Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 12 : Montagnes russes émotionnelles

4088 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/11/2023 21:23

Chapitre 12

ooOoo Montagnes russes émotionnelles ooOoo


Après un été riche en dessin-animés, fous rires et câlins, leur routine scolaire avait repris, plus intense, pour cette ultime année au collège.

Au fil des mois, leur secret devenait douloureux à porter. Passer une journée entière à côté d’une personne que l’on aime, sans jamais pouvoir la toucher, ni l’embrasser, et finalement rentrer chez soi tout en sachant que le jour suivant sera le même, pouvait s’apparenter à de la torture morale. Un an à ce rythme aurait été difficile à supporter si leurs quatre parents n’avaient pas été mis dans la confidence. Ainsi, Théo et Cyk pouvaient se rendre chez l’un ou l’autre certains week-ends, plus rarement après les cours, sur les miettes de leur temps libres.

Tim et Poehina avaient sereinement accueilli la chose. Pour les parents de Théo, difficile à dire, tant leur attitude placide rendait leurs émotions ininterprétables. Ils étaient, de surcroit, souvent absents, accaparés par leurs travails de directrice de collection et créateur-styliste dans l’industrie du luxe. Théo vivait dans un épisode « d’Amour, Gloire et Beauté » où il ne se passait jamais rien. L’un des rares avantages de cette parentalité laxiste, c’est que les deux adolescents avaient l’usage intégral et exclusif du long canapé d’angle en cuir noir occupant un bon tiers du salon des Rivoli.

 

Lors d’un chouette samedi de printemps, il y avait eu un premier visionnage de film – « Nos étoiles contraires », imposé par Théo – puis, quand Théo avait enfin fini de pleurer, un déjeuner, à base de chips, de snacks surgelés, de bonbons, d’un pot de glace de 800 mL – en somme une alimentation parfaitement saine – interrompu de plusieurs interludes bisous goût paprika-citron-caramel-noix-de-pécan. Ils en étaient arrivés au deuxième film, sélectionné d’un commun accord cette fois : « Les Gardiens de la Galaxie ». Cyril mit sur pause au bout d’un quart d’heure, pour étreindre son petit-ami sans gâcher le scénario. À force de sentir les mains baladeuses de Théo sur ses cuisses et l’odeur entêtante de son shampoing sous ses narines, il n’avait pas résisté à la tentation. Le canapé ultra large encourageait la gymnastique conjugale, ils pouvaient s’étendre sans tomber et sans se bousculer.

Cyk mit longtemps avant de libérer Théo de son emprise affective. Le blondinet avait beau vouloir parler, il ne cherchait pas à s’échapper, les démonstrations passionnées de Cyk étaient trop rares pour être gâchées bêtement. Le gros brun s’interrompit un instant pour reprendre un semblant de respiration. Théo appuya alors fermement sur ses joues pour le bloquer avant qu’il ne revienne à la charge pour un nouveau baiser. Ce n’était pas agréable, mais le minois allègre de Théo avait le don de lui faire oublier la gêne et la douleur.

— La fête foraine ouvre demain, j’aimerais qu’on y aille ensemble.

— J’ai déjà promis à Alex d’y aller avec lui, et mon portemonnaie n’est pas extensible. Je peux réessayer de lui proposer que tu nous accompagnes.

— Je veux y aller en amoureux ! Pas avec un de tes potes ! s’agaça Théo face à l’imperméabilité romantique de Cyril.

— Ah. Euh… Oui, désolé, je n’avais pas capté.

— Surtout avec monsieur homophobie, en plus ! Tu l’as sélectionné sur-mesure celui-là !

Les joues bouillantes, Cyk détourna le regard pour ne pas s’embraser totalement et se déroba involontairement au nouveau baiser qu’allait lui donner Théo. Ce dernier soupira.

— Tu as toujours la trouille, c’est ça ?

— Ouais… Mais il faudra bien que les autres le sachent un jour ou l’autre alors…

La mine sombre de Cyril n’était pas très encourageante pour Théo, bien qu’il s’y soit habitué.

— Réfléchis-y.

Théo en profita pour embrasser Cyril sur la joue, il en gémit. Ce type de baiser étant plus rare que leurs roulages de pelle quotidien, il lui faisait paradoxalement plus d’effet.

Le petit prince aux boucles d’or se saisit de la télécommande et appuya sur play, avant de se blottir contre son renard préféré.


oOo


Selon l’adage « le hasard fait bien les choses », une grande partie des élèves de troisième se retrouvèrent à la fête foraine en même temps.

Dans l’ignorance totale de ses velléités romantiques, les copines de Théo l’avaient invité. Il lui avait été facile de leur imposer la date, il lui avait suffi de mentionner que le beau Matthieu Paris serait présent ce jour-là, car les membres du club de musique s’étaient tous donnés rendez-vous. Cyril avait suivi le mouvement, Alexandre dans son sillage. Matthieu, de son côté, était accompagné par son copain Yann et leur clique habituelle.

Se rassembler ainsi, hors de leur établissement scolaire, indépendamment des affinités, les déstabilisaient quelques peu. Cependant, à quinze ans, ils étaient majoritairement plus matures et ouverts d’esprit qu’autrefois. Le contact se faisait doucement, mais surement. Le cortège masculin croisa par un faux hasard le cortège féminin. La parade amoureuse pouvait commencer.

Derrière l’assurance de beaucoup se cachait la frustration d’avoir refoulé des sentiments pendant des mois, voire des années. Des coups de cœur, des idylles adolescentes et tout autant de crushs maintenus sous silence pour éviter d’être la cible des railleries des camarades, ou juste parce qu’il y avait trop de devoirs à faire. Tout cela pouvait désormais s’assumer au grand jour, du moins pour les hétérosexuels. Le collège et ses bêtises ne seraient bientôt qu’un lointain souvenir. Prochaine étape : le lycée, la cours des grands et la permission de minuit.

 

Attraction après attraction, les deux groupes se mélangeaient progressivement, au gré des complicités, anciennes ou nouvelles. Cyril ne disait pas grand-chose, mais il prenait confiance dans cette ambiance conviviale qui lui rappelait le club de musique. Il avait envie d’avoir une vie sociale pour une fois, histoire de changer d’air. Il s’arrangeait toujours pour garder Théo dans son champ de vision, mais Alexandre restait collé à ses basques. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Cyk se mit à trouver cela pénible.

Il vit Théo se rapprocher d’une échoppe de nourriture. Il prétexta avoir soif pour planter Alexandre dans une allée et se précipiter vers la file d’attente. Son blond se retourna discrètement, et contempla son géant derrière lui, une lueur chatoyante dans la pupille.

— Je ne te manque pas trop ?

— Bien sûr que si.

Les joues de Théo s’embellirent de joie. Dans un acte de galanterie un peu cliché, Cyk paya les beignets de son compagnon, oubliant au passage de s’acheter une bouteille d’eau pour donner le change devant Alexandre. Le sourire de Théo devint séraphique, le comble pour ce diablotin provocateur et turbulent, mais révélateur de son état d’esprit. Chaque petite attention de son céladon l’amenait au paradis. Il voulait se sentir en rencart. Qu’importe la présence des autres, son armée de ladies, les ricanements stupides de Yann, la lividité badante d’Alexandre, c’était son rendez-vous galant à lui.

Théo voyait des paillettes autour de son ours mal-léché tentant de lui sourire, quand soudain une poignée féroce au vernis rose s’agrippa à son biceps et l’arracha à son idylle. Les filles voulaient jouer aux Calamity Jane au stand de tir, elles lancèrent un concours à celle qui dégommerait le plus de cible. Un garçon dans la foule cria que ce serait déjà un miracle que l’une d’entre elles parvienne à toucher n’en serait-ce qu’une seule. Sur cette pique misogyne, Théo claqua son paquet de beignets entre les doigts de Cyk avant qu’ils ne tombent par terre dans la cohue.

Seule Maddie parvint à toucher plus de trois cannettes, les autres faisaient de piètres tireuses, jusqu’à ce que Théo prenne la carabine en main…

— Théo ! Théo !

— Ouais vas-y Théo ! scandaient ses amies et quelques curieux portés par l’ambiance.

Dix essais, dix cibles dégommées. Les filles continuaient de déballer leurs jetons, et Théo enchainaient les séries de tirs avec une précision de sniper. On distinguait nettement le malaise en train de poindre sur le visage du tenancier, sa faillite assurée, il n’aurait plus de peluche à la fin de l’après-midi.

Je ne comprends pas comment un gars qui n’est pas fichu de rattraper un volant au badminton peut se transformer en tireur d’élite avec un flingue en plastique.

Le coin de la bouche de Cyk tremblotait sous la force d’un sourire d’amusement naissant. Le spectacle de son petit-ami en train de jouer à Clint Eastwood pour le plaisir de ses dames valait le détour.

Les pupilles toujours rivées sur Théo, son oreille fut, elle, attirée par le son entrainant d’une armée de tambours. Une troupe de danseurs folkloriques passait dans l’allée voisine. Cyk finit par se détourner du stand de tir, comme une partie de ses camarades. Nombre d’entre eux se mirent à ricaner à la vue des pagnes ridicules et des coiffes aux couleurs criardes des artistes. Cyril, lui, se focalisait sur les percussions. Hypnotisé par le bruit régulier, vif et mélodieux, il fixait le défilé, en visualisant la musique plus que les costumes pittoresques à l’historicité douteuse.

— Tu marques le rythme ? fit une voix dans son dos.

Cyril n’eut pas le temps de se retourner, Matthieu se plantait déjà à ses côtés. Il tenait une granita à la cerise dans la main droite, et désigna la jambe de Cyril d’un hochement de menton entre deux gorgées. Il disait vrai : la plante de son pied frappait le sol, Cyk ne s’en rendait pas compte. Il aurait voulu s’arrêter, gêné que quelqu’un lui fasse la remarque, mais la cadence endiablée était trop ensorcelante. Son corps ne répondait plus à son cerveau. Matt le rejoignit dans son admiration de la troupe et son propre pied se synchronisa avec celui de Cyril. Il hochait la tête également. Un fin sourire apparut sur son visage, plus discret et plus mystérieux que ses expressions conviviales habituelles.

J’adore son sourire…

Désirant faire la conversation, Cyril sortit la première chose qui lui passait par la tête.

— Ça me fait penser au haka… Ça n’a rien à voir, je sais bien. Je ne sais pas pourquoi je pense à ça…

— Ah !

C’est quoi ce « ah » ? Un rire ? Il a l’air tout foufou brusquement.

— En fait, la structure est la même. D’abord t’as le rythme, en trois temps. En plus, ça commence doucement, après ça s’accélère, et ça monte en intensité. Les voix sont prises dans les mêmes timbres et les mêmes tessitures : des voix d’hommes, assez graves. Toute la danse repose sur les tambours, le shamisen c’est juste pour accompagner, comme le haka avec les percussions corporelles. Donc, pas les mêmes instruments, mais mêmes inspirations, et même objectif : impressionner son auditoire. Et ça marche, vu ta tête.

Sur ses mots, Matt remit la paille dans sa bouche pour aspirer sa glace pilée.

Comment il fait pour savoir tout ça ?

Cyril resta longtemps à le fixer dans le blanc des yeux, hypnotisé par son charisme nonchalant qui supplantait la musique tribale.

— T’as soif ?

Cyk secoua la tête. Après avoir cligné des paupières une demi-douzaine de fois, il finit par baisser ses pupilles sur le gobelet tendu sous son nez.

Merde, à force de le dévisager, il s’imagine des trucs. Vaut mieux ça qu’autre chose cela dit.

— Ouais. Merci.

Il attrapa la boisson givrée de sa main libre et glissa la paille entre ses lèvres. Il n’était pas très à l’aise avec cette forme de générosité, mais il s’efforçait d’avoir l’air le plus relax possible, précaution inutile compte tenu de son allure naturellement austère.

Au lieu de rendre le gobelet, il tendit brusquement son autre main devant Matt.

— Tu as faim ?

— C’est pas les beignets de Théo ?

— Il ne remarquera pas qu’il en manque un. Et c’est moi qui aie payé de toute façon.

Amusé, Matt agrandit son sourire. Il goba la boule de pâte frite qu’il venait de chiper dans le cornet en papier.

— Merchi !

J’adore son sourire, même la bouche pleine.

— Eh !

Dans un même sursaut, Matt et Cyk se retournèrent pour voir Théo, dressé derrière eux, poings sur les hanches, et plus loin derrière lui, une dizaine d’adolescentes chacune avec leur peluche Hello Kitty à petit nœud.

— On va au Magic Twist, vous venez ?

Derrière sa mine joviale, on devinait aisément la grimace réprimée de Matthieu contemplant l’attraction en question. Le Magic Twist était un balancier de seize places. Quatre rangées de quatre sièges effectuaient des rotations à 270 degrés, tandis que la bascule tombait dans un sens, puis dans l’autre, jusqu’à se dresser à angle droit avec la poutre du manège. De longues vagues de cris paniqués résonnaient vers le sol.

— Euh… Non ? couina Cyril avec une circonspection plus marquée que celle de son camarade guitariste.

— Fais pas ta chochotte ! râla Théo en lui arrachant le cornet en papier des mains.

À la rudesse de son geste, Cyk supposa qu’il avait vu Matt lui en prendre un avec sa bénédiction. Théo se mit à boulotter ses confiseries sans les mâcher.

Bravo Cyk, tu l’as énervé…

Bon gré, mal gré, il suivit son petit-ami secret, et Matt également. Yann semblait moins farouche que lui, sans doute parce qu’il voulait impressionner ses jolies camarades. Quel homme fort et viril refuserait de s’envoyer ne l’air avec le Magic Twist ?

En apercevant Cyril, Alexandre se précipita vers lui, tel un pathétique cabot perdu, à la recherche désespérée de son maître. Mais face à l’engin infernal, son enthousiasme canin s’évapora et, sagement, il alla attendre son fidèle compère derrière la barrière de sécurité à la sortie de l’attraction. Cyril s’assit au bout d’une rangée, son visage prit d’une pâleur inhabituelle. Théo s’installa à côté de lui avec deux de ses copines. Sur les sièges de droites, Matt, Yann et deux autres filles du club de musique installaient leur harnais. Le propriétaire du manège effectua son tour de vérification.

— T’as la trouille ? souffla Théo avec un sourire malicieux.

— T’as du sucre sur la joue.

— Ah zut, ça doit venir des beignets.

— T’es à croquer comme ça… marmonna Cyk, le plus bas possible pour que personne n’entende.

Théo lui adressa deux clignements de paupières coquins en guise de réponse juste avant de s’envoler.


oOo


Cyril avait mal partout en descendant du manège.

Les yeux fermés, ne sachant plus où était le sol et où était le ciel, il avait crispé l’intégralité de ses muscles durant toute la séance de torture en attendant que ça passe. Il peinait à présent à les détendre. Un sifflement désagréable persistait dans ses tympans, vestige des hurlements stridents de Théo et ses voisines qui les avaient transpercés pendant trois minutes.

Il descendit le petit escalier de métal, fit quelques pas, se massa la nuque et remua des épaules, comme pour vérifier qu’il n’avait pas perdu un membre au cours du vol. Alexandre s’avança vers lui en rigolant, Cyril se renfrogna, décidé à ne pas exhiber son malaise. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Son petit-copain se cramponnait à la rampe, il n’y avait pourtant que quatre marches entre la base de l’attraction et le plancher des vaches. Il se trainait derrière ses amies, le visage livide, les yeux vitreux.

Théo, ça va ?

— Théo, ça va ? demanda une de leur camarade avant que les mots ne sortent de la bouche de Cyril.

— Mmm… Non…

Il zigzagua à toute vitesse jusqu’à la première poubelle venue et s’agrippa fermement à son cerceau recouvert de peinture verdâtre. Il commença à gémir de manière répugnante. Le premier haut le cœur n’amena rien. Le second fit remonter une première giclée de pâte à beignets. Dans un réflexe, Cyril accourut jusqu’à lui et enveloppa ses tempes dans ses mains pour retenir ses cheveux mi-longs qui pendaient dangereusement. La cascade de vomi arriva à peine une seconde après que Cyril ait retenu les mèches suicidaires.

À cause de sa mine renfrognée au naturelle, le dégoût de Cyril face au dégueulis drouilleux jaunâtre de morceaux de gâteaux mal mâchés était imperceptible. Il semblait serein en retenant à deux mains les cheveux de Théo. Lorsque ce dernier eut fini de tout évacuer, Cyk lui caressa gentiment les omoplates d’une main, l’autre restant plaquée sur la chevelure soyeuse de son cher et tendre.

— Ça va mieux ?

— J’sais pas…

La voix de Théo était à peine audible, et il s’accrochait toujours à la poubelle. Dans un sourire grimace, Cyril sortit un mouchoir de sa poche pour le donner à son compagnon, afin qu’il s’essuie la commissure des lèvres. Puis, il reprit ses cheveux entre ses doigts pour lui dégager le visage au cas où un reliquat remontrait encore.

Cyril se sentit brusquement mal à l’aise. Il enfonça un peu la tête dans ses épaules sous la désagréable sensation d’être observé. Au bout de quelques secondes, il fut pris d’un doute affreux. Il se contorsionna, lentement, et découvrit, consterné, qu’une dizaine de ses camarades d’école, dont Matt, Yann, Alexandre, Anju ou encore Maddie, se tenaient derrière eux et les détaillaient de leurs grands yeux ronds hébétés.

Cyril frissonna sous le poids de cette armée de pupilles vissées sur lui. Il ne comprit pas immédiatement pourquoi ils le regardaient ainsi. Il finit par réaliser qu’il touchait Théo. Qu’il le touchait de manière délicate, protectrice, affectueuse même. Il frottait ses épaules en douceur. Il profitait de maintenir ses beaux cheveux bouclés pour les mignarder, glissant son index derrière son oreille tout en effleurant son visage. La tendresse de ses gestes n’avait échappé à personne, elle trahissait le fait qu’ils étaient bien plus proches que ce que tous les autres pensaient jusqu’alors.

Merde, ils ont compris.

Théo se redressa difficilement. L’esprit déconnecté de la réalité par sa soudaine nausée, il posa une main reconnaissante sur l’avant-bras de Cyril.

— Je crois que tout est sorti…

— Tu… Tu veux que j’aille te chercher de l’eau ? balbutia Cyk, acculé par les regards exorbités des autres.

— Oui… J’veux bien...

— Je reviens tout de suite.

Cyril s’éloigna rapidement, s’enfuir aurait été un terme plus adéquat. En faisant la queue devant une confiserie de plein-air, délibérément éloignée de leur groupe, il se demandait s’il aurait la force et le courage d’y retourner. D’affronter les réactions de ses camarades. Il avait peur, il avait une trouille terrible, il aurait volontiers refait quinze tours de Magic Twist plutôt que d’aller se confronter au jugement des autres. Il n’avait pourtant pas le choix. Et son pauvre Théo était toujours là-bas, cerné par le groupe.

Pourvu que personne ne se moque de lui en mon absence… Pitié, pourvu que personne ne lui fasse de réflexion…

Son amour plus fort que son angoisse, il attrapa la bouteille d’eau posée sur le bar d’un geste vif et retourna rapidement auprès de sa moitié nauséeuse. Il traversa à nouveau la légion oculaire. La plupart de ses camarades le suivirent des yeux tandis qu’il retournait auprès de Théo. Son petit-ami n’était pas seul, deux de ses amies étaient avec lui. Elles s’écartèrent presque solennellement pour laisser Cyril s’approcher, tel le messie ou le prince charmant, il ne savait pas trop.

— Tiens, ta flotte.

— Merci…

Les filles s’éloignèrent encore davantage pour leur laisser de l’intimité.

— Tu leur as dit ? murmura Cyk.

— Elles me l’ont demandé ! répliqua Théo sur la défensive.

— T’énerve pas. Je pose juste une question, c’est tout.

Le blondinet détourna le regard. Cyril trouvait sa réaction peu engageante. Son petit-ami avait honte, mais honte de quoi ? D’être gay ? Autrement dit d’être une anomalie de la nature dans l’esprit de certains ? Ou de sortir avec lui, Cyril Willem, alias Chewbacca ? Même si Théo lui avait déjà dit à plusieurs reprises qu’il était prêt à s’afficher à ses côtés, Cyk restait persuadé que ce n’était qu’une espèce de témérité orgueilleuse. Qu’au fond, il n’avait pas envie qu’on sache qu’il avait une relation avec un boloss sinistre que tout le monde haïssait. Son manque de confiance en lui empoisonnait son jugement, l’empêchant de sentir la sincérité de l’affection de Théo, ainsi que la bienveillance de la majeure partie de leurs camarades.

Pardon Théo. C’est de ma faute, j’aurais dû faire plus attention. Pardon.

L’atmosphère était extrêmement pesante. C’est alors que Matthieu fendit la foule et rejoignit le jeune couple avec un de ses sourires magiques.

— Bon. T’es en forme pour un autre manège ? lança-t-il à Théo en accompagnant ses mots de miel d’une tape amicale sur l’épaule.

— Beuh… Oui, un pas trop violent peut-être, pour commencer.

— Eh eh, j’te reconnais pas là, mais adjugé !

Il adressa un clin d’œil à Cyk, avant de se tourner vers les six collégiennes avec lesquelles Théo passait le plus clair de son temps.

— Vous venez les filles ?

Leurs joues légèrement maquillées s’empourprèrent aussitôt. Matthieu Paris venait de les inviter, elles, spécifiquement, à le suivre. C’était un rêve qui devenait réalité. Les copains de Matt semblaient hésiter, mais l’odeur de chair fraiche réussit à convaincre rapidement Yann de rejoindre son compère.

Très vite, leur groupe sembla occulter l’existence du couple Cyk-Théo. Avec toute sa fierté retrouvée, Théo glissa ses doigts entre ceux de Cyril. Cyk avait chaud, très chaud. Il avait toujours peur, très peur. Il lui semblait pourtant qu’un poids énorme s’enlevait de ses épaules. Il était gay, il était en couple avec Théo, et désormais, c’était officiel.

Main dans la main, ils suivirent Matthieu et sa farandole de groupies. Un sourire finit par éclairer le visage de Cyril. Il ne se fana que lorsqu’il se mit à chercher des yeux Alexandre, qu’il ne trouva jamais.

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