La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre
Warda se réveilla enfin, le soleil l’éblouissait. Il sentait toujours cette douleur sur le flanc, mais il pouvait se relever. Tout autour de lui, des macchabées commençaient à fermenter. D’énormes corbeaux affamés dévoraient les tripes qui jaillissaient des corps. Le spectacle de la jeune femme au crâne explosé sur un rocher lui tordit l’estomac jusqu‘à la gerbe. Il se retourna et trouva son épée enfoncée dans la carcasse du comte. Il attrapa la poignée de son arme et tira de toutes ses forces avant que le mort libère Algazalm. Elle puait la mort, tout comme lui. Il la contemplait en se demandant combien de vies elle avait détruites. Il la rangea dans son dos et fouilla les corps. Il mourrait de faim, et il avait assez d’expérience pour savoir qu’il ne faut jamais sous-estimer ses besoins primaires. Il dépouilla un dresseur de chien tué et dénicha sur lui un sac avec des morceaux de viandes séchés, sûrement des récompenses pour ses bêtes. Il récupéra également un long couteau et découpa la viande des chiens qu’il mit dans une sacoche récupérée. Il but également l’eau d’une gourde d’un soldat qui était infesté de vermines. Il trouva des fourrures abandonnées des chamanes, il les remercia en serrant le pelage chaud qui lui sera certainement utile. Il accrocha la dague et les gourdes à sa ceinture, et mit le sac de provisions dans son dos. Il quitta les lieux du massacre avec la seule idée d’être le plus loin possible. Il marcha pendant vingt kilomètres dans la forêt sans encombre. Puis il vit des hommes s’approcher dans sa direction. Il se cacha sous une vieille souche. Les racines grouillaient d’insectes qui se faufilaient sur son dos. Il garda toutefois le silence, c’était une question de vie ou de mort. Restant immobile dans sa cachette, les soldats ne le repérèrent point. Après un quart d’heure, il risqua un œil dehors et vit que la voie était libre. Il ne passera pas la frontière aisément, il le savait. Il monta au nord encore pendant une dizaine de kilomètres, mais plus il marchait, plus les sentinelles étaient nombreuses. Les hommes voulaient l’empêcher de s’évader en Guiogne, le seul chemin qui y accédait était bloqué et des archers embusqués devaient l’attendre dans les bois. Comment passer ? « Les croisés sont présents dans les bois et dans les postes, pensa Warda. Le seul endroit où ils ne peuvent garder c’est... Le mont de Léondia. »
Il pénétra dans une clairière et vit les pointes enneigées à peine visibles à travers les nuages. Ces montagnes étaient beaucoup trop froides pour eux, ils n’osaient jamais y aller. De plus, elle était infestée de brigands, de nains renégats ou de créatures. Entre les croisés et les montagnes gelées, il préférait encore gravir les montagnes. Le soleil se couchait, il espérait atteindre les pieds du mont le lendemain matin. Dans les ténèbres, il évita les gardes forestiers, se faufila entre les camps montés à l’improviste. Les soldats étaient nombreux et vigilants, mais l’obscurité jouait en la faveur de l’elfe noir. Exténué, il décida finalement de se reposer dans une clairière. La montagne était encore loin, mais il s’approchait de manière significative. Il décrocha sa sacoche et se mit à mâcher la viande crue. Elle avait eut le temps de fermenter, mais peu importe, il avait faim et c’était tout ce qui comptait. La lune à presque entièrement dévorée éclairait à peine la vaste forêt, et dans les ténèbres la montagne ressemblait à un monstre gigantesque endormi. « Bientôt, se dit Warda. Bientôt, je serai en sécurité. ». Un buisson bougea. L’elfe noir lâcha la précieuse viande et attrapa le pommeau de son épée. Le buisson bougea encore et un écureuil en sortit. Il regarda hébété quelques instants le guerrier sombre et repartit aussitôt. Il se détendit en voyant le petit animal disparaître quand une voix désagréable parla dans son dos.
_ Un geste et tu mourras !
Le grincement d’une corde sur son arc parvint aux oreilles de l’elfe noir. Bon sang, il avait été piégé. Cinq hommes apparurent à leur tour, tous ayant déjà encoché une flèche prête à partir. Comment s’en sortir ? Qu’il se rende ou pas, aucune différence, ils l’abattraient de toute manière. L’un des traqueurs s’approcha toujours Warda en ligne de mire et dit:
_On va te faire la peau, démon !
_ Désolé, répondit Warda.
_ Hein ? Arggg !
Le guerrier sombre profita du moment d’inattention de celui-ci pour l’attraper à la gorge, sortit le couteau de son étui et mit la froide lame sur la gorge de son prisonnier. Les autres hommes s’apprêtèrent à tirer mais lorsqu’ils virent leur camarade se faire capturer ils s’interrompirent. Warda se sentait terrifié, mais ses ennemis éprouvaient la même émotion que lui, cela le rassurait.
_Au moindre geste, et je le tue. Pour commencer, jetez vos armes.
Les quatre hommes déposèrent les arcs et les flèches à terre, jetèrent leurs couteaux et leur épée. Le dernier qui était dans son dos tendait toujours la corde de son arc, l’elfe noir se retourna et appuya légèrement sur la gorge jusqu’à faire perler une goutte de sang.
_ Montre-toi !
Un homme encapuchonné sortit d’entre les fougères, toujours armé. Warda lui montra son otage terrifié.
_ Dépose tes armes !
_ Pourquoi je t’obéirais ?
Le guerrier sombre resserra plus son emprise pour faire comprendre sa menace.
_Tu tiens à sa vie, alors ne sois pas stupide, lâche tes armes.
Le traqueur hésita un instant, puis il déposa son arc par terre, son énorme couteau et un glaive. Il se pencha pour décrocher sa ceinture ornée de dagues effilées mais il attrapa un objet qui dépassait de sa botte et l’envoya dans sa direction. Warda mit son prisonnier devant lui et le projectile perça l’estomac du pauvre homme. Le guerrier sombre lança le blessé sur les autres opposants et dégaina Algazalm.
_ Attrapez-le ! Lança le chef.
L’homme qui était dans son dos se jeta sur Warda, brandissant son glaive, mais la gigantesque lame le para. L’elfe noir tenta une riposte mais l’homme habile l’évita avec une roulade et lui même fit une attaque verticale. Warda évita mais il dû bloquer une épée dans son dos. Il saisit son arme à deux mains, se retourna et trancha le ventre de son opposant qui se mit à hurler. Il planta la lame qui revenait derrière le pommeau dans l’estomac d’un adversaire derrière lui. Les trois hommes survivants prirent la fuite dans les bois. Warda regarda un de ses ennemis en train d’agoniser à ses pieds. Il leva sa grande lame et dit:
_ Je suis navré.
Il planta Algazalm dans la cage thoracique ce qui acheva brutalement le traqueur qui hoqueta lors du choc. Warda rengaina son arme dans son dos et partit au pas de course. Il n’avait plus de temps à perdre. Les autres soldats dans la forêt allaient bientôt être avertis. Il se mit à courir à travers les bois, désormais plus que la discrétion c’était la vitesse qui le sauverait. Il sauta par-dessus les troncs couchés, contourna les arbres debout, gravit les talus sans jamais se retourner. Il pouvait entendre les chiens qui ont été lâchés, ça y est, les véritables ennuis commençaient. Les soldats ne devaient pas être loin derrière, et dans le pire des cas, il allait encore devoir affronter des chevaliers. Il bondit au-dessus d’un ruisseau et lorsque son pied toucha la terre ferme, une flèche le frôla pour disparaître dans les buissons. L’elfe noir regarda en arrière et vit des archers qui s’apprêtaient à tirer de nouveau. Warda reprit sa course tandis que les flèches fusaient autour de lui. Un homme apparut devant, et contre toute attente, Warda garda son élan pour s’appuyer sur lui et sauta. En l'air, il dégaina son épée et trancha un second soldat à l’atterrissage. Il se baissa pour éviter une hache et démembra son manieur. Tout en courant, il découpa ses opposants. Un seul objectif, atteindre la montagne. Il se décala pour esquiver une lance, para un glaive et attrapa une hallebarde qui allait le décapiter. Il souleva le manieur d’hallebarde et avec une force incroyable, il le fit tournoyer autour de lui en fauchant au passage les deux autres guerriers. Il avança de quelques pas, s’arrêta à temps pour éviter une flèche qui lui était destinée. Il roula sur lui même pour esquiver un carreau. Il se releva et courut jusqu’à ce qu’il tombe sur un chien qui lui barra la route. Il lui donna un coup de pied qui le fit valser, mais deux autres apparurent. Il les tua d’un coup d’épée et sauta par-dessus un troisième qui montrait les crocs. Un maître chien sortit de derrière un arbre armé d’un énorme gourdin. Il termina comme tous les autres qui ont barré son passage, une énorme plaie au travers du torse. Warda se mit ensuite à accélérer son allure, il était maintenant si proche de son but. Il sentait déjà la pente qui naissait progressivement sous ses pieds. Maintenant tous les cris venaient de derrière lui, il était en train de les semer. Soudain, la forêt s’arrêta, la véritable montagne commençait ici. Il regarda le ciel, le soleil était en train d’illuminer l’horizon. « Tiens bon ! Se dit-il en défiant le cercle d’or du regard. ». Il entreprit de gravir la plus grande et plus dangereuse montagne de toute l’Étale, le mont de Léondia.
Galro assis dans un fauteuil ne cessait de penser au paladin phénix. Pourquoi avait-il fait ça ? Il savait parfaitement que Galro avait besoin de cet homme pour identifier le meurtrier de son père. De cette manière, il lui était dorénavant impossible de savoir si Mayirr lui ramènerait la bonne tête. Comment sera-t-il si l’honneur de son père sera restauré ? Il ne lui restait plus que... Le marchand de vin. S' il arrivait à lui mettre la main dessus, il pourrait enfin obtenir des réponses. Quelqu’un frappa à sa porte.
_ Entrez, dit Galro.
Un homme maigre entra, sa tunique blanche brodée d’or ornée d’un phénix désignait que c’était un messager officiel du Grand Prophète.
_Je suis envoyé par sa sainteté le Prophète pour annoncer à tous les paladins et paladins phénix de rejoindre la grande salle de réunion.
« Que se passe t-il ? Se demanda l'inquisiteur. » Il répondit qu’il allait obéir aux ordres dans les plus brefs délais. Le messager intima au chevalier de l’Ordre de le suivre. Ils traversèrent les grands couloirs de marbre blanc et arrivèrent devant une gigantesque porte entièrement en or massif. Il était sculpté dessus la scène du jugement divin du Grand Phénix, avec sur sa droite la damnation des flammes et sur sa gauche le paradis éternel. Cette œuvre d’art avait dû prendre des années pour être finalisée, voire des décennies. On pouvait s’attendre à ce que l’oiseau s’envole d’un moment à l’autre. Deux gardes ouvrirent la porte sur une immense salle d’une beauté inimaginable. Des anges étaient peints sur le plafond, certains tenant les armes, d’autres priaient le Tout-puissant qui dominait le monde sur son trône d’or et d’argent. Des étendards pendaient depuis le haut des colonnes représentant le Phénix d’or sur un fond rouge. Des braseros soutenus par des anges sculptées éclairaient une immense table ronde drapée de rouge et d’or. Autour, de nombreux paladins étaient assis, dont l’un d’entre eux avait un visage familier. Les sièges rouges avaient des bordures dorées avec pour appuie coude deux anges. Sept autres étaient inoccupées, d’une beauté encore plus resplendissante. Et le trône central également vide, mais d’une perfection que même les rêves les plus fous ne peuvent y conduire. Le grand phénix entourait le trône de ses deux ailes d‘or. La couleur blanche contrasté avec le rouge et l’or des dessins des quatre fondateurs qui croisaient leurs lances sur le support. Au fond de la salle, derrière le trône, se dressait une statue gigantesque de Dieu tenant dans sa main droite le monde, dans la main gauche l’épée de l’apocalypse.
_ Veuillez prendre place, dit le messager.
Il disparut l’instant d’après, alors Galro décida de s’asseoir à côté du paladin au visage familier. Lorsqu’il s’apprêta à se poser sur le siège, celui-ci se tourna et dit:
_ Cette épée est bien trop lourde pour vous, paladin.
Galro se souvint enfin où il avait vu cet homme, la caravane. Il avait beaucoup mûri depuis leur première rencontre, mais c’était bien lui. Une cicatrice parcourait sa joue jusqu’à l’oreille gauche, il avait dû l’avoir au combat. Lorsque Galro s’assit, il lui demanda des nouvelles de lui.
_ Je suis devenu paladin un peu plus tôt que vous, répondit-il. J’ai accompli des missions périlleuses pour sauver nos fidèles, la lutte contre les ténèbres est difficile, mais un jour nous y arriverons.
_ Je prie avec vous, paladin...
Galro ignorait le nom de son interlocuteur, il ne lui avait jamais demandé auparavant. En le voyant bloquer, le chevalier blanc répondit:
_ Fradel, mon nom est Fradel.
_ Heureux de vous retrouver paladin Fradel. Au fait, aviez vous plus d’informations que moi sur cette réunion ?
_ Malheureusement je suis aussi ignorant que vous, mais je pense que c’est sérieux...
_ Voici le Grand Prophète et les paladins phénix.
Tous les paladins se levèrent et firent le signe du Perchoir. Six hommes en armure blanche à la cape rouge et or entrèrent. Galro reconnu Datral qui prit l’une de sept place, celle sur la gauche du trône. Les cinq autres s’assirent à leurs places, puis un chevalier à l’armure d’argent et à la cape blanche brodée d’or blanc. Et ce qui interpella le plus le regard de Galro fut l’épée étrange qu’il portait à la ceinture. Sa garde bleutée presque translucide était ornée d’un saphir d’un bleu si profond que les étoiles semblaient y briller. Et cette force étrange qui s’en dégageait, aucun doute, c’était une Dyaladuil.
_ Voici Sapharël, commenta Fradel. Le bras droit armé du Grand Prophète. Il peut commander toutes les armées d’Étale et tous les autres paladins phénix. Si le Prophète venait à mourir, c’est lui qui le remplacerait le temps d‘en désigner un nouveau.
_ Et cette arme...?
_Je croyais que vous l’aviez remarqué.
Galro avait enfin comprit, c’était elle, l’épée de la foudre divine, Grandal. Les frissons étaient de plus en plus intenses au fur et à mesure que Sapharël s’approchait, l’énergie émanée par la lame était presque palpable. Elle contenait sûrement plus de Magilith que Galro ou tout autre paladin autour de cette table. Alors, quel genre d’homme était-il pour maîtriser une arme si puissante ? Lorsque le prophète s’assit, son subordonné fit de même. Les grands cheveux blonds du paladin d’argent reflétaient la lumière des braseros et ses yeux bleus perçaient la carapace de chacun pour plonger au plus profond d’eux même. Le prophète portait une mitre rouge et or avec un phénix qui formait une auréole de ses deux ailes. Il fit un signe de sa main et Sapharël ordonna aux serviteurs armés de Dieu de s’asseoir.
_Tous les paladins sont-ils présents à l’appel ? Demanda le prophète au paladin phénix argenté.
_ Oui votre sainteté, tous sont présents, telle était votre volonté.
_ Alors nous pouvons commencer.
Il claqua des doigts et quatre hommes en habits blancs avec un capuchon déployèrent une immense carte de l’Étale et des pays environnants sur la table. Les chevaliers sacrés regardèrent attentivement le plan de leur territoire puis ils se tournèrent vers le prophète qui prit la parole.
_ La croisade contre les orques s’arrête aujourd’hui. Vous pouvez rappeler vos hommes.
Un chevalier se leva, salua pour montrer son respect puis prit la parole.
_Votre grandeur, tous les orques de ces régions ne sont pas encore morts. Serait-ce raisonnable de laisser tomber l’occasion de les écraser alors qu’ils sont vulnérables ?
_ De nombreux hommes ont sacrifié leur vie pour pacifier ces terres, dit un autre paladin. Des amis qui m’étaient chers sont morts pour accomplir votre volonté, j’espère que ces sacrifices ne seront point vains.
_Silence ! Ordonna le paladin d’argent. Notre Grand Prophète parle.
Le vieil homme appuya sa main sur celle de son fidèle serviteur pour le calmer. Sapharël se rassit et le chef religieux reprit la parole.
_La guerre est peut-être finie avec les orques, mais les sacrifices ne seront jamais vains. Si nous cessions d’affronter ces créatures malveillantes, c’est pour lutter contre une autre forme du mal, bien plus sournoise que n’importe quel démon ou monstre des abysses.
_ L'incroyance. Rajouta le paladin sur la droite du Prophète. Et nous l’avons trop longtemps supportée sur nos terres.
_Un péché commun serait notre ennemi ? Demanda Fradel. Avec tout le respect que j’ai envers Dieu, le Phénix et votre sainteté, il est impossible d’empêcher ce mal de perdurer. Ce n’est pas comme des monstres ou des orques, nous ne pouvons pas tuer l’incroyance de certains hommes avec une épée. Et beaucoup de nobles ou de fervents adeptes à notre religion cohabitent avec les infidèles. Nous pouvons en ramener certains vers le droit chemin, mais éradiquer un péché de nos terres est au-delà de nos capacités. Que des prêcheurs traversent le royaume en proférant les paroles des Lois, c’est tout ce que nous pouvons faire.
Après s’être assis, le prophète murmura à l’oreille de Sapharël des paroles quasiment inaudibles. Ensuite, le paladin à l’armure d’argent se leva.
_ Éradiquer un péché est impossible, mais nous pouvons purifier les âmes des pécheurs. Et les pécheurs sont dorénavant les ennemis de l’Ordre.
_ Et où se trouvent ces ennemis ? Demanda un paladin à l’autre bout de la table.
Galro craignait la réponse. Et comme l’avait prédit Tilbar un peu plus tôt, le paladin phénix pointa les monts de Léondia. Comment le général savait que ça se produirait ? Qui étaient ses espions au sein de l’Ordre ? Un chevalier se leva brusquement en frappant sur la table.
_ Soyez clair ! Je vous prie ! Nous devons cesser de combattre les orques pour chasser quelques brigands dans les montagnes ? Votre luminescence, seriez-vous en train de plaisanter ? Les plus expérimentés d’entre nous savent que ce lieux est le repaire de bêtes sauvages. Pour tous les débusquer faudrait une armée entière !
_Silence ! Ordonna Sapharël. Vous osiez douter de sa splendeur ?
_ Calmez-vous paladin phénix Sapharël, dit le prophète. Pour vous répondre, j'ai conscience des risques que vous endurez mes fils. Maintenant paladin phénix Datral, veuillez éclaircir nos frères sur cette affaire.
Le chevalier du Phénix se leva et lança un regard à Galro. « N’oublie pas ta promesse » semblait-il dire avec ses yeux. Il contempla ensuite toute la tablée et prit la parole.
_ Depuis près de cent ans, nous avions toléré la religion païenne des Guiogniens. Pour la plupart d’entre-vous, cela peut paraître aberrant, mais nous devons les ramener sur le droit chemin. Les elfes qui instruisent nos paladins les inculquent d'idées hérétiques, les hommes de cette nation vénère une entité draconique, et les nains cupides pillent nos montagnes sans vergogne. Les clercs ont tenté de les persuader de se convertir à notre religion, mais ils sont sourds aux saintes paroles. C’est pour cela que nous cessons notre croisade envers les orques, c’est pour déclarer la guerre aux païens du nord !
Certains hommes se levèrent pour protester, mais Sapharël les rappela à l’ordre. Quand le calme revint, le dirigeant des croisés joignit ses mains comme pour prier.
_Si nous menons cette nouvelle guerre, c’est parce que la volonté du Tout-puissant Seigneur est ainsi. Tous ceux qui partiront pour cette nouvelle croisade seront pardonnés de tous leurs péchés et pourront partir au paradis éternel. Paladin phénix Sapharël, veuillez expliquer la stratégie militaire mise en place.
Le bras droit du Prophète se leva et se pencha vers la carte. Sans que d’ordre ne soit donné, un homme apporta des pions ayant un petit drapeau à son sommet. Tous représentaient l’étendard de chaque paladin, souvent lié à leurs exploits héroïques ou leurs qualités guerrières. Le paladin phénix les leva un à un et désigna le paladin représenté par chaque pion orné d‘un petit drapeau. Celui de Fradel était un lion avec deux épées entrecroisées. Puis vint le tour de Galro, le sien représentait une tête de loup hurlant devant la lune. Cinq pions furent placés sur la frontière de Sintraë, trois sur la route qui permet de passer au royaume elfe, et sept dans les montagnes. Galro faisait partie de ceux qui devront marcher sur le col enneigé de Léondia. Les consignes suivantes furent simples. Un général qualifié devait soutenir les paladins, les croisés envoyés dans les montagnes ont pour but de combattre les nains jusqu’à ce qu’ils se rendent, les autres doivent garder les frontières en cas de contre-attaque. Seulement deux paladins et un paladin phénix devront gravir le col pour faire sortir les nains de leurs trous, le reste devra rester en arrière pour assurer une ligne de défense en cas d’attaque de la part des nains ou de renforts ennemis inattendus. Galro avait été choisi pour monter le col, ainsi que Fradel et Datral. Sous leurs ordres trois milles cinq cent hommes leurs seront confiés. Si ils arrivaient à capturer une mine, ils avaient pour ordre de prévenir les rangs arrières pour qu’ils puissent l’exploiter.
_Si vous volez de victoire en victoire, ils devront se convertir, si ils refusent, tuez-les sans pitié ! Dieu n’a pas de place pour les païens dans le paradis éternel ! Des questions ?
Personne ne manifestait une quelconque envie de combler sa curiosité. Sapharël scruta ses compagnons d’armes et un sourire apparut au coin de ses lèvres. Il brandit au-dessus de la table la lame sacrée qui était uniforme avec le pommeau, d’un bleu presque translucide, et il s’écria:
_ Mort aux païens !
Tous les paladins se levèrent et imitèrent le chef des paladins. Les épées à l’effigie du phénix s’entrecroisèrent avec Grandal. Leurs voix à l’unisson répétèrent la phrase du paladin phénix Sapharël.
_ Mort aux païens !
Galro, la boule dans la gorge, dégaina à son tour son épée. Ce qu'il s'apprêtait à faire dépassait son imagination. Il allait trahir la nation de sire Taläsna, ses souvenirs en Guiognes prenaient un goût amer. Fradel le fixa, se sentant contraint, Galro joignit sa lame aux autres Paladins.
_ Mort aux païens... dit-il profondément répugné par son acte.
Ensuite, tous rangèrent leur lame. Sapharël conclut par:
_ Vous avez une semaine pour regrouper sous vos ordres les soldats de votre armée. Choisissez bien vos hommes, et que la victoire soit votre.
Sur cette phrase, tous repartirent dans leurs locaux respectifs. Galro commença à penser aux événements récents. D’abord Tilbar qui lui avait prédit les intentions du clergé la veille, le paladin phénix Datral qui l’empêchait d’accomplir sa quête ultime, et enfin la déclaration de la guerre avec la Guiogne. Il décida de s’éclaircir les idées, et pour cela il sortit prendre l’air dans les jardins. En traversant l’allée, il croisa de nouveau le petit serviteur. « Trouve-toi un espion » lui avait dit Tilbar. Il n’avait confiance qu’en peu de monde même au sein des croisés, mais cet homme était bien plus loyal que n’importe qui. De plus, il serait sûrement ravi de lui rendre service. Quand il arriva à son niveau, le jeune homme ne put s’empêcher de s’agenouiller comme devant une divinité.
_ Messire Galro souhaiterait quelque chose ?
_ Oui, suis moi.
Les yeux du petit serviteur s’écarquillèrent, était-ce de la surprise ou de la joie ? Le paladin ne saurait le dire, mais il constata qu’il acquiesça de la tête. Galro ne put retenir un léger sourire au coin de ses lèvres. Toujours suivi par le serviteur, ils longèrent une haie de roses blanches. Des statues d’anges tenaient des trompettes et des bouquets de fleurs fraîchement cueillies. Finalement, le paladin s’assit sur un banc face à une fontaine dont des sirènes de pierre chevauchaient des hippocampes à côté de dragons marins qui attelaient un char dans lequel Dieu tenait le perchoir où le phénix se reposait. Des grenouilles crachaient de l’eau dans le bassin donnant un spectacle magnifique. Galro contempla l’œuvre d’art et demanda:
_ Comment marche cette fontaine ?
_ Messire, en amont nous avions plusieurs réserves d’eau que nous faisons couler dans des tuyaux dans un premier temps très large, et au fur et mesure que l’eau descend, les tuyaux sont de plus en plus fins, jusqu’à obtenir la pression nécessaire pour que l’eau jaillisse de la bouche de ces grenouilles.
Galro admirait la technique employée pour cette fontaine, mais en réalité, il s’en désintéressait. Il se tourna vers le serviteur.
_ Est-ce qu’il y a des personnes dans les parages ?
Le jeune homme regarda aux alentours et assura au paladin qu’ils étaient seuls.
_ Bien, dit-il. D’abord jure que tout ce qui sera dit ici même ne sortira pas de ce lieu.
Les yeux du serviteur faillirent sortir de leur orbite. Il s’étouffa et se mit à tousser. Lorsqu’il reprit son souffle, il hocha de la tête.
_ Bien, fit le paladin. J’aurais besoin de toi pour me procurer quelques renseignements. Et parmi toutes les personnes que je connais, tu es le seul à avoir ma confiance.
_ Vraiment ? Demanda le jeune homme.
_ Oui, exactement. Et voici ta première tâche en temps qu’espion.
Cela faisait plus d’une semaine qu’il marchait inlassablement contre le blizzard glacial qui givrait son visage sombre. Malgré les épaisses peaux de fourrures qui le recouvraient, l’air froid lui glaçait toujours les os, telle est la réputation du vent de cette montagne. Ses bottes métalliques s’enfonçaient toujours plus profondément dans la neige, faisant un bruit peu agréable pour ces oreilles hypersensibles. Les flocons de neige tels des poignards de glace frappaient violemment ses joues. Il ne prit aucune nuit de repos, il ne pouvait pas se le permettre. Ses poursuivants étaient bien trop nombreux pour qu’il puisse espérer survivre à l’affrontement, et ils avançaient bien trop vite grâce à leurs chevaux. Son souffle se faisait plus court, et la faim creusait son ventre. Il buta contre un rocher caché par le manteau de neige et s‘effondra. Maladroitement, il se releva pour voir où il en était. Ses yeux rouges scrutèrent tout ce qui l’entourait. Les arbres avaient disparu, il était fort possible que les plantes ne poussaient pas à une telle altitude. Mêmes les rochers ne sortaient plus la tête de la neige tant elle était abondante. Après ces quelques minutes d’observation, il fixa l’amont, et une silhouette noire se dressa devant lui. Quelqu’un vêtu d’un manteau sombre barrait son chemin, des filaments de son vêtement flottaient dans le vent, imitant des vagues sinistres et angoissantes. Un grand casque à l’effigie d’un monstre ayant deux grands crocs métalliques cachait son visage. Une traînée de cheveux spectraux ornaient cette coiffe terrifiante, inspirant la peur. Deux grands yeux de flammes jaillirent de cette capuche. Sous l’effet de l’adrénaline, Warda tourna sa tête, empoigna le pommeau d’Algazalm et la dégaina brusquement. Il fendit l’air et abattit son épée dans la neige, l’inconnu avait disparu.
Qui était-il ? Ou plutôt, qu’est ce qu’il était ? C’est comme si ce n’était qu’un rêve, un mirage terrifiant né du froid et de la peur. Warda n’en pouvait plus de fatigue, il commençait sûrement à avoir des hallucinations. Il fouilla son petit sac qui était vide. « Bon sang ! » se dit-il. Il n’avait pas préparé assez de viande, il était encore loin du col et il était déjà sans nourriture. Et d’après ce qu’il a vu, un désert blanc dépourvu de végétation abritait peu d’animaux capable de vivre ici. « Je dois manger, sinon je vais périr. ». Il regarda en arrière, les chevaliers l'avaient perdu de vue, parce que lui-même ne les voyait plus. Auraient-ils renoncé ? Il ne voulait pas le vérifier à se risquer de descendre un peu pour trouver de la nourriture. Par conséquent il n’avait pas le choix, il devait encore monter. Peut être que...
Ainsi, il marcha encore longtemps, le vent glacial gardien du col était de plus en plus violent. Ses jambes flageolantes peinaient à traverser la neige épaisse. Il saisit sa dernière gourde et tenta de boire. Rien. Il la tâta un peu, elle était aussi dure que la pierre. L’eau était devenue glace à l'intérieur, et il n'y avait rien pour la réchauffer. Il décida de la jeter, il n’y avait rien à faire. Pour s’hydrater, il mangea de la neige. Le froid lui brûlait la gorge, tel une braise de glace. Il avança encore pendant une dizaine de mètres et il aperçut une silhouette entre les épais flocons. Il n’était pas seul, mais quel genre de fou vivrait dans un endroit pareil ? Il s’approcha et découvrit avec déception et horreur que ce n’était pas une personne, mais un énorme bâton planté dans le sol orné d’un crâne humain à son sommet, des plumes noires pendaient derrière la tête morbide et une épaisse fourrure était fixée sur un bout de bois placé perpendiculairement. Qui avait érigé ce totem de l’angoisse ? Peut-être que c’était un avertissement pour obliger les étrangers à faire demi-tour. « Je suis navré, mais je n’ai pas le choix ». Il passa à côté de l’épouvantail macabre et continua sa route. Le vent semblait légèrement se calmer, mais la neige était toujours aussi lourde. Exténué, Warda se résigna à trouver un abri où se reposer. Un énorme rocher qui défiait les bourrasques lui apparut, il s’assit derrière et s’enleva ses énormes gants de métal. Il souffla pour se réchauffer les mains tant il avait froid. Le périple qu’il avait entamé était bien plus difficile que ce qu’il avait prévu. Il n’avait pas prévu une telle variation de température entre les pieds de la montagne et son col. Il était encore loin du sommet, mais s' il voulait franchir la frontière, il devait le passer à tout prix. Mais à vrai dire, aurait-il encore la force de contrer plus longtemps le blizzard infernal ? Son estomac gargouillait de plus en plus fort, il se courbait pour soulager la douleur. Il avait terriblement faim, mais la seule chose qu’il voyait à perte de vue c’était de la neige. Si seulement il y avait un animal qui passait dans les parages, il pourrait le tuer et savourer sa viande. À son stade d’appétit, même les limaces et les scolopendres lui semblaient délicieux. Soudain, une silhouette apparut dans les ténèbres blancs. Un autre totem effrayant ? Non, la silhouette marchait dans sa direction, et les épaules étaient incroyablement larges.
_ Qui est là ? Demanda Warda.
La silhouette ne répondit pas, et se contentait de marcher. Plus l’individu s’approchait, plus il semblait grand. En fait, géant semblait plus convenir que grand, car même Warda qui était légèrement plus grand qu’un homme lui arrivait au niveau du torse. Lorsqu’il devint enfin visible, l’elfe noir se retint de hurler. Une créature au pelage blanc tenait une lance aussi grande que lui, sa gueule faisait penser à un fauve et ses crocs luisaient sous ses babines. Il balançait sa queue comme pour chasser les flocons. Il se tenait sur deux jambes comme un homme, mais il gardait des tics animal comme tourner ses oreilles dans une direction, puis une autre, et son nez ne cessait de renifler bruyamment. Ses deux grands yeux jaunes étaient braqués sur l’elfe noir. Il brandit sa lance et dit d’une voix rauque qui ressemblait plus à un grognement qu’à des paroles.
_ Vas-t-en !
Warda ramassa ses gants et les enfila. Voilà donc les habitants de la montagne, des monstres à la gueule de fauve. Le guerrier sombre se releva avec toujours la pointe de pierre braquée sur sa gorge. L’animal dévoilait ses crocs puis se mit à grogner. Les poils de sa crinière blanche hérissaient sur son cou et ses épaules ce qui lui donnait un aspect encore plus terrifiant.
_ Sommet pour Ssaros ! Toi vas-t-en !
Voilà ce qui allait compliquer les choses, soit Warda acceptait de quitter la terre de ces créatures et les Etalens le massacreraient, soit il grimpait la montagne et il se ferait tuer par les fauves. Ses options étaient limitées, car en plus il devait prendre en compte le facteur de la faim. Il avait parcouru trop de chemin pour faire marche arrière, il ne tiendrait pas assez longtemps pour espérer trouver à manger. Son regard tomba sur le sac que la bête tenait dans son dos. Une patte en dépassait, aucun doute, c’était de la viande. La salive coulait presque de la bouche, c’était tellement appétissant. Elle était encore en bon état, le froid était un excellent conservateur. Il tourna le dos à la créature et descendit de quelques pas, et lorsque le fauve voulut partir dans sa direction, Warda se retourna et lui bondit dessus. Les deux opposants roulèrent dans la neige en se frappant mutuellement à coups de poing. Finalement, le fauve blanc prit l’avantage en se mettant sur Warda et tenta de planter ses énormes griffes dans l’épaule. Mais il ne fit que érafler l’épaulière et il reçut un coup de poing de métal ce qui le renversa. Warda en profita pour monter sur la bête et l’asséna d’autres coups. Il sentit soudainement une violente douleur dans son estomac et vit cinq griffes plantées dans son ventre. La cotte de maille qu’il portait ne le protégea point, du sang coulait sur la neige. L’elfe noir frappa si violemment le crâne du fauve qu’il perdit connaissance. Il se crispa de douleur quand il retira les noires griffes de son ennemi et jeta la main sur le flanc de l’inconscient. Ce n’était pas grave, ce n’était que superficiel, il vivra. Mais il devait veiller à ce que cette blessure ne s’infecte pas, sinon il n’aurait aucune chance de s’en sortir. Il prit tout ce qui pouvait se révéler nécessaire sur le fauve: nourriture, eau, fourrures et du bois pour le feu. Ce devait être un chasseur parti pour plusieurs jours, son attirail était assez complet sans compter les nombreux javelots qu’il portait en bandoulière. Warda lui prit également ses armes, il en aurait besoin pour la suite. Après avoir dépouillé le monstre, il le traîna jusqu’au rocher où il s’était reposé plus tôt et planta la lance à côté de lui, bien en évidence, pour que ses compagnons le retrouvent. Lorsqu’il partit, il lui demanda de le pardonner en murmurant dans le vent, puis il reprit la route.
La plaie dans son ventre ralentissait son allure, mais il tint bon et gravi pendant longtemps la montagne. Devant lui se dressa au milieu du blizzard un mur de roc infranchissable. Il était trop exténué pour grimper, il ne lui restait plus qu’à prendre un détour. Il contourna une pierre qui lui barrait le chemin, et vit au loin de petites lumières. Des hommes ? Non, il les avait semés il y a longtemps, alors que pouvaient-ils être ? Tels des lucioles, elles s’activaient frénétiquement dans l’obscurité de la nuit au milieu des innombrables flocons. Soudain, alors que l’elfe noir commençait à trouver cela amusant, un groupe de petite lumière parti dans une direction et disparu au loin. Le vent emportait tous les bruits sur son passage, l’elfe noir ne pouvait entendre ce qui se passait en bas. Quoi que ça puisse être, ils ne l’avaient pas remarqué, tant mieux pour lui, il ne saurait supporter de nouveau une course effrénée. La lune brillait à peine cachée sous ce manteau épais gris. Il perdrait rapidement tous ses repères s'il continuait davantage, il pourrait tomber dans un trou sans même l’avoir remarqué. Bien qu’il ait une vision nocturne assez développée, il faisait décidément trop sombre pour s’aventurer plus loin. Il marcha pendant un quart d’heure et trouva une grotte inoccupée où s’abriter du froid. Lorsqu’il pénétra à l’intérieur, il fit tomber son fagot de bois par terre et inspira un grand coup. Ses muscles étaient si endoloris qu’il ne pouvait plus tenir debout. Ses vêtements et son armure étaient tout trempés et glaciaux. Il forma un cercle de pierres et posa en son centre du bois. Il saisit deux silex volés au fauve et commença à les frapper entre eux. L’humidité ambiante ne l’aidait pas vraiment, et ses mains peinaient à tenir correctement les deux pierres. Mais heureusement, une étincelle l’éclaira au bout d’une demi-heure d’effort intensif et une petite flamme apparut. Rapidement, l’elfe noir l’alimenta avec des brindilles et souffla légèrement dessus. Grandissante, la petite flamme devint un feu tout à fait respectable dans de telles situations. Warda aurait voulu bondir de joie, mais ses jambes lui faisaient décidément trop mal. Pour une fois durant son voyage dans ce maudit col, la chaleur regagnait petit à petit le corps de Warda. Il ôta ses gants pour profiter du souffle chaud des flammes. Il constata en même temps que ses mains étaient recouvertes de craquelures, et si sa peau était claire comme celle d’un humain, sa teinte serait certainement violette. Il en profita pour souffler dessus et se frictionner les doigts. Lorsque la vie revint dans ses mains, il enleva son armure, sa cotte de maille et ses bottes. Il exposa son équipement devant le feu pour les sécher et les réchauffer. Il sortit de son sac un gigot de bête et l’embrocha sur un des javelots dérobés. Il fit cuir la viande assez longtemps pour que des odeurs appétissantes en émanent. La chair devint dorée comme la flamme lorsqu’il la retira. Il planta ses dents dedans, enfin la saveur de la viande après tant de jours de diète. Il savoura la première bouchée aussi longtemps que possible, mais poussé par la faim, il ne put s’empêcher de se mettre à dévorer à toute allure son gigot. Il se rappela de la nuit où il avait partagé son premier repas avec Jaron, et il se posait la question si il allait devenir aussi goinfre que Jaron. Alors qu’il léchait l’os pour ne rien perdre, son estomac fut calmé mais un reste d’appétit restait cependant. « Tant pis ! Se dit Warda. Je dois rationner, je ne suis pas encore passé de l’autre côté. ». La tentation était si forte, mais sa raison l’emporta. Cette rencontre avec l’homme bête ne fut qu’une simple coïncidence qui avait très peu de chance de se reproduire. Il mit trois bouts de bois dans le foyer et posa Algazalm à côté de lui. Il se coucha et s’endormit. Il avait bien mérité sa nuit de repos. Alors que le blizzard rageait à l’extérieur, il plongeait dans un doux rêve sans glace, sans montagne et surtout sans croisés qui tenteraient de le tuer. Mais il fut loin de se douter que loin de son antre, un homme au capuchon moucheté observait une lumière danser au milieu de la nuit. Caché sous un manteau de neige, un rictus se forma sur son visage, dont une longue cicatrice coulait tel une larme de son œil gauche jusqu’à sa lèvre supérieure.