Le Sujet Athéna - Éclipse

Chapitre 2 : Lune Ardente

Chapitre final

8233 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/04/2024 23:04


Les Émissaires Célestes.

Des êtres exceptionnels reconnus par les Olympiens depuis leur plus jeune âge pour accomplir de grandes choses. Qu’il s’agisse d’aider la société humaine à évoluer à travers la technologie, l’éducation et les mœurs ou de la protéger des dangers de ce monde, ils répondent présent pour leur devoir. Bien qu’ils soient officiellement des mortels, leurs pairs sans pouvoirs ne peuvent s’empêcher de les aduler et de les élever presque comme s’ils étaient des dieux. En effet, la plupart des Elus ayant existés sont entrés dans l’Histoire, et leur héritage perdure encore aujourd’hui. Parmi eux se trouvent des noms tels que Ulysse, Achille, Orion ou encore Héraclès. Ces noms suscitent dans le cœur des enfants une volonté de se surpasser, de protéger les leurs et de devenir des modèles pour les générations futures, au même titre que les Immortels eux-mêmes. Et Aeluna Syphe faisait partie de ces enfants.

Du moins… le croyait-elle.

 

Comme à son habitude, elle observait depuis plusieurs minutes le feu dans le creux de sa main, prise dans une sorte de transe. La chaleur inoffensive qui parcourait ses doigts, la danse envoûtante de la flamme qui se reflétait dans les iris immaculés de la jeune fille…

Ce brasier. Il est si…

—    Tes flammes se renforcent jour après jour, murmura une voix à quelques centimètres d’elle. Impressionnant.

Aeluna poussa un cri de surprise assez pathétique. Pourquoi est-ce que Diane avait cette manie de la surprendre en permanence ?

—    Depuis quand est-ce que tu es là ? demanda Aeluna, essayant encore de se remettre du choc.

Une fois debout, Diane croisa les bras, l’air de réfléchir, mais Aeluna la connaissait depuis assez longtemps pour savoir qu’elle faisait semblant.

—    Deux ou trois minutes, peut-être. (Diane posa un regard glacial sur sa protégée.) Depuis le temps, tu ne parviens toujours pas à sentir ma présence ?

Aeluna referma sa paume, faisant disparaître sa flamme.

—    Je te signale que tu n’as rien à voir avec un quelconque monstre. Avec eux, ce n’est pas un problème. En ce qui te concerne…

Diane lui sourit.

—    Je te taquine, lui assura-t-elle. Tu le sais bien, ma petite lune.

—    Difficile à dire avec ton air impassible, rétorqua la jeune fille.

Malgré sa réplique, Aeluna esquissa un sourire. C’était un jeu entre elles deux.

—    Alors, tu es prête ? 

L’Élue d’Héphaïstos observa la pièce qui l'entourait, reconnaissant la même chambre où Diane l'avait recueillie il y a si longtemps. Il semblait que c'était hier qu'elle s'était réveillée sur ce même lit, perdue et seule, avant de véritablement parler à sa protectrice pour la première fois. C'était ici que Diane lui avait offert une chance de surmonter la mort de ses parents, une opportunité de devenir une héroïne.

Six années s'étaient écoulées depuis. Six ans d'entraînement inlassable sous la tutelle de Diane, pour renforcer son corps, son esprit et enrichir ses connaissances dans le but de servir Athéna et rendre hommage à ses parents.

Son regard s’arrêta sur le grand miroir en face d’elle. Luna y vit une adolescente de seize ans, aux long cheveux dont la blancheur n’avait rien à envier à la neige, de même que ses iris, dans lesquels on pouvait y lire une détermination sans pareille. La petite fille fragile d'il y a quelques années avait disparu.

La veille, après une énième défaite cuisante face à Diane, celle-ci avait décrété qu'elle était enfin prête à entrer dans un Sanctuaire. C'était la prochaine étape pour devenir un véritable héros, aux yeux du peuple et des dieux. Aeluna avait à peine réussi à dormir de toute la nuit, tant son excitation était grande. Maintenant qu'il était temps de partir, cette excitation laissait place à un calme olympien.

Aeluna se leva.

—    Oui. Allons-y.

La réponse de l’adolescente ne surprit pas son interlocutrice. Au contraire, elle en était satisfaite. Diane se dirigea vers la sortie de la chambre et ouvrit la porte. Aeluna se dépêcha de prendre le peu d’affaires dont elle disposait : un sac en bandoulière contenant quelques vêtements de rechange et une épée dans son fourreau, qu’elle attacha à sa ceinture. Une fois à la porte, Aeluna jeta un dernier regard à la chambre partagée avec Diane pendant si longtemps. La jeune fille savait qu’elle ne reviendrait sans doute plus jamais dans cet endroit alors elle en profita quelques instants. Puis, avec un soupir, Aeluna ferma la porte. Ensemble, Diane et elle se dirigèrent vers les escaliers menant au rez-de-chaussée de la grande maison ; il leur fallait voir une personne avant de s’en aller.

Diane ne possédait pas la chambre ; la jeune femme la louait depuis des années. Depuis qu’elle avait recueilli Aeluna, pour être exact.

—    Nexos devrait être dans son atelier à l’heure qu’il est, déclara la brune.

Nexos, le propriétaire du domaine, était l’artisan qui avait accepté de les loger depuis si longtemps. Diane soulignait le fait que ce dernier n’avait pas été difficile à convaincre car elle était bien plus qu’une simple guerrière et que les deux partageaient une passion pour le tissage. Aeluna pensait qu’il s’agissait seulement d’une partie de la vérité : selon elle, la beauté de sa tutrice y était aussi pour beaucoup. Avant même que le duo ne se dirigeât vers l’atelier de leur hôte, la porte de ce dernier s’ouvrit en catastrophe, révélant un homme sur la fin de sa vingtaine, comme Diane semblait-il. L’homme en question était sale, les mains couvertes d’argile et haletait comme s’il sortait tout juste d’une activité physique intense.

—    Vous partez déjà ?! s’étonna ce dernier.

Il s’approcha d’elles en essuyant les mains sur son tablier autant qu’il le pouvait.

—    Oui, Nexos, répondit Diane avec un sourire. Merci pour tout.

—    C’était vraiment gentil de votre part de nous avoir hébergées aussi longtemps, renchérit Aeluna.

Le regard de l’artisan fit l’aller-retour entre chacun des membres du duo. Aeluna remarqua qu’il semblait vraiment triste de les voir s’en aller. Nexos vivait seul avant la venue de Diane. En six ans, des liens s’étaient naturellement créées.

—    Oh, eh bien… Merci de ne pas avoir totalement carbonisé le domaine.

Là-dessus, l’artisan jeta un regard en biais à l’encontre de l’adolescente. Aeluna sentit ses joues s’empourprer.

—    Ce n’est arrivé qu’une fois ! Je… Je ne l’ai pas fait exprès !

—    Il n’empêche, objecta son mentor, les dryades du coin ne te pardonneront jamais.

—    Tu m’étonnes, confirma Nexos en souriant. Déjà qu’elles n’aimaient pas le feu par nature, ce n’est pas ça qui arrangera les choses !

Aeluna croisa les bras, agacée.

—    Désolée…

La jeune fille se rappelait parfaitement ce jour. Lors d’un entraînement plus intense que d’habitude, Aeluna, frustrée de ne pas avoir été à la hauteur, invoqua son pouvoir contre sa volonté. Il s’agissait d’une petite flamme en apparence inoffensive. Or pour une raison inconnue, Aeluna perdit le contrôle un instant. Quelques secondes à peine, certes, mais cela fut suffisant pour carboniser une des façades de l’atelier… et une bonne partie de la végétation autour. Après l’incident, Aeluna s’excusa un nombre incalculable de fois. À chaque fois que l’adolescente aux mèches de cristal passait devant, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe de culpabilité.

Diane lui donna un gentil coup de coude, signe qu’elle plaisantait. Décidément, sa tutrice était d’excellente humeur aujourd’hui !

—    Quoi qu’il en soit, déclara l’artisan après avoir retrouvé son sérieux. Vous allez à ce fameux Sanctuaire, c’est bien ça ?

Aeluna confirma d’un hochement de tête.

—    Je suis fin prête.

Nexos approuva.

—    Je dois admettre que tu ressembles vraiment à une combattante, à présent. Tu as été entraînée par Diane en plus. Les autres Elus n’auront qu’à bien se tenir !

—    Pas vraiment, coupa Diane avec son sérieux habituel. J’ai fait mon maximum pour lui enseigner ce que je sais, mais elle manque cruellement d’expérience. Cela étant…

La brune l’observa un instant puis se mit à sourire.

—    Je suis certaine qu’elle se débrouillera le moment venu.

Ces paroles d’encouragement de la part de Diane furent suivies d’un hochement de tête de Nexos. Sur le chemin de la sortie du domaine, tous deux se remémorèrent d’autres anecdotes plus ou moins gênantes survenues lors de la formation d’Aeluna, au grand dam de cette dernière. Quel soulagement ce fut lorsque, enfin, ils atteignirent la grande porte !

Malgré une réticence à peine dissimulée, Nexos usa de sa clé et ouvrit la porte. Derrière, à quelques minutes de marche seulement, se dessinaient les bâtisses de la prochaine destination d’Aeluna, baignées dans la chaude lumière du soleil au zénith. Diane remarqua que le regard de sa protégée se perdait à l’horizon, et décida qu’il était temps de partir, un message tacite que Nexos comprit également.

—    Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, concéda-t-il.

—    Merci encore pour toutes ces années. (Diane lui tendit une bourse remplies de drachmes d’argent.) Vraiment.

Les secondes passèrent, mais Nexos se décida à l’accepter. Il regretterait plus l’absence de Diane que l’argent qu’il recevait périodiquement de ses anciennes locataires.

—    Toutes les deux, n’oubliez jamais que vous serez toujours les bienvenues ici. C’est compris ?

—    Compris ! confirma Aeluna.

Enfin décidées, Diane et Luna partirent, sous le regard triste et encourageant de Nexos. « Promettez-moi de passer de temps en temps, hein ! » leur dit-il. Aeluna pensait qu’elle le ferait, mais rien ne le garantissait : après tout, la vie entière d’une Émissaire n’était qu’incertitudes.

 

Théosdora constituait le Royaume le plus grand et le plus puissant du monde, si on excluait l’Olympe, évidemment. Son immensité était telle que le pays se divisait en secteurs urbanisés, sans logique de répartition particulière, avec entre ces derniers de vastes étendues où la nature reprenait ses droits. Comme si Zeus, le dieu tutélaire, voulait laisser sa place à un maximum d’environnements possibles, peu importe le type.

« Le Seigneur du Ciel veille sur tout et sur tout le monde. ». Tel était le message que le roi des dieux semblait vouloir faire passer.

Aeluna et Diane traversèrent un bosquet au milieu duquel circulait une rivière. Au bord de l’eau, trois femmes discutaient et riaient aux éclats. Pour être plus exact : trois créatures humanoïdes femelles. Chacune d’entre elle dégageait une légère aura bleutée, de la même couleur que leur peau. Leurs longs cheveux bruns semblaient flotter d’une façon surnaturelle lorsqu’elles portèrent leur attention au duo.

—    Des néréides, s’extasia Luna, humant un parfum salé qui devait sûrement provenir de ces dernières.

En six années, elle n’en avait jamais vue bien qu’elle connût leur existence. La jeune fille savait à quoi les nymphes aquatiques ressemblaient, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’elles fussent aussi belles. Quant à sa vie d’avant… Disons qu’elle manquait d’occasions de rencontrer d’autres créatures que des humains, à l’époque.

Les néréides dirigèrent leur attention vers Aeluna, la saluèrent d’un geste, avant de plonger dans l’eau en gloussant.

—    Elles n’avaient pas peur de moi.

—    Evidemment, répondit Diane. Les néréides aussi peuvent sentir le feu, mais étant donné leur nature marine...

—    Ça ne les dérange pas plus que ça.

Diane confirma d’un hochement de tête.

—    Remettons-nous en route.

 

À la seconde où Aeluna posa le pied dans le secteur du Commerce de Théosdora ou « Le Grand Agora », le souffle lui manqua. Le tumulte des marchands et des clients, les rires aux éclats des enfants, les couleurs éclatantes des étals et des résidences des vendeurs… Un véritable havre d’opulence et de vitalité. Pour couronner le tout, une odeur chatouilla ses narines.

—    Des épices, commenta Diane avec satisfaction. Ça me fait penser qu’il va falloir que j’en achète pour mes futurs plats.

Pas étonnant qu’elle pense cela. En effet, heureusement pour Aeluna, son amie qui l’avait protégée durant toutes ces années était excellente cuisinière. Cela compensait avec le fait que Diane gérait très, très mal son argent. Par conséquent…

Aeluna adressa à son mentor un regard d’avertissement.

—    Oui, je sais, promit son interlocutrice. Je ferai attention.

Mais cela ne convainquit pas sa protégée. Cette dernière ne comptait plus le nombre de fois où Diane avait perdu la totalité de leur argent en bricoles inutiles parce que « cela pourrait servir plus tard ».

—    Je te crois, mentit Aeluna.

Elle ne la lâcherait pas du regard.

Avec le temps, les gens remarquaient de plus en plus Aeluna et son apparence si singulière. L’adolescente avait l’habitude depuis toute petite alors elle n’y accordait pas plus d’attention, préférant continuer de s’imprégner de l’atmosphère dynamique et vibrante du Grand Agora. Les marchands, vêtus de tuniques aux couleurs aussi variées que les tissus qu’ils vendaient, criaient leurs offres ou négociaient avec certains clients. La plupart des vendeurs étaient accompagnés de leurs enfants qui, soit les aidaient à vendre, soit jouaient avec leurs amis. L’un d’entre eux, relativement imposant, portait une corne de chaque côté de la tête et s’amusa à se ruer sur son partenaire, équipé d’une épée en bois.

« Approche, Minotaure, hurla le petit guerrier. Symbole de la cruauté du roi Minos. Moi, Thésée, fils d’Egée et Élu de Poséidon te défie. Que les dieux soient témoins de notre duel car aujourd’hui, ta tyrannie prend fin ! »

Après cette vaillante réplique, il se rua vers son « adversaire » en poussant un cri de rage. Face à ce spectacle, Aeluna ne put s’empêcher de rire, se rappelant un bref moment sa petite enfance. La jeune fille passa devant de nombreux étals regorgeant de produits divers et variés, allant de denrées alimentaires aux tissus, en passant par les bijoux et autres objets artisanaux.

Les maisons bordant n’étaient pas très nombreuses ; la majeure partie des marchands ne venaient au secteur du Commerce que pour s’occuper de leur échoppe durant la journée et repartaient au coucher du soleil. Aeluna passa devant un forgeron, visiblement occupé à réparer une lance. En tant qu’Élue du dieu de la forge, Aeluna se demanda si elle devrait essayer une fois au Sanctuaire. Maintenant qu’elle y pensait, il lui semblait que Diane avait besoin d’une épée, non ?

—    Hé, Diane, qu’est-ce que tu dirais de… 

L’Aspirante héroïne se souvînt trop tard qu’elle devait surveiller sa tutrice. Prise de panique, elle regarda frénétiquement les alentours à l’affut du moindre signe de Diane. Aeluna poussa un juron. La dernière fois qu’elles avaient été dans un marché, son mentor disparut de la même manière. Il lui fallut des heures pour la retrouver !

—    Pas encore !

Aeluna courut dans tous les sens, demandant aux passants s’ils n’avaient pas vu la guerrière. Le problème : Diane arrivait tellement bien à dissimuler sa présence qu’il était difficile pour quiconque de la repérer si elle ne voulait pas. Heureusement, quelques minutes plus tard, Luna aperçut une femme grande à la queue-de-cheval, un chiton similaire au sien, une lance dans son dos, en train de discuter avec une vendeuse de bijoux. Diane n’était plus qu’à une vingtaine de mètres, il ne manquait plus qu’à la rejoindre avant qu’elle ne disparaisse à nouv…

 

« Te. »

« Voilà. »

« Enfin. »

 

Aeluna se figea. Littéralement. Une voix, féminine lui semblait-il, parvint à ses oreilles, à la fois suave et rauque comme de la pierre. Aeluna ne voyait personne s’adresser à elle, mais elle était convaincue que quelqu’un… quelque chose était là.

« Tu ne te souviens plus… »

« N’est-ce pas ? »

 

Cette voix venait de tous les côtés en même temps : impossible de déterminer avec certitude une direction précise. L’air devenait glacial, irrespirable.

« Quelle déception… »

Tout autour d’Aeluna, le temps semblait s’écouler au ralenti. Le tumulte autrefois assourdissant de la population fut réduit au silence, un calme macabre envahit l’atmosphère. Aeluna n’entendait plus que son propre souffle. Le champ de vision de la jeune fille s’obscurcit petit à petit : des ténèbres surnaturelles engourdissaient aussi bien ses sens que son esprit.

D’instinct, elle essaya de saisir la poignée de son épée. Impossible : son corps refusait de lui obéir.

« Eh bien, qu’attends-tu ? »

Malgré le fait qu’elle ne voyait pas son interlocuteur, Aeluna était convaincue que l’entité qui lui parlait se rapprochait… Et elle avait raison.

Son dos. Comme lui répétait Diane, toujours surveiller son dos. Cependant, elle ne pouvait pas effectuer le moindre mouvement. Si la chose présente se décidait à la tuer maintenant, Aeluna serait sans défense.

Derrière elle. Vite.

Aeluna usait de toutes ses forces pour attraper son arme pendant qu’elle sentait la force obscure se rapprocher. Son instinct lui hurlait de se dépêcher.

Des bruits de pas se firent entendre de plus en plus fort. Son rythme cardiaque s’accéléra.

« Oh, tu ne peux pas bouger ? »

Quelques mètres. Bouger. Elle devait bouger. Le corps entier de la jeune fille tremblait sous ses efforts.

« Tant pis. »

Elle était proche. Trop proche.

« Dans ce cas… »

Les bruits de pas s’arrêtèrent. Encore un peu… et elle pourrait saisir son épée.

« Tu mourras sans rien comprendre. »

Dans un effort ultime, la main d’Aeluna atteignit enfin sa cible ! Maintenant… Une sensation inhabituelle se manifesta au niveau de son cou. L’adolescente eut soudainement le sentiment de… grandir ? Non. Pour être exact, sa perspective semblait s’élever bien au-dessus de sa taille habituelle. Bien trop haut : elle avait l’impression de voler dans les airs, même si ses pieds touchaient toujours le sol.

—    Hein ? s’étonna la jeune fille, déconcertée.

Son regard s’arrêta sur quelque chose, en contrebas : son propre corps.

Sans tête.

Dans un état de choc, quelques instants furent nécessaires avant qu’Aeluna ne réalise la gravité de la situation. Doucement. Lentement. Sa stupéfaction se mua en un mélange d’horreur et d’incrédulité ; un sentiment désagréablement familier qui l’envahit pendant qu’elle essayait de comprendre l’incompréhensible. Comment pouvait-elle encore être consciente malgré son état ? Qui en était responsable ? Et surtout : quand était-ce arrivé ? Autant de questions sans réponses affluaient à toute vitesse dans son esprit, en totale opposition à la scène qui se déroulait sous ses yeux, figée dans le temps. Son esprit luttait contre l’absurdité de la situation, encore et encore, mais sa volonté se heurta au mur froid et implacable de la réalité. Aeluna était confrontée à son propre cadavre, impuissante et seule face à son destin macabre.

Seule… Non.

Les yeux d’Aeluna s’arrêtèrent sur une Diane figée elle aussi, à quelques mètres d’elle. Sa flamme refusa de s’éteindre. En un instant, l’adolescente dégaina son épée et la leva au niveau de son visage, en signe de protection. Immédiatement, sa lame rencontra quelque chose qui visait sa nuque, produisant des étincelles. D’un geste, elle repoussa l’attaque, s’éloigna d’un bond vers l’avant et fit volte-face dans les airs. Une fois au sol, Aeluna posa la main sur son cou intact. Elle poussa un soupir de soulagement.

« J’ai rêvé ? » se demanda-t-elle.

Le temps semblait avoir repris son cours, mais ce n’était pas une bonne nouvelle. Des hurlements de terreur parvinrent aux oreilles de la jeune fille. Tout autour d’elle, l’atmosphère joyeuse et conviviale avait totalement disparu. Les citoyens de Théosdora couraient dans tous les sens, terrorisés par les monstres qui les attaquaient. Dans les airs, plus d’une cinquantaine créatures hybrides, combinant des caractéristiques humaines et aviaires : le haut du corps était celui d’une femme, visage compris, contrairement au reste qui rappelait incontestablement un oiseau, avec des serres acérées et de grandes ailes au plumage noir. Enfin, chacune des créatures dégageait une énergie obscure mystérieuse.

Des harpies, reconnut immédiatement Aeluna. D’où est-ce qu’elles sortent, au juste ?

En général, ces créatures annonçaient leur venue par un cri strident, signe d’une catastrophe, mais ici, rien. Les harpies étaient juste apparues. Et ce n’était pas le plus surprenant : les créatures n’auraient jamais dû être là : les limites magiques du royaume empêchaient, en temps normal, tout monstre non autorisé à pénétrer dans le territoire. Cela étant, la jeune fille décida de mettre ça de côté pour le moment. Face à la détresse des Théosdoriens, Aeluna faillit se précipiter à leur rescousse mais se retint pour deux raisons. La première était la présence de soldats, des « hoplites », en armure complète qui protégeaient assez bien les habitants des attaques des harpies avec leur bouclier rond, avant d’utiliser leur lance pour contre-attaquer. Sans compter Diane qui devait être dans les parages. Quant à l’autre raison, elle se situait en face de la jeune fille. Le corps de son opposante, long d’environ trois ou quatre mètres, constituait une fusion grotesque de chair et de ténèbres. Comme les harpies, il s’agissait d’une créature hybride possédant un buste de femme et un corps de serpents aux écailles sombres, mais cela ne s’arrêtait pas là : d’autres reptiles sortaient de la plupart des ports de sa peau et s’enroulaient autour de ses bras, tels des armes supplémentaires à disposition. Aeluna posa un rapide regard sur ses griffes, de véritables lames de bronze si acérées qu’elles auraient pu trancher la jeune fille sans la moindre difficulté. La créature avait l’air de le savoir, car elle observait la future héroïne de ses yeux rouges en ouvrant sa bouche, découvrant des crocs aiguisés.

Cette chose était différente des harpies. Il semblait émaner d’elle une aura terrifiante et glaciale, allant même jusqu’à consumer la lumière chaleureuse du soleil. Aeluna se mit en garde, mais ne parvenait pas à bouger. Contre sa volonté, l’adolescente repensa à la sensation datant de quelques instants plus tôt. Si elle avait réagi une seconde trop tard…

Durant sa formation, Aeluna avait affronté et tué un certain nombre de monstres, mais jamais une telle situation et un monstre aussi puissant n’étaient survenus. Les cris de désespoir de ceux qu’elle devait protéger résonnaient dans son esprit. Un adversaire de taille qui n’attendait que l’instant parfait pour la déchiqueter.

« J’ai fait mon maximum pour lui enseigner ce que je sais, avait dit Diane, mais elle manque cruellement d’expérience. »

Une situation réelle. Ses mains se crispèrent, toutes tremblantes. Si Aeluna tardait trop à se reprendre…

Une petite tape à l’épaule la ramena à la réalité.

—    Ressaisis-toi, lui dit son mentor.

L’adolescente aux cheveux de neige ne savait pas quand Diane l’avait rejoint, mais peu importait.

—    Je ne t’ai pas entraînée pendant si longtemps pour que tout finisse ainsi. (Elle jeta un œil à l’environnement.). Je vais faire vite.

La brune posa une main sur la tête d’Aeluna.

—    Athéna te regarde. Elle t’a observé durant toutes ces années, à t’entraîner chaque jour du matin au soir, jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à cracher du sang. Montre-lui les fruits de tes efforts aujourd’hui, et à tes parents aussi. Comme je te l’ai toujours dit : c’est survivre ou mourir. Pour eux.

Diane avait raison. Quel honneur y aurait-il à abandonner ? Maintenant qui plus est ? Bien qu’Aeluna eut été choisie par Héphaïstos, elle avait souffert chaque jour pour la déesse de la sagesse ainsi que pour faire honneur à sa famille, décédée en lui permettant de s’enfuir. Athéna avait veillé sur elle durant ses semaines de fuite, seule, jusqu’à lui permettre de rencontrer sa sauveuse.

Peu à peu, l’adolescente aux mèches de cristal retrouva son calme. Ses mains ne tremblaient plus.

—    Ai-je officiellement ton autorisation ? demanda Aeluna sans quitter le monstre en face d’elle du regard.

Diane sourit, satisfaite.

—    Tu l’as. Moi, Diane, membre du Conseil du Lion, t’autorise, Aeluna Syphe, Aspirante Héroïque et Émissaire d’Héphaïstos, à défendre Théosdora !

Un grondement lointain semblable à un coup de tonnerre se fit entendre depuis le ciel vide de nuages. Le Seigneur Zeus approuvait.

Ce son agit comme une espèce de choc, car la créature se précipita immédiatement sur la jeune fille en armant ses griffes. Avec une réaction instinctive, Aeluna parvint à parer l’attaque en un éclair, les deux armes de bronze s’entrechoquant dans un crissement assourdissant. Pendant ce temps, Diane observait brièvement la situation avant de se précipiter vers les autres monstres.

—    Leur nombre ne cesse d'augmenter. Je vais prêter main-forte aux soldats et aux autres Élus contre ces harpies, déclara-t-elle en se mettant en mouvement. C'est à toi de jouer, Luna.

—    Compris ! répondit Aeluna avec détermination.

La créature, dépassant Aeluna de plusieurs têtes, avait le regard avide de sang, sa langue passant sur ses babines. Face à sa force imposante, Aeluna se trouva contrainte de dévier son assaut, s'inclinant légèrement en avant pour éviter le coup. Profitant de son agilité, elle riposta en tailladant le flanc de la bête, provoquant un hurlement de douleur. Se relevant rapidement, Aeluna examina calmement sa victime alors qu'un liquide sombre suintait de la plaie. La jeune fille, toujours sur ses gardes, décrivit un cercle autour de la bête à l’affût de la moindre ouverture.

Ce n’est pas si profond que ça, constata Aeluna, insatisfaite de l’impact.

La créature, comme pour répondre à son observation, se lança de nouveau à l'attaque, enchaînant les assauts rapides. Aeluna se contenta de parer, cherchant l'opportunité pour contrer. Jouant de sa propre agilité contre la force brute de son adversaire, elle força la bête à révéler une ouverture et lui infligea une série de coups. Les lacérations provoquèrent des saignements abondants, mais Aeluna demeura indemne et déterminée. Bientôt, elle mettrait fin à ce combat avant de venir en aide à Diane pour protéger la population. Pourtant, malgré la facilité avec laquelle elle parvenait à repousser l'ennemi, une lueur d'appréhension persistait dans les profondeurs de son esprit.

C’était trop facile.

La bête poussa un hurlement épouvantable. Rien à voir avec une quelconque douleur, non, mais on aurait dit un genre d’appel. La harpie la plus proche réagit : voletant dans les airs, elle se rapprocha de l’opposante d’Aeluna.

« Une alliance ? supposa-t-elle intérieurement. Très bien. »

Pas exactement. Au moment où l’adolescente était sur le point de passer à l’action, la bête saisit la harpie et la dévora goulûment. Aeluna était tellement stupéfaite qu’elle se contenta de regarder la scène. En quelques secondes seulement, il ne resta de la harpie plus qu’une patte et des morceaux d’organe déchiquetés coincés entre les dents de la démone. Cette dernière lécha le sang obscur qui tachait ses babines en observant Aeluna d’un air avide. Aussitôt, les blessures reçues un peu plus tôt se refermèrent d’elle-même avant de disparaître. L’Aspirante porta une attention particulière à sa vision périphérique : les harpies ne cessaient de se multiplier. Une prolifération incontrôlée de harpies accompagnée d’un monstre pouvant s’en servir comme source inépuisable de soins à tout moment. Hélas, il ne s’agissait pas de la seule surprise qui l’attendait. L’abomination se trouvaient à quelques mètres devant elle. Elle cligna des yeux. Les griffes de la bête n’étaient plus qu’à quelques millimètres de son visage. Aeluna baissa la tête juste à temps pour éviter l’attaque. Elle pensa à répliquer, mais son ennemie fut plus rapide. Tournant rapidement sur elle-même, la queue de la créature atteignit sa cible de plein fouet. Dans un cri de douleur, Aeluna fut projetée au sol un peu plus loin. Grâce à la robustesse de son corps, Aeluna survécut, mais non sans douleur. Un goût métallique envahit sa bouche. La vitesse accrue de la créature lui permit de poursuivre son assaut, ciblant une aspirante qui essayait encore de se relever. Juste au-dessus d’Aeluna, elle arma une frappe descendante qui aurait dû terminer le combat. La combattante roula sur le côté et l’assaut rencontra le sol, y creusant un cratère. Voyant une occasion, Aeluna se remit immédiatement sur pied et visa le dos. Sa lame ricocha contre sa cible. Des écailles de bronze étaient apparues, contrant l’épée sans la moindre difficulté. Sans se poser plus de questions, Aeluna enchaîna les attaques. Sur la queue, les pattes ou encore la tête, aucune ne fut efficace : les écailles se manifestaient trop vite. Rien n’y faisait, peu importe la puissance de ses assauts. Son épée n’était plus d’aucune utilité.

—    Aeluna ! appela la voix de son mentor. Tu peux y aller !

Enfin. La jeune fille observa très rapidement son environnement tout en continuant d’attaquer, confirmant ainsi ce qu’elle pensait : Diane et les autres combattants avaient réussi à éloigner suffisamment les citoyens du secteur. Il était temps d’utiliser ses autres capacités. En un instant, Aeluna bondit en arrière et invoqua un puissant jet de flammes qui engloutit entièrement sa cible. L’abomination gémit de douleur en s’agitant dans tous les sens. La vue d’Aeluna se brouilla, s’accompagnant d’un mal de tête tout aussi mystérieux que soudain. Son attention se porta sur son bras gauche, avec lequel elle tenait habituellement son épée. Des marques de morsures ensanglantées, assombrissant petit à petit sa peau pâle. Les serpents du corps de son opposante ; elle les avait complètement oubliées. Aeluna ne se demanda pas si ces morsures étaient mortelles ou non : elle survivrait. Point. Malheureusement, la jeune fille remarqua trop tard que le monstre n’avait pas dit son dernier mot. Des cadavres d’harpies jonchaient le sol du côté de son ennemie, mais elle mangeait encore. Ignorant son propre état, l’Aspirante essaya de nouveau de pourfendre son ennemie en changeant son arme de main qui l’esquiva avec une fluidité étonnante. Son repas terminé, les flammes qui consumait la bête s’éteignirent toute seule. Cette dernière s’en pris de nouveau à Aeluna, dardant ses griffes vers l’adolescente qui les bloqua simultanément. La créature fit un mouvement de poignet si brusque que la jeune fille n’eut pas d’autres choix que de lâcher son arme, qui vola loin, hors d’atteinte. Du coin de l’œil, Diane remarqua une Aeluna désarmée.

Elle n’aura jamais le temps d’invoquer ses flammes.

Avec cette pensée, la guerrière détruisit la harpie qu’elle affrontait en un seul coup et envoya sa propre arme, une lance, en direction du vis-à-vis de son élève avec une précision mortelle. Au lieu de blesser la créature, comme attendu, la lance ricocha. Aeluna réagit au quart de tour. Elle saisit le « cadeau » en plein vol et visa les yeux. L’arme perfora le globe oculaire adverse et le retira de son emplacement d’un mouvement sec. La créature émit un son insupportable mais Aeluna n’avait pas terminé : elle poursuivit son offensive en ciblant l’autre œil. L’ennemie réagit trop vite et tenta une riposte. Elle manqua de peu le visage d’Aeluna mais son bras déjà empoisonné fut atteint, y laissant des marques de griffes. La jeune fille embrasa la pointe de l’arme d’hast et concentra ses attaques sur l’endroit où elle pensait que le cœur se trouvait. La protection naturelle de la bête effectua son travail, pourtant Aeluna continua, choisissant de viser encore et encore ce même endroit avec des coups aussi rapides que précis. De temps en temps, le monstre essaya de déchiqueter l’Aspirante héroïne. Sans succès : Aeluna bloqua chacune des tentatives en faisant tournoyer la lance. Elle n’avait pas réussi à trouver une faille : les écailles solidifiées étaient trop puissantes. À court d’idées, l’Aspirante s’éloigna d’un saut. Même si cette dernière ne lâchait pas son adversaire du regard, Aeluna fit un rapide point sur la situation. L’hybride mi-femme mi-serpent ne poussait encore des gémissements pathétiques à cause de son œil arraché mais Aeluna n’était pas nécessairement dans un meilleur état : elle ressentait encore les conséquences des coups reçus un peu plus tôt. Son bras touché par les serpents venimeux semblait de moins en moins utilisable à mesure que le temps avançait, avec une couleur qui ne rassurait pas du tout la jeune fille. À présent, elle parvenait à peine à serrer le poing gauche. Ses nausées s’aggravaient à tel point que la créature devenait de plus en plus floue à l’horizon. Comme si cela ne suffisait pas, la lance semblait plus lourde qu’à l’accoutumé. Il lui fallait terminer ce duel le plus rapidement possible. Outre le fait de se soigner, le problème principal restait la protection quasi-instantanée de l’ennemie, apparaissant si vite qu’il était impossible de la blesser mortellement. De ce fait, la créature pouvait tout aussi bien ne même pas s’embêter à esq…

Le regard d’Aeluna s’illumina.

« C’est ça ! »

L’adolescente chercha Diane. Son mentor qui s’occupait de quelques harpies avec l’épée d’Aeluna la remarqua. Par suite de l’appel de son leader, une des harpies se dirigea vers la bête. Une des harpies visa la brune avec ses serres. Cette dernière suivit le regard de l’Aspirante et, sans un mot, Aeluna et Diane se comprirent. Luna commença à courir en préparant son arme. Trente mètres, c’était jouable. Elle envoya sa lance, non pas vers la démone, mais les harpies à proximité de son mentor. De son côté, elle cibla le futur repas de l’ennemie d’Aeluna et lança l’épée. Chacune des armes atteignit sa cible respective. Aeluna courut. La créature, qui ne comprenait pas ses intentions la laissa faire, se contentant de la regarder saisir l’épée dans les airs. Alors la jeune fille fit quelque chose qui bouleversa davantage la créature : elle donna un coup dans le vide qui envoya la harpie embrochée dans sa direction. Bêtement, l’hybride ouvrit grand la gueule et accueillit sa nourriture. À la seconde où Aeluna atterrit au sol, elle se propulsa vers la créature en plein repas. Cette dernière écarquilla son œil restant et donna quelques coups de griffes hasardeux que l’Aspirante n’eut aucun mal à éviter. Aeluna donna un coup d’estoc au milieu de la limite entre son corps de femme et de reptile. Cette fois-ci, aucune protection : sa lame de bronze s’enfonça sans difficulté, ce qui ne plut pas à sa cible. Aeluna vérifia une dernière fois que personne ne se trouvait à proximité. Vu ce qu’elle était sur le point de réaliser, elle avait intérêt. La jeune fille embrasa son arme, accentuant la douleur de son opposante. Peu importe ce que l’hybride essaierait de faire, il était déjà trop tard. Aeluna usa de toutes ses forces pour lever sa lame, cette dernière déchirant le corps du monstre en face d’elle. Malgré le sang qui l’aveuglait et les quelques coups de griffes reçus, la guerrière ne lâchait pas et continuait à trancher. La lame parcourut son corps jusqu’au sommet du crâne du monstre.

—    Brûle, saleté.

Aeluna puisa dans ses dernières forces pour invoquer une colonne de feu dévastatrice, qui engloutit complètement son adversaire. À travers les flammes, elle distingua vaguement la silhouette de la créature, se consumant lentement. Puis, aussi soudainement qu'il était apparu, le sort se dissipa de lui-même. Le corps carbonisé de la créature s'effondra devant Aeluna, qui se tenait là, blessée et épuisée. Autour d'elle, le silence avait remplacé les hurlements de terreur. Elle contempla son épée pendant un instant, sentant encore la chaleur résiduelle émanant de la lame. Puis, levant les yeux vers le ciel, elle aperçut le sommet du mont Olympe, si loin dans les hauteurs célestes. Une profonde inspiration gonfla ses poumons alors qu'elle prenait conscience de la portée de son exploit.

—    Papa, dit-elle à voix haute. Maman. Dame Athéna. Vous avez vu ? J’ai gagné ! 

La première victoire véritable d’Aeluna Syphe.

La jeune fille fut parcourue d’une joie immense. Ses efforts constants durant des années payaient. Toutes les fois où elle s’était écroulée de fatigue n’avaient pas servie à rien. Aujourd’hui, Aeluna était une véritable combattante, et elle l’avait prouvé. La jeune fille posa un genou à terre : son corps la rappelait à l’ordre. Diane accourut, accompagnée par un adolescent blond en armure du même âge que son élève. La brune examina l’état de son élève, portant une attention particulière à son bras marqué d’une obscurité inhabituelle.

—    Tu penses pouvoir faire quelque chose ? demanda Diane à la personne qui l’accompagnait.

Il réfléchit quelques instants.

—    Ça va prendre un petit peu de temps, mais oui. Je m’en occupe.

Le jeune homme posa délicatement ses mains sur le bras d’Aeluna. Aussitôt, une aura de lumière apparut autour, répandant une chaleur agréable commençant au niveau de ce bras, qui se répartit progressivement dans le reste du corps de l’Aspirante.

—    Je suis Apollodore, se présenta-t-il. Enchanté de faire ta connaissance.

—    Comme tu as pu le deviner, intervint la brune, c’est un Elu d’Apollon. Au Sanctuaire, il est principalement chargé de soigner les autres Émissaires, mais il ne faut pas le sous-estimer au combat.

—    Venant de ta part, Conseillère, c’est flatteur.

Apollodore observa les restes de la créature.

—    N’empêche, une Élue qui manie le feu, c’est…

—    La première fois que tu vois ça, hein ? devina Aeluna. Je le sais, Diane me l’a dit. Je suis la première Émissaire à m’en servir. Va savoir pourquoi.

—    Et pas n’importe comment en plus, continua-t-il. En plus, tu n’as pas emprunté la Voie Héroïque mais tu as pu vaincre cette créature toute seule !

—    Pas tout à fait, corrigea Aeluna en regardant son mentor.

Diane secoua la tête.

-         C’est toi qui as remarqué le point faible de l’ennemi, déclara-t-elle. Je n’ai fait que donner un léger coup de pouce.

-         Comment ça ? demanda le guérisseur.

Aeluna faillit insister sur le fait que sans l’intervention de son mentor, la jeune fille serait morte à l’heure actuelle. Au lieu de quoi, elle entreprit de répondre à Apollodore :

-         Plus tôt, j’ai remarqué quelque chose d’étrange. Si tu disposais d’une armure invincible, Apollodore, en plein combat, te fatiguerais tu à esquiver les attaques ?

-         Bien sûr que non.

-         Pourtant, cette créature l’a fait pendant qu’elle mangeait. Je lui ai donc donné ce qu’elle voulait.

-         Un bon repas et un supplément carbonisation en prime, termina Apollodore avec amusement. Impressionnant !

Diane, totalement étrangère à la conversation, observait avec intensité les restes de l’ennemie d’Aeluna.

—    Lamia, déclara-t-elle.

Apollodore et Aeluna échangèrent un regard.

—    C’est le nom de cette créature ? devina la fille aux cheveux de cristal.

Diane hocha la tête.

—    Il y a deux millénaires environ, une magnifique jeune femme du nom de Lamia, archonte d’une cité-état d’Héronis à l’époque, devint obsédée par Zeus. Or, Zeus étant l’époux d’Héra, elle était affreusement jalouse de cette dernière. Tellement que Lamia s’en est pris aux élus de cette dernière, les tuant de la pire des manières possibles, peu importe leur âge. Furieuse, Héra maudit elle-même Lamia en la changeant en la créature que tu as combattu. La condamnant à une vie de torture avant de mourir au combat.

D’après Diane, Lamia méritait son sort. Apollodore releva alors quelque chose d’important.

—    Un instant. Aucun récit ne fait mention d’un quelconque affrontement avec Lamia. Par les dieux ! Est-ce que cela signifie qu’Aeluna soit la seule à l’avoir affrontée ?

—    La seule à l’avoir affronté, (Diane porta un regard de fierté sur sa protégée.) et vaincu.

Aeluna demeura silencieuse. La seule à avoir tué une créature aussi forte ? Vraiment ? Une telle nouvelle aurait dû ravir la jeune fille, mais, étrangement, rien n’y faisait. Au contraire, elle continua de penser à l’histoire de Lamia. Pour une raison inconnue, Aeluna avait du mal à y croire. Aussi, d’autres choses lui trottaient dans la tête :

—    D’ailleurs, comment ces créatures sont arrivées là ? demanda la jeune fille. Et qu’en est-il de cette énergie noire…

—    Aucune idée, répondit Diane. Nous en parlerons à Ericlès en arrivant de toute façon. Ça ne sert à rien de nous prendre la tête avec des questions sans réponses pour le moment.

—    Ah, fit le guérisseur. Je pense que ça ira. Comment te sens-tu ?

Apollodore retira ses mains, arrêtant le sort. La douleur avait disparu, et son bras avait repris sa couleur originelle, ou presque. Elle pouvait s’en servir, c’était déjà ça. Lentement, la jeune fille se mit debout.

—    Beaucoup mieux. Merci !

—    Je t’en prie, répondit-il. En revanche, tu n’es pas entièrement rétablie. Je te préparerai quelques décoctions et onguents pour compléter la guérison une fois au Sanctuaire. Juste au cas…

L'Élu d'Apollon fut interrompu par quelque chose un peu plus loin. Un grand nombre de personnes se rapprochèrent du trio, plus spécifiquement d’Aeluna. Le sol résonnait sous le pas pressé des citoyens, des soldats mortels et d'autres élus, attirés par la présence de l’Aspirante. Les yeux écarquillés, Aeluna se tourna vers la foule qui se rassemblait autour d'elle, surprise par l'ampleur de l'accueil. Les murmures se transformèrent rapidement en acclamations enthousiastes alors que les voix s'élevaient en un seul élan de louanges.

« Regardez, c'est elle ! La fille aux cheveux blancs comme la lune ! »

« La protectrice des mortels ! »

« La guerrière de feu ! »

Les visages étaient illuminés d'admiration et de gratitude tandis que la foule se pressait autour d'elle, cherchant à la toucher, à la saluer, à la remercier pour ses actes héroïques. Des mains tendues, des fleurs lancées, des chants d'allégresse emplissaient l'air, créant une atmosphère de jubilation et de félicitations. Aeluna, humble et émue par cet élan d'affection, souriait timidement, ses joues rosies par l'émotion. Elle sentait le poids de la reconnaissance de ses concitoyens, un fardeau doux et réconfortant qui la motivait à continuer à se battre pour ce en quoi elle croyait. Son regard brilla d’une détermination aussi ardente que les flammes qu’elle avait invoquées plus tôt. Même si elle n'était pas officiellement reconnue comme une héroïne, l'amour et le respect de la foule étaient bien plus précieux à ses yeux. Et dans cet instant, entourée par ceux qu'elle avait protégés et inspirés, elle se sentait véritablement vivante, animée par la flamme de l'espoir et de la détermination. La scène était un tableau vibrant de camaraderie et d'unité, un hommage spontané à une âme courageuse qui avait touché le cœur de tous ceux qui la découvraient. Diane posa une main sur la tête d’Aeluna :

—    Bienvenue chez les héros, ma petite lune.

Et alors que les acclamations se poursuivaient, Aeluna pensa malgré elle à la « rencontre » qui eut lieu avant que Lamia et les harpies n’apparaissent. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. On aurait pu croire que la raison en était l’atmosphère créée par la présence de l’entité, ses paroles ou encore la sensation de décapitation. Non. Cette terreur provenait d’une certitude aussi mystérieuse qu’impossible. Cette voix…

 

Aeluna la connaissait. 

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