nous ne sommes pas seuls ici. 

_ Comme si nous avions besoin de ça, fit Datral d’un air désespéré. Et combien en avez-vous tué pour venger nos hommes ?

_ Il y avait trop de blizzard pour les repérer et ils furent trop rapides...

_Vous êtes un incompétent paladin Galro, dit Datral en se tournant vers la mine fortifiée.

Galro sentit une boule douloureuse se crisper dans sa gorge. Beaucoup de croisés se tournèrent vers les deux paladins lorsque Datral a traité Galro « d’incompétent ». Le paladin phénix l’avait ridiculisé devant toute l’armée, et le paladin ne pouvait rien faire contre son supérieur. Ravalant sa colère, le serviteur du phénix s’inclina légèrement et parti avec un amère « désolé » qui lui coulait de la bouche. Mais autre chose le préoccupait, cette silhouette à grande carrure au milieu des rafales enneigées. Dorénavant, ils devront se montrer bien plus vigilant pour qu’une attaque furtive de ce genre ne se reproduise plus. Le blizzard s’épaississait, la journée allait être longue. 


Trois jours après l’incident, le vent s’était calmé, et aucune attaque n’a été recensée. Les bêtes n’étaient pas réapparues, et les conditions météorologiques s’améliorèrent, tout semblait parfait. Fradel et ses hommes vinrent comme prévu avec de nombreuses richesses pillées et un grand nombre de prisonniers nains. Lorsque Fradel finit de donner son rapport, Datral ordonna l’exécution de tous les prisonniers. Ils les empalèrent sur le champ et brûlèrent les corps devant la porte de la mine. L’odeur de viande brûlée montait dans les airs, et le vent ne tarda pas à dissiper les cendres. L’or et les bijoux furent rapidement scellés dans des coffres gardés par des hommes de Datral. Le paladin phénix ordonna ensuite le siège. Rapidement, les croisés de l’Ordre encerclèrent la forteresse des glaces, la catapulte montée et armée attendait le signal. Les trois paladin regardaient la scène qui se déroulait en contrebas. L’un des Sept souriait en s’imaginant déjà le déroulement de la bataille. Un croisé arriva devant la porte en hurlant aux nains que s' ils ne se rendaient pas, la colère de Dieu serait implacable.

_Si ils refusent de coopérer la catapulte pulvérisera leur fort en un rien de temps, dit Datral à ses deux subordonnés.

Brusquement, sortie de l’une des minuscules meurtrières de la forteresse, un carreau se logea dans le cœur du messager qui tomba raide et mort dans la neige. Le paladin phénix regarda un soldat depuis sa monture et ordonna de donner le signal. Le militaire fit signe à un de ses camarades qui fit lui-même signe aux ingénieurs à la catapulte. Un homme de grande stature leva le bras vers le ciel et le rabaissa en hurlant l’ordre fatal. Le courroux de Dieu était implacable. La machine de siège grinça puis lâcha un rocher qui se fracassa avec violence sur les murailles. Un coup de tonnerre si puissant que ses échos chantèrent à travers la montagne, soulevant la neige, non, explosa la neige dans un nuage blanc. Les guerriers gardèrent position même si l’envie de fuir était immense dans leur cœur. C’était comme un coup de poing du Seigneur qui venait de frapper la montagne. Datral était ravi... Jusqu’à ce que le manteau de neige volante se dissipe. Ni porte ni mur ne furent égratignés. Le rocher était en miettes aux pieds du mur. 

_Ce fort semble inébranlable, remarqua Fradel. 

_ Nous verrons bien, répondit Datral grimaçant de rage. Tirez à volonté.

De nouveau, un roc vola et se fracassa contre la mine fortifiée d’Aless, s’explosant en mille éclats futilement contre la porte blindée. Les hommes manœuvrant la catapulte s’empressèrent de faire rouler une nouvelle munition qu’ils installèrent avant de reculer. Ils envoyèrent de nouveau un bélier volant contre l’édifice qui ne céda pas contre toutes attentes. Alors que le tonnerre se répétait sans se lasser, le paladin phénix sifflait comme un serpent entre ses dents. Il se déroula trois heures depuis le moment où le croisé fut tué d’un carreau dans le torse. De manière inexplicable, le mur était juste marqué, mais encore loin d’être entamé. Cette vision ridiculisait toute l’armée, et cette idée faisait rager Datral.

_ Envoyez l’assaut ! Ordonna le paladin phénix. Je veux voir cette forteresse tombée sous nos coups !

_ C’est de la folie, répliqua Fradel. Les murs du fort ne sont pas encore tombés, et nos hommes ne parviendront jamais à entrer.

_ Vous voulez désobéir à un ordre direct Paladin Fradel ?

Les deux chevaliers blancs se regardèrent mutuellement. Datral avait ordonné la charge, personne ne devait le contrarier. Fradel talonna son cheval et traversa les rangs de croisés en hurlant:

_ Chargez au nom du Père créateur !

Les lances et les boucliers se levèrent puis la charge fut lancée. Lorsqu’ils furent à portée de tir, des pointes noires fondirent sur eux. Les croisés parèrent les projectiles qui les menaçaient de leur pointe qui jaillissait à travers l’écu. Mais certains malchanceux n’eurent pas assez de réflexe pour voir arriver le carreau qui fut la fin de leur existence. Du haut des deux tours, des petits hommes armèrent les balistes qui se mirent à tirer. Un carreau de la taille d’une lance vola et traversa un soldat et son bouclier, continua sa trajectoire jusqu’à se planter dans la neige. Les hommes apportèrent un bélier qu’ils utilisèrent pour frapper sur la porte renforcée. Les archers de l’ordre avancèrent et bandèrent leur arc.

_ Tirez ! Ordonna le général Tilbar.

Une volée de flèches ricocha sur le mur de pierre, mais deux d’entre elles atteignirent leur but: un nain qui manœuvrait l’une des deux balistes. Les croisés de l’Ordre prirent de l’élan et frappèrent de plus belle sur la porte qui refusait de bouger. Un croisé marcha jusqu’au niveau du paladin Fradel et lui annonça que leurs efforts étaient vains.

_ Il faut continuer ! S’écria Datral. Nos bras auront raison de ce fort.

Un autre soldat vint et leur dit:

_ Nous n’arrivons pas à faire céder la porte, et leurs armes nous déciment.

Datral regarda la scène, qui avait un côté ridicule. Ils étaient là comme des fourmis qui tentaient d’ouvrir un pot de confiture, et malgré leurs efforts, il refusait de s’ouvrir. 

_ Fumons les ! Dit le paladin phénix.

_ Pardon sire ? Fit Galro. 

_ Prenez de la paille, du bois, n’importe quoi et brûlez tout devant leur porte. La fumée devrait les aveugler, et dans le meilleur des cas, les étouffer.

Il ne put retenir le rire sadique qui lui tiraillait la gorge depuis le début des hostilités. Galro et Fradel regardèrent leur supérieur avec un profond désespoir. Ils n’avaient d’autre choix que d’obéir. Ils donnèrent l’ordre de faire brûler tout ce qui pouvait être flamme devant les murs. Les croisés ramassèrent bois, bûches, alcools, graisse, cadavres, tout ce que pouvait être flammes. Ceux qui avaient la chance d’éviter les projectiles entassèrent leurs offrandes au feu destructeur avant de s’enfuir. Un phénix déploya ses ailes d’or ardentes né de la furie de Datral. Une fumée dense traversa les meurtrière, les défenseurs de la mine cessèrent de tirer. On les entendait tousser à l’intérieur des entrailles de pierre.

_ Chargez ! Hurla Datral. 

Les soldats soulevèrent le bélier, traversèrent les flammes répandant leur ombre comme des spectres. Ils frappèrent la porte aussi fort qu’un poing d’ogre. Alors qu’ils pensaient pouvoir faire tomber tout obstacle, un cor retentit dans les montagnes. Un cor familier à l’oreille des paladins. Les regards se dirigèrent à l’ouest, dans un rayon de soleil, des silhouettes de lumière se dressaient sur des chevaux en armure. La plus impressionnante brillait d’un éclat argenté, une longue tresse flottait dans le vent. Ces formes étaient trop familières pour que Galro ignora celui qui les défiait en amont. C’était Taläsna, le seigneur des bois. Le grand roi regardait les hommes fous en contrebas. Il saisit le casque coincé sous son bras et le posa sur sa tête. Des plumes d’argent ornaient un masque d’acier semblable à la gueule d’un homme fauve, des crocs d’ivoire ornaient cette mâchoire terrifiante. Seuls deux trous laissaient voir les yeux du souverain sylvain, deux yeux d’or. Le paladin phénix regarda le seigneur des elfes qui se dressait face aux légions de l’Ordre. 

_ Nous y voilà, finit-il par dire.

Des chevaliers elfes arrivèrent aux côtés de Taläsna, dressant les Guanduils vers le ciel, le reflet de l’acier longeant la lame. Les épées à la longueur démesurée s’abaissèrent une à une, prêtes à empaler les guerriers du Phénix. Datral ordonna d’organiser les rangs pour affronter le nouvel opposant. Croisés abandonnèrent l’assaut de la mine et firent face à l’armée venue de l’autre côté de la montagne. Galro s’avança vers le paladin phénix et l’attrapa par l’épaule.

_ Sire Datral, vous n’avez pas l’intention d’affronter les elfes sylvestres ?

_ Lâchez moi immédiatement, dit sur un ton très calme et à la fois très menaçant. Ce sont des infidèles au même titre que ces ivrognes des mines ! 

_ Mais c’est le seigneur Taläsna et son armée !

_ Nous les massacrerons jusqu’au dernier !

Galro recula d’un pas, fixant toujours le chevalier blanc. Il était réellement fou. « Si certains s’habitue à cette déchirure, d’autres se mettent à l’adorer. ». Galro était pris au piège, il ne pouvait qu’obéir aux ordres, aussi fous soient-ils. Il organisa les rangs juste avant que les chevaliers elfiques lancèrent la charge. Les sabots soulevaient un fin nuage de neige sur leur passage. Les cavaliers d’or haletaient sous leur casque doré, les chevelures blanches flottaient dans le vent tel de la soie. Les archers de l’Ordre bandèrent leurs arcs et lâchèrent une volée assassine de morts ailées. Les pointes de fer pleuvaient tel des larmes célestes, frappant les corps des chevaliers des bois. Si certains tombèrent, les autres tinrent bon. Les boucliers stoppèrent les projectiles avant qu’ils ne frappent dans leur cœur. Alors que les elfes n’étaient plus qu’à quelques pas de l’ennemi, Taläsna dégaina sa Dyaladuil: Jindaïlyu. Pour la première fois de sa vie, Galro vit la lame de cette épée. Sombre, et les rayons du soleil reflétaient des éclats bleutés le long du tranchant. On aurait pris l’acier de l’épée pour de l’onyx, rare pierre précieuse. Sur son cheval blanc en armure d’argent, le roi des elfes fondit dans les rangs d’or et de rouge et fit siffler l’air sur sa lame. Un éclat pourpre s’échappa de la gorge d’un hallebardier qui tomba sans émettre la moindre son sinon celui de l’acier tranchant la chair. La suite du roi empala les premiers rangs avec l’aide des Guanduils, lutter contre ces chevaliers semblait être impossible. La lame noire aux reflets bleutés fut la dernière vision de nombreuses victimes lors de ce premier assaut. Rapidement, le second et troisième rangs battirent en retraite, implorant la pitié de l’ennemi. Le visage de Datral se fendit d’une horrible ride de colère. Il dégaina son épée à l’effigie du phénix et donna l’ordre d’attaquer aux derniers rangs.

_ Sire Datral, nous devons fuir.

_ Paladin Fradel, sachez que l’Ordre n’abandonne jamais, même après avoir expiré son dernier souffle !

Les deux paladins se regardèrent dans les yeux. L’heure était venue. Les deux hommes sortirent à leur tour les lames du phénix du fourreau et talonnèrent les flancs de leur destrier. Le combat était terrible. Les hommes tremblaient face aux armes affûtées des elfes. Le roi en armure d’argent était aussi agile que redoutable, les reflets bleus tournoyaient autour de lui, tranchant les maladroits qui s’étaient trop approchés de ses griffes. C’était un aigle qui fondait sur ses proies arrachant de leur corps sang et vie. Galro entra dans la bataille en tailladant le torse d’un chevalier d’or, qui tomba de sa monture avant de s’effondrer dans la neige rougie de sang. L’impression d’avoir tué un être qu’il avait connu envahit le cœur du paladin, qui eut juste le temps de dévier la lame aux dimensions démesurées d’un autre cavalier sylvain. Il fit tournoyer son épée en tranchant la main de l’elfe puis l’égorgea d’un coup net. Le sang encore chaud de sa victime lui sauta au visage, dans les yeux et dans la bouche. Un goût amer de fer envahit son palais. Galro fit tourner sa monture et chargea dans la direction de Taläsna. Le guerrier d’argent éventra un homme en armure d’or et à la tunique rouge avant de voir son ancien élève lui faire face, qui lâchait les rênes de sa main gauche, qui attrapa une lance plantée dans le sol et le charger, un regard rempli de folie. Le roi elfe ne bougea pas. Galro lui lança le javelot dans sa direction, la pointe argentée transperçait les flocons sur son passage, son bec d’acier visait la gorge de son ancien maître. Taläsna se contenta de lever sa main, puis de murmurer des paroles incompréhensibles dans le vent glacial, et lorsque la lance entra en contact avec la paume de sa main, une violente décharge de lumière en jaillit et une explosion luminescente et de neige aveugla le paladin. Il se protégea les yeux de son avant-bras, et lorsqu’il voulut voir le roi sylvain, celui-ci le chargeait en brandissant avec rage son sabre noir. Galro para l’épée royale d’un geste instinctif qui lui sauva la vie. Taläsna leva son arme et frappa une nouvelle fois, le paladin bloqua encore la Dyaladuil puis tenta une contre-attaque, mais le fil de sa lame ne fendit que de l’air. Le roi elfe rabattit son épée contre la lame du phénix, et de sa main disponible, avec une poigne ferme, il attrapa les cheveux de Galro et le força à tomber de son destrier. Alors que Galro avait encore l’esprit embrouillé, une lame sombre était posée sur sa gorge. Au-dessus de lui, un monstre au visage entre celui de l’homme et de la bête ornée de plumes d’argent le fixait avec des yeux d’or. 

_Tu es tombé bien bas, Paladin Galro.

Les reflets bleutés de la lame noire aveuglaient le paladin, qui ne vit pas Datral fondre sur Taläsna qui était dos à lui. D’un geste instinctif, le roi tourna sur lui-même, attrapa le bras droit de son assaillant, le fit tomber de son cheval, et lui transperça une fois à terre. Datral lâcha un juron, puis il vit le roi qui le dominait, les jambes placées de chaque côté de son corps étendu, tenant à deux main la lame orientée vers son cœur. Sans se retourner, Taläsna s’adressa à Galro encore à terre.

_ Ordonne le replis ou le paladin phénix mourra.

Galro se releva et vit le regard terrifié du paladin à la cape rouge. Il ne l’avait jamais aimé, il serait même ravi que Taläsna accomplisse sa menace, mais le laisser mourir revenait à se condamner lui-même à la mise à mort pour ne pas avoir sauvé son supérieur. Il ne pouvait rien faire. Il regarda le champ de bataille, les croisés fuyaient en hurlant, pourchassés par les lames tranchantes des chevaliers en armure d’or. Ils n’avaient aucune chance. Galro se dressa et hurla comme jamais il ne hurla:

_ Battez en retraite ! Battez en retraite !

Les soldats soulagés de devoir quitter le carnage désertèrent avec empressement la zone de combat. Les guerriers des bois s’apprêtèrent à les poursuivre quand le roi leur donna l’ordre dans leur langue de les laisser. Les elfes arrêtèrent les chevaux puis rengainèrent leurs épées, et firent demi-tour, se dirigeant vers la mine. Taläsna menaçait toujours le paladin phénix en sueur. Les yeux dorés du souverain régnaient de leur splendeur sur Datral vaincu. Il souleva lentement la pointe de la lame obscure et rangea son arme dans son fourreau. Il tourna le dos à son ennemi et dit d’un ton sinistre:

_Tu es déshonoré, chevalier de l’Ordre. Pars maintenant, et ne reviens jamais plus.

Le roi d’argent marcha dans la direction de la mine, contrant le blizzard qui lui faisait face, sa longue tresse noire claquait dans le vent. Galro regarda encore celui qui fut d’antan son professeur. Voilà donc ce que le destin leur avait réservé. Ils étaient tous deux voués à être ennemis, et le paladin savait parfaitement qu’il n’aurait aucune chance de vaincre Taläsna. Son regard se tourna vers le paladin phénix encore allongé dans la neige, se tenant son bras encore saignant. Il avait l’air si pathétique qu’il en aurait éprouvé de la pitié. Il marcha vers Datral et l’aida à se relever. Lorsque le chevalier blanc à la cape du phénix s’appuya sur les épaules de Galro, il jura et lui dit:

_ Je suis déshonoré par ta faute ! Tu l’as laissé me piétiner, jamais je ne te le pardonnerai.

Le paladin encaissa les nombreuses injures que murmurait Datral en récupérant les deux épées de l’Ordre. Puis ils marchèrent jusqu’à retrouver les croisés installés en aval, derrière des falaises protégeant les hommes des rafales de glace. Tilbar et Fradel accueillèrent les deux hommes puis les amenèrent chacun dans une tente. Lorsque Galro et Tilbar se retrouvèrent seul à seul, le général servit un verre de bière à son supérieur.

_Je ne te le cacherai pas Galro, dit Tilbar tout en versant le liquide dorée dans un second verre, nous avons subi une lourde défaite. Nos hommes ont perdu tout moral, et pour dire vrai, moi aussi. En ce moment même, certains d’entres eux préparent leurs affaires pour redescendre la montagne. J’ai tenté de les convaincre de rester, mais ils avaient bien trop de raisons de déserter.

_ Alors que dois-je faire Tilbar ?

_ Seul toi peux savoir Paladin.

Galro s’appuya la tête sur ses deux mains entrelacées, ne remarquant même pas le verre de bière posé à côté de lui. Ils venaient de se faire battre. Pire que cela, ils se sont fait détruire tout espoir. Galro ne voyait qu’une dernière manœuvre possible: quitter la montagne et ordonner aux hommes de rentrer dans leur foyer. Mais il savait que ça ne saurait être aussi simple. Tilbar but bruyamment son verre et dit:

_ Nous avons encore une chance. Appelons les paladins en aval en renfort et nous pourrons les vaincre. Mais il faudra faire preuve de patience.

Le paladin but son verre de bière à son tour et s’essuya sa barbe de l’écume alcoolisée. Il venait de subir sa première défaite, et ce ne sera pas la dernière. Il devait assumer la responsabilité de son poste, et faire face à la colère de l’Ordre. Il prit une plume et un parchemin puis se mit à écrire. Il trempa délicatement la pointe dans l’encre et inscrivit à vive allure un message. Après que Galro fini son manuscrit, il demanda à un homme de prendre la lettre et d’attendre les prochaines instructions.

_ Que comptes-tu faire Galro ? Demanda Tilbar.

_ Suivre tes conseils, mais d’abord il faut m'assurer que Datral me laissera agir.

_ Excellente décision Paladin.

Galro sortit de sa tente et fut accompagné jusqu’à celle du paladin phénix. Le vieil homme était couché, plusieurs médecins étaient concentrés à soigner son bras meurtri. 

_ Vous voilà ! Siffla le chevalier. N’espérez jamais rejoindre le rang de paladin phénix, vous n’en serez jamais digne.

_ Haïssez moi puisque votre volonté est ainsi. Mais nous avions d’autres problèmes. Les elfes nous ont forcé à battre en retraite, dorénavant nous ne sommes plus en mesure de capturer la mine. Je vous demande l’autorisation de demander aux paladins en aval de la montagne de nous venir en aide. Leur aide sera plus que précieuse.

Le paladin phénix grimaça en entendant Galro, un des médecins venait de tirer sur un des fils pour refermer la plaie. Un prêtre à l’arrière de la tente ouvrit son grimoire et se mit à prier pour la guérison du chevalier de la lumière. Malgré l’agitation et les hommes qui ne cessaient de les bousculer, les deux paladins se regardaient avec nervosité. Datral détourna ses yeux de Galro et donna l’ordre qu’on lui amène une bière. Un des croisés qui gardait la tente s’empressa de lui verser dans une coupe dorée volée aux nains le breuvage et le versa délicatement dans la bouche. Le paladin phénix cracha au visage du soldat et lui donna l’ordre de sortir afin de ne plus obstruer sa vue, sans manquer de faire remarquer que la bière était aussi goûteuse qu’une potion à base de jus d’excrément de porc. Un des médecins sursauta alors qu’il plantait une aiguille dans le bras de Datral qui jura. Il hurla et ordonna à cette bande d’incapables de partir sur la champ.

_ N’espérez jamais rien des autres, faites le vous-même !

Le chevalier blanc tandis sa main gauche au-dessus de la blessure. L’aura bleuté de la magilith brilla dans la paume de sa main avant qu’il ne murmure la formule. Les flammes bleues de la magilith devinrent des rayons d’or dégageant une forte chaleur. Sous les yeux de Galro, les fils qu’avaient commencé à coudre les médecins brûlèrent et devinrent poussière, jusqu’à entièrement disparaître. La plaie comme mue d’une volonté propre bougea, battant comme un cœur. Les deux parties se rejoignirent en fine lèvre tremblante et la bouche saignante se referma jusqu’à disparaître. Datral retourna son bras et la seconde plaie se clos de la même manière que la précédente. Le front du paladin était couvert de perles de sueur. La magie de la guérison était la plus délicate de toutes, la moindre inattention et un sort de soin peut vite devenir une boule de feu incandescente. Il fallait une énorme concentration et un puissant mental pour rester focalisé sur la reconstruction des chairs. Et il fallait être encore plus fort pour réussir à se soigner soi-même, car si les soins par la magie peuvent sauver un membre, l’opération n’est pas indolore. Galro connaît bien cette sensation, Taläsna lui avait fait subir un sort de guérison une fois lors de son apprentissage, c’était comme se jeter la main dans les flammes. Datral devait être à bout de force, car lorsque la blessure finit par totalement disparaître, il s’effondra sur son lit en respirant de manière saccadé. De la fumée s’échappait encore de sa peau lorsqu’il reposa son bras. Peut être que Datral n’était qu’un fou, mais il avait au moins le mérite d’avoir une résistance hors du commun, même pour un homme.

_ Alors tu as l’intention d’appeler nos compagnons, c’est cela même ?

Galro n’eut pas le temps de répondre que Datral se releva et se couvrit d’une épaisse fourrure. Le paladin phénix attrapa l’avant bras de son subordonné. Sa paume était encore brûlante de magilith. Galro tenta de se libérer de l’emprise de Datral, mais sa poigne était trop forte. Lorsqu’il parvint à sa libérer il se massa là où il souffrait, puis il regarda avec haine le paladin phénix qui lui répondit par le même regard. 

_ Ça, c’est pour ne pas avoir empêché ce bâtard de me transpercer le bras. 

Il se dressa sur ses deux jambes et se dirigea vers les gardes. Il leur donna l’ordre de partir. « On doit parler d’informations confidentielles. » tels furent ses arguments. Sans demander leur reste, les deux guerriers s’en allèrent et lorsque Datral s’assura qu’ils étaient dorénavant isolés, il se retourna vers Galro.

_ Je ne voudrais pas prendre le risque de faire venir les autres paladins pour des pacotilles. J'aimerais être certain que nous soyons en réel désavantage numérique. Et je ne connais qu’un seul moyen. Mais avant de vous la montrer, j’aimerai être sûr que vous resterez silencieux. Personne d’autre sauf les paladins ont le droit de la voir.

« De la voir » venait-il de dire ? Galro savait que des choses étranges se passaient dans l’ombre de Datral, mais ses nouvelles révélations lui prouvèrent qu’il n’avait que seulement gratté la surface. Et qui diantre pouvait être cette « la ». Le paladin phénix tira sur un collier qu’il portait autour du cou, une chaînette d’argent maintenant une clé scintillante. Datral se l’enleva et la montra pour que le jeune paladin puisse l’admirer.

_ Il est l’heure pour vous de voir ce que seuls les paladins sont autorisés à voir. Étant moi-même un paladin phénix, je suis l’un des sept gardiens des clés. Nous les gardons sur nous jusqu’à notre mort, protégeant un sombre secret de notre Ordre. Maintenant, admire.

Datral tourna son regard vers une caisse troué par de minuscules orifices discrètement posée au fond de la tente, empêchant les curieux de voir à l’intérieur. La porte de la caisse était scellée par une serrure dont le détour était gravé par le dessin d’une bête tirant la langue. Galro regarda la boîte, et sur ordre de l’un de Sept, il s’approcha jusqu’à effleurer de l’oreille l’acier de la caisse. À l’intérieur, un souffle lent et saccadé résonnait faiblement, comme celui d’une fillette apeurée. Lorsque Galro voulut regarder à travers de l’un des orifices, un cri suraigu en jaillit poussant Galro à se plaquer les mains sur les deux côtés de sa tête pour protéger les tympans. Lorsqu’il récupéra ses esprits, il était cul par terre, Datral ricanait en le voyant ainsi.

_ Vous l’avez effrayée, dit-il. Vous aviez de la chance que nos hommes n’entendent rien avec ce vent, sinon j’aurais été contraint de vous tuer.

_Qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur ? Demanda Galro sur un ton on ne peut moins amusé. 

_ Vous tenez tant à le découvrir ? dit Datral en guise de réponse. Je doute fort que vous l’aimeriez.

Galro se releva en se tenant la tête, le hurlement fut comme un coup de marteau. Ses mains tremblaient encore à cause des palpitations. Le sourire qui se dessinait sur les lèvres de Datral ne lui annonçait rien qui ne puisse aller. Le paladin phénix commença à rôder autour de la caisse, effleurant de sa main gauche le froid métal. 

_ Pendant longtemps nous nous contentions de les exterminer, les considérant comme de vulgaires nuisibles. Nous avions eu pour mission du Seigneur de tous les tuer jusqu’aux derniers, car ils étaient le fruit des ténèbres. Ce n’est qu’après les avoir chassé pendant longtemps que nous vîmes à quel point il était difficile de les tuer. Ils sont robustes, rapides, furtifs, capables de résister aux maladies, nyctalopes, et ils peuvent pousser des cris aux pouvoirs surnaturels. Comment ignorer toutes ces qualités. Notre Ordre décida qu’il était temps d’utiliser ces enfants de l’obscurité pour lutter contre le Mal. Préférant les garder en vie plutôt que de les tuer, nous les apprivoisons ensuite dans nos cachots. Nous avions eu beaucoup de mal à dompter les sauvages, mais ceux qui naquirent en captivité furent plus faciles à dresser. En secret, nous parvînmes à acquérir les espions les plus habiles que le monde connut. Ton père connut le secret très rapidement, et il nous rendit de nombreux services grâce à sa compréhension de ces monstres. Il les utilisa pour détecter les leurs et capturer un grand nombre de serviteurs. Mais c’est ce qui le perdit, car lorsque nous l’envoyâmes dans ce village où il avait découvert la présence d’un d’eux, il fut tué par la bête.

Datral se plia jusqu’à atteindre la serrure. Il y inséra la clé, un cliquetis métallique mêlé à un bref sanglot résonna. Le mécanisme intérieur tinta lorsqu’il la tourna d’un tour complet, puis il la sortit de l’antre sombre. Lorsque le paladin phénix se tourna vers Galro, il lui dit sur ton sombre:

_ Quoique vous voyez, restez calme et silencieux. 

Il tira la porte vers le haut et un petit cri nerveux sorti du sombre intérieur de la caisse. Une odeur fétide chatouillait désagréablement les narines du chevalier de l’Ordre. Galro se pencha pour voir la chose tapis dans l’ombre. Une silhouette fine et ténébreuse était recroquevillée dans le fond de la caisse, enrobée d’une très longue chevelure emmêlée sur son corps tremblant, étirée comme un linceul. La seule chose que Galro distinguait sous cette chevelure albâtre, dans le peu de lumière qui pénétrait à travers les trous, fut deux yeux à l’iris rouge. Lorsque le paladin sursauta, la forme lâcha un petit cri nerveux et se plaqua contre le fond de la caisse métallique. Aucun doute, Galro venait de voir ce qu’il avait vu dedans. Ses souvenirs le ramenèrent à l’intérieur de la forêt elfique, en ce début de printemps. Ces yeux étaient ceux d’une créature qu’il connaissait bien.

_ Tuez cette bête immédiatement, lâcha Galro en grelottant d’effroi.

_ N’ayez crainte, répondit simplement Datral. Elle a plus peur de vous que vous d’elle. 

Galro ne l’entendait pas. Son cœur martelait ses tympans. Un tambour de terreur secouait sa tête. Une sueur glaciale coulait le long de sa nuque, de son dos, et plus bas encore. Dans son crâne, deux mots comme un leitmotive: « Tue la ! Tue la ! ». Mais ses muscles étaient crispés à l’idée de devoir revivre cet instant. Une chaîne sombre était à peine visible à l’entrée de la caisse, Datral se pencha pour la saisir et tira d’un coup sec. 

_Au pied ! Allez sors !

La créature cachée dans l’obscurité se débattait, tel un chien dans sa niche sentant que son maître avait l’intention d’en finir. Le maître tira de nouveau, plus fort, hurlant avec plus agressivité, mais elle refusait de sortir. Datral se plaça finalement devant la caisse et saisit la chaîne à deux mains. 

_ Sors immédiatement monstre diabolique je te l’ordonne !

La forme sombre fut violemment attirée à la lumière, une masse de cheveux en guise de tête sortit sous la force du paladin phénix. D’un main ferme, Datral tira l’animal hors de sa cage. C’était ce que Galro redoutait, un elfe noir. Non, une femelle, entièrement nue. Elle était très maigre sous ses longs cheveux blancs, cachant les côtes saillantes sur ses flancs. Sa peau noire était marquée par de longues estafilades dans le dos, et de quelque chose d’encore plus étonnant. Sur tout son corps étaient inscrits des glyphes noirs ressemblant à une ronce malfaisante. Dans les souvenirs de Galro, ces marques n’étaient pas noires, mais rouges flamboyantes. Une chaîne robuste la gardait prisonnière dans un minuscule périmètre autour de sa cage en la tenant par le cou. Datral ne cessait de tirer dessus pour forcer la bête à ramper devant lui.

_Au pied sale garce ! Cria-t-il en enfonçant sa botte dans les côtes de l’elfe noire.

Elle répondit par un couinement et se mit à genoux devant son maître, comme pour le supplier.

_ Qu’est-ce que tu regardes saleté ?! Hurla Datral la bouche salivant de rage, lui donnant un coup de pied au visage.

La frêle créature tomba sur le dos, le nez saignant abondamment, mais elle ne semblait pas y faire attention. Elle rampa ventre contre terre devant les pieds du paladin phénix.

_ C’est bien sale bête ! Regardez bien, Paladin Galro. C’est ainsi qu’il faut les dompter, par la peur et l’angoisse. N’hésitez pas à frapper dès que vous en avez l’occasion. Ces monstres nous doivent respect, alors n’ayez point peur de les terrifier. 

Il attrapa les cheveux blancs de l’animal, tira violemment dessus pour l’obliger à se relever en lâchant de petits cris suraigus, entoura de son large bras son cou et la plaqua contre lui de manière à ce qu’elle soit face à Galro. Son ventre était si creux qu’elle était semblable à un pantin cadavérique entre les mains de Datral. Ses seins ratatinés par la maigreur de son corps étaient les deux seules courbes qu’elle portait. À travers ses cheveux qui lui tombaient sur son visage tel une blanche cascade; ses yeux rouges le suppliait de l’aider.

_ N’est-elle pas magnifique ? Demanda Datral en palpant sa frêle poitrine. Voici ce que pendant longtemps les hommes redoutaient. Une elfe noire, en chair et en os, capable de souffrir et de nous supplier. Couchée !

Il la jeta par terre et elle obéit immédiatement, s’aplatissant au sol comme un serpent. Datral prit un fruit gâté dans la corbeille et l’envoya à l’elfe noire. Elle tenta de l'attraper mais le fruit éclata entre ses doigts. Il sentait la pourriture, mais elle ne fit pas attention à ce détail futile, elle dévora à pleines dents.

_ Nous ne la nourrissons qu’une fois par jour, alors elle a intérêt à en profiter, la truie.

Galro la regardait, elle ne ressemblait en rien à celui qu’il avait déjà affronté par le passé. L’autre était d’une force incroyable, capable de briser un bras en un éclair, ses yeux mus d’une volonté destructrice. Elle était si fragile, si faible qu’elle ne pouvait que crier de douleur lorsqu’un humain la frappait, esclave de la volonté de l’Ordre, esclave de Datral. Galro détestait ce qu’elle était, mais il ne pouvait retenir en son fort intérieur ce sentiment de pitié. Elle avala jusqu’au trognon la poire pourrie, mangeant moisissures et vers au passage. 

_ Comment se nomme-t-elle ? Demanda Galro.

_ Elle ne porte pas de nom, comme tous les membres de son espèce. Ce n’est qu’une bête.

_ Sait-elle parler au moins ?

_Ce que nous avons bien voulu lui enseigner.

Datral se tourna vers son animal domestique et dit à haute voix:

_Qu’est-ce que t’as vu sale chienne ?

L’elfe noire regarda son maître avec des grands yeux, puis elle leva avec hésitation son doigt tremblant dans la direction de Galro. Un faible voix tremblante sortit de sa bouche lorsqu’elle se mit à parler.

_Chef...manger...deux chefs...blanc.

_Qu’est-ce que ça signifie ? Dit Galro.

_ Elle dit simplement qu’elle nous voit tous les deux, des fruits et de la neige dehors. Nous avons jugé inutile de leurs apprendre davantage que des termes précis pour qu’ils ne puissent jamais divulguer d’information à l’ennemi s' ils se font capturer. 

_Qu’est-ce qui vous assure qu’elle ne s’enfuira pas tout simplement une fois dehors.

Datral attrapa un fruit dans le bol et le montra à Galro. L’elfe noire fut tout excitée en voyant la nourriture, elle tendait une main vers son maître comme une mendiante. 

_ Le lien de la nourriture, sans nous ils crèvent de faim. C’est aussi simple que ça. De plus, ils savent en général que lorsqu’ils tentent de s’échapper, ça a tendance à nous mettre en colère. Ils préfèrent éviter notre courroux plutôt que de retrouver la liberté.

Datral se retourna et attrapa le menton de la captive et lui dit en la fixant droit dans les yeux, comme un homme qui s’adresserait à son chien:

_ De plus ma belle, qu’en ferais-tu de ta liberté ? 

Elle ne répondit pas immédiatement, mais elle dit ce simple mot tel une poésie qu’elle aurait répété et répété:

_Rien...

_ C’est bien sale bête !

Il se releva et se dirigea vers Galro. Une lueur malveillante brillait dans les yeux de cet homme, il pouvait entendre résonner en lui un rire sadique. 

_ Grâce à elle, nous pourrons récupérer des informations sur cette mine. Si nécessaire, nous ferons appel à nos compagnons. Sinon nous réglerons nous-même cette affaire.

Bien que Galro n’aimait guère l’idée d’utiliser un elfe noire pour servir le Seigneur, Datral et les autres paladins phénix avaient la permission d’employer ces créatures de l’ombre pour de sombres desseins. De plus, Datral était supérieur à Galro, il n’avait aucune contestation à recevoir d’un simple paladin. Il frappa au postérieur de l’elfe noire pour la forcer à rentrer de nouveau dans son coffre. Il verrouilla et ordonna à quatre hommes de rentrer.

_ Portez ceci, vous le poserez exactement à l’endroit que je vous dirais et vous repartirez immédiatement à vos postes, est-ce bien clair ?

_ Oui Paladin Phénix.

_ Galro, prenez ceci, dit-il à son acolyte en lui mettant dans les bras un manteau de fourrure.

Les quatre croisés portèrent ainsi la bête dans sa sombre cellule dehors, suivis de Datral et Galro. Lorsqu’ils furent sur une petit plateau qui dominait la mine, le paladin phénix ordonna qu’on y laisse le coffre troué. Une fois les soldats répartis au camp, Datral regardait le soleil avait déjà disparu derrière les montagnes depuis une heure. Datral usa une nouvelle fois de la clé et fit sortir la créature. Datral prit la fourrure des bras du paladin et la mit sur les épaules de son serviteur dénudé.

_ Écoute moi bien sale chienne, tu vas entrer là-dedans et je veux tout savoir à propos de cette satanée mine. 

L’elfe noire ne répondit pas, elle scrutait le paysage gelé tout en tremblant de tout son être. Datral lui donna une gifle ce qui la força à se concentrer.

_Qu’est-ce que je t’ai dis ?!

_Entrer... Là-bas... Voir... Écouter...

_ Alors vas-y ! Hurla-t-il en lui donnant un coup de pied dans le fondement. 

L’elfe noire s’empressa alors de courir dans la neige qui lui brûlait les pieds de froid. Rapidement, dans les ténèbres, elle disparu aux yeux de Galro. Les deux paladins rentrèrent au camp, patients du retour de leur espionne.


_ Posez le là ! Dit Taläsna en désignant un petit coin froid et humide inoccupé.

_ Bien sire, répondirent les deux elfes qui tenaient fermement Warda.

Le guerrier sombre était toujours ligoté et bâillonné par les minuscules branches qui l’avaient scellé à la tour. L’elfe noir furieux se débattait mais c’était plus pour montrer sa colère que dans le but de se libérer. Si l’extérieur était glacial, à l’intérieure de la mine les elfes mourraient de chaud. Les petits hommes à la longue barbe faisaient brûler de petits feu dans chaque coin. Au passage des guerriers sylvestres, les nains se grattaient et crachaient par terre. Les gardes furent plus respectueux envers leurs sauveurs, ils tentaient de se gratter le moins possible. Un vieux nain à la barbe décolorée sorti d’un semblant de bureau et se mit à embrasser les pieds du roi.

_ Merci beaucoup, souverain, merci beaucoup. Sans vous nous serions tous tués. Mon nom est Grhandën. À votre service.

_ Nous obéissons juste aux lois érigées par notre alliance avec la Guiogne, et étant vous-mêmes guiogniens, nous sommes venus à votre aide.

Le petit vieillard se releva et montra son bureau en guise d’invitation. Taläsna accepta et suivit le nain dans sa demeure avec deux gardes. C’était en réalité juste quelques planches de bois qui servaient de palissade décorative, d’une minuscule fenêtre qui lui permettait de voir les ouvriers, et de trois, voir quatre meubles excédés par le poids qu’ils devaient supporter. Plusieurs piles de parchemins qui devaient faire au moins la moitié de la taille du nain envahissaient son bureau affaissé avec un tabouret de chaque côté. Le petit homme s’empressa de débarrasser la table et de mettre tous ces papiers sur une étagère prête à s’effondrer. 

_ Veuillez m’excuser souverain, c‘est difficile de garder un coin organisé ici. Voulez-vous du thé ? Bière ? Graïnbar ?

_ Un thé avec ces températures semble être le meilleur remède contre le froid. 

Le nain à la barbe blanche chercha au milieu de son désordre la théière difforme cachée sous les décombres de sa vaisselle empilée sur une minuscule table. Il tira d’un tiroir deux vieilles tasses de fer rouillées, puis les montra en souriant:

_On a rien de mieux.

_ Nous nous en contenterons. Maître nain, vous semblez bien connaître notre langue, où l’avez vous apprise ?

_ Dans une école humaine en Guiogne. Mais il faut le dire, c’est vraiment dur. J’ai mis plusieurs années pour comprendre votre grammaire, et bien plus de temps pour le vocabulaire.

_J’imagine que nous ne sommes pas ici par hasard, dit le souverain.

Le nain prit soudainement un air plus sombre. Il s’assit d’un air pensif sur son tabouret et ôta son bonnet en laine de Brud*. Son crâne était dégarni de tout poil, une couronne de cheveux frisés comme de la laine couvrait ses tempes et l’arrière de sa tête. Il soupira longuement, puis son regard vola d’un garde à l’autre.

_ Pourrions-nous parler seul à seul ?

Taläsna se tourna vers ses deux gardes qui s’exécutèrent immédiatement. Lorsque la porte se referma derrière eux, le nain et l’elfe se regardèrent face à face. 

_Je n’irai pas par quatre chemins sire, nous ne tiendrons pas très longtemps.

L’eau était entrée en état d’ébullition, mais ni l’un ni l’autre ne s’en préoccupa. Le petit homme rondouillard alluma sa pipe, se gratta ses sourcils ébouriffés et dit:

_ La situation est critique. Jamais nous n'aurions imaginé que quelque chose de pire puisse nous arriver. Si nos fortifications ont su résister à l’attaque d’aujourd’hui ce n’est que grâce à la chance.

_ Dites moi en plus frère nain, je ne crois pas très bien comprendre l’envergure de ce que vous me racontez.

_ Très bien, répondit Grhandën lorsque soudain il se rendit compte que l’eau débordait sur des documents importants. Unh Berha tresku !

_ Cessons donc les grossièretés je vous prie.

Ghrandën jeta un bref coup d'œil vers le roi sylvain, puis posa la casserole sur une table humide.




Brud: Animal ressemblant à un gros bélier vivant dans les montagnes froides. C’est l’un des rares animaux domestiques des nains car il est très résistant au froid.




_ Désolé messire, ça m’a échappé. Je ne pensais pas que vous comprendriez notre langue.

_ Sachez que j’ai tout mon temps pour apprendre les langues de notre terre. Donc vous étiez en train de me parler de quelque chose de fondamentale juste avant que l’eau bouillante ébouillante vos parchemins, reprenons.

_ Comme j’étais en train de le dire, notre situation est délicate. Notre ennemi ignore, mais leur catapulte a causé bien des dommages. Ce n’est pas visible de loin, notre mur principal sert à dissuader les bandits en se faisant passer pour indestructible, mais il n’a pas été prévu pour résister face à une armée. Il suffit de bien s’approcher pour constater que des fissures aussi fines qu’un cheveu recouvrent toute l’entrée de la mine. Il suffit qu’il y ait un petit peu d’humidité qui pénètre ces petites crazdath* de fissures et deux, voir trois tirs de catapulte dans le meilleur des cas, pour que notre mine fortifiée tombe comme un château de cartes. 

Taläsna comprit alors la gravité de la situation. Si la roche qui compose la façade de la mine était réellement aussi atteinte par ces microfissures qui la traverse de par et d’autre, alors ils n’avaient aucun droit à l’erreur. Il ne leur restait que deux possibilités, soit le roi elfe parvenait à traiter avec l’Ordre en leur livrant l’assassin d’un de leurs paladins phénix, soit il devait lancer l’assaut avec ses soldats pour empêcher la catapulte de tirer. 

_ À l’heure où nous parlons, rajouta le nain en se coiffant de son bonnet, je suis sûr que l’eau à l'intérieur des fissures a commencé à geler. Si notre mur tombe, nous sommes tous perdus. La plupart de nos gars ne sont pas des guerriers de profession, juste des nains à qui on a proposé du pain en échange du travail à la mine. Je doute que des pioches et des pelles fassent l’affaire contre un soldat en armure, armé d’un écu et d’une épée affûtée Bien plus que ce bloc de roche, vous êtes notre dernier rempart. 

Taläsna baissa les yeux sur le vieillard qui semblait le supplier du regard. C’était si pathétique, pendant des siècles ce fier peuple avait refusé de se joindre à la Guiogne en clamant l’indépendance, et voilà qu’ils étaient dorénavant à genoux pour prier qu’on les aide. Le roi se leva et dit:

_ Nous vous protégerons jusqu’à l’ultime goutte de notre sang.


Pendant que Taläsna était occupé à parler avec le vieux nain, Warda était toujours ligoté dans un coin sombre de la mine. On jugea inutile de disposer des gardes pour le surveiller, les liens de bois étaient trop résistants, même pour un elfe noir. Il n’y avait que rarement des passants dans son secteur, les nains étaient bien plus préoccupés par la prochaine attaque des croisés que de l’extraction minière, la plupart des galeries étaient vides. Seuls les tunnels d’habitations étaient bondés par la population. Par manque de chance, Warda fut juste placé sous une stalactite qui faisait tomber une goutte glacée sur sa nuque de manière répétée, juste pour le maintenir éveillé. Ils ne lui avaient même pas laissé de torche pour l’éclairer, une nouvelle fois Warda était prisonnier dans une tombe ténébreuse, sans eau ni nourriture. Pendant que les guerriers elfes et nains marchaient dans les tunnels, ils ne lui prêtaient guère attention. Il chercha pendant de longues heures le moyen de se libérer, mais visiblement le sortilège de Taläsna était trop résistant. Il renonça finalement et tenta de plonger dans le sommeil malgré les gouttes gelées. Jusqu’à ce qu’un bruit suspect attira son attention. Il se tourna vers l’origine du son, qui se répéta. C’était infime, bien trop infime pour un humain, mais pas pour lui. C’était comme si quelqu' un marchait pieds nus sur la pierre, ou quelque chose. Il leva les yeux, scruta l’obscurité, mais l’intrus restait invisible. Puis son regard se dirigea vers l’entrée d’une galerie éclairée, un nain buvait une chope de bière en tenant la hache aussi grande que lui à ses côtés. Il regarda un instant Warda, cracha un mollard dans sa direction et se retourna, tout en se grattant le bas du dos. Au moment où le garde barbu se tourna, une frêle silhouette sombre apparut derrière lui. Warda ne discernait pas très bien ce que c’était, mais la silhouette noire saisit avec autant de force que d’agilité le gardien nain, lui tordit le cou et disparu en emportant le corps avec elle. L’elfe noir se débattit, contracta tous les muscles de son corps, déferla sa puissance dans ses quatre membres, voulut hurler, mais il restait toujours prisonnier. Il chercha désespérément l’ombre mouvante apparue il y avait juste un instant, mais elle avait disparu aussi vite que sa brève intervention. Cette chose venait de tuer, et elle se mouvait à sa guise dans les boyaux terrestres où personne à part lui connaissait son existence. Il se débattit, roula par terre, tenta d’arracher les liens de bois sur la pierre mais n’y parvint qu’à s’égratigner la peau. Alors qu’il s’écroula face à terre, alors qu’il leva les yeux, un pied nu lui faisait face. Un pied à la peau noire. Il se tourna sur le dos et vit une femme nue à la peau de nuit, aux cheveux blanc spectraux, et deux yeux rouges illuminés d’une profonde colère l’observaient. C‘était une elfe noire. Warda tenta de hurler, mais sa bouche était scellé. La femme d’impressionnante maigreur se tenait debout au-dessus de sa tête, un grognement animal résonnant dans sa gorge. Elle montra ses dents à la manière d’un loup et d’un bras, puissant et souple, il le leva sans difficulté. Warda la regardait droit dans les yeux, la perle d’une sueur froide coulait le long de son cou. 

_ Ta faute... Tout est ta faute...

Sur ces paroles, elle montra les glyphes noires dansant sur sa peau. Elle le leva jusqu’à ce que les pieds du guerrier sombre n’effleure même plus le sol, puis elle le plaqua violemment contre une paroi rocheuse. Si elle était d’une minceur exceptionnelle, elle n’était pas moins forte. Elle le saisit au niveau de la gorge et grogna.

_ On est maudits... Par ta faute...

Warda ne pouvait plus respirer la puissante main lui écrasait la trachée. Tandis qu’il suffoquait, des pas résonnèrent dans le tunnel. L’elfe noire se retourna vivement et lâcha prise, avant de disparaître dans les ténèbres une nouvelle fois. Taläsna et sa suite arrivèrent, tout d’abord pensif, ils changèrent subitement d’expression en voyant le corps allongé du nain mort. Ils s’écrièrent en voyant le cadavre, ils exclamèrent leur rage, ils hurlèrent leur peur. Seul le roi qui gardait son calme regardait Warda affaissé contre le mur. Il se dirigea vers lui, l’attrapa par les branches qui l’emprisonnaient, et le plaqua contre une paroi.

_ Tu l’as tué ?

Warda était incapable de répondre, bien que cela semblait être plus une affirmation qu’une question. Il sentit soudainement une seconde présence dans sa tête, Taläsna fouillait dans son esprit ses souvenirs les plus récents. Soudainement, des images que l’elfe noir lui même avait oubliées rejaillirent devant ses yeux comme si il le vivait tel un instant présent. Mais la vitesse de défilement d’un souvenir à l’autre fut si rapide qu’il sentit une aiguë douleur entre les parois de son crâne. « Arrête ! Suppliait-il mentalement. Tu sais que je ne pouvais pas le tuer. »

_ Lutte contre moi et je te détruis tous tes souvenirs.

« Alors regarde bien roi elfe, laisse moi te prouver que je ne l’ai pas tué ! ». Warda se concentra sur des souvenirs récents, focalisant toutes ses forces mentales sur le moment où il vit la silhouette sombre tordre le cou au garde. Soudainement, il sentit la présence de Taläsna se débattre à l’intérieur de son esprit. Il tenta de voir plus loin dans sa conscience, mais Warda le ramena toujours à ce souvenir de ce qui s’était produit il y avait à peine quelques instants. Il lui montra l’elfe noire qui lui proféra des menaces, son désespoir, ses émotions vécues à ce moment précis. « Regarde, tu ne trouveras rien d’autre, c’est la vérité. Tu ne peux pas le renier. ».

Finalement, Taläsna sortit de son esprit, bouleversé par les visions que lui offrit Warda. Sans se retourner, il dit à ses compagnons:

_ Il est innocent, c’est une elfe noire qui a pénétré la mine.

_ Comment est-ce possible ? Demanda un garde elfe. 

_Je l’ignore, mais nous le saurons bientôt.

_ Que faisons nous messire ?

Taläsna leva les yeux, cherchant le visage du jeune Galro qu’il avait connu. Il était son dernier espoir.



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