The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 34 : ooOoo Silence ooOoo

7108 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/12/2023 23:40

ooOoo Silence ooOoo

 

Ce matin-là, Matthieu trouvait le temps long. Artus ne faisait pas de grasses matinées aussi prolongées, même en sa compagnie les jours de repos. La veille, le chanteur se sentait migraineux, il était donc parti dormir seul dans sa chambre, pour se reposer. Assis en tailleur sur son immense canapé, son ordinateur portable sur les genoux, Matt était en train de checker ses emails. La tâche était vite remplie, il ne parlait qu’à son agent, sa directrice artistique, son chargé de communication et sa comptable. Ensuite, ces quatre piliers prenaient le relai avec tout le reste de l’empire – et usine à gaz – des Dark Love.

 

Sur un autre canal privé, il communiquait avec Scott et quelques copains ou copines musiciens triés sur le volet, du style Jessica ou William MacAllister, alias Bill l’ancien guitariste et saxophoniste des Irish Japanese. En voyant l’heure en bas de son écran, Matt jeta machinalement un coup d’œil sur son téléphone. Plutôt que de partir à la recherche de sa moitié dans leur gigantesque maison, il pianota sur les touches tactiles :

 

[Qu’est-ce que tu fous ?]

 

Avant d’envoyer le message à Artus.

 

Ania faisait des va-et-vient dans le salon depuis quasiment vingt minutes. Fidèle au poste, elle continuait de gérer les affaires domestiques de Matthieu et, depuis treize ans, celles d’Artus également. Matt l’interpella alors qu’elle déposait son courrier postal pré-trié par ses soins sur le coussin à côté de lui.              

 

— Ania, tu as vu Artus ce matin ?

— Non Matt, je t…

— À l’aide !

 

Le cri de la femme de ménage déchira les tympans d’Ania et Matthieu. Le musicien bazarda l’ordinateur sans aucune précaution et ils partirent en courant, suivant la direction des pleurs saccadés. Ils trouvèrent la quinquagénaire appuyée contre le montant de la porte de la chambre d’Artus. Une sueur froide parcourut l’échine de Matt. Instinctivement, il avait compris.

 

— C’est Mons… Monsieur Artus, il…

 

Matthieu bouscula si violemment la femme de ménage qu’il la fit tomber par terre dans le couloir. Il se rua dans la chambre et se figea un instant. Son cœur lui parut s’arrêter plusieurs secondes quand il vit son meilleur ami étendu par terre dans une position anormale, comme un pantin désarticulé.

 

— ARTUS !!!

 

Matthieu hurla à s’en briser la voix. Il se jeta au sol près de son partenaire évanoui. Il ne savait pas quoi faire, il n’avait jamais été aussi paniqué de toute sa vie. Il caressait le visage, froid et figé, du chanteur, de manière frénétique, s’agrippant à son pyjama et triturant le tissu comme un dément.

 

— Artus réponds moi ! Putain Artus ! Réveille-toi ! Steuplaît Artus, mon Artus, mon amour, réveille-toi ! Artus !

 

Quand les secouristes débarquèrent, il leur fallut s’y mettre à deux, avec l’aide de Corentin, arrivé entre temps, pour éloigner Matt du corps inerte d’Artus, afin que leur troisième collègue puisse examiner le malade. Matthieu n’était plus apte à analyser quoi que ce soit, il était devenu incapable de percevoir les regards de plomb qu’échangeaient les urgentistes tandis qu’ils hissaient Artus sur un brancard, avec un masque à oxygène sur la bouche. Ils savaient qu’ils étaient arrivés trop tard, il ne s’en sortirait pas. Corentin et Ania, eux, avaient bien anticipé le tragique dénouement. La gouvernante peinait à réduire ses pleurs. Coco devait s’appuyer contre la table pour que ses mains arrêtent de trembler et parvenir à envoyer un message à Cyk. Il n’avait pas le courage de l’appeler.

 

Une fois arrivé à l’hôpital, Artus n’était plus qu’un légume. Son pouls cessa définitivement de battre à 12H53.

 

Le médecin passa la porte battante qui séparait son service de la salle d’attente des urgences. Il était plus chamboulé que d’habitude. Ce n’était jamais plaisant d’annoncer un décès, mais là, il avait reconnu Artus Borg, le chanteur des Dark Love. Sa femme et ses enfants étaient fans. Il devinait aussi que les journalistes allaient débarquer en meute dans son hôpital. La journée s’annonçait très compliquée et lugubre pour tout le monde.

 

— Messieurs, je suis navré. Votre ami est décédé.

 

Un long gémissement plaintif et animal s’éleva lentement de la gorge de Matt avant qu’il ne se mette à crier et à pleurer en tirant sur ses cheveux, recroquevillé sur lui-même. Cyril vint poser une main sur la clavicule droite de Matthieu et Corentin prit son épaule libre. Ce n’était pas du réconfort, plutôt de la pitié. Ils étaient bien conscients que rien, absolument rien, ne pouvait consoler ne serait-ce qu’un tout petit peu leur leader. Tout son univers gravitait autour d’Artus, son travail comme sa vie privée, et cet univers venait de s’écrouler en quelques heures. Ce n’était pas le néant, mais ce n’en était pas loin.

 

— Je vais demander à notre psychologue de venir vous voir… Je vous présente toutes mes condoléances.

— Merci, marmonna Cyk, quand Matt releva brusquement la tête.

— On aurait pu le sauver ? balbutia-t-il.

— Je vous demande pardon ?

— Si j’avais été avec lui pendant son accident, vous auriez pu le sauver ?

— Peut-être, il aurait eu une chance de s’en sortir, mais rien n’est certain.

— O… Ok.

— Encore une fois, toutes mes condoléances monsieur Paris.

 

L’urgentiste laissa les trois survivants des Dark Love seuls. Matt se remit à pleurer, la main sur les yeux. À partir de cet instant, il commença à ressasser en boucle le fait qu’il n’était pas avec Artus. Ils étaient inséparables depuis l’adolescence, mais dans sa villa de six cent mètres carré, vaste comme un dédale, il l’avait perdu de vue au mauvais moment. Ils dormaient presque toujours ensemble depuis treize années, quatre-vingt à quatre-vingt-dix pourcents du temps, qu’ils soient chez eux, en vacances ou en tournée, mais cette nuit-là non, et c’était la mauvaise nuit. Son meilleur ami, l’amour de sa vie, avait eu besoin de lui et il n’avait pas été là. Pourquoi ? La migraine. C’était ça. Quelle erreur ! Il aurait dû être plus attentif, il aurait dû se méfier. Il aurait dû reconnaître les signes d’alerte, il aurait dû se souvenir de ce qu'on leur avait dit sur la mort brutale de ce con d'Eliaz. Il aurait dû rester près d’Artus au lieu de le laisser s’isoler, il aurait dû l’obliger à appeler le médecin de garde… Non, il aurait dû l’appeler à sa place. Il aurait dû prendre la voiture en pleine nuit, alors qu’il ne conduisait plus jamais, et l’emmener lui-même à l’hôpital.

 

Quelles avaient été ses dernières pensées ? Est-ce qu’il l’avait appelé ? Sans doute avait-il espéré le voir surgir, soit pour le sauver, soit pour un adieu. Leurs devises de gamins le hantaient. « Si tu dérapes, je te rattrape, si je dérape, tu me rattrapes », « pour le meilleur et pour le pire », « à la vie, à la mort »… Il ne l’avait pas rattrapé, le pire était arrivé et Artus était mort, tout seul.

 

Les larmes coulaient sans s’arrêter. Matthieu commença à se balancer d’avant en arrière sur son siège. Il lâchait prise, complètement.

 

— Coco ?

 

Corentin se retourna en entendant Cyril l’appeler. Il lui fit signe de s’approcher pour lui parler à voix basse, à l’oreille.

 

— On ne doit pas le laisser seul. Préviens ta famille, il va falloir qu’on se relaye pour rester chez lui.

— Ok, on fait comme ça.

 

Corentin s’isola pour appeler Mathilde, et Cyk prit le premier tour de garde, en quelques sortes. Il raccompagna Matthieu à son domicile. Ania et quelques autres employés étaient là, les yeux rougis et encore sous le choc. Corentin les avait appelés eux aussi.

 

— Matthieu, nous sommes tous tellement navrés… dit Ania en s’étouffant dans un sanglot.

— Rentre chez toi, Ania. Rentrez chez vous tous. J’ai besoin d’être seul… marmonna Matthieu avec difficulté.

 

Il passa au milieu de ses salariés, tel un spectre, et se traina jusqu’à la chambre d’Artus. Son regard s’embua en passant près de l’endroit où il s’était effondré. Cyril le suivit de loin dans le couloir. Il l’observa depuis la porte ouverte en train de farfouiller dans le dressing d’Artus. Il en ressortit les bras chargés de ses vêtements. Sans lui accorder la moindre attention, Matthieu quitta la pièce et pénétra dans une chambre d’ami au bout du couloir. Il posa son fatras sur le lit, avant d’allumer à distance la chaine hifi. Cyk l’avait talonné. Matt ne le regardait pas, toutefois il avait perçu sa présence.

 

— Laisse-moi, ordonna Matthieu.

 

Son ami bassiste hésita. Il le regarda de dos pendant un long moment avant de se décider à reculer vers la porte.

 

— Je reste dans la chambre d’à côté, d’accord ? N’hésite pas à…

— Laisse-moi.

 

Cyk sortit et referma doucement la porte derrière lui.

 

La première chose qu’avait faite Matt en rentrant chez lui fut de remettre la musique sur les enceintes connectées. La voix d’Artus tournait en boucle dans la maison, toute la journée et toute la nuit… Il ne mettait plus le pied dans sa chambre, ni dans celle d’Artus. Il passa des jours entiers dans la même pièce, allongé au milieu des vêtements de son partenaire, sans bouger, sans manger, sans se laver et en dormant à peine, alternant entre phases de pleurs et silences sourds. Les pires crises de larmes venaient sur la version originale de « Alter ego» et sur « Jukebox ».

 

Ils avaient pris l’habitude de jouer « Jukebox » en duo à la fin de chaque concert, souvent après que la foule ait scandé « Une autre ! Une autre ! », et pendant qu’en coulisses leur staff commençait discrètement à remballer le matériel. C’était toujours un moment d’émotion intense pour leurs fans et pour eux. C’était la seule chanson qu’ils avaient véritablement écrit ensemble, elle était chargée de tout l’amour mutuel qu’ils se portaient.

 

Cyril et Corentin avaient du mal à reconnaître leur ami. Matthieu était quelqu’un de posé et de décontracté en temps normal. Depuis toutes ces années, ils avaient compris que ce n’était qu’une façade, que Matt était beaucoup moins calme et cool qu’il n’en donnait l’air, mais globalement, il restait quelqu’un de très solide et de serein. Il avait toujours le sourire, même quand il était contrarié. Il avait toujours l’air plein d’assurance, même quand il doutait. Il était toujours aimable, même quand son côté tyrannique prenait le dessus. L’esprit vif et stratège, il faisait toujours les bons choix. Mais désormais, il n’était plus que le spectre d’une pleureuse grecque.

 

Lors de l’enterrement, il y avait foule. Les trois ex-femmes d’Artus étaient là. Shelley n’était venue que pour accompagner leur fils de dix-sept ans et se montrer devant les caméras, mais Sophie et Clara étaient sincèrement et profondément bouleversées. Artus était resté en bons termes avec sa première compagne, il arrivait même au groupe de refaire des associations musicales avec elle. Quant à Clara, elle avait du respect et de l’attachement pour les membres des Dark Love avec qui elle avait passé beaucoup de temps. Mary, la mère d’Artus, était évidemment présente, près de son petit-fils et de son ex-belle-fille qu’elle ne supportait pas. Shelley restait pourtant de meilleure compagnie que Matthieu, méconnaissable et sinistre. Les parents de Matt étant tous les deux décédés, il était assis au premier rang entre Cyril et Corentin, Ania, Mathilde et Éric installés à leurs côtés.

 

Matthieu aurait dû s’occuper de l’oraison funèbre, mais il n’était pas en état. En dehors de quelques couinements malheureux, rien ne sortait de sa bouche depuis la tragédie. Cyril et Corentin devaient l’aider à marcher, à s’asseoir et à se relever. Ils devaient même deviner à sa place quand il fallait l’emmener aux toilettes. C’était Cyk qui l’avait habillé le matin avant de partir et qui lui avait collé des lunettes noires sur le nez. Il n’avait pas pu lui mettre de cravate. En apercevant le morceau de tissu, Matt s’était mis à hurler et le lui avait arraché des mains. Corentin et Scott se débrouillèrent donc pour écrire des discours qu’ils lurent avec Cyril.

                   

Pour l’unique fois de sa vie, Jessica la dure à cuire prit Matthieu dans ses bras. Ce fut le seul moment où il réagit en se remettant à pleurer. Pendant cinq minutes, il s’était cramponné à sa vieille rivale comme une moule à son récif. Au cours de leurs carrières, Artus et Jessy avaient fait de nombreux duo, poussés, pour ne pas dire obligés, par Matthieu et Scott. Petit à petit, en dépit de leurs caractères bien trempés et de leurs préjugés, ils avaient appris à s’apprécier.

 

Cyril, Corentin, Bill et quelques membres de The League aidèrent les employés des pompes-funèbres à porter le cercueil jusqu’au corbillard. Le cortège funéraire débuta avec la mère d’Artus et Junior en tête du macabre défilé. Matt resta immobile sur son siège dans l’église peu à peu désertée par ses occupants. Jessy, qui marchait avec sa sœur, et Scott ne put s’empêcher de se retourner une dernière fois en direction de Matthieu.

 

— Il a vraiment l’air en sale état.

— Évidemment, souffla Scott, étranglé par son empathie. Mets-toi à sa place : c’est comme si tu perdais Jane, Fry et Rem en même temps.

 

Dans un geste instinctif, les vieilles jumelles se prirent par la main pour sortir de la cathédrale, et Jane saisit Scott de son autre main.

 

À la fin de la cérémonie, Matt était resté seul, le dos vouté, les coudes scotchés à ses genoux, les yeux rivés sur les pavés grisâtres. Clara s’avança vers lui d’un pas solennel, et malgré tout gracieux. L’icône d’Hollywood était toujours incroyablement belle et svelte à l’aube de la cinquantaine. Le bruit de ses talons noirs frappant la pierre glacée résonnait dans la nef centrale.

 

— Toutes mes condoléances Matthieu.

— M’rci… murmura-t-il d’une voix à peine audible sans la regarder.

— Je sais que ça n’a pas toujours été facile entre nous. Il n’y avait de la place pour personne d’autre que toi dans le cœur d’Artus, je l’ai compris trop tard. Je suis désolée, pour tout.

 

Clara caressa délicatement le front de Matthieu. Ce contact lui donna la nausée. C’était un tic de Clara, elle avait ce geste tendre pour tous ses compagnons, puis plus tard pour ses enfants. Elle avait contaminé Artus avec cette manie, alors parfois, le soir avant de s’endormir ou à l’aube au réveil, le chanteur touchait le front et les cheveux de Matthieu de la même façon. Ces doigts délicats, ce n’étaient pas ceux d’Artus et c’est cette ultime sensation qui resterait. Tout, absolument tout, était beaucoup trop dur à supporter pour Matt. Toute cette compassion, ces souvenirs et ce vide abominable à ses côtés…

 

Il n’y avait pas encore d’épitaphe sur sa stèle, Artus n’imaginait pas partir si tôt, et ses proches non plus. Shelley attendait à la sortie du cimetière en discutant avec les rares journalistes que le service de sécurité du groupe avait laissé approcher de la grille. Leur imprésario était là aussi, il essayait de faire taire l’ex-compagne d’Artus par tous les moyens. Devant la sépulture ouverte, il n’y avait que les Dark Love, la mère d’Artus et Artus Borg junior. Tous les cinq regardèrent le cercueil descendre lentement dans la fosse. Après avoir jeté une poignée de terre dans le trou et sa rose blanche, les seules paroles que Junior adressa à Matthieu furent :

 

— Plus personne ne pourra te le voler maintenant.

 

Mary ne réagit pas. Elle trouvait ces mots cruels, mais elle ne s’était jamais mêlée de la relation entre son fils et Matthieu, ni de la relation entre son petit-fils et Matthieu. Elle ne commencerait pas aujourd’hui. Elle se contenta de poser sa main sur le poignet de Matt avant de quitter le cimetière, accompagnée par Artus junior qui l’aidait à marcher.

 

— Il faut y aller Matt… dit Cyril en frottant doucement les épaules de Matthieu.

 

Ce dernier se dégagea de ces caresses et s’assit par terre, en tailleur, dans les graviers. Les employés des pompes funèbres allaient remblayer la tombe, ils le regardaient d’un air gêné. Ils attendaient que la famille soit partie normalement, sauf que Matt ne semblait pas décidé à bouger. Cyk leur fit signe de commencer leur besogne d’un hochement de tête, puis il s’éloigna un peu avec Corentin.

 

Matt resta devant la tombe d’Artus jusqu’au crépuscule. À la fin, il ne restait plus que lui et Cyril dans le cimetière. Son vieux camarade se fraya un chemin au milieu du champ de fleurs roses et blanches formé par les couronnes mortuaires amoncelées dans l’allée, et le força à se relever pour l’entrainer avec lui jusqu’à la voiture, où leur chauffeur et deux gardes du corps les attendaient. Une fois assis sur la banquette en cuir, Matthieu se remit à pleurer dans les bras de Cyk.

 

La semaine suivante, la décrépitude de Matthieu ne fit qu’empirer. À force de ne pas se nourrir, il avait perdu près de six kilos en quelques jours. Il tenait à peine debout. Finalement, il s’était mis à boire de l’alcool pour compenser. Cyril et Corentin espéraient que la douleur finirait par s’estomper un peu avec la fatigue et le temps, mais au rythme où Matthieu picolait, il allait se flinguer le foie avant la fin de la saison.

 

Ils continuaient de se relayer pour veiller sur lui, parfois avec Éric. Ils pouvaient difficilement rester dans la même pièce que Matt. La vision de leur ami réduit à l’état de loque était extrêmement choquante, mais en plus le guitariste les chassait régulièrement, sans parler de l’odeur. Un matin, Cyril en avait eu ras-le-bol : il l’avait déshabillé de force et collé sous la douche. Après cet épisode, Matt allait se laver de lui-même, tout le monde en fut soulagé.

 

Quelques jours plus tard, Cyril était rentré chez lui, les paupières lourdes, après l’arrivée de Corentin. Les deux collègues avaient échangé quelques mots, ils tenaient bon pour Matthieu et leurs familles, mais ils n’étaient toujours pas en état de soutenir de grandes conversations. Ania s’occupait comme elle pouvait. Elle avait donné un congé exceptionnel à la femme de ménage qui avait découvert le corps d’Artus. La pauvre restait traumatisée. Ania passait donc l’aspirateur dans le salon à sa place, cela l’aidait à penser à autre chose et à calmer ses nerfs.

 

Corentin errait dans la grande villa. Toutes les enceintes continuaient de diffuser les chansons des Dark Love. Artus était mort, mais sa voix entrait dans l’immortalité. Le batteur pénétra dans le studio d’enregistrement de Matt. Cyril y avait mis de l’ordre après l’enterrement avec l’aide d’Ania. Coco se posait de nombreuses questions sur l’avenir des Dark Love en fixant d’un air morose la batterie installée dans un angle de la pièce. Envahi par la mélancolie, il en venait à se demander s’il toucherait à nouveau ses baguettes un jour. Par pur hasard, Corentin baissa les yeux sur un post-it jaune collé devant la table de mixage. Matthieu avait fait l’erreur de laisser trainer le papier au mauvais endroit, au lieu de l’emmener avec lui. Griffonné sous ses yeux écarquillés, Corentin lut :

 

[Enterrez-moi avec Artus.]

 

— Ania ! hurla le musicien en sortant en trombes de la pièce.

 

L’intendante sursauta avant d’accourir auprès d’un Corentin paniqué. Elle-même était dans un état de stress inouï. La dernière fois que quelqu’un s’était égosillé de la sorte, c’était le matin de la mort d’Artus.

 

— Où est Matt ?!? demanda Corentin en agrippant Ania par les deux bras.

— Je… Je ne sais pas ! Sans doute dans la salle de bain à cette h…

— Laquelle ?!?

 

Il y avait cinq salles de bain, ils devaient aller au plus vite.

 

— Sans doute celle à côté de sa chambre, mais…

— J’y vais ! Appelle les secours ! Vite ! Et vérifie les autres !

 

Ania obtempéra aussitôt et Corentin fonça jusqu’à la chambre de Matt, vide, tout comme la salle de bain attenante. Coco réfléchit le plus vite possible et son instinct le poussa à aller vérifier l’ancienne chambre d’Artus et la salle de bain associée. Celle-là était verrouillée, mais il y avait de la lumière à l’intérieur.

 

Corentin tambourina à la porte.

 

— Matt ouvre ! Putain ouvre !

 

Pas de réponse. Coco évita de tergiverser, il avait un très mauvais pressentiment. Il défonça la porte à coups d’épaules et de pieds. Il avait mal dans les membres, mais il n’y faisait pas attention. Ce qu’il vit le glaça d’effroi. Il y avait des débris de verre et du sang partout. Matt, avachi dans son bain, s’était ouvert le bras gauche sur toute la longueur, du pli du coude jusqu’au poignet, avec une bouteille de whisky brisée. À cause de la douleur et de l’alcool, il n’avait pas réussi à taillader son autre bras. Vu les cadavres de spiritueux dans la pièce, il n’avait pas descendu qu’une seule bouteille.

 

Avant de s’enivrer au point de ne plus pouvoir réfléchir, Matt s’était souvenu de ce qu’il savait sur les suicides. Il aurait voulu se pendre, mais il ne savait pas faire de nœud coulant, et en dehors des montants de lits, il n’y avait nulle part où s’accrocher correctement. Il ne risquait pas de réussir à s’étrangler avec une minuscule cravate nouée n’importe comment, alors il était parti sur autre chose. Il n’avait pas non plus les médicaments nécessaires, Artus ne prenait plus d’anxiolytiques, ni de somnifères depuis longtemps. En revanche, de l’alcool, il y en avait des litres dans la maison. En se tailladant les veines dans le sens de la longueur, il était plus compliqué pour les médecins de stopper l’hémorragie, et s’il arrivait jusqu’au coma éthylique, nu dans sa baignoire froide, il devrait y passer. Il avait tenté d’avaler du paracétamol par-dessus pour abimer ses reins, mais il avait tout vomi. Déboussolé, il avait suivi les étapes dans le désordre.

 

Les parents de Corentin étant médecins, ils avaient appris à leurs enfants les gestes de premiers secours, ainsi que les bonnes procédures à adopter dans certaines situa­tions. Ces enseignements remontaient à plusieurs décennies, pourtant les réflexes lui étaient restés. Corentin vida la baignoire, tourna la tête de Matt pour qu’il respire sans risque d’étouffement, enveloppa son bras ensanglanté dans le tee-shirt du guitariste trainant sur le sol, qu’il leva ensuite en l’air pour ralentir l’écoulement sanguin le temps de trouver de quoi faire un garrot. Il tenta de réchauffer le corps de Matthieu avec tous les tissus qui lui tombaient sous la main, vidant les placards remplis de serviettes éponges, faute de couverture de survie. Il avait posé son téléphone sur le lavabo et appelait les urgences tout en s’occupant du blessé. Ania avait sans doute déjà prévenu le Samu, mais il préférait être sûr. Vu la vitesse à laquelle les secouristes arrivèrent, il en conclut qu’Ania avait bien pris les devants.

 

Matthieu était à peine conscient lorsque Corentin avait défoncé la porte, pourtant son cerveau avait réussi à assimiler le fait que c’était lui qui était intervenu. Il émergea trois jours plus tard dans le lit d’une clinique privée, le bras senestre couvert de plus de bandages qu’une momie et une perfusion accrochée à l’autre. Quelques heures après son réveil, Corentin et Cyril furent autorisés à lui rendre visite. La première phrase que baragouina Matt en voyant ses deux compères fut :

 

— Pourquoi tu m’as sauvé ?

 

Le regard fatigué, il toisait son batteur avec une rancœur évidente. Coco jeta des coups d’œil anxieux à Cyk avant de répondre d’une voix très aiguë, trahissant sa détresse.

 

— Merde, à ton avis Matt ? Tu voulais que je fasse quoi d’autre ?

— Me laisser crever.

 

Corentin avait un nœud dans la gorge, il se tourna vers Cyril, il l’appelait toujours au secours du regard. Cyk sentait son trouble, mais à cet instant, il se préoccupait surtout de Matthieu.

 

— Coco, tu peux nous laisser cinq minutes s’il te plaît ?

— Oui, bien sûr… Je suis dans le couloir si vous avez besoin de quoi que ce soit.

— Merci Coco.

 

Corentin sorti, Cyril reposa son attention sur le patient alité, aux pupilles dans le vague, soufflant avec peine un :

 

— Artus…

 

Cyril prit une profonde inspiration ressemblant à un énorme soupir.

 

— Il est mort, Matt, c’est fini. Même si tu meurs aussi, tu ne le rejoindras pas. On meurt seul et tu le sais.

— Pourquoi faut toujours que tu sois aussi froid ?

— Parce que je t’aime, et que j’aimais Artus. J’ai pas envie de te voir disparaître aussi vite que lui.

— Je n’ai plus de raison de vivre, Cyril…

— Si, t’en as une. Tant que tu seras là, il restera quelque chose d’Artus. Alors reste, et fais pas chier.

 

Cyk se leva pour rejoindre Corentin avant de craquer. Il était sec, froid et dur comme d’habitude, mais aussitôt dans le couloir, il s’appuya tête la première contre le mur et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps. Corentin, complètement dépassé par les évènements, lui massa les épaules en tremblant comme une feuille.

 

Resté seul dans sa chambre d’hôpital, les yeux rivés vers le plafond, Matt entendait très distinctement les pleurs de Cyril derrière la cloison. Il repensait à Artus, il ne savait plus faire que ça. Il voulait toujours mourir, pas pour le rejoindre comme le supposait Cyk, mais simplement pour ne plus souffrir. Il continuait de refuser de s’alimenter et ne touchait à aucun de ses plateaux repas. Il dormait beaucoup, cela tranchait avec la semaine de l’enterrement où il ne dormait plus du tout.

 

Un après-midi, il reçut un message sur son téléphone. Il en recevait beaucoup, il n’en avait regardé aucun, mais pour celui-ci, il fit une exception. La sonnerie était spéciale, c’était celle de Scott. Matt avait quatre sonneries différentes : une pour Artus, une pour Scott, une pour son imprésario et une pour le reste de l’humanité. L’œil morne, Matthieu lut le message de Scott.

 

[Tiens le coup Matt. Tiens le coup pour nous, s’il te plaît.]

 

Il y avait un lien vidéo. Matthieu cliqua dessus. Il se vit lui, avec sa guitare, vingt-cinq ans plus tôt, assis sur un tabouret à côté d’Artus. Ils étaient tellement jeunes et beaux… Il y avait aussi Cyril, et tous les trois étaient en costard-cravate sur une scène, dans le style estrade de kermesse. Il reconnut rapidement le truc : il s’agissait d’un film amateur du mariage de Jane et Scott. Les Dark Love avaient géré la musique du bal. Matt en gardait un excellent souvenir, parce qu’Artus et lui avaient eu l’impression de retourner au lycée l’espace d’une soirée. Ils étaient en petit comité, avec des amis de longue date, dans une salle des fêtes de campagne. Pas de fan hystérique, pas de journaliste, pas d’orchestre, pas de stade plein à craquer, pas d’enceinte à fond, pas de fumée, pas de projecteur leur cramant les yeux… Juste eux, de l’amour et de la musique.

 

Coco était scotché au buffet, il était venu pour profiter de la fête, c’est à peine s’il touchait au cajon que Fry lui avait prêté. Artus et Matt s’en fichaient, ils n’avaient pas besoin de lui pour cette fois. Sur la pseudo-scène, il n’y avait que le trio de copains d’enfance, deux guitares acoustiques et un micro. Une fois n’est pas coutume, Cyk souriait à chaque seconde. Artus et Matt chantaient Time After time de Cindy Lauper en duo. Cette nuit était magique, probablement plus encore pour Mate le jukebox que pour Scott.

 

Le regard de Matt s’embua. Des mots d’Artus lui revinrent en mémoire. Sortis d'outre-tombe, il lui semblait les entendre plus distinctement que le son du smartphone :

 

— Je n’en peux plus de cette vie… Je voudrais juste rester avec toi pour chanter dans les bars comme autrefois…

 

Sa main se mit à trembler. Il lâcha brutalement son téléphone et fondit en larmes.

 

ooOoo

 

Matt passa plusieurs semaines, quasiment des mois, à l’hôpital, sous antidépresseurs. Les médecins ne se décidèrent à le laisser sortir qu’une fois certains qu’il n’attenterait pas à nouveau à ses jours.

 

La tentative de suicide de Matt avait fait le tour du monde par les réseaux sociaux, c’était le buzz du moment. Les rumeurs sur sa relation avec Artus allaient bon train. Personne n’avait jamais vraiment compris ce qu’ils étaient l’un pour l’autre, il n’y avait pas de mot qui convenait. Dans l’intimité, Matthieu disait simplement qu’Artus était l’amour de sa vie, et Artus disait que Matt était son âme sœur. D’un commun accord, depuis leur victoire à « The Best » à l’âge de vingt-trois ans, ils se présentaient en public comme des alter-ego. Tout cela restait finalement assez vague, mais il était de notoriété publique que Matthieu était homosexuel et qu’ils vivaient ensemble depuis treize ans. Aussi, la réaction de Matt avait-elle déchainé les métaphores tournant autour de Roméo et Juliette ou de Marc-Antoine et Cléopâtre. Matt s’en contrefichait, il n’était même pas au courant. Seul le manager des Dark Love s’en préoccupait, du moins jusqu’à ce que Matthieu lui balance froidement :

 

— C’est fini.

 

Il avait failli répliquer : qu’est-ce qui est fini ? Mais en voyant les mines graves de Cyril et Corentin, il avait compris. C’était une question stupide, même sans leur présence, il aurait dû deviner. La conclusion de cette histoire était somme toute logique.

 

Toutes leurs représentations prévues du groupe furent annulées, à l’exception d’un seul et unique concert, dans le plus grand stade qu’ils avaient pu trouver, et qu’ils transformèrent en hommage à Artus. Pour l’occasion, ils demandèrent l’aide d’autres musiciens. Les membres de The League, les anciens des Irish, Sophie, mais également Scott et Jane, qui avaient pourtant raccroché depuis longtemps, étaient venus leur prêter mains fortes. Du haut de ses seize ans, Elena débutait encore comme musicienne, pourtant elle avait insisté auprès de son père pour participer aussi.

 

Scott chanta sa « Déclaration d’Amour », il ne l’avait pas fait depuis plusieurs décennies. Cela lui faisait bizarre de savoir qu’Artus ne la chanterait plus. C’était lui qui en avait fait un hit mondial avec sa voix divine. Il chanta également « Petite chose » qu’il avait toujours trouvée plus jolie que toutes les autres chansons de Matt. Elle lui rappelait sa rencontre avec Jenny. Elle lui parlait tellement qu’il aurait pu l’écrire de sa main, jusqu’au passage où les deux protagonistes admirent ensemble la voute céleste. Elle lui rappelait ce sentiment amoureux progressif et hors de contrôle qui avait fini par l’envahir complètement, au point de réveiller le poète sommeillant dans son cœur de scientifique. En son for intérieur, alors qu’ils étaient radicalement différents sur bien des aspects, Scott était convaincu que Matt et lui se ressemblaient au sujet de l’amour. Ils s’étaient tous rencontrés très jeunes, malgré tout personne jamais n’aurait pu remplacer sa Jane, et pour Matthieu, personne jamais n’aurait pu remplacer son Artus.

 

Tous les anciens des Irish Japanese à nouveau réunis s’étaient chargés de « Premières fois » et de « Tout ira mieux demain ». Ces deux titres étaient hautement symboliques pour eux : ils avaient été éliminés en demi-finale de « The Best » face aux Dark Love chantant la version acoustique de « Premières fois ». Cet échec avait signé la fin de leur groupe. Après le concours, ils étaient restés en froid pendant des années. S’ils s’étaient retrouvés, c’était essentiellement grâce aux Dark Love et à la manie de Matt de vouloir faire des partenariats avec toutes celles et ceux qui plaisaient à ses oreilles mélomanes. Loyd avait eu du mal à retenir ses larmes à la fin de leur prestation, envahi par les doux souvenirs du temps où ils étaient les Irish Japanese, du temps où tous les autres s’entêtaient à l’appeler Laurie sauf eux trois, sauf Bill, Rem et Shoko. Ils étaient les premiers à l’avoir vu et accepté tel qu’il était réellement.

 

Jessica chanta d’abord la version originale de « Alter ego » que Matt avait écrite pour Artus au lycée. À cinquante ans passés, dans les coulisses de ce concert exceptionnel, elle apprit enfin que l’autre version, plus connue, lui était dédiée. Elle avait eu du mal à y croire, mais en se commémorant le refrain, tout semblait évident :

 

Et quand j’y pense ta présence m’illumine,

Sais-tu que je t’admire ma sublime ?

Pour ta force, ton esprit, oui mais…

Pour le bijou que tu m’as volé je te hais.

La seule femme que j’aimerais jamais,

Sais-tu que je devine qui tu es ?

Derrière ta prose, ton mépris saisissant.

Je t’aime, je te vénère et pourtant…

Pour l’or que tu m’as volé je te hais…

 

Et parce qu’elle était trop sauvage, trop effrayante parfois, Matt n’avait jamais eu le courage de lui dire en face. Si les Dark Love avaient finalement gagné « The Best » pour son plus grand désarroi, c’était elle que Scott avait suivi après l’Alpha et l’Oméga, pas par amour pour Jane, mais bel et bien par amitié pour celle qui lui avait tendu la main à l’époque où il sentait seul et inutile. Et cet étrange mélange d’amour-haine que Matt pouvait ressentir à son égard, elle devait bien reconnaître, qu’au fond, elle éprouvait le même.

 

Elle chanta ensuite « Sans toi ». Elle comprenait mieux que quiconque le sentiment porté par cette chanson. Jane était partie faire ses études à sa majorité, et Jessica s’était retrouvée séparée de sa précieuse jumelle. Elle qui avait la réputation d’être si solide, si coriace, privée de sa moitié, elle avait vécu cette sensation de ne plus exister. Enfin, les jumelles chantèrent « Jukebox » en duo, les yeux humides, troublées de se retrouver sur scène après toutes ces années pour dire au revoir à une vieille connaissance.

 

Sophie aussi pleurait sur son piano. Lorsque ses enfants lui posaient des questions sur son ancienne union avec Artus, elle aimait philosopher en expliquant que la magie des Dark Love résidait dans l’universalité de leur discographie. Chaque être humain sur terre pouvait trouver au moins une chanson capable de les toucher en plein cœur. Seuls quelques proches de Matthieu connaissaient l’origine véritable de chacun de ses textes, elle n’était pas nécessaire pour comprendre le sens de ses mots. Dans chaque morceau, ce n’était qu’une question d’amour, et tout le monde pouvait comprendre l’amour.

 

Quant à Matt, il n’avait pas eu la force de chanter plus de trois chansons, dont « Ces mots-là », avec Cyril pour seul partenaire de scène, et une chanson de Scott intitulée « J’attendrai ». Son ami l’avait écrite en hommage à ses beaux-parents. Amoureux durant leur adolescence, ils avaient dû attendre la quarantaine pour enfin se retrouver. Matthieu trouvait qu’elle rappelait sa propre histoire avec Artus, alors il l’avait choisie.

 

L’heure de la dernière chanson était venue. L’info avait fuité dans les médias, mais il fallait l’annoncer solennellement. Matt s’avança vers le micro au bord de la scène, son ancienne Yamaha du lycée entre les mains.

 

— Ce sera ma toute dernière représentation. Je continuerai d’écrire des chansons pour les autres, mais ma voix et mes cordes s’éteindront ce soir et les Dark Love seront officiellement dissous.

 

La foule se lamentait, mais Matt s’en fichait royalement. Il s’était retourné pour regarder Cyril et Corentin qui l’attendaient en arrière-plan. Les deux hochèrent discrètement la tête pour l’encourager. Ils ne savaient pas trop ce qu’ils allaient faire après, peut-être aider Matthieu à terminer son opéra ? Qu’importe leur avenir, The Dark Love ne pouvait pas exister sans Artus.

 

La plupart des spots étaient éteints pour ne conserver qu’une lumière tamisée centrée sur Matt, et les musiciens avaient tous quitté la scène, à l’exception de Cyk et Coco, à peine visibles dans la pénombre. Ils se tenaient le dos bien droit, les bras allongés devant eux le long de leur torse, dans une attitude digne.

 

— Je pourrais vous dire que j’ai beaucoup réfléchi à cette dernière chanson, mais en fait non. Je vais simplement jouer celle par laquelle tout a commencé.

 

Matt ferma les yeux. Il aurait voulu ne pas pleurer, rester le mec cool, mystérieux et impassible qu’il avait toujours été, bien que cela ne serve plus à rien. Personne n’était dupe désormais. Il se mit à sourire, mais les larmes étaient quand même là.

 

— Je t’aime, Artus, souffla-t-il dans son micro.

 

Sa phrase se répercuta en écho dans les haut-parleurs, traversant le silence endeuillé et ému de la foule.

 

Matt resserra ses doigts autour de sa guitare, prit une profonde inspiration et…

 

« Wise men say

Only fools rush in,

But I can’t help falling in love with you.

Shall I stay ?

Would it be a sin,

If I can’t help falling in love with you ?

Like a river flows

Surely to the sea

Darling, so it goes

Some things are meant to be.

Take my hand,

Take my whole life too,

For I can’t help falling in love with you.

Like a river flows

Surely to the sea

Darling, so it goes

Some things are meant to be.

Take my hand,

Take my whole life too,

For I can’t help falling in love with you.

For I… Can’t… Help… Falling in love… With… You. »

 

- Can’t help falling in love with you – Elvis Presley (1961)


Épitaphe

 

ooOooOoo

 

Ci-gît Mate le Jukebox :

Artus Borg – 57 ans

Matthieu Paris – 76 ans

 

À mon ténébreux amour.

 

ooOooOoo

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