The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 26 : Souvenirs éparpillés ooOoo Le jour où tout a basculé ooOoo

1907 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/10/2023 23:06

Souvenirs éparpillés – troisième enregistrement

 

 

ooOoo Le jour où tout a basculé ooOoo

 

 

Il me semble que tout a commencé à changer à partir de ce jour-là. Artus avait atteint un point de non-retour. En y repensant aujourd’hui, j’en suis absolument certain, mais mon instinct me l’avait déjà beuglé aux oreilles quand il a débarqué à l’improviste avec sa tête de zombie…

 

J’me revoie nettement en train de parler en visio avec Scott, plié en deux sur mon canap’ géant, en tongs et vieux t-shirt pikachu complètement délavé – un cadeau de Jessy qui remontait à l’époque où elle faisait nos premières parties avec The League. J'étais pas loin des quarante-cinq balais, mais je l'avais toujours, et je l'ai encore gardé quelques années de plus, jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux.

 

— Je sais que t’as du boulot Scotty, mais ce serait bien de régler ça avant qu’on reparte en tournée.

— Matt, je ne peux pas être partout… Jessy m’a appelé hier aussi. Juliette est malade et Jane ne peut pas s’en occuper. En plus, je vous rappelle que ce n’est pas mon métier.

— Oui M’sieur l’ingénieur, mais tu sais bien que tu es notre muse à tous.

 

À quarante piges, et malgré sa barbe blonde qui recouvrait tout le bas de son visage, Scott avait toujours ce petit air craintif de gamin de dix ans et il couinait au lieu de parler. Je le cuisinais longuement jusqu’à ce qu’il cède, une vilaine habitude, mais bon, c’est comme ça qu’on gagnait des millions. Ma petite poule aux œufs d’or planquée…

 

Jane a quitté son groupe quelques mois après le tournage de « The Best », pour partir faire des études de biologie. Ça a marqué la fin des Train Twins, au grand dam de sa jumelle. C’était sacrément ironique comme situation. Après « The Best » Jessy me haïssait plus que jamais, mais c’est Jane qui a failli broyer tous ses rêves musicaux avec son départ. Scotty l’a suivie à l’université, sans surprise, mais contrairement à elle, il n’a pas su complètement arrêter la musique. J’ai envie de dire que c’est grâce moi, parce que je l’ai supplié de continuer d’écrire pour moi, pour nous, mais je crois que c’est en lui que ça se passait, ce besoin de créer autre chose que des machines froides…

 

Avec son indécrottable gentillesse, Scotty m’a demandé un service - ce qu’il ne faut jamais faire auprès d’un manipulateur : il m’a demandé d’aider le nouveau groupe de Jessica à décoller. Pour moi ce n’était pas du tout un service. Une si belle voix méritait de résonner dans le monde entier, ça me faisait vraiment plaisir d’aider le dragon, même si Artus disait que c’était comme pactiser avec le diable, et qu’je suis convaincu que Jessy pensait exactement la même chose à propos de nous.

 

Notre producteur de l’époque n’a pas été trop difficile à convaincre, The League a beau avoir été bricolé sur les ruines des Train Twins et des Irish, le potentiel était là. Ils étaient bien assez bons pour chauffer nos salles. Indirectement, j’ai enfin eu ce que je voulais : la voix de Jessy, même si ce ne fut que temporaire, le temps qu’ils se lancent dans le grand bain avec ses nouveaux camarades Rem et Loyd, et ce bon vieux Fry fidèle au poste.

 

Je me suis servi de ce prétexte pour rendre Scotty redevable envers moi. Que voulez-vous, on s’refait pas. Il restait un meilleur parolier que moi, c’était limite humiliant. M’enfin, Jane peut quand même me dire merci, mes compo avec Scott lui ont payé son doctorat, son labo privé et sa résidence secondaire à la campagne. J’ai transformé son nerd en nabab.


— S’il te plaît Matt, ne prend pas cette intonation-là… piaillait le p’tit Scotty derrière sa webcam.

— De quelle intonation tu parles ?

— Celle que tu prends quand tu veux me faire culpabiliser.

— Allons bon, où vas-tu chercher tout ça ? mentis-je. Ce n’est pas comme si mon charme ravageur marchait sur toi. Je n’ai pas les mêmes atouts que ta femme, malheureusement.

 

Il s’est raclé la gorge pour dissimuler sa gêne.

 

— Hem. J’imagine que je peux au moins prendre une heure ou deux pour broder quelque chose sur les mélismes qui te plaisaient…

— Tu vois quand tu veux. Admets-le, mes chansons t’excitent plus que tes algorithmes.

— Je vais te répéter ce que Fry m’a dit un jour : il faut que tu arrêtes de dire des trucs bizarres comme ça.

— Tu brises mon cœur de mélolagne…


J’ai soudain levé les yeux vers la porte de mon salon quand je l’ai entendue coulisser. Je ne m’attendais pas à voir Artus déjà , il n’était pas supposé passer de la journée, mais ce qui m’a le plus frappé, c’est l’expression qu’il avait sur la trogne. Il m’a foutu les jetons, tous mes poils se sont hérissés.

 

— Désolé une urgence, j’te rappelle.

 

J’ai coupé la communication brutalement et je me suis levé pour aller voir Artus. Dans le temps, j’aurais dit un truc du genre : « ça va pas vieux ? » ou « bah qu’est-ce que tu fous là ? », mais tout ça était devenu accessoire. Je savais quand Artus voulait parler, je savais quand un truc n’allait pas, et lui il savait que j’allais l’écouter. Il suffisait que je le regarde jusqu’à ce qu’il déballe ce qu’il avait sur le cœur.

 

— J’ai frappé Shelley.

 

Franchement, j’ai eu peur quand il m’a dit ça. Artus a jamais été un violent, il est plutôt précieux comme mec, mais je l’ai déjà vu se battre une fois ou deux dans notre jeunesse, il ne retient pas ses coups. Ma pommette se souvient encore de son poing. Quant à Shelley… Shelley était une connasse. De toutes les femmes qu’il a baisées, j’ai jamais compris pourquoi c’est avec elle qu’il a fait un gosse. M’est avis qu’elle l’a eu par surprise pour lui soutirer du fric. Il était devenu moins prudent avec la contraception après l’épisode Clara Galvin… Pas besoin qu’je m’étende sur ce sujet j’crois. Y a déjà toutes les infos dans la presse poubelle pour ceux qu’ça intéresse.

 

J’avais froid dans le dos, mais je suis resté calme.

 

— Elle va bien ? Tu vas bien ?

— Oui, elle va bien. Elle me quitte et elle emmène Junior. Mais je ne l’ai pas frappée pour ça. Elle m’a traité de pédé refoulé.

— Oh.

 

Ouais oh, j’ai rien trouvé de mieux à dire que oh. Artus s’est mis à ricaner nerveusement.

 

— Elle n’était pas vraiment pour moi cette insulte…

— Ouais, j’devine.

 

Comme je le disais : c’était une connasse.

 

— Personne n’a le droit de t’insulter, surtout pas une pétasse dans son genre.

— Faut pas te prendre la tête avec des trucs comme ça.

— Si, si précisément si. Tu es plus important pour moi que le reste, alors je ne vais pas laisser passer des trucs comme ça. Mais honnêtement, je commence à fatiguer Matt.

 

J’ai posé ma main sur son épaule pour le réconforter et j’ai sorti mon sourire « don’t worry be happy ».

 

— Ça ira mieux demain vieux.

— Arrête avec cette phrase à la con ! J’en ai marre ! Je n’en peux plus de cette vie… Je voudrais juste rester avec toi pour chanter dans les bars comme autrefois…

 

Artus a fondu en larmes. J’avais mal à en crever de le voir comme ça. Je l’ai pris dans mes bras et on s’est assis sur le canapé pour qu’il puisse se laisser aller. J’ai posé ma tête contre la sienne et je l’ai laissé tremper sa chemise et mon pokémon avec ses pleurs, sa bave et sa morve. J’ai pas d’enfant, mais je suppose que c’est plus ou moins l’effet que ça fait quand ils chialent sur vous sans pouvoir s’arrêter.

 

— Pourquoi je ne suis pas gay comme toi ? finit-il par me demander le visage enfoui dans mon t-shirt crade.

— Bah euh c’est la nature, c’est comme ça, répondis-je un peu perturbé par la réflexion.

— Tout serait plus simple. Tu es la seule personne qui me comprenne, la seule personne qui ne m’ait jamais trahi, la seule personne qui ne m’ait jamais abandonné. J’en ai ras-le-bol de toutes ces putes arrivistes, je ne veux que toi…

 

J’ai senti son étreinte se resserrer autour de moi. Il était en train de péter un câble, j’en étais certain.

 

— Artus, t’as pris un truc ?

— Mais non putain ! Je suis clean ! gueula Artus.

— Ok ok, t’énerve pas. T’énerve pas…

 

Je l’ai cajolé comme j’ai pu, en lui frottant le dos et en embrassant ses cheveux. J’avais déjà été amené à le rassurer comme ça à l’époque de Clara drama queen, mais ce jour-là c’était une vraie cocotte-minute. Je m’attendais à ce qu’il se mette à siffler comme un vieux train à vapeur. C’était miraculeux que Shelley s’en soit sortie avec un simple coup de poing dans la figure, et c’était miraculeux qu’il soit arrivé chez moi en un seul morceau. On a frôlé la tragédie familiale.

 

J’évitais autant que possible de remettre le sujet de mes sentiments pour Artus sur le tapis, en dehors de mes chansons à l’eau de rose toujours anonymes. J’ai quand même dû déroger à ma ligne de conduite pour cette fois.

 

— T’es l’amour de ma vie, mais toi tu ne dois pas tout mélanger. Entendu ? repris-je d’une voix paisible.

— Tu es toujours plus malin que tout le monde, c’est chiant…

— Je sais.

 

Artus s’est endormi, à moitié affalé sur mes genoux. J’ai pas bougé jusqu’à ce qu’il se réveille, deux heures plus tard. Il n’est rentré chez lui que pour récupérer quelques affaires après avoir reçu un appel de l’avocat de Shelley, puis il est revenu crécher chez moi. Et moi, j’ai balayé la merde sous le tapis comme j’ai pu.

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