Nos amies les beïtes

Chapitre 1 : Oldie contre le Papillon de Nuit

1895 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/05/2023 19:57

Oldie contre le Papillon de Nuit


Prélectrice : Fahliilyol



Il était une fois, lors d'un été trop chaud, Oldie qui était à la campagne et qui avait fermé les volets (car le réverbère extérieur gênait). Comme c'était une fournaise, elle avait laissé la fenêtre grande ouverte…



Elle s'étendit sur le lit avec fort peu de pyjama et éteignit la lumière pour essayer de trouver le sommeil. A peine eut-elle fermé les yeux que, soudain, un bruit étrange attira son attention.

« Scritch scritch scritchy scritch ».

Oldie dressa l'oreille et se demanda ce qui pouvait bien causer ce son discret qui tonitruait dans le silence nocturne.

 Elle n'entendit plus rien et ferma alors les yeux...

« Scritch scritch scritchy scritch ».

Perplexe, Oldie rouvrit les paupières, trouvant cela bizarre. Au bout de longues secondes de tranquillité où elle se crut tirée d'affaire, elle essaya de s'endormir.

 Retentit derechef le scritchy-scritch de malheur qui la remplit d'effroi : « Oh non, c'est pas possible là, et si c'était une souris ? » pensa-t-elle. « Va falloir tout rallumer, tout retourner pour la débusquer ??? Non, pitié ! ».

Elle en était là de ses réflexions mécontentes quand nouveau son étrange succéda au premier.

« Floap floap floap-pfloaap floap »

Et très vite, elle eut l'impression que « quelque chose » lui soufflait sur le visage...



Oldie secoua la tête mais l'insidieuse pensée avait déjà envahi son crâne. Le floap floap se rapprochait inexorablement, et la crainte montait en elle, irrépressible et rugissant comme un flot torrentueux.

Il y avait « une beïte »...

Elle attrapa le drap et le rabattit pour couvrir sa tête d'un seul coup.

A la campagne, bien des créatures vivantes auraient pu prétendre à ce titre, toutes englobées dans l'ignorance crasse d'une citadine ignorant tout de la faune rustique. Mais pour Oldie, la « beïte » était invariablement et forcément un ressortissant étranger du peuple insectoïde. A l'instar d'une publicité Baygon des années 70, les beïtes se répartissent en deux catégories : les rampants et les volants.

Sous son drap, notre Mary-Sue attendait que sa frousse retombe, tentant désespérément de battre le rappel des troupes de la raison. Oui, parce qu'il faisait atrocement chaud sous le drap, quand même. Elle commença vite à étouffer sous le coton mais c'est à ce moment que tout bascula dans l'horreur.

Le floap floap insistant planait au-dessus d'elle, elle l'entendait à quelques centimètres de sa joue... La chose était là. Elle s'aventurait impunément.

Ce fut alors le floap floap de trop. Oldie s'agita en faisant des gestes désordonnés de folle, dans l'espoir de chasser l'animal en l'effrayant.

Ça continua.

C'est à ce moment qu'elle réalisa qu'elle n'avait plus le choix : il fallait allumer la lampe du chevet. Et quand elle le fit... Elle ne vit rien. Elle n'entendit rien. Le calme était revenu, simplement troublé par sa tachycardie.

Oldie attendit cinq bonnes minutes alors que rien ne se passait. Épuisée, accablée, elle réalisa que ses paupières ne lui obéissaient déjà plus. Lumière allumée, elle glissa dans le sommeil.

Mais dans l'ombre, la beïte embusquée attendait...



Terrassée par la chaleur, Oldie ne bougeait plus, en se contentant de transpirer gentiment. A la lisière de son mauvais sommeil tourmenté tournait l'idée que la lampe fonctionnait pour rien et qu'il serait peut-être temps d'arrêter de la laisser allumée. Combien de temps s'était-il passé ? Probablement quelque chose comme sept minutes. La main moite tâtonna pour trouver l'interrupteur et puis se glissa sous l'oreiller, repoussant la masse des cheveux qui coll...

 « Floap floap floap. Floap floap. Floap. »

Cette fois, c’était la goutte d’eau ! Oldie se leva d'un bond, fermement décidée à employer les grands moyens : elle alla appuyer sur l'interrupteur qui commandait le plafonnier !

Il faut savoir que le terme est absolument pompeux. Il ne s'agit en réalité que d'une grosse ampoule qui pend sans même avoir la pudeur de recouvrir sa nudité d'un abat-jour décent. L'information est pourtant d'importance, car sa lueur crue révéla alors une forme noire et vacillante. Juchée sur le bord haut de la lampe, une énorme beïte révélait son corps dodu, toutes ailes étendues pour faire admirer son envergure prestigieuse. Espérait-elle se rendre plus impressionnante ?

Bah, c'était réussi.

Les yeux grands ouverts et cette fois pleinement réveillée, Oldie ne put s'empêcher d'exprimer tout bas son embarras colérique qui cachait mal un reste de peur instinctive face à l'engeance bestioléide.

– Mekeskifoulalui ? Yvamferchiéenkorlontan ?

Après avoir battu des ailes, la beïte se sentant fixée d'un œil peu amène comprit sans doute qu'elle venait de perdre l'avantage. Oldie s'accroupit et dégaina son chausson d'un geste lent, délibéré, sans lâcher un seul instant l'ennemi de ses pupilles froides et calculatrices. Tous ceux de sa race, proche ou lointaine, avaient pourtant reçu de longue date l'instruction formelle de conserver comme territoire tout l'espace extérieur et d'éviter l'intérieur sous peine de mort. La guerre était déclarée...



Une agressive savate au bout de son bras vengeur, Oldie exécuta un geste menaçant. Le papillon resta de marbre. Ses petites pattes poilues agrippaient le plastique, ne bougeant aucun muscle.

Levant le bras, l'humaine réalisa qu'il lui manquait trente bons centimètres pour espérer atteindre le papillon contrevenant ayant violé les accords territoriaux. Elle ne réussit qu'à faire un petit déplacement d'air que son noir ennemi plein de superbe traita par le mépris. Alors qu’elle plissait les yeux, son cerveau se mit à élaborer divers scénarios ayant tous pour objectif de faire tomber de son piédestal perché la créature qui avait osé troubler son sommeil... mais si possible sans péter l'ampoule, ce qui aurait été plus grave.

Elle lança son chausson en l'air pour lui faire sentir le vent du boulet, comme un coup de semonce lui laissant présager que s'il ne décarrait pas de là au plus vite, il le paierait probablement de sa vie.

Papillon ne montra aucun signe qu'il avait compris l'avertissement.

Plissant encore plus les yeux, un mauvais sourire de ruse aux lèvres, Oldie alla éteindre l'interrupteur. Car si la beïte était un animal nocturne, fallait-il induire un sentiment de fausse sécurité en éteignant puis rallumant sans préavis ?

Au bout de plusieurs essais de ce jeu, le papillon frissonna. Il se mit à voleter n’importe comment – une imprévisibilité qui effraya davantage Oldie, qui redoutait irrationnellement qu'il vienne papilloter férocement dans ses longs cheveux, s'il décidait de fondre sur elle...


Malgré l'image qu'elle pouvait donner, une part d'Oldie regrettait que les choses en fussent rendues là. Elle ne souhaitait nullement occire le papillon. Juste qu'il s'en aille pour la laisser passer une mauvaise nuit plus paisible dans la touffeur de la canicule…

Souhaitant lui laisser une porte de sortie et l'occasion d'opérer une retraite honorable, elle ouvrit la porte de sa chambre et à grand renforts de gestes pourtant explicites, elle lui indiqua la sortie, lui promettant d'être magnanime s'il décidait d'aller scritcher et floaper ailleurs, dans une autre chambre...

Elle attendit.

Des floap floap indécis se firent entendre. Elle laissa la porte ouverte et retourna vite se cacher sous le drap, restant à mourir de chaud pour laisser à Papillon l'occasion d'opérer la volte stratégique qui sauverait sa vie.

Au bout d'un temps, il lui sembla que le son des battements de chauve-souris des ailes du monarque avait décru. * Elle espéra qu'il avait compris que rien de bon ne l'attendrait s'il s'obstinait.

Elle attendit. Et attendit. Et attendit.

Dans le silence retrouvé, elle s'endormit enfin, toutefois déchirée à l'idée d'avoir dû repousser le battant de la fenêtre, dont le volet – même fermé – n'offrait pas un rempart suffisant.


Elle passa une nuit affreuse.


Au matin, elle se leva pour aller petit-déjeuner et raconta son exploit nocturne en se moquant d'elle-même.

Puis, retournant dans sa chambre, elle entreprit de faire son lit.

Par instinct de conservation, elle secoua les draps. Elle regarda sous le lit, derrière le chevet... Car si la beïte s'était planquée, il se pouvait qu'elle revienne scritcher la nuit suivante.

Ne trouvant rien de suspect, Oldie vida les lieux pour vaquer à sa journée de vacancière. Une part d'elle continuait à espérer que Papillon avait fui définitivement vers de plus verts paradis.


Plus tard, à la faveur d'inspections de routine inopinées, elle ne trouva ni animal, ni mouche, ni abeille ou guêpe, ce qui aurait pu déclencher un branle-bas de combat encore plus bruyant.


Au soir, elle se souvint d'un autre fait d'arme similaire ayant eu lieu dans sa propre cuisine septentrionale. Sous le coup d’une inspiration subite et du désir d'en finir avec l'angoisse de l'incertitude, elle grimpa sur le lit et sauta sur les ressorts pour tenter de voir le dessus de l'armoire...

Là-haut, étaient stockées les réserves de couettes d'hiver, gonflées comme des grosses balles de coton. A la faveur d'un bond, l'œil pas acéré d'Oldie crut repérer « quelque chose de noir » au fond, dans le coin le plus éloigné, escarpé et inaccessible.

Elle alla chercher une chaise plus haute, et cela ne suffit point, car elle était petite... Il lui fallut débusquer l'escabeau trois marches pour se hisser.

Les doigts crispés au bord du bois, le nez au ras, elle tendit le cou et risqua un œil craintif.

Papillon était bien là.

Elle se dit d'abord qu'il avait trouvé la cachette parfaite : il aurait été impossible de le déloger. Oldie n'avait pas le bras long. Hélas ! Papillon pouvait attendre là tout le jour et revenir hanter son sommeil de son inquiétante noirceur erratique au vol ivre.

Puis, elle regarda mieux et un détail troublant capta son attention.

Papillon était immobile, ce qui était certes bien dans ses habitudes. Mais elle réalisa soudain avec horreur qu'il était sur le dos, les pattes crispées en l'air et que c'était bien autre chose que de l'immobilisme. Papillon figé, présentait tous les aspects de la raideur cadavérique. Papillon était mort.

 — Oh, pauvre papillon… s'apitoya-t-elle.

Il était bien temps de s'émouvoir à présent qu'il était trop tard. Et elle sentit sourdement peser sur son âme la responsabilité de son trépas.


Bien des années se sont écoulées depuis. Papillon est probablement toujours là, témoin silencieux et victime innocente de l'inimitié des Oldies contre ceux de son espèce, pourtant inoffensive. Jusqu'à quand durerait cette vendetta tragique née de la peur et de l'ignorance ?

Nul ne l'a su, nul ne le sait et, probablement, nul ne le saura jamais.


 FIN






*En effet, Oldie put vérifier le lendemain que Papillon n’était pas un vulgaire papillon de nuit, car trop grand, mais finalement un monarque aux belles couleurs qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’apprécier, vu qu’elle l’avait toujours vu par en dessous.



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