The Arizona Sins

Chapitre 1 : I. Mesa

9940 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/03/2023 09:02

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Mes pieds solidement fixés dans mes vieilles rangers délaissées percutent le carrelage au sol de ce long couloir parmis des dizaines d'autres personnes, peut-être même une centaine. Je suis comme un simple mouton, suivant le mouvement de la foule dans ce couloir qui me donne l'impression d'être un utérus menant à une nouvelle vie. Je me fais alors bousculer par un homme en costume avec un attaché-case à la main droite et son smartphone à la main gauche.

- Non mais ho! grogné-je immédiatement.

- Pardon Mademoiselle, je suis pressé, fait-il en s'éloignant en quatrième vitesse.

Merci de me faire me sentir invisible connard! J'avoue que je ne suis pas bien grande avec mon mètre cinquante deux; ni même bien grosse avec mes cinquante cinq kilogrammes toute mouillée mais quand même. Mon minishort en jean troué et ce long débardeur noir en résille laissant apparaître une brassière noire devrait me faire remarquer. Ou alors au moins mes cheveux roux descendant jusque mes épaules... Peut-être même mon sac à dos avec un immense crâne coloré, un motif de la fête des morts mexicaine, cela se remarque bordel de merde! Je vois au loin la lumière du couloir m'indiquant l'arrivée dans le terminal de l'aéroport qui se précise et putain, ça me gonfle déjà. Je n'avais pas envie de venir mais c'est bien compréhensible. Enfin, pour comprendre tout cela, il faut que je me souvienne de comment tout a commencé. Je suis née il y a seize ans et trois petites semaines à New York, la grosse pomme. Mon père Goran est avocat et ma mère Lauren était une secrétaire dans le cabinet d'avocats où ils se sont rencontrés. N'étant pas née, je n'ai bien évidemment que les versions parentales qui me donnent l'impression d'être sortie tout droit d'une putain de comédie sentimentale au rabais, le genre qui donne envie de gerber tant c'est mielleux et gnangnan. Parfait amour, joli restaurant, emménagement ensemble dans un petit appartement, fiançailles, mariage... Bon et puis bibi qui débarque en chialant comme tout bon nouveau-né qui se respecte et n'a pas beaucoup de fonctions à part chier, dormir, bouffer et chialer... Bref, une vie assez idyllique pour notre petite famille new-yorkaise. On nous invitait un peu partout et professionnellement, tout se passait parfaitement bien pour mes parents, mon père progressant de plus en plus dans la hiérarchie de son cabinet. Et puis, vint l'événement qui fit basculer leur petite vie pépère et la mienne au passage. Alors que je n'avais que six ans, ma mère eut un accident de voiture. Heureusement, elle ne fut pas trop grièvement blessée mais par contre, elle eut la jambe cassée. Malheureusement, comme notre système de santé est une grosse merde administrative sans budget, on lui donna des antidouleurs... Et malheureusement, elle s'est retrouvée comme beaucoup d'américains à devenir totalement accroc aux opiacés. Je ne le savais pas à l'époque, je n'étais encore qu'une enfant. Cependant, au fur et à mesure, ma mère a sombré dans l'addiction la plus totale à l'oxycodone ou dihydrohydroxycodéinone, un analgésique de la famille des opioïdes qui l'a transformée en épave, de ce que j'en sais. Elle n'allait plus bosser, ne faisait plus rien d'autre que se shooter et puis un jour, elle fit l'erreur qui scella le destin de notre famille. J'étais à la maison, attendant patiemment mon chocolat chaud, ma mère s'endormit tant elle était défoncée. J'ai alors voulu me servir mais du haut de mes sept ans, je n'eus comme résultat que de m'ébouillanter le haut de la cuisse gauche, dont une magnifique cicatrice prouve encore la chaleur du liquide. Ce fut la goutte d'eau, ou de chocolat chaud, qui fit déborder le vase. Mon père a demandé le divorce et ma garde exclusive comme ma mère était totalement incapable de se gérer elle-même. Il l'a naturellement obtenue cette garde et peu de temps plus tard ma mère disparut de la circulation, comme ça, pouf, le ballon qui éclate quoi... Moi, je passais mon temps à réclamer ma mère qui ne se manifestait que par des cartes d'anniversaire, quand elle y pensait. Ma vie a alors continué normalement jusqu'à mes douze ans. Ben oui, c'était logique qu'à cet âge là, j'ose enfin poser les questions qui dérangent. Et quand j'ai appris que ma mère a préféré disparaître pour se défoncer que de s'occuper du fruit de ses entrailles, je suis un peu partie en vrille. Déjà, je me suis mise à sécher la Middle School, puis j'ai essayé les pétards et la bibine. Je me suis rebellée quoi. Et je me suis peu à peu intéressée au sexe. Par un petit coup de pouce du destin, une femme appelée Stacy fit chavirer le cœur de Papa, remake de la comédie romantique à la con d'ailleurs, devenant ainsi ma belle-mère quand j'eus quatorze ans. Cela m'a calmée car Stacy est un ange descendu sur terre. En fait, elle m'a calmée sur tout et ce fut la seule à qui j'avais osé dire une petite chose. Papa connaissait David, mon petit copain. Cependant, vu qu'il avait commencé à me briser menu les ovaires parce que Monsieur crevait d'envie de tremper son biscuit, c'est-à-dire qu'il me le demandait quasiment tous les jours, je lui dit Ciao Ducon. Et puis, il y a eu Emma. C'est avec l'aide de Stacy que j'ai réussi à comprendre que j'étais bisexuelle, ce qui est normal en soit mais surtout, je n'en étais pas totalement sûre. Cependant Em, c'est le surnom d'Emma, c'est pas franchement la fille fréquentable et donc j'ai recommencé mes conneries il y a quelques mois. En plus, il a fallu que ce soit au moment où Stacy est tombée enceinte. Je ne l'ai pas fait exprès en plus, c'est arrivé comme ça mais j'étais à fond sur Emma et je voulais me la faire, alors que je suis très heureuse d'être une future grande sœur. Mais j'ai recommencé mes conneries, comme je l'ai déjà dit, et plusieures choses ont poussé mon père à bout. En troisième position, j'ai recommencé à sécher et à jouer les voleuses dans les magasins. En seconde, je me suis faite virer du lycée pendant une semaine pour m'être faite choper avec un petit joint. Déjà là, Papa commençait à vouloir me punir de plus en plus alors que cette pauvre Stacy tentait d'arrondir les angles. Avant de signifier le pompom de tout ce bordel, il faut savoir que j'ignorais un détail : la grossesse de Stacy, tardive donc, se passait assez mal et elle devait normalement éviter le stress. Faut reconnaître qu'une adolescente au comportement plutôt limite et assez cassecouilles, cela n'aide pas. Et donc pour le coup d'estoc au carnage, mon père est un jour rentré plus tôt du travail. Rien d'extraordinaire mais, comme Stacy voyait ses amies, j'avais prévu mon petit délire. Mon père, alerté encore une fois par l'odeur pas foncièrement alléchante d'un joint fumé dans ma chambre, a déboulé en colère avant d'assister à un spectacle auquel il ne s'attendait nullement, et encore moins quand on sait qu'il est légèrement conservateur. Bon... Disons que trouver sa fille nue, deux cuisses sur les épaules et la bouche très occupée à lécher le clitoris d'Emma, cela l'a achevé. Cris, engueulade, colère, spectacle sons et lumières, ce fut l'explosion. Au passage, je me suis faite jeter par Emma mais ce n'est pas le pire. En fait, ma mère a commencé à se souvenir qu'elle avait une fille dans un coin du pays et, comme elle a choisi le bon moment pour être sevrée, elle a commencé des démarches pour obtenir une garde partagée. Mon père se battait pour s'y opposer mais après tout ce bordel de compétition, il a pris une décision pour laquelle je lui en veux d'ailleurs : m'envoyer faire une essai chez ma mère. Plan à la con mais c'est ma faute. Quand je pense que depuis que la décision a été prise, j'ai vu une Stacy qui s'en voulait en plus. La pauvre est convaincue que je lui en veux, que j'en veux au bébé et que cela va briser notre lien. Et bien non, à elle, je ne lui en veux pas, et c'est bien la seule. C'est à mon père que j'en veux, m'envoyer chez ma connasse de mère qui m'a abandonnée, franchement... Et maintenant, je suis là comme une pauvre débile dans cette putain de coursive menant au terminal de l'aéroport de Mesa-Falcon Field situé sur le territoire de la ville de Mesa, dans la banlieue de Phoenix, en Arizona. Mesa forme la troisième ville de l'État, après Phoenix et Tucson. Et moi, ben, je fais la gueule. Putain l'Arizona ! C'est l'enfer pour une new-yorkaise...

L'Arizona, cela doit bien être sympa, cela je n'en doute pas mais bordel je vais crever!!! Il fait dix degrés en hiver, en température minimum, et c'est déjà monté à cinquante en juin!!! Je vais fondre... Moi, l'hiver je veux de la neige, je veux un sapin qui ressemble à un sapin, des guirlandes, pas cuire mes œufs sur une voiture !!! J'ai quand même réussi à trouver un seul et tout petit avantage... À Phoenix, juste à côté de Mesa donc, habite ma grand-mère maternelle Imogène. Je ne la connais pas beaucoup mais je l'ai souvent en Skype, pour nouer des liens. Au moins je verrai quelqu'un que je ne vois pas souvent... Mais j'ai quand même une putain d'envie de chialer ma race. J'ai chaud et en plus il y a la clim mais surtout je vais devoir vivre avec ma mère... Mais qu'est-ce que j'ai fait putain? Enfin... Je le sais... J'avance donc, toujours vers ce terminal, et j'ai envie de ralentir voir de m'arrêter et pourquoi pas de faire demi-tour. Je me demande ce que je risque si je détourne un avion... Mauvais plan. Plus trop le choix, je le vois, la lumière est de plus en plus forte et surtout, j'entends la voix dans le terminal.

- Les passagers en provenance de New York, porte trois, fait alors la voix.

Bon ben, quand faut y aller, faut y aller. Je passe enfin le sas qui me mène dans cet enfer brûlant, le soleil transperçant les grandes baies vitrées du terminal me donne l'impression d'être un burrito au micro-onde. Et merde... Ma mère est là, je la vois et puis je ne peux pas la rater. Je ne l'ai peut-être pas vue depuis au moins huit ans mais, comme sur les photos, c'est moi en plus vieille, avec un air de toxico sevrée. Elle me fixe et je la vois contente mais stressée. Elle tremble, sans doute de me retrouver, ce qui ne l'empêche pas de me faire de grands signes. Je soupire en regardant les gens contents d'arriver ces veinards. Que ce soit ces petits couples qui se retrouvent et doivent être franchement impatients de retrouver un lit, ces gosses qui hurlent "Grand-mère !!!!" comme des attardés, ces hommes et femmes d'affaires qui courent partout pour récupérer une correspondance ou même encore ces membres du personnel de bord, qui ne risquent pas de vivre un trip à la Flight Intendant ; je dois bien être la seule à tirer une tronche de dix pieds de long. J'ignore totalement ma mère pour me rendre sur ma gauche, au contrôle d'arrivée. Je fais la queue en grognant et marmonnant des tas de trucs qu'on ne dit pas dans un aéroport.

- Allez une fusillade... Une bombe... Un crash, marmonné-je. N'importe quoi pour me faire la peau et bien faire culpabiliser mon père...

C'est méchant et c'est gratuit mais putain c'est mérité ! Bon, cela fera du mal à Stacy donc j'arrête de souhaiter ces conneries. Ha enfin mon tour, j'avance donc vers le guichet et je tends un passeport et un billet. C'est un mec plutôt grand et maigre, pas franchement très alerte ni motivé par son boulot.

- Ksenya Seraikin, lit donc l'employé de l'aéroport de Mesa.

Ksenya Seraikin, c'est mon nom complet. Il m'a valu des ennuis avec des gros racistes ce patronyme mais mon père est originaire de Cluj, en Roumanie. Mes amis m'appelle Eny et c'est franchement mieux. Les autres m'appelaient la russkoff, jusqu'à que je leur fasse bouffer leurs dents. Les gens sont franchement débiles, c'est même pas russe comme nom de famille, ça se voit non? Natascha Romanova, la Veuve Noire de Marvel, ça c'est un nom russe! Pas Seraikin.

- C'est bien cela, dis-je en soupirant.

- Puis-je connaître la raison de votre visite en Amérique ? me demande l'employé en ne ratant pas l'occasion de mater mes seins au passage.

- Vous êtes débile ou quoi? demandé-je choquée. Je suis américaine, c'est écrit.

- Soyez respectueuse, me fait l'employé.

- Respectueuse de quoi? D'un crétin qui me croit sortie d'un James Bond ? insisté-je outrée.

J'entends des pas autour de moi et je sens venir les emmerdes. Bienvenue en Arizona! Ho bordel... Ha ben c'est une femme, blonde assez âgée. Elle semble moins conne au moins et déjà, elle est souriante.

- Un soucis Mademoiselle..., fait-elle en regardant vers le passeport. Serékin, je prononce bien?

- SER-AÏE-QUIN, dis-je pour donner la prononciation. Mais ce n'est pas grave.

- Quel est le problème ? demande l'employée avec politesse.

- Lui! dis-je d'un ton accusatrice. C'est un macho raciste. Il me prend pour une terroriste étrangère et me parle en matant ma poitrine.

Visiblement, l'employé n'en est pas à son premier éclat au vu du regard que lui jette sa supérieure. Au moins, ça va lui valoir des emmerdes et c'est bien fait pour sa gueule.

- Développez, fait-elle ignorant son collègue qui se plaint.

- Il ose me demander ce que je viens faire en Amérique, dis-je fière de moi. Alors que bon... Mesa c'est un aéroport intérieur. Je parie qu'il espérait une fouille au corps.

La supérieure continue de le fixer méchamment, ho que c'est bon ça. J'apprécie de plus en plus. Elle se retourne vers moi et referme mon passeport.

- Je vais juste vous demander si vous avez quelque chose à déclarer, me fait elle.

- Euh... Non, rien de particulier, dis-je en réfléchissant.

- Bienvenue en Arizona, c'est très différent de New York, me dit-elle en me rendant mon passeport.

- Ça tombe bien, je suis plutôt pâle, ça me fera du bien, dis-je sans arrière pensée. Une bonne journée Madame.

Je m'éloigne et j'achève mon coup d'éclat par un joli petit doigt d'honneur vers ce gros enfoiré de facho. Je parie qu'il est anti-avortement et homophobe aussi, crétin ! J'avance donc vers le tapis aux bagages quand je vois ma mère débarquer vers moi. Elle a l'air encore plus maigre que moi, dans son t-shirt informe et son jean délavé. Elle avance vers moi en écartant les bras et immédiatement, je recule.

- Rêve pas, lui dis-je alors.

- Désolée... Je comprends, me fait ma mère. Que tu as grandi.

- Huit ans, je n'allais pas rester petite, dis-je en me prenant mon sac.

- Tu veux de l'aide ? insiste ma mère.

- J'ai appris à me débrouiller sans toi depuis longtemps Lauren, dis-je en insistant bien sur son prénom.

Faudrait pas pousser non plus. Elle m'a abandonnée, je ne vais pas jouer la fille modèle. Elle me regarde attentivement, se rendant sans doute compte que le temps avait bien passé.

- Tu es devenue très belle Ksenya, dit-elle alors.

- Et? je lui réponds intriguée.

- Laisse moi t'admirer, me sort ma mère.

Un petit soupir et un coup d'œil au ciel et je la laisse me fixer. J'attends patiemment qu'elle finisse son petit délire à la con. Je la vois émue et j'ai envie de lui qu'elle peut chialer, je n'en ai absolument rien à foutre.

- C'est bon? On peut se barrer ? supplié-je presque.

Je me demande à quel point j'ai l'air d'une emmerdeuse mais je compte bien lui faire payer. Et j'ai mes petits plans bien pensés durant mon vol.

- Laisse moi prendre ta valise ma puce, dit-elle alors.

- Évite les surnoms du genre s'il-te-plaît, dis-je alors pour la blesser. Je ne suis ni ta puce, ni ta chérie ok?

- D'accord excuse moi, on prendra nos marques, dit-elle alors.

- Mouais, c'est ça, grommelé-je avant d'avancer vers la porte.

Putain, je suis en nage, qu'est-ce qu'il fait chaud!!! C'est dingue, le panneau indique quarante et un, je vais mourir. On avance donc vers la porte de l'aéroport et je sors mon téléphone, retirant le mode avion.

- J'ai un appel à passer, dis-je alors.

- Oui, je comprends, me fait ma mère.

Je ne vais pas appeler mon père, je suis trop vexée. Par contre, j'ai sélectionné le numéro de Stacy et je fais un appel vidéo. Elle décroche et je vois ses cheveux blonds platines attachés, elle a l'air fatiguée.

- Salut Stacy, dis-je alors.

- Salut ma puce, ton vol s'est bien passé ? demande Stacy inquiète en regardant sur le côté.

Tiens tiens, Papa est vexé que je ne l'appelle pas? Fallait pas me virer comme une malpropre avec tes idées à la con, bien que si elle avait obtenu une forme de garde, ça aurait fini pareil.

- Ouais... Tout va bien? demandé-je inquiète.

- Disons que je pense qu'il aurait fallu en discuter plus longtemps, dit alors Stacy.

- Non tu crois? dis-je en grimaçant. Au fait, j'ai perdu mon pari, elle était bien là.

Ça c'est cadeau pour faire chier ma mère. J'espère que cela la blesse quand même. Stacy me regarde sévèrement. Oups, je vais me faire engueuler.

- Eny, c'est toujours ta mère, dit alors Stacy avec calme. Je sais que tu lui en veux mais c'est vraiment l'occasion de rattraper le temps perdu. J'aurais voulu que cela se fasse autrement mais tu sais que ma grossesse est compliquée. Je ne te rejette pas parce que je suis enceinte, et j'espère que tu me crois mais il faut vraiment que tu fasses un effort.

- Je vais faire un effort... C'est quand la prochaine échographie ? dis-je pour changer de sujet.

- Après demain, je t'enverrai une photo, dit-elle en me souriant. Promets moi de mieux te comporter et d'obéir à ta mère.

- Promis, dis-je de mauvaise grâce. Et t'as pas intérêt à m'oublier.

- Évidemment que je vais y penser, dit-elle en souriant. Et puis, ce sera bien Sierra comme tu voulais.

- Cool, dis-je trop contente que ma préférence en prénom soit conservée.

- Est-ce que par hasard tu veux que je te passe ton père ? me demande alors ma belle-mère.

- Devine, marmonné-je.

- Cela veut donc dire non, concède Stacy.

- Bon, elle m'attend, alors tu fais attention à toi, bisous je t'aime, dis-je pour conclure.

- Moi aussi ma grande, tiens-toi bien! m'avertit Stacy alors que je raccroche.

Je vérifie en même temps que je n'ai pas de message et c'est bien silence radio. Emma m'a littéralement oubliée je dirai, pas de bol, je me sentais bien avec elle. Je fais ensuite un petit selfie pour poster sur Instagram et je remets mon téléphone dans ma poche. Je tourne doucement la tête vers ma gauche, découvrant ainsi la mine déconfite de ma chère génitrice. Elle ne semble pas particulièrement déconfite ou vexée, juste un peu perdue. Je la regarde fixement et elle prend ensuite la parole.

- Elle semble très gentille, me fait-elle simplement.

- Elle l'est, je peux me reposer sur elle et elle est présente, je précise à ma mère.

Et toc! Dans ta tronche. Comment pourrait-il en être autrement ? Je ne suis pas heureuse d'être là et je lui en veux beaucoup. Elle semble par contre préférer tenter d'arrondir les angles, alors elle ignore cette pique. Elle attrape un de mes bagages tandis que je prends le second et on avance en silence. Je pense que dans un monde parfait, je serai en train de l'abreuver d'histoires sur ma vie tandis qu'elle m'écouterait avec fierté. Malheureusement, même si c'était le cas, il n'y a pas grand chose dont elle serait fière. Bon sang ce que la chaleur est étouffante, et le fait d'être rousse n'aide pas, je sens que je vais me taper de sacrés coups de soleil avant de m'y faire. Et le pire dans cette chaleur, c'est quand nous arrivons devant tous les véhicules alignés parfaitement de manière parallèle sur un parking tout aussi parfaitement entretenu. Naturellement, il est un peu arboré mais vu que c'est l'Arizona, ce sont surtout d'immenses palmiers, quoi de plus normal pour un État entouré de la Californie, du Nevada et du Nouveau Mexique. Le bitume semble me renvoyer la chaleur, diaboliquement allié aux diverses carrosseries de véhicules qui attendent leurs propriétaires respectifs en me fixant comme si j'étais une victime idéale pour répercuter les ultraviolets. Ma mère me jette de temps en temps des regards, sans doute pour vérifier que je ne me suis pas tirée en courant ou encore, que je ne suis pas retournée en quatrième vitesse dans le terminal pour les supplier de me filer un billet de retour. Je pourrais dire que l'idée me traverse mais bon, maintenant que je suis là. Je la vois retirer quelque chose de son jean avec sa main droite et je vois un porte clef. Je le regarde attentivement et il y a une photo de moi bébé, enfin je présume que c'est moi, manquerait plus qu'elle ait eu un autre gosse qu'elle aurait cette fois élevé. En tout cas, si elle l'a oublié dans la voiture, il est aussi cuit qu'un rôti dans un four après deux heures thermostat six. J'entends le petit bipbip d'une voiture et je découvre son véhicule. C'est une Ford Mondeo SW Break bleue de deux mille quatorze, un vieux modèle et son état le prouve. Je ne peux pas savoir si c'est elle qui a eu des accidents ou si c'est une bagnole d'occasion mais en tout cas elle tire plus sur l'épave que sur le modèle bien entretenu. Dans les breaks, il existe deux tendances : les breaks esthétiques et les pratiques. Les premiers misent avant tout sur leurs lignes tandis que les seconds mettent en avant leur volume de chargement Certains modèles essayent d’échapper à cette classification en proposant le meilleur des deux mondes mais il faut reconnaître que bien peu y arrivent, c'est pourtant le pari que tente cette Mondeo. Si je l'y connais un peu en voiture alors que je n'ai pas encore le permis, c'est parce qu'Emma a un père concessionnaire. C'est vraiment dommage, elle avait dû être belle à sa sortie de l'usine. Là, entre la couleur usée et les griffes, les bosses et autres morceaux abîmés, elle ne l'est plus. Au moins, elle a l'air d'avoir un sacré coffre duquel ma mère s'approche d'ailleurs. Elle l'ouvre tranquillement et elle dépose ma valise. Je hisse difficilement la seconde et ma mère la replace avant de refermer le coffre. Silencieusement, j'avance vers la portière passager avant que j'ouvre et là, l'horreur. Ça pue et ça brûle, les sièges ont bien chauffé sous la chaleur. Je monte et je sens mes cuisses chauffer comme des côtelettes en posant mon cul sur le siège. Ma mère monte rapidement et je la vois attraper une boîte près de son siège. Elle l'ouvre et me tend une bouteille d'eau gazeuse.

- C'est une glacière, me dit-elle.

- J'ai senti le froid, grommelé-je immédiatement. Merci.

Enfin de l'eau fraîche... Ça fait un bien fou ces petites bulles qui pétillent sur ma langue et ça baisse ma température corporelle.

- Si tu as soif Ksenya, dis le, m'avertit Maman.

- Tu peux dire Eny, je préfère, je lui conseille alors.

Et voilà qu'elle sourit... Je préfère juste mon diminutif, te fais pas des films. Je ne compte pas me transformer en petit ange non plus. Je regarde attentivement par la fenêtre de la portière et je me mure dans le silence le plus total. Ma mère quitte doucement le parking, faisant étonnement attention à son épave à la noix. Je sais que Mesa est quand même une grande ville, je me suis renseignée, et elle a environ un demi million d'habitants. Forcément, son aéroport qui gère les lignes intérieures accueillent donc du monde, surtout quand on sait que c'est collé à Phoenix. Et forcément, embouteillage et chaleur, cela fait que c'est un petit concert de coups de klaxon outrés et colériques qui accueillent tout automobiliste un peu lent ou moins doué pour un virage. Je patiente en tapotant sur la poignée, en silence.

- Si tu veux de la musique, n'hésite pas, il y a le bluetooth, m'avertit ma mère en essayant de faire la conversation.

En silence, je sors mon smartphone et je le déverrouille en faisant glisser l'écran de veille. J'ouvre le lecteur multimédia et je me cherche un petit morceau sympa. Quelques secondes plus tard, les premières notes de "The Loneliest" du dernier album du groupe Maneskin résonnent dans l'habitacle. Je bouge la tête sous les paroles, si à propos, prononcées par la voix si particulière du chanteur.

- C'est ce groupe qui est passé chez Jimmy Fallon pour la bande originale d'Elvis? me demande ma mère.

Je hausse les épaules pour signifier que je ne sais pas, ce qui est faux vu que j'adore Maneskin, particulièrement "Supermodel" et "Gossip" du même album, "Rush". Nous quittons enfin cet enfer de métal et de pneus pour nous engouffrer sur la route de la ville de Mesa, qui entoure l'aéroport. Je regarde l'écran du GPS de la Ford Mondeo de ma mère qui m'indique que nous prenons une route appelée East Macdowell Road. Je ne sais pas qui est ce Macdowell et franchement, je m'en tape royalement. Je vois ma mère fixer attentivement chaque centimètre carré de la route bordée de palmiers. On dirait les images qu'on voit à la télévision quand il y a un reportage sur Las Vegas, mais en moins bien. Elle avance tout droit sur cette route longeant l'aéroport avant de prendre la première à gauche, sur North Greenfield Road d'après son GPS. En longeant encore l'aéroport, je me rappelle de ce que j'ai lu quand je me suis renseignée sur Mesa. C'est un ancien aéroport militaire transformé et comportant même un centre de formation pour pilote de ligne.

- Il ne fait pas trop chaud? demande ma mère en mettant son clignotant alors que nous patientons au feu rouge.

- C'est l'enfer, dis-je en réponse.

- Je comprends, je suis née ici mais j'ai eu du mal à m'y habituer quand je suis revenue, assure ma mère.

- Et t'es revenue quand? je demande alors.

- Je suis revenue chez ta grand-mère, il y a trois ans, pour me sevrer, dit-elle avec une certaine honnêteté.

- Ok, dis-je simplement quand elle tourne à droite.

On est déjà un peu plus en ville, sur Easy Mckellips Road, et je me rends compte qu'effectivement cela a l'air sympa. Les gens sont vêtus simplement et on voit qu'ils ont l'habitude, même si les enfants semblent se régaler de glaces. D'ailleurs il y a plein de vendeur de ces petits produits laitiers appétissant et je le vois bien en passant devant un parc, le Gene Aubrey Park selon le panneau à l'entrée. Je remarque alors un autre panneau indicateur qui nous stipule un Walmart au prochain croisement.

- On va prendre un petit thé glacé ou un smoothie devant le Walmart, il y a un petit indépendant très sympa, m'assure ma mère.

- C'est pas moi qui conduis, dis-je alors en regardant dehors.

- Si tu veux, j'ai des lunettes de soleil de rechange dans la boîte à gants, sers toi, me propose ma mère.

Là, je veux bien, j'y ai pas pensé comme une pauvre idiote que je suis. En fait, dans mes valises, il y a surtout des vêtements d'été, j'espère bien être de retour chez moi pour Noël. J'ouvre la boîte à gants et j'attrape une petite paire de lunettes de soleil rondes aux verres d'un joli bleu clair. Je les pose sur mon nez et c'est déjà plus agréable de regarder l'extérieur. On passa devant le Walmart et ma mère tourne à droite sur un petit parking où il y a des petits commerces. Juste entre un réparateur de smartphones et de tablettes placé à côté d'un disquaire et une friperie de style années folles, se dresse une petite boutique assez mignonne. Sa terrasse est bien occupée par des familles. Ma mère se gare et nous descendons pour nous diriger vers la vitrine. Je jette immédiatement un coup d'œil et je découvre que pour les smoothies, il y a un sacré choix.

- Tu veux lequel ? demande ma mère intriguée.

- Je vais prendre le Apache, pommes, citrons et oranges, dis-je alors.

- Tu veux un supplément de yaourt? demande ma mère.

- Mouais, je t'attends à une table, je lui précise avant de le faire.

Ma mère, je l'entends soupirer de lassitude, elle doit se dire que je ne fais pas d'effort, ce qui n'est pas vraiment faux après tout. Je pose mon cul sur une chaise et je sors mon téléphone pour chercher si Emma m'a répondu et ce n'est toujours pas le cas. Elle ne m'a quand même ghosté? Si c'est le cas, c'est vraiment une garce. J'étais folle d'elle moi... Visiblement je ne devais être qu'une langue de plus pour elle... Dégoûtée.

- Maman, ze t'aime, fait alors une voix à ma gauche.

Je tourne doucement la tête, quittant mon écran définitivement muet, pour découvrir une petite de fille de six ans maximum tendant une fleur à sa mère qui la prend dans ses bras pour la remercier. Moi aussi j'avais quelques souvenirs comme ça mais depuis, ils sont remplacés par des souvenirs de moi, seule avec mon père et assis dans Central Park. Mon père a des cernes monstrueuses et essaye de me sourire pendant que je dévore un hot-dog typiquement local avant de demander quand revient ma mère. J'en ai des dizaines des comme ça, beaucoup dans mon enfance mais quoi de plus normal. Tour à coup, une petite assiette se pose sur la table avec des cookies posés dessus, ainsi que deux verres.

- T'étais aussi mignonne, dit alors ma mère en s'asseyant.

- Puis, ce sont les comprimés que t'as trouvé plus mignons, grommelé-je en réponse.

Ma mère l'a senti passer celle-là, ça se voit mais en même temps comment ça pourrait en être autrement. Elle était où ma mère quand j'en avais besoin ? Où était-elle quand je faisais des cauchemars? Quand j'avais de la fièvre ? Quand j'avais peur? Quand je suis allée dans les écoles ? Quand j'ai eu mes règles et que j'ai hurlé en panique parce que je croyais mourir? Quand j'ai eu l'appendicite ? Quand j'ai embrassé mon premier garçon ? Ma première fille? Quand j'ai compris que j'étais bisexuelle ? Ou comme là, quand Emma m'a larguée comme une merde? La réponse est toute simple: ailleurs ! Je ne peux pas lui pardonner ça même si je ne suis pas un monstre, je sais que la faute originelle revient aux médecins qui prescrivent de l'oxycodone qui est extrêmement addictive comme antidouleurs. Mais elle n'était pas obligée pour autant de simplement disparaître. Je reste sa fille putain!

- Je voudrais te donner quelque chose, me fait alors ma mère.

Je bois une gorgée du smoothie qui est absolument délicieux, si j'ai l'occasion, je reviendrai en boire d'autres. Je ne réponds pas et elle semble prendre cela pour un accord tacite. Dois-je lui dire que je n'en ai absolument rien à foutre de ce qu'elle veut me filer? J'attends patiemment qu'elle sorte un truc de sa poche et elle pose alors une espèce de pièce bizarre entre nous.

- Tiens, me fait elle.

- C'est quoi cette merde? dis-je en la prenant.

Elle est ronde et rouge, arborant le chiffre deux en bien grand. Je ne suis pas débile, je sais parfaitement ce que c'est. Une médaille de sevrage, de deux ans de sevrage visiblement. Je la regarde et elle semble fière d'elle avant de me répondre.

- C'est la médaille de mes deux ans de sevrage, je veux te la donner car c'est pour toi que j'ai réussi, me fait ma mère.

- Et cette médaille compense les années où tu préférais te défoncer la tronche que de t'occuper de ta fille ? dis-je en la posant.

- Eny..., marmonne ma mère visiblement vexée.

- Pas besoin de parler ok ? ajouté-je énervée.

J'en ai marre, je veux juste que ma journée finisse, comme mon année d'ailleurs et que je retourne avec Stacy. Je veux être une grande sœur pour ma demi-sœur, que sa mère va aimer sans aucun doute plus que ma mère ne m'a aimée. Elle croit franchement que je vais sauter de joie en regardant sa putain de pièce commémorative de merde? Qu'elle se la mette dans le cul sa pièce ! Comme si ça pouvait remplacer toutes ces années où je devais dire que je n'avais plus de mère parce qu'elle m'a abandonnée. Elle ne s'est demandée pas à quel point c'est horrible d'être un gosse de nos jours, les autres passaient leur temps à se foutre de ma gueule, moi la rejetée. Je me souviens quand j'allais chez mes copines pour des soirées pyjamas et que je découvrais des mères aimantes et attentionnées qui étaient aux petits soins pour leurs filles et avaient cuisiné pour leurs amies. Quand moi j'en faisais, mon père se contentait de commander des pizzas parce qu'il était crevé de son boulot, c'était gênant. Elle ne peut pas savoir à quel point c'est horrible d'acheter son premier soutien-gorge avec un père, il était tout gêné et ce fut pire quand il dut m'acheter mes premières serviettes hygiéniques. Je devais demander aux filles autour de moi dès que j'en avais besoin ou à leurs mères. Les gens me prenaient en pitié, la pauvre petite gosse abandonnée par sa mère toxicomane... Je lui en veux, elle ne peut pas savoir à quel point. Je la vois me laisser des cookies et réprimer des larmes. Elle peut chialer, ce ne sera sans doute pas autant que j'ai pû le faire. Je préfère regarder les gens autour de moi et ainsi, je peux me murer dans le silence pendant un bon quart d'heure. J'observe les gens qui ont une vie visiblement géniale. C'est comme ce groupe de jeunes qui se prépare à entrer. Ils ont l'air de s'éclater durant leurs vacances eux. Ils s'éclatent ça se voit. Je remarque quand même qu'il y a une fille au milieu de la bande constituée de deux filles et quatre garçons mais elle, elle agit comme une reine des abeilles au milieu de sa ruche. C'est elle qui indique qu'ils vont entrer, prenant sa décision. Elle est plutôt canon avec son pantalon en cuir qui lui fait une sacrée silhouette et son t-shirt blanc moule une jolie poitrine. Si Emma m'envoie chier, autant que je fasse des rencontres. J'aimerais bien foncer et lui dire un truc cool mais c'est pas le moment, je suis trop en colère. Cependant, elle aussi observe son environnement, comme si il pouvait être dangereux. Nos regards se croisent et direct, elle me sourit. Je réponds de la même manière et elle me fait un clin d'œil avant de limite ordonner à un des mecs d'ouvrir la porte. Du genre à pas se faire emmerder... Mon genre en bref. Finalement, je crois que je vais me trouver des occupations dans le coin, autant que ce soit agréable.

- C'est lequel qui t'a tapé dans l'oeil ? demande soudain ma mère attirant mon regard.

- Hein? dis-je surprise.

- J'ai eu ton âge, assure ma mère. Alors c'était le grand blond ou le petit plus musclé avec le bandana?

Je la regarde légèrement intriguée. Visiblement, elle ne sait pas forcément certaines choses. Je peux peut-être la faire chier là-dessus.

- La blonde en t-shirt blanc et pantalon de cuir, je lui répond en buvant une gorgée avec une certaine malice dans le regard.

- La bl..., fait-elle totalement choquée en regardant vers la porte. Excuse moi je ne savais pas.

- Papa t'a pas dit la raison pour laquelle il m'a virée à coup de pieds au cul? je demande immédiatement.

- Il ne t'a pas virée, je voulais essayer de... De renouer contact, précise ma mère. Et il m'a juste dit qu'il t'avait surprise... En plein acte. J'ignorais que c'était avec une fille.

- Cela aurait pû être avec un mec, je lui assure alors sans hésitation.

Ma mère me fixe complètement ébahie de l'information. Visiblement mon cher père n'a pas estimé nécessaire de la prévenir de tout... Ou alors c'est pour que l'on fasse connaissance.

- Je suis bisexuelle, j'ajoute alors pour être bien claire.

- Ho... D'accord, fait alors ma mère qui se prend l'information de plein fouet et visiblement elle cherche quoi dire d'autre. Et euh... Tu n'es pas obligée de répondre vu que nous nous retrouvons à peine mais tu es toujours...

Je la regarde en buvant mon smoothie doucement, le sirotant un peu bruyamment en souriant avec mesquineries. Ma mère a clairement envie de savoir si je suis toujours une petite fille. J'hésite à la réponse à donner mais je sais quoi dire.

- Vierge ? dis-je sèchement. Techniquement oui.

- Techniquement ? s'étonne ma mère. Je suis pas très au fait de ces... orientations là mais techniquement... Cela veut dire quoi exactement ?

- Disons qu'avec mon ex c'était plutôt cunnilingus et caresses de clito, donc on ne m'a toujours pas fait péter la cerise mais j'ai donc déjà eu des relations sexuelles, dis-je en prenant un morceau de cookie avec un regard profondément amusé de sa stupeur.

Je remarque surtout que quelqu'un m'observe pas loin et je tourne la tête vers la mère de la petite fille de tout à l'heure. Elle me fixe choquée et horrifiée du propos que j'ai pû tenir. Je vérifie où se trouve la petite et sa mère la tient attentivement en bouchant ses oreilles.

- Faut l'éduquer Madame, comme ça les discriminations cesseront, dis-je mesquin.

- C'est honteux ! s'énerve la dame en s'éloignant. Vous devriez avoir honte de votre fille !

- Elle s'en branle !!! De sa fille!!! je réponds alors. Putain de réacs à la con.

Je me réinstalle confortablement et je vois la mine déconfite de ma mère, elle va quand même pas chialer non? J'en ai marre.

- Je t'attends près de ta voiture, grommelé-je en me levant brusquement.

Je rejoins tranquillement sa voiture sur le parking et j'attends. Ma mère ne met pas plus de deux minutes pour me rejoindre et elle la déverrouille me permettant de monter. J'attache ma ceinture et je la vois faire de même avec hésitation. Elle me regarde soudainement avec une certaine gêne. Elle va pas poser la question stupide de "depuis quand tu es bi?", je hais cette question. Est-ce qu'on demande à un hétéro depuis quand il le sait? Ben non car pour beaucoup c'est logique.

- Stacy t'a soutenue quand tu as compris que tu étais attirée par les deux sexes? demande ma mère soudainement.

- Évidemment, qu'est-ce que tu crois ? je demande outrée.

- Je voulais juste être sûre et te dire que moi, je n'ai pas de soucis de... là-dessus, assure ma mère.

- Ouais je sais, c'est ce que tout le monde dit, marmonné-je ensuite.

Ma mère soupire et démarre, quittant le parking où nous nous trouvons pour descendre sur South Lindsay Road. Je regarde les gens vaquer à leurs occupations, préférant me la boucler pour changer. Ma mère roule doucement et je me demande si c'est parce que je suis là ou pas. Nous passons l'intersection avec East Brown Road, selon le GPS, quand ma mère ouvre à nouveau la bouche.

- Et tu es toujours avec cette fille ? demande ma mère essayant de s'intéresser à moi.

- Emma? dis-je étonnée. Non, je crois qu'elle a pris peur ou que je n'étais qu'une fille de plus.

- Je suis désolée, dit-elle alors. Je sais que tu dois t'en moquer mais je suis triste pour toi.

- C'est gentil, dis-je en haussant les épaules et fixant l'extérieur.

- Si tu veux en...

- Non, je me sens pas assez proche de toi pour te parler de ma vie privée et de mes sentiments, je t'ai juste prévenue de certaines choses pour que tu sois au courant, dis-je en préférant couper court à toutes ses conneries.

Nous arrivons à un autre croisement, celui avec East University Drive où je suppose que doit se trouver une université, ce serait logique. Alors que nous arrivons au croisement suivant, ma mère met son clignotant pour prendre à droite sur East Broadway Road.

- On arrive bientôt, m'assure ma mère en mettant son clignotant gauche.

Nous tournons donc sur la South Twenty-fourth Street, une jolie rue avec des maisons individuelles et des petits jardins. C'est dingue comment toutes ces maisons se ressemblent, sans doute un promoteur immobilier. Bon en même temps Mesa fait surtout ville dortoir pour Phoenix vu que c'est principalement une banlieue résidentielle.

- Ton école est à droite après le prochain croisement, me fait alors ma mère.

- C'est loin à pieds? je demande par intérêt.

- Tu devrais y être en une demi-heure maximum, m'assure ma mère. Évidemment, si tu veux que je t'y dépose les matins, ce sera assez tôt car je commence à huit heures trente à la banque de Phoenix.

- J'irai à pieds, je confirme consternée.

- Tu veux que je change mes horaires, je devrais pouvoir, ils sont satisfaits de mon travail, dit-elle alors désireuse sans doute de me faire plaisir.

- Non c'est bon, je vais me démerder, dis-je alors.

- Tu auras tout le temps de t'installer ce soir et demain, après j'aurai quelques jours, on pourra rattraper le temps perdu, me signale ma mère.

- Lauren, on rattrapera jamais le temps perdu tu sais ? dis-je sans méchanceté. Huit ans.

- Je sais, fait-elle tristement en ralentissant.

On arrive vers une maison identique à beaucoup d'autres, avec son petit jardin avant délimité par une barrière blanche. Sa boîte aux lettres indique Lasher, son nom de jeune de fille et semble sortie tout droit de Desperate Housewifes avec sa forme de maison. Je remarque aussi que la maison est toute blanche, comme ses voisines, et qu'il y a une allée pour garer sa voiture devant un petit garage. On dirait qu'il y a un étage aussi. Je regarde tout le voisinage pendant qu'elle se gare et c'est vraiment un quartier familial, il y a des breaks et des SUV dans tous les coins. Il n'y a que devant le garage de la maison face à la sienne qu'une voiture sort du lot. Je m'attendais pas à trouver cela dans un quartier si middle-class mais c'est bien une Cadillac CTCinq de deux mille vingt et plus précisément le modèle Série V, une berline quatre portes rouge de luxe, le genre de caisse qui coûte cinquante mille dollars au bas mot. Je me demande bien quel boulot font les gens qui habitent cette maison, les Riley, selon la boîte aux lettres, et pourquoi ils s'emmerdent dans un quartier si moyen alors qu'il y a des quartiers luxueux à Mesa, je le sais, j'ai vu qu'il y a avait même un parcours de golf et des hôtels bien classes. Ma mère s'enfonce sur son allée et je vois quelqu'un se dresser sur son perron. Je me demandais en arrivant si elle avait un mec dans sa vie mais je n'aurais pas tout de suite ma réponse. Et ouais, c'est juste Imogène, ma grand-mère. Je dois bien reconnaître que je sais à quoi je vais ressembler en vieillissant. À ma mère dans la quarantaine et à ma grand-mère dans la soixantaine. Je pourrais clairement faire des montages avant-après avec leurs photos, c'est dingue. Ma grand-mère s'avance déjà vers la voiture en me souriant. Je la voyais assez rarement sauf en visio, deux ou trois fois depuis la séparation de mes parents. Je sais qu'elle tient un petit magasin à Mesa, le genre de boutique hippie qui vend des trucs bizarres à base de plantes, pas du cannabis évidemment mais plutôt plantes médicinales. Grand-mère est veuve depuis longtemps en fait, Grand-père est décédé lors de l'opération tempête du désert, la première guerre du Golfe. J'ouvre ma portière et je descends.

- Bonjour Mamy! dis-je alors en la saluant.

J'avance vers elle pour la serrer dans mes bras et elle est presque en train de chialer. Je ne vais pas critiquer, elle est vieille et on ne se voit pas entier.

- Alors ma petite Ksenya, comment tu trouves Mesa? demande ma grand-mère sans tourner en rond.

- Chaud, grommelé-je en réponse. Sinon c'est propre...

- Tu sais que je ne vais pas mourir demain? me demande ma grand-mère.

- Euh... Pourquoi tu me dis ça ? je demande surprise.

- Tu peux faire des phrases entières, assure ma grand-mère.

J'entends ma mère ouvrir le coffre et je vais chercher mes valises. Je descends mon bordel et je me dirige vers la maison en silence. J'ai pas envie d'être là, ça doit clairement se voir en plus. Je traine mes valises et ma mère se presse d'ouvrir la porte.

- Bienvenue, me fait ma mère en me souriant.

J'entre donc dans sa maison, ma nouvelle prison. Un tout petit hall qui ne paye pas de mine et avec un escalier extrêmement simple m'accueille. Je tourne la tête vers la très large porte qui me dévoile un salon ouvrant sur une grande salle à manger et une cuisine ouverte. Je remarque qu'il y a une porte à ma gauche et elle doit mener au garage.

- Vas-y découvre, me fait ma mère.

J'entre de mauvaise grâce dans ce salon et je découvre des photos, seules décorations de la pièce. Je vois clairement que ma mère veut me montrer qu'elle a plein de photos de moi, même après qu'elle soit partie. Je comprends que c'est grand-mère qui les lui a données. Je commence à enrager en fait, comment elle croit me toucher avec ça ? Cela symbolise juste qu'elle m'a abandonnée quand j'avais besoin d'elle.

- J'ai acheté cette maison récemment, m'avoue ma mère en posant sa main sur mon épaule. Depuis que j'espère t'accueillir.

Je bouge immédiatement l'épaule et je la regarde fixement provoquant chez elle un sursaut de stupeur. Je veux lui cracher ma rage à la figure, lui exprimer ma haine, lui dire que je n'en ai plus rien à foutre d'elle mais je vois derrière son épaule le regard inquiet de ma grand-mère. Je ferme les yeux en inspirant profondément et je demande alors:

- Où est ma chambre ?

- La porte à droite après l'escalier, me fait ma mère en montrant l'étage. Elle donne sur la rue mais elle est très calme.

- Ok, dis-je en m'engageant dans l'escalier.

- Je ne l'ai pas décorée, me fait ma mère d'en bas.

- Ça sert à rien, dès que je peux je me casse d'ici, dis-je en montant les marches.

Je préférai être dans un centre de correction ou même un de ces camps stupides censé me rendre hétéro comme dans le film Come as you are avec Chloé Grace Moretz qu'être à cet endroit. Pourtant je n'ai pas le choix, je traine nerveusement ma valise et passe une porte. Je découvre donc une chambre blanche, sans décoration, avec simplement un grand lit. Je lâche ma première valise et je fais trois pas avant de lâcher la seconde prête à exploser de colère. J'approche de la fenêtre et effectivement, il n'y a pas de bruit. Je jette vite fait un coup d'œil et je vois juste un vieux promener son chien. Je regarde vers la maison où il y a une Cadillac et je remarque un peu de vie par la fenêtre de l'étage, visiblement une petite blondinette montre des fringues à quelqu'un allongé sur le lit. Au moins, il y en a qui ne se font pas autant chier que moi. Je regarde la pièce et ma mère a songé à m'installer un petit bureau avec un miroir. Je décide donc de m'occuper un peu de mes bagages et pour ce faire, mes rangers finissent balancées contre un mur. Je repère un placard et je l'ouvre avant d'ouvrir ma première valise. Je sors mes fringues rageusement, posant celles-ci dans le placard sans ordre ni même logique.

- Putain, grommelé-je en le faisant. Mais qu'est-ce que je fous ici?

Je retourne vers ma valise et elle est presque vide, reste uniquement des paires de pompes qui finissent sous le lit, toujours dans la valise donc. J'attrape la seconde et elle contient plus d'affaires personnelles. Je sors des photos de Papa, Stacy et moi que j'installe bien soigneusement sur le bureau et ma table basse, ainsi qu'une photo de la première échographie de ma petite sœur que je garde soigneusement. Je sors aussi ma tablette Windows que je pose sur le bureau accompagnée de ses câbles divers et variés et d'un disque dur externe. Je range deux ou trois fournitures scolaires, conseillées par Stacy pour ma rentrée, principalement dans les tiroirs. Penchée comme cela, je sens alors un courant d'air sur ma nuque et je me fige. C'est bizarre comme sensation, on dirait presque un souffle. Je me redresse lentement, écoutant au cas où ma mère n'ait débarqué dans ma chambre mais non. Mes yeux passent alors sur le miroir et je suis choquée. Je me retourne vivement pour fixer le mur mais il n'y a rien. Je regarde encore le miroir et je soupire.

- Putain de chaleur, ça me file plus d'hallucinations qu'un pétard, marmonné-je blasée.

J'ai franchement dû rêver, c'est le mélange de la chaleur et la fatigue. Ça me fait même sourire d'avoir vu un truc. Quand je me suis relevée après le courant d'air, il y avait un truc dans ce miroir, un étrange symbole sur le mur. C'était comme deux tridents pointant chacun dans des directions différentes, l'un vers le haut et l'autre vers le bas, d'une étrange couleur marron. Au final, y a rien sur le mur, il est juste blanc. C'est peut-être aussi parce qu'entre la chaleur et le manque de nourriture, je n'ai rien mangé aujourd'hui à part ces cookies, je dois flancher un peu. Je devrais peut-être demander de la bouffe à Lauren. Je décide donc de descendre et comme je suis pieds nus, je suis très discrète. Au milieu de l'escalier, j'entends ma mère discuter avec ma grand-mère.

- Elle me déteste Maman, fait ma mère.

- Écoute... Après tout ce temps, elle doit trouver ses marques, lui explique ma grand-mère.

Ho non, je n'en ai pas besoin, je lui en veux bien plus qu'elle ne le croit encore. Je décide de céder à ma curiosité.

- Dès qu'elle dit quelque chose, c'est pour me rappeler que je l'ai laissée avec Goran, marmonne ma mère.

- Je sais... Tu avais des problèmes, lui assure sa propre mère.

- Peut-être mais je n'aurai pas dû partir à la Nouvelle Orléans, dit alors ma mère.

Ha ben c'est cool, Madame est partie faire la fête à mort pendant que je pleurais parce qu'elle n'était plus là. C'est encore mieux !

- Tu étais obligée malgré ton état et tu le sais, c'était forcé, précise ma grand-mère.

- Tu parles... Je l'ai laissée avec son père, c'était une enfant. Aujourd'hui c'est une adolescente...

- Tu penses ne pas y arriver ? demanda ma grand-mère visiblement étonnée.

- Je dois y arriver, je n'ai pas le choix... Mais elle est si indépendante, si forte... J'ai peur que tout ça ne la perturbe, dit alors ma mère.

Ho... Comme si être déracinée et éloignée des gens qui m'aiment pourrait me perturber... Elle ne pouvait pas y penser avant? Au moins cela aurait évité ce bordel.

- Elle en sera perturbée évidemment, avoue ma grand-mère franchement lucide. Tu l'as été également à l'époque.

Hein? De quoi elles parlent? Ce n'est pas de ma venue au final? Ou j'ai mal entendu, c'est peut-être cela.

- Je veux qu'elle se sente bien avec moi, fait alors ma mère franchement trop positive à mon goût. Je veux qu'elle se rende compte que j'étais obligée de m'éloigner pour son bien.

- Tu vas y arriver, il vaut mieux se préparer et ici, elle sera à sa place, assure ma grand-mère.

- Tu sais... Depuis que j'ai engagé la procédure pour l'avoir après l'avoir littéralement abandonnée... Je me suis demandée si ce n'était pas une erreur... Je crois qu'elle aurait préféré que j'y reste d'une overdose, fait alors ma mère.

- Arrête, ne dis pas ça, elle t'en veut mais pas à ce point, lui fait ma grand-mère.

- Tu crois? fait ma mère vexée. C'est la nouvelle femme de Goran qui était là pour elle quand il fallait, moi je planais dans mon coin, avec l'oxycodone et... Bref... Pour elle, c'est peut-être cette femme qui est plus proche d'une mère que moi, j'aurais dû... J'aurais dû me foutre en l'air quand j'étais à la Nouvelle Orléans...

Je me fige en entendant cela et un sanglot provenant de ma mère. Elle a donc songé au suicide pendant qu'elle était accroc. Ça fait bizarre à entendre ça... Je crois que je vais rester sage pour la soirée... Et puis je suis crevée alors, je descends l'escalier.

- Lauren? j'appelle doucement.

- Oui Eny? fait ma mère en apparaissant dans le hall avec les yeux empourprés.

- Désolée de déranger mais... Tu aurais un truc à manger? je demande poliment.

- Oui, bien sûr... Y a des ramens, des steaks hachés, des macaronis au fromage, on peut commander pizza... Tu n'es pas végétarienne ? demande ma mère à pleine vitesse.

- Ho doucement..., grommelé-je lassée. Tu me donnes la migraine...

- Désolée, s'excuse ma mère.

- Tu as des crudités, il crève de chaud? marmonnai-je alors.

- Oui, une salade c'est sympa, fait-elle rapidement.

Je vois ma mère filer rapidement dans la cuisine comme si je pouvais changer d'avis dans deux secondes. Je finis par m'installer à table en attendant patiemment et les conversations continuent entre ma mère et ma grand-mère.

- Au fait Eny, m'alerte Maman. Demain après le travail, j'ai invité ma meilleure amie et ses enfants à venir, comme ça tu rencontreras des gens de ton âge.

- Ha ok, dis-je sans conviction.

- Je... Ils vont dans ton futur lycée, fait ma mère.

- Ok, dis-je encore.

- Bon..., fait-elle blessée. Tu aimes la vinaigrette à l'ail ?

Je la regarde surprise qu'elle sache cela, et surtout je me demande où elle a été chercher cette information. Elle m'a demandée en amie sur les réseaux sociaux sans que je ne le sache ? Papa fait des rapports ? Grand-mère ?

- Oui, j'adore ça même..., dis-je méfiante.

- Exactement comme moi, fait-elle fièrement.

Elle vient de me gâcher mon repas, je n'ai pas envie qu'elle soit contente... Et bon sang pourquoi il fait aussi chaud ? Je déteste l'Arizona, sa chaleur et Mesa, ce bled pourri où il doit jamais rien se passer d'intéressant !!!


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