Les Larmes d'Ondine

Chapitre 3 : Entre espoir et miracle

3335 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/10/2022 17:36

Le prince Lewis, fils héritier du roi Lothaire, faisait les cent pas devant la chambrée de Viktor, le visage rongé par l’inquiétude. Sa petite sœur, la princesse Isadora, assise non loin de là l’observait avec impuissance. L’attente était insupportable, cela faisait plus d’une heure que le médecin s’occupait du blessé.

Tout à coup, le loquet de la lourde porte en chêne s’ouvrit. Tous les yeux se braquèrent sur le médecin personnel du roi : le Dr Marcello. Lewis se précipita à sa rencontre en le sondant du regard, mais il ne put décrypter aucune émotion sur son visage.

 

-         Alors docteur, comment va-t-il ? 

Le vieil homme se racla la gorge.

-         L’arme n’a touché aucun organe noble, mon prince. Cependant, il a perdu beaucoup de sang et aura besoin de repos. Veillez à ne pas l’incommoder trop longtemps durant les visites. 

Le prince souffla un long soupir de soulagement.

-         Bien sûr, cela va de soi. 

-         Et…

Le Dr Marcello hésita avant de poursuivre sa phrase.

-         Oui ? Demanda Lewis, le souffle coupé.

-         J’ai également une mauvaise nouvelle, l’arme avec laquelle il a été agressé était enduite d’un puissant poison dont je ne connais l’origine. 

-         Je vous demande pardon ? 

-         Je suis sincèrement navré, mon prince, mais je ne connais aucun remède qui pourrait le guérir du mal qui le consume, je ne lui donne pas plus d’une semaine.

 

Sous le choc, la sœur de Lewis se leva subitement de sa chaise pour déposer une main compatissante sur le bras de son frère.

Les larmes commencèrent à leur piquer les yeux. D’abord leur père et maintenant Viktor. Viktor était leur camarade et ami d’enfance. Plus jeunes, ils passaient des journées entières à jouer ensemble, à faire des pitreries et à agacer leurs parents à cause de leurs bêtises. Mais, que lui était-il passé par la tête cette nuit pour se jeter tête baissée dans la gueule du loup ?

 

Isadora éclata en sanglots dans les bras de Lewis qui ne savait plus quel mot employer pour la réconforter. Cette dernière n’avait pas eu un instant de répit depuis qu’elle avait appris la disparition de son père.

 

-         Est-il éveillé ? Demanda le prince.

Marcello secoua la tête.

 

C’est à ce moment-là que des pas résonnèrent dans le couloir.

« Lord Lewis ! »

 

Le prince reconnut la voix gutturale du général Walter, il salua le prince et la princesse avec un profond respect.

 

-         Relevez-vous, je vous prie, l’heure n’est pas aux courbettes. Faites-moi donc plutôt votre rapport, suggéra Lewis.

-          J’ai envoyé toutes les patrouilles de soldats disponibles. Ils ratissent toutes les terres ainsi que les royaumes voisins à la recherche de Sa Majesté le roi Lothaire. On soupçonne une confrérie d’assassin de l’avoir capturé. Déclara solennellement le général, la mine déconfite.

-         Comment savez-vous qu’il s’agit là de l’œuvre d’assassins ?

-         Leur nombre, leur mode opératoire, les témoins interrogés ainsi qu’une pièce à conviction décisive, Votre Altesse : la dague qui a meurtri Viktor. L’ennemi l’a certainement laissée tomber dans la cohue. Elle a été retrouvée, non loin de son corps. Le pommeau de cette lame porte les armoiries d’une confrérie d’assassins dont nous ignorons la maison. Les malfrats se sont infiltrés en douce par l’arrière-cour. Ils ont assassiné à bas bruit plusieurs de nos hommes qui montaient la garde avant de gravir les escaliers du château jusqu’aux appartements de Sa Majesté. Ils ont été aperçus assez tardivement par le guetteur au moment où ils prenaient la fuite.

Le prince fronça les sourcils et se frotta le menton avant de détailler minutieusement la dague présentée par le général.

-         C’est incroyable qu’ils aient pu s’infiltrer aussi facilement dans l’enceinte du château. Il faudra remédier à ce problème. 

-         Ce sont des professionnels, Votre Altesse…

-         Et nous, des incompétents, lâcha-t-il, exaspéré.

 

Le général ne releva pas. Après tout, il se sentait responsable de cet enlèvement. La garde rapprochée n’avait pas pu protéger le roi et les assassins s’étaient volatilisés cette nuit. Néanmoins, la préoccupation première de Walter était son fils. Le souvenir de cette nuit effleura sa conscience ; il l’avait découvert étendu sur le sol dans une mare de sang, le regard vitreux. Il l’a d’abord cru mort, mais fut rassuré d’entendre les battements de son cœur. Le général chassa subitement cette pensée de son esprit pour se recentrer sur l’affaire.

Le prince Lewis remarqua le regard distrait du chef de garde. Il se doutait que ce dernier se souciait de la santé de son fils et ne put s’empêcher d’éprouver de la peine pour lui.

 

-         Bien, il serait souhaitable que vous vous renseigniez davantage sur l’origine des armoiries de cette arme. Pour l’heure, je vous remercie pour ces informations, général. Tenez-moi au courant de l’avancée de votre enquête, vous pouvez disposer. Lui dit-il en posant une main réconfortante sur son épaule.

 

Walter s’inclina et se mit à l’écart pour discuter en privé avec le médecin du roi.

 

-         Allez-vous lui rendre visite ? demanda Isadora à son frère.

-         Je n’en ai point la force pour l’instant et j’ai beaucoup à faire. Toutes les responsabilités me retombent dessus. Le peuple pense déjà que le roi Lothaire est mort et que je lui succéderai dans les prochains jours.

-         Impossible, les assassins l’auraient tué sur place s’ils voulaient sa mort…

-         Vous avez raison. De plus, ils disposent leurs vils services auprès de clients… Quel était le but de ce dernier ? Une demande de rançon, un règlement de compte ?

Isadora sortit un mouchoir en soie de sa robe pour sécher ses yeux mouillés.

Lewis la regarda avec compassion.

-         Soyez forte ma chère sœur, car les jours à venir seront éprouvants.

 

Et sur ces mots, il prit congé pour accomplir son devoir.


°°°


Deux jours passèrent. Deux jours durant lesquels les recherches furent longues et infructueuses. L’enquête était au point mort et l’état de Viktor se dégradait progressivement.

Le général Walter semblait dévasté depuis que le médecin lui avait annoncé que les chances de survie de son fils étaient quasiment nulles. Ces derniers temps, il passait ses journées à prier au chevet de son garçon. Il avait fait appel à de nombreuses personnes du royaume pour lui venir en aide ; prêtres, médecins, herboristes, guérisseurs, mais aucun ne sut comment délivrer son fils du poison qui coulait dans ses veines. L’issue était fatale et inévitable.

 

C’est durant cette nuit de pleine lune qu’Ondine reçut la visite d’un mystérieux personnage…

 

La nymphe peignait de ses doigts ses longs cheveux blancs en observant son reflet dans l’eau noire. Seule la lune éclairait les flots et le ciel. La fraîcheur des nuits d’été caressant ses joues était si agréable. Un calme imperturbable s’était installé ; la forêt s’était endormie. Ondine profitait un maximum de ces moments-là, car personne ne venait l’importuner.

 

« Bonsoir. »

 

Surprise, Ondine se redressa subitement pour dévisager la personne qui venait de la saluer. Elle aperçut, dans l’ombre des arbres, une silhouette menue dont le visage était recouvert d’un chaperon. La personne tenait à la main droite une lanterne rouillée par le temps, dont la chandelle menaçait de s’éteindre à tout moment.

 

-         Partez d’ici, somma Ondine, méfiante.

-         Je suis navrée, je ne voulais pas vous effrayer. Rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal.

 

Elle reconnut un timbre de voix féminin, mais malgré ces mots, Ondine resta sur ses gardes.

 

-         J’ai une requête à vous mander. 

Curieuse, la nymphe prêta une oreille attentive.

 

-         J’ai de quoi payer…

-         L’argent ne m’intéresse pas.

-         Oh, mais je ne vous parle pas d’argent.

Elle farfouilla dans l’une de ses poches pour en ressortir un bijou d’orfèvre ; un magnifique peigne argenté orné de roses décoratives.

Les yeux d’Ondine pétillèrent. Les nymphes des eaux raffolaient des objets scintillants.

 

-         J’ai pensé qu’il vous serait utile pour peigner votre longue chevelure. 

Le mystérieux personnage à capuche serra très fort l’objet entre ses doigts délicats comme s’il s’agissait d’un bien précieux avant de le déposer au pied de la rivière.

 

Ondine fut très étonnée, cela faisait longtemps qu’on ne lui avait pas fait d’offrande de ce genre.

-         Quelle est votre requête ? Demanda-t-elle intriguée.

-         Au château de Valserre, il y a un mercenaire du nom de Viktor. Ce dernier a été empoisonné lors d’un combat. Aucun remède n’a pu le guérir jusqu’à présent, ses chances de survies sont maigres… 

Elle marqua une pause avant de continuer d’une voix frêle.

-         Je vous en prie, sauvez-le. 

-         Qu’est-ce qui vous fait croire que je pourrai le sauver ? 

-         Cela est peut-être naïf de ma part, mais j’ai ouï dire que les larmes des naïades pouvaient guérir tous les maux. 

 

Le sang d’Ondine se glaça et ses lèvres tremblèrent sans qu’elle ne puisse les contrôler. Rares étaient les individus qui croyaient en cette légende et pourtant, elle était vraie. Les nymphes des eaux avaient le pouvoir de guérir les maux et maladies dites incurables. Cependant, elles n’accordaient pas ce breuvage sacré à quiconque. En effet, les larmes des naïades pouvaient être un remède comme un poison mortel si elles étaient administrées à une personne en bonne santé. L’ensemble du commun des mortels n’avait pas forcément de bonnes intentions. Quand Ondine comprit cela, elle n’en distribua plus, on ne lui rendit plus jamais visite et la rumeur s’étouffa à petit feu jusqu’à tomber dans l’oubli.

 

-         Vous semblez bien renseignée, qui êtes-vous ? 

-         Cela n’a point d’importance. De grâce, acceptez ma requête en échange de ce peigne.

-         J’ignore si je peux vous faire confiance...

Ondine s’approcha prudemment de la dame au chaperon et s’agenouilla pour contempler l’offrande de plus près. Il s’agissait là d’un véritable accessoire coulé dans l’argent, ce peigne raffiné était un trésor de minutie, et sans aucun doute un objet très couteux. Seuls les nobles ou les personnes haut placées pouvaient se permettre de se l’offrir.

Devant la détresse de la jeune femme, Ondine hésita, mais ne put se résoudre à refuser sa proposition.

 

-         … C’est pourquoi j’irai moi-même lui donner ce breuvage, vous avez ma parole. 


°°°

 

Le lendemain matin, la jeune femme se rendit à Valserre. Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus quitté sa rivière et voir du paysage lui fit le plus grand bien. Depuis toujours, la nymphe était partagée entre un désir brûlant de voyages et son devoir de veiller sur son cours d’eau. N’ayant jamais su se décider, elle se résignait à rester auprès de sa rivière et rares étaient les occasions d’en sortir.

 

Sur le chemin, elle remarqua que les potins allaient bon train dans le petit bourg de Valserre et eut rapidement vent de la disparation du roi, son enlèvement était sur toutes les lèvres.

Ondine flâna entre les rues commerçantes toutes plus animées les unes que les autres jusqu’à atteindre l’entrée du château fort gardée par deux soldats.

 

-         Halte-là !

-         Veuillez décliner votre identité. 

 

Ondine était méconnaissable dans cette tenue, celle-ci s’était vêtue d’une cape noire cachant le haut de son visage et, dans sa main, tenait un bâton de marche. Elle portait également une petite sacoche en bandoulière dans laquelle elle stockait de nombreuses fioles. La jeune nymphe préférait prendre ses précautions quand il s’agissait de rencontrer le peuple des humains, c’est pourquoi elle préférait cacher son identité.

 

-         Mon nom est Aurore, je suis guérisseuse. Je viens apporter mes soins au dénommé Viktor le mercenaire. 

 

Les soldats échangèrent des regards perplexes avant de la toiser de la tête aux pieds. Ondine dégagea ses yeux pour leur lancer tour à tour un regard charmeur qui les fit fondre sur place. Envoutés par sa beauté ils la laissèrent passer sans plus insister.

 

-         Je vous remercie messieurs. 

 

De nombreuses personnes interloquées se retournèrent sur le passage d’Ondine. Elle entendit des chuchotements et des messes basses à chaque recoin de couloir. Elle se renseigna du chemin à emprunter afin d’atteindre les appartements de Viktor.

 

-         Oh, vous venez visiter le fils du général Walter ? Première tour à droite de l’aile est du château. Vous n’êtes pas la première personne, vous savez. Pauvre garçon, il est pourtant si jeune, l’informa une vieille femme aux airs précieux.

 

Ondine se rendit au sommet de la tourelle et frappa trois coups francs à la porte. Au bout de quelques minutes d’attente, quelqu’un daigna lui ouvrir.

C’était une domestique du château. Par l’entrebâillement de la porte, elle considéra Ondine d’un air agacé.

 

-         Les visites sont terminées, déclara-t-elle sèchement.

-         Permettez-moi de me présenter : je m’appelle Aurore et je suis guérisseuse.

-         Le général ne reçoit plus personne.

La jeune femme voulut lui claquer la porte au nez, mais Ondine l’en empêcha en la bloquant avec son pied.

 

-         S’il vous plaît, accordez-moi juste un instant.

-         Le malade a besoin de repos, Madame, il y a déjà eu beauc… 

-         ASSEZ !

 

La voix grondante du général fit tressaillir les deux jeunes femmes et mit fin à leur petite querelle.

 

-         Amandine, laissez-la entrer, poursuivit-il d’un ton plus calme.

 

La domestique jeta un regard noir à la guérisseuse avant d’ouvrir à contrecœur. Ondine s’avança dans la grande pièce pour y découvrir le jeune malade mal en point ; il respirait avec difficulté, son visage était blanc et ses lèvres bleutées. Sur son front perlaient de nombreuses gouttes de sueur et son sommeil semblait agité, probablement à cause de la fièvre.

 

À son chevet, assis sur un tabouret, son père le regardait avec impuissance. Il ne détacha pas ses yeux de son fils pour s’adresser à Ondine.

 

-         Qu’allez-vous me proposer désormais ? Des prières ? Des recettes saugrenues ? Des saignées ou encore un remède miracle ? 

 

Elle décela un certain sarcasme dans sa voix, mais la nymphe ne se laissa pas déstabiliser par ces propos et ne put s’empêcher de sourire quand il évoqua un « remède miracle ». Silencieusement, elle le rejoignit et s’assit sur une chaise près du mercenaire, de l’autre côté du pieu.

 

Walter plongea un gant de lin dans l’eau froide de la bassine et le passa sur le visage de Viktor.

Ce dernier l’appelait dans son cauchemar, il semblait tourmenté et lui quémandait de l’aide. Devant les appels de son fils, sans s’en rendre compte, le général se remit à pleurer à chaudes larmes et enfouit son visage entre ses mains.

 

Ondine fut touchée par la détresse de cette scène, c’est l’une des rares fois où elle ressentit une once d’empathie envers les humains. Alors elle se décida à ouvrir sa sacoche pour en ressortir la fiole contenant ses larmes.

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