Balafrée, Tome 1 : Stochasis
Skoteinos se lève et il commence à marcher. Je me lève et je le suis. Chari ne tarde pas à nous rejoindre. On marche vite et, je ne sais pas pourquoi, je souris.
— Pourquoi est ce que tu as un sourire niais collé sur le visage ? me demande Chari en soupirant.
— Je sais pas, dis-je en haussant les épaules.
— Oui bah sache que tu es ridicule.
— Oh arrête, pour une fois qu'elle ne nous fait pas la gueule, lui répond Skoteinos.
— Je fais pas la gueule, dis-je en mimant un visage faussement indigné.
— Ah bon, parce que moi je t'ai jamais vue sourire, me répond-il en souriant à son tour.
— Moi non plus, ajoute Chari avec une grimace qui nous fait tous rire.
— Ça y est, on est plus nous même, dis-je, on rigole et on s'amuse. Serait-on devenus normaux ? dis-je en ouvrant grand les yeux.
— Non, personne n'est normal ici, dit Chari en me regardant comme si je venait de dire la pire des bêtises.
— Oui, où vois tu de la normalité ? ajoute Skoteinos en mettant sa main au dessus de ses yeux, comme si il cherchait un truc.
Nous rions et ça soulage. Je suis contente d'avoir tout dit à Skoteinos. Je cache des tas de truc et à des tas de gens mais je voyage avec lui alors ça devenait un peu gênant de ne pas lui en parler. On marche et je repense à la façon dont j'ai raconté mon histoire. Je ne voulais pas dire que c'est moi. Avant j'étais tellement gentille. Maintenant, je suis froide et peu de gens m'apprécient. Je me dis que c'est pas plus mal mais c'est douloureux. Et puis, c'est plus difficile d’être méchant que d’être gentille, des fois je peux pas m’empêcher d’être agréable et compatissante. Je suis sortie de mes pensée par Skoteinos qui passe son bras autour de mon épaule en disant à Chari :
— Nous deux on est des enfants uniques. On connait pas ça, n’est ce pas, ajoute il en me regardant dans les yeux.
Je déteste quand il fait ça. Je n'aime pas qu'on me regarde dans les yeux. Je crois l'on peut lire dans mes pensées ou un truc dans le genre. Alors, je ne sais pas pourquoi, je le repousse et crache :
— Me touche pas, fiche moi la paix !
— Pardon, je voulais pas te mettre mal à l'aise, me dit-il en se mordant la lèvre inférieure avec un air peiné.
Je voudrais lui pardonner mais je n'aime pas les contacts physique et quad les gens me regardent dans les yeux et les deux en même temps, c'est vraiment désagréable. Donc, comme à chaque fois que je me sens mal, je fuis. Je me mets à courir. Il crie, il tente de me suivre mais je ne l'écoute pas et j’accélère. Je ne sais pas combien de temps je cours mais je ne les vois plus quand je m’arrête enfin. Le soleil est presque totalement couché. Je sors une lampe de poche et je m'assoie, suffisamment loin du chemin pour que personne ne me vois.
Je suis en colère contre moi. Je m'en veut tellement, je n'aurais pas du m'énerver pour aussi peu. Je suis une lâche par dessus le marché, je n'avais pas non plus à fuir. J'aurais du lui expliquer. Il aurais compris et il n'aurais pas recommencé. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je décide de me coucher : je ne veut pas penser à tout ça. Mais j'ai quand même un peu peur qu'ils passent sans me voir et que l'on ne se voit plus. Que je sois obligée de retourner dans la ville pour manger, ce qui est très difficile car, à cause de ma cicatrice, les gens me reconnaitraient. Je suis épuisée, tant mentalement que physiquement. Finalement, je m'endors assez vite.
Des crocs. Ils traversent ma peau. J'ai mal. Il n'y a que ça : de la douleur. Je hurle. Je ne peut rien faire. Des larmes coulent le long de mes joues. J'ai mal, j'ai trop mal. Je tente de réfléchir : je suis où ? Dans la gueule d'un gros animal, un très gros animal parce que j'ai principalement mal au haut du dos et aux hanches, il y a aussi et surtout mon ventre qui me donne l’impression d'être totalement transpercé. Je hurle, je ne peut faire que ça. C'est trop douloureux. Sur le champ éclairée par la lune, je peux voir des trainées de sang qui me donnent envie de vomir. J'ai le souffle court. Je tente de me dégager mais la bête resserre ses crocs et je crie encore. J'espère que quelqu’un va venir m'aider même si c'est un fylake ou une personne qui va me mettre en prison après. Au moins je ne mourrais pas. Enfaite, je voudrait que la bête me tue plutôt que de subir encore cette douleur. Alors, avec mon bras qui est à l’intérieur de la gueule, je touche mon pantalon et, je sens les lames utilisées par les fylakes qui nous avaient attaqués. J'en sors une et je la plante dans le palais de la bête. elle me lâche. Je tombe au sol. Je rampe jusqu'à la route pendant que la bête se barre. Elle devait penser que j’étais une proie facile et la lame l'a convaincue que ce n'était pas le cas. Une fois que je suis en plein milieu de la route, je ne bouge plus. De toute façon je n'ai plus de force. Je m'évanouis.
Mal. Douleur. C'est la seule chose à laquelle je peux penser. Il y a aussi des mains. Je suis dans les bras de quelqu'un. Il... pleure ? Et parle, je ne sais pas ce qu'il dit ni même à qui il s'adresse. On me pose, au sol je suppose. On touche mes plaies, ça fait mal alors je bouge et gémis. Il parle mais je ne comprend toujours pas. Il y a une autre voix. Une fille je crois. Je tente tant bien que mal de me concentrer sur ce qu'ils disent mais je ne réussi toujours pas à savoir ce qu'ils me disent. J'ai mal. Ils touchent mes plaies. Je croient qu'ils sont en train de les bander mais j'ai trop mal. Je veux que tout s’arrête, de ne plus avoir mal et de ne plus rien ressentir. Je perds une nouvelle fois connaissance.
Je me réveille. Je n'ai pas aussi mal que dans mon souvenir. Je suis sur le sol, dans un champ et le soleil de midi illumine celui-ci. Je tourne la tête. Il y a Chari et Skoteinos en face de moi. Quand ils voient que je suis réveillée, ils viennent tout les deux me voir :
— Ouli ! Tu vas bien ? Qu'est ce qu’il t'est arrivé ? me demande Skoteinos.
— Je suis désolée... Je m'en veut... dit je en soupirant, aïe ! ajoute-je car soupirer m'a fait mal.
— Ça va ? me demandent mes deux amis en même temps.
— Pas vraiment j'ai mal à chaque mouvement.
— Il s'est passé quoi ? On t'a juste retrouvée sur la route, avec des plaies de partout et dans une flaque de sang. On a cru que tu étais morte !
— Je me suis endormie dans le champ et une bête m'a attaquée. Je me suis réveillée dans sa gueule. Je lui ai planté une lame dans le palais et je me suis trainée jusqu'à la route avec de m'évanouir.
— Heureusement qu'on a pas campé alors. Peut-être qu'on en se serais pas revues, dit Chari en frissonnant.
— Je suis désolée. J'aurais pas du partir; C'est de ma faute. Je l'ai mérité.
— Non ! C'est pas de ta faute. C'est de la mienne, dit Skoteinos en baissant la tête.
— Bon, c'est de la faute de personne. On va pas parler de ça longtemps, nous interromps Chari.
— Ok, mais pourquoi est ce que j'ai une chemise ?
— C'est à moi, me dit Skoteinos. Tes vêtements moulants risquaient de te faire mal avec les bandages.
— Ah ok, lui dis-je avec un sourire, je vais essayer de me redresser.
Je tente de relever un peu le haut de mon corps mais j'ai trop mal alors je me laisse retomber en gémissant.
— Ça va ?
— J'ai trop mal, je peux pas, réponds-je à Chari.
Je sens alors une main serrer la mienne. C'est Chari, elle me dit :
— Je veux pas que tu meurs. On se connait pas vraiment mais j'ai pas envie de tu partes.
— Je vais pas mourir. Je vais gérer et on va repartir. Tout va bien se passer.
— Non, tu n'en sais rien. Tu n'as pas vu dans quel état on t'a retrouvée. Tu es passée tellement près de la mort que c'est insensé qu'on ai pu te sauver.
— Je sais mais je vais pas mourir, je te le jure. On est où ?
— Dans un bosquet près de la où on t'a trouvé, il y a assez d'arbres pour que personne ne nous vois.
— Ok.
Skoteinos s'est éloigné. Il reviens avec de la nourriture. De la viande séchée pour être exact. Je n’ai pas envie de manger mais, en voyant ma tête dégoutée, il me dit sur un ton condensant :
— T'as pas le choix, ça fait deux jours que t'as rien mangé alors ton corps en a besoin même si ça va te faire mal.
— J'ai pas envie !
— Aller, s'il te plait ! J'ai pas envie de t'obliger. Tu prends des petites bouchées et c'est bon !
— Tu me saoules mais je vais le faire, dis-je en prenant la viande des mains de Skoteinos. Je tente de manger en prenant des petites bouchées mais c'est super douloureux, Skoteinos n’arrête pas de répéter que "c'est pour que j'aille mieux" et on voit bien qu'il ne sait pas ce que c'est d'avoir aussi mal quand tu manges juste. Chari m'a aidée à me redresser pour manger et me tient la main, je la serre quand j'ai trop mal, c'est à dire quasiment tout le temps. Je suis incapable de faire le moindre mouvement sans avoir mal. Même si ils n'osent pas me le dire, ils ont peur tout autant que moi que j'ai de graves séquelles, que mes plaies s'infectent ou que je meurs.
Je n'arrive à bouger qu'une semaine plus tard et c'est seulement pour m’assoir, je n'arrive toujours pas à me lever. On est tous très inquiets, on est presque surs que je vais avoir des séquelles et qu'on en va plus pouvoir voyager comme avant. Je m'en veut et j'essaye de ne pas être un poids. On a presque plus à manger malgré le fait que je mange toujours aussi peu. On a pas bougé, on est toujours sous le bosquet. Je connais par cœur le chemin en terre, les champs de blé tout autour de moi, les quelques arbres nus qui parsèment le bord de la route.
Je passe encore une autre semaine ici, on en peut plus. Je peux me mettre presque sur mes jambes : je tombe assez rapidement car j'ai trop mal. J'ai l'impression de ne connaitre que ce mot : "douleur". on décide de bouger un peu car nous avons vu des gens passer hier et que l'on ne veut pas se faire repérer. On remballe tout et Chari prend toutes les affaire. Skoteinos me soulève du sol et me prend dans ses bras en me demandant :
— Ça va, t'as pas trop mal ?
— Non, ne t'inquiète pas.
Je ne sais pas comment il fait pour me porter. Je sais que je suis très maigre et toute petite mais quand même, il doit être sacrément fort ! Nous marchons un moment avant qu'il ne réclame une pause. Il doit faire un effort, je le vois bien. On se pose dans un champ avec des épis de blé super grands qui nous cachent un peu des éventuels gens qui pourraient passer par la route. Il est environ midi alors on mange , je mange un peu plus qu'avant mais c'est toujours doucement et en petite quantité pour ne pas me faire mal. Chari et Skoteinos reprennent la route. On fait une autre pause dans l'après midi et, le soir, on trouve des larges buissons qui seront parfaits pour nous cacher un moment. Skoteinos ne cesse de me demander si je vais bien, derrière lui, Chari me lance des regards qui signifient probablement : vous êtes mignons les amoureux et je peux rien dire car il me regarde. On se couche et je m'endors lentement car je ne cesse de m'en vouloir d’être un poids pour eux. Je ne peux même pas marcher. Je soupire et je m'endors.
Des mains ! Des gens, ils veulent m'obliger à me mettre debout. Je regarde autour de moi, mes amis sont dans le même état que moi, on nous a trouvé et on y peut rien.