The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 31 : Souvenirs cachés ooOoo Intimité ooOoo

3939 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/11/2023 21:29

ooOoo Intimité ooOoo

 

Un samedi d’automne, Artus s’était levé avant l’aube. Après avoir caressé affectueusement le front de Matthieu encore somnolant dans son lit, il était parti s’habiller et s’enfermer dans sa propre chambre, pour ne pas être dérangé. Il avait un appel à passer impérative­ment avant huit heures. À travers l’écran devant lui, Artus Borg senior faisait face à Artus Borg junior.

 

Plus ce dernier grandissait, plus la ressemblance avec son géniteur était flagrante. Ils avaient les mêmes yeux d’un bleu cérulé hypnotique, les mêmes cheveux soyeux bruns, presque noirs, mais le fils était encore plus beau que le père au même âge. À treize ans, Junior était un adolescent élancé, doté d’un visage fin, à la peau lisse, épargnée par les nuisances épidermiques de puberté. Il aurait pu faire du mannequinat comme sa mère. Fort heureusement, pour le plus grand soulagement d’Artus père, cela n’avait jamais intéressé Junior.

 

— Comment ça se passe au club de théâtre ? demanda l’aîné.

— Bien. Très bien même.

 

Quatre mots, puis Junior marqua clairement le point de sa phrase dans son élocution parfaite de jeune acteur encore amateur. Artus senior s’efforçait tant bien que mal de tenir une conversation de plus de trois minutes avec son fils, c’était difficile. Artus junior était de nature réservée et taciturne. Après une brève période étrangement plus extravertie de ses huit à ses onze ans, le garçon s’était brusquement refermé sur lui-même. De son côté, Artus senior n’était pas doué avec les enfants de manière générale. Il peinait déjà à communiquer avec les filles de Cyril et les garçons de Corentin qu’il voyait souvent, il se sentait encore plus nul avec son propre fils, ce à quoi la distance n’arrangeait rien.

 

— Tu n’as pas repris la musique ?

— Non. Maman n’était pas d’accord, et très franchement, je préfère les arts dramatiques.

 

« Les arts dramatiques » se répétait intérieurement Artus, légèrement surpris par l’expression de son fils. Il se demandait s’il parlait d’une façon aussi guindée au même âge. Matt lui avait fait remarquer qu’il avait un langage beaucoup plus soutenu que la plupart de leurs camarades d’école. Il le savait, son éducation au sein d’un milieu très bourgeois avait fait de lui un beau parleur d’une autre sorte que celle de Matthieu. Il avait tout de même appris à dire des gros mots et à remplacer ses « oui » par des « ouais », histoire de mieux s’intégrer. Avec Matt comme meilleur ami, cela avait été facile.

 

Artus junior semblait encore plus raffiné. Il ne disait jamais de grossièreté. Il ne haussait jamais le ton non plus, c’était un garçon placide et son père peinait à croire qu’il soit capable de jouer brillamment la comédie, alors que dans l’intimité il s’illustrait surtout par son stoïcisme. La gouvernante de Shelley, qui se chargeait de transmettre à Artus senior les informations importantes concernant Junior, lui avait expliqué qu’il faisait occasionnellement des crises de nerfs très violentes. C’était rare, mais inopportun et impressionnant. Artus n’y avait jamais assisté, il partait du principe que Shelley et son employée étaient des mythomanes. Dans son esprit, c’était bien leur genre.

 

Artus cherchait un nouveau sujet pour relancer la conversation, il ramait sévèrement. Contre toute attente, son fils reprit la parole spontanément.

 

— On a quelques exercices de chant par contre.

— Au théâtre ? releva Artus, dont l’intonation trahissait son intérêt soudain.

— Oui, c’est recommandé pour mieux contrôler notre voix.

— Et ça te plaît ?

— Pas vraiment non. C’est utile je l’admets, mais j’en ai assez que les autres me demandent de chanter tes chansons. J’ai l’impression d’être un mauvais sosie d’Elvis Presley, payé pour animer des mariages.

— Merci pour la comparaison… renauda Artus.

— Tu ne m’as toujours pas répondu pour les vacances. Puis-je venir ?

— Hem, non, je suis désolé. On sera à l’étranger à ce moment-là.

— Je ne vois même pas pourquoi je te pose encore la question… répliqua Junior, dont le visage de marbre se fendit d’un bref rictus réprouvé.

— N’exagère pas. Tu es venu cet été et on se revoit à Noël. Tu peux retourner chez ta grand-mère, elle sera contente.

— C’est toujours pareil avec toi… soupira Junior.

 

Artus senior était contrarié, il se pinça l’arête du nez pour se calmer. Il ne se disputait jamais avec son fils. Leurs relations étaient tendues, mais comme Junior ne criait jamais, il prenait sur lui pour faire de même.

 

— Bon écoute : en novembre, on doit donner plusieurs concerts outre-Atlantique. Si tu veux, on pourra se voir à ce moment-là. Je ferai un détour.

 

Artus junior avait beau avoir le physique avantageux d’un éphèbe, Artus senior ne pouvait s’empêcher de penser à Cyril en le voyant afficher sa mine renfrognée sceptique. Le gamin finit par se radoucir très légèrement.

 

— D’accord… Essaye de ne pas me faire faux bond cette fois. Je te laisse, je vais dormir.

— Bonne nuit.

— Bonne journée.

 

Sur cette réplique sèche, Artus junior stoppa la communication. Le père pouffa bruyamment, ce simple échange l’avait fatigué. Bonne ou non, la journée s’annonçait surtout très longue, il allait devoir faire une sieste dans l’après-midi. Cette pensée l’enténébra encore un peu, il se sentait vieux. Autrefois, il ne faisait des siestes qu’à cause du décalage horaire ou parce qu’il avait fait la fête toute la nuit.

 

Artus sortit de sa chambre et commença à remonter les longs couloirs cossus de la villa de Matthieu, pour se diriger vers le sud-ouest de la résidence, où se trouvaient le salon et la cuisine. Durant leurs chamailleries de jeunesse, Matt avait quelques fois traité Artus de gros bourgeois. À chaque fois qu’il y repensait, le chanteur avait envie de ricaner. Installés comme des pachas au bord de leur vaste piscine faisant face à la mer, à l’ombre des pins de Corse et de la façade de ce château de l’ère contemporaine, il n’était plus question de bourgeoisie, ils vivaient comme des princes ! Or, c’était autant, si ce n’est plus, le choix de Matthieu que celui d’Artus. Matt n’était ni avide, ni cupide, mais il appréciait le confort jusqu’à pousser à la somptuosité, et il restait un mégalomane. Les murs ornés de leurs photos, affiches et disques de platine venaient le rappeler à quiconque aurait un doute sur son égo.

 

En passant devant le bureau de Matt, Artus entendit sa voix étouffée qui parlait sans discontinuer derrière la cloison. Il s’arrêta un instant, se demandant si son ami n’était pas également en visio avec quelqu’un, mais cela lui paraissait étrange. Matt ne s’isolait jamais pour téléphoner, du moins pas quand les seules oreilles potentiellement indiscrètes des alentours étaient celles d’Artus, ils n’avaient rien à se cacher. De plus, le flux soutenu des paroles ressemblait fort à un monologue. Les lèvres d’Artus firent la moue avant qu’il ne reprenne son chemin.

 

Il entra dans la cuisine. Dans un cérémoniel pompeux et probablement ridicule pour un observateur extérieur, il retroussa très soigneuse­ment ses manches de chemise, veillant à plier et non froisser le tissu tel un artiste origami. Ensuite, il sortit d’un placard dissimulé un large tablier de cuisine noir. Après l’avoir inspecté sous toutes les coutures, pour vérifier qu’il n’y avait pas de tâche préexistante et qu’il était parfaitement propre, il l’enfila et noua autour de ses hanches épaisses le long ruban. Il ne put s’empêcher de regarder son reflet dans la porte brillante du réfrigérateur métallisé grand comme un sarcophage impérial. Sur la poche ventrale de ce tablier fabriqué et imprimé à la demande de Matthieu, il pouvait voir un jukebox vert et blanc et le prénom d’Artus écrit en dessous, dans la typographie officielle des Dark Love. Satisfait de son look de chef étoilé, Artus se mit aux fourneaux.

 

Il ne cuisinait que rarement, et uniquement pour les petits déjeuners, mais quand il le faisait, il y mettait toute la rigueur qui le caractérisait profession­nellement. Il était huit heures et demi passées, trop tard pour confectionner des pancakes, des biscuits ou faire cuire du riz pour un petit déjeuner traditionnel japonais. Le temps restreint ne justifiait pas pour autant de bâcler son ouvrage ou de faire n’importe quoi. Il pressa un jus de citron avant de composer une salade de fruits frais de saison : pommes, poires, raisins, figues, clémentines et les dernières fraises de l’année. Pour stopper l’oxydation des fruits tranchés, il déversa dessus le jus de citron puis s’attela à son étape favorite : le thé.

 

Matt préférait le café, mais Artus avait réussi à le convertir partiellement au thé, en créant un mélange aromatique sur-mesure pour lui, à base de thé noir de très haute qualité – dans son embourgeoisement extrême, Artus le chanteur millionnaire ne tolérait plus autre chose – et de mélisse, infusés avec de la figue séchée, baignée dans du miel de forêt, une infime pincée de noix de muscade, à peine davantage de clou de girofle, un zeste de citron et, quand il en avait sous la main, Artus faisait flotter des pétales de violettes cueillies du jour dans sa tasse. Il était quasiment certain que Matt ne les mangeait pas et ne sentait pas leur goût, en revanche, il adorait les voir. Pour lui, c’était comme si Artus lui offrait un bouquet de fleurs, le summum du romantisme. Le mélange parfait comprenait normalement du gingembre, mais Artus rechignait à en mettre, Matt devenait un peu trop collant après, et si Artus avait le malheur d’en boire aussi, il retrouvait des pulsions de jeunesse qu’il n’avait plus la possibilité d’assumer pleinement.

 

Il passa ensuite aux œufs sur le plat. Après avoir préparé assiettes et couverts, enfourné du pain précuit livré la veille au soir en prévision du week-end, et mis la poêle enduite d’huile d’olive premium à chauffer, il prit son téléphone dans sa poche.

 

[Le petit déjeuner est prêt patron.]

 

L’apprenti cuistot de cinquante-trois ans fracassa deux œufs sur le rebord de la poêle et les laissa crépiter le temps de s’occuper du reste, prenant garde de ne pas se brûler les mains avec la baguette française croustillante sortie du four. Il disposa un maximum d’éléments sur un immense plateau presque trop large pour ses bras, avant de servir les œufs luisants saupoudrés de poivre sur deux assiettes.

 

Dans une synchronisation parfaite, Matthieu débarqua dans la cuisine, tongs aux pieds, toujours en caleçon large et vieux t-shirt distendu, tandis qu’Artus retirait son tablier avec la fierté du travail accompli.

 

— On va manger en terrasse ? proposa joyeusement Matt.

— Dans cette tenue ? Tu n’as pas peur des paparazzis ?

— Le jour où ils arriveront à accéder à la terrasse, j’crois que mes couilles qui pendent seront le cadet de nos soucis.

— Que mes matinées seraient tristes sans tes alexandrins sur tes parties génitales, mon petit champion de poésie…

 

Artus s’esclaffa en emportant le premier plateau et Matthieu récupéra le reste pour suivre son colocataire vers la terrasse de pierres donnant sur une crique paisible. Le paysage incarnait la quiétude. Les rayons du soleil automnal avaient la douceur d’un été, dans cette région où la mauvaise saison se limitait à janvier-février, et l’odeur saline se dégageant de la mer azur magnifiait le décor. Il se respirait autant qu’il s’admirait, il plaisait aux bronches autant qu’aux yeux. Matthieu posa le second plateau à côté de celui d’Artus sur la table du salon de jardin.

 

— Il n’y a que ça à manger ? Franchement le p’tit personnel c’est plus c’que c’était. Tu peux t’asseoir sur ta prime de fin d’année.

— Tu ne manges rien de toute façon, c’est pour ça que tu restes un poids plume.

— Mon gros chanteur d’opéra va me donner des leçons de diététique ?

— Si tu ne veux plus que je te prépare ton petit-déjeuner, ça me va aussi.

— Non ! Je veux que tu me l’apportes au lit et je veux gober des grains de raisins le long de ton torse !

— N’en demande pas trop quand même… grimaça Artus.

 

Enfin assis et confortablement attablés, ils purent manger tranquillement et revenir à des sujets de conversation plus sérieux.

 

— Comment va Junior ?

— Bien j’imagine… C’est difficile à dire. Il est aussi jovial que Cyril dans ses mauvais jours.

— Tu n’es pas toujours un gai luron non plus, mon Artus, fit remarquer Matthieu.

— Au fait, je t’ai entendu parler tout seul ce matin. Ma compagnie ne te suffit plus ? Tu es obligé de te faire la conversation à toi-même ?

— Ah, ça. Depuis quelques temps, j’enregistre mes mémoires sur bande. Je rassemble mes souvenirs éparpillés…

— Tes mémoires ? se marrait à moitié Artus.

— Rigole pas, un jour ça va servir ! J’dois te rappeler le nombre d’écrivains qu’on a déjà envoyé chier pour leurs demandes de bio ?

— Ouais ouais, je sais bien. Et donc, que racontes-tu ? À quel point tu es formidable, mais pas autant qu’Artus Borg ?

— C’est à peu près ça.

 

Il y eut un silence serein, presque méditatif, durant lequel Artus se resservit une tasse de thé. Ce n’était pas son mélange préféré, mais il devait reconnaître que le parfum Matt le jukebox avait son charme. Il fit tinter sa tasse en agitant sa cuillère dans sa boisson et admira le trouble des ondes de son eau brune, chargée d’épices et d’amour.

 

— Parfois je me demande ce que sont devenus nos camarades de lycée. Maddie, Hélène, Yann, Théo… Et je me demande s’ils nous ont oubliés.

— On est célèbres, comment veux-tu qu’ils nous oublient ? rigola Matthieu.

— Par exemple, comment il s’appelait… Tu sais ce type au club de musique…

— Sois plus précis.

— Mais si, le gros qui faisait toujours la gueule et qui passait son temps à te dévisager comme s’il allait te manger pour son quatre heures.

— Là j’vois pas de qui tu parles, fit Matt dans un haussement de sourcil circonspect.

— Voyons ! Il jouait de la basse et il avait un surnom débile, genre Cyf ou Cyk.

 

Matthieu se plia en deux en manquant de s’étouffer avec son quartier de pomme et Artus ne put contenir son rire cinglant plus longtemps. Il leur fallut presque une minute pour calmer leur fou rire commun, à moitié avachis sur la table en se tenant les côtes.

 

— Ah ah ! Celle-là elle est excellente, vieux !

— Oui ! Mais je la regrette : j’aurais dû attendre qu’il soit là pour la faire devant lui, elle l’aurait bien fait enrager.

— Putain carrément ! Ah ah !

 

Matthieu repartit dans un fou rire et Artus réussit à se modérer avant lui, essuyant une larme qui avait perlé au coin de sa caroncule. Visiblement, le gai luron qui sommeillait en lui n’était pas complètement mort.

 

Ils flânèrent un moment sur la terrasse, frottant occasionnellement leurs pieds l’un contre l’autre sous la table, puis ils finirent par débarrasser les plateaux. L’un de leurs agents de ménage devait passer dans l’après-midi pour faire le minimum syndical, ce qui incluait la vaisselle, mais les deux altesses sérénissimes avaient néanmoins la décence de déposer les éléments sales dans un coin de la cuisine dévoué à cet effet, voire directement dans le lave-vaisselle, mais le bouton marche/arrêt était bien plus raide que les cordes des guitares de Matthieu sous leurs doigts délicats.

 

— J’ai de la paperasse à voir avant le déjeuner, après j’aimerais qu’on fasse des tests ensemble sur les dernières modifications du chant. Il faut que je vois si ça passe ou pas.

— Oui patron… Mais laisse-moi souffler un peu aussi, d’accord ? C’est le week-end.

— J’ai pitié de ta vieillerie. On se regarde un nanar ce soir ?

— Ce soir, je vais à l’opéra. Tu m’accompagnes ?

 

Le grand sourire enjoué de Matthieu se transforma en grise-mine, mais Artus lui vola dans les plumes avant qu’il ne puisse répondre.

 

— Ne te fais pas prier. Tu as besoin de te cultiver un peu, au lieu de regarder Crocodile Fury pour la cinquième fois.

— Quand tu me le vends comme ça, c’est clair que ça me donne envie d’y aller…

— Tu pourras me tenir la main dans le noir.

— Ok, je viens.

 

Artus s’en retourna vaquer à ses occupations en hochant navrement la tête. Il adorait toujours autant l’opéra, mais y aller seul lui donnait le vague à l’âme. Malheureusement, Cyk et Corentin n’appréciaient guère la chose, et ils avaient leur vie de famille par-dessus le marché. Lorsque Junior lui rendait visite, il l’emmenait systématiquement voir au moins une représenta­tion. L’adolescent ne s’en plaignait plus, Artus préjugeait même qu’il y prenait désormais un réel plaisir, mais ses séjours restaient rares. Quant à Matthieu, il freinait des quatre fers pour s’y rendre. Artus devait trouver des moyens détournés pour le faire venir. Le chantage affectif marchait relativement bien.

 

Une fois sortis de leur résidence, il n’y avait plus ni caresse, ni baiser, ni aucune marque de tendresse laissant sous-entendre que Matt et Artus étaient plus que des amis. Artus voulait bien être gentil avec Matthieu, il voulait bien lui faire plaisir, mais il y avait des limites. Que des preuves en images de leur liaison existent, c’était tout simplement hors de question. Les gens pouvaient s’imaginer ce qu’ils voulaient sur leur fraternité exacerbée, sans preuve, il n’y avait pas lieu d’en parler et il n’y avait pas lieu de démentir quoi que ce soit. Les vautours de la presse à sensation avaient fait leurs choux gras sur ses relations avec Clara et Shelley, il ne leur donnerait aucune occasion de le faire avec Matthieu.

 

Le laisser entrelacer ses doigts et câliner sa paume dans l’obscurité du premier balcon près de la scène – le siège des rois, vers lequel tous les regards se tournent dès que la visibilité revient – était très excitant pour Matt. Artus le savait, et cela constituait une précieuse monnaie d’échange. Il lui fallait au moins cela pour l’obliger à écouter quatre heures de Wagner. Personne ne les voyait, personne ne le savait, pourtant le geste était réel. La sensation était réelle, au milieu de cette foule si dense, consciente d’avoir près d’eux les célèbres Artus Borg et Matthieu Paris. Leur intimité était épargnée, cela convenait à Artus, et ils étaient à l’extérieur, en public, cela convenait donc à Matthieu.

 

En début de soirée, Matt vint toquer à la porte de la chambre d’Artus. Devant son miroir, il terminait d’ajuster sa cravate nacarat, sur l’un de ses nombreux costumes ultra chics. Il aimait presque autant écouter l’opéra que se préparer pour s’y rendre. Le chanteur regarda son compère s’approcher de lui. Ils allaient chez les mêmes tailleurs en général, aussi Artus se demandait-il comment faisait Matt pour toujours avoir l’air un peu pouilleux dans des costumes à cinq milles dollars. Artus avait une collection faramineuse de smokings. Matt, lui, devait en avoir trois, à tout casser, sans compter ses tenues de scène bien évidemment. Ceci expliquait peut-être cela.

 

Matthieu se planta devant son partenaire et lui tendit une cravate d’un beau vert de jade, volée dans son dressing, en affichant un large sourire bienheureux, limite goguenard. Artus réprima un soupir affligé avant d’attraper l’accessoire et de l’enfiler autour du col de Matt.

 

— Tu exagères. Depuis le temps, tu pourrais faire tes nœuds de cravates toi-même.

— Tu sais bien que je ne sais pas les faire.

 

Un fin rictus souleva la pommette railleuse d’Artus avant qu’il ne reprenne la parole tout en faisant la première boucle.

 

— Je ne suis pas idiot. Je sais bien pourquoi tu as renoncé à apprendre, mais ce n’est plus d’actualité il me semble.

 

Il enfila rapidement le tissu et fit glisser sa main pour resserrer le nœud. Arborant fièrement sa vieille trombine cabotine, Matthieu répondit en dévisageant son compagnon, ridé, joufflu, mais encore terriblement séduisant.

 

— C’est symbolique.

 

Artus souffla par le nez en guise de rire. Au moment où il allait retirer ses mains du tissu, Matthieu avança sa tête et lui vola un baiser. Artus lâcha la cravate et posa sa main repliée contre la joue fraichement rasée de son ami, avant de caresser du bout du pouce la zone qu’il avait frappée trente ans plus tôt. Ils se contemplèrent un instant silencieusement, avant que Matt ne lâche sur un ton provocateur :

 

— Tu ne me dis pas d’arrêter ?

 

Artus répondit à cette boutade en tapotant sa joue dans un geste paternaliste.

 

— Non, sinon après je serais obligé de te prendre dans mes bras, et je n’en ai pas envie.

— Je t’y obligerai.

— Essaye toujours.

 

Et en guise de réponse, Matthieu l’embrassa à nouveau.

Laisser un commentaire ?