La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1

Chapitre 6 : Il faut quitter Khaëlentis. Comment ? En bateau, pardi !

4157 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/12/2020 15:07

              Deux heures plus tard, la salle circulaire résonnait du brouhaha incessant de multiples conversations. Une trentaine d’enfants, orphelins ou gosses des rues, s’amassaient sur les tapis et les coussins. La plupart attendait, nerveux, que leur chef se montre. Avëlëa, Faelor, Thaëlya et même le prédécesseur de Raeni, Anathor, les avaient conviés sur ordre de la jeune femme pour une réunion d’urgence. Aucun n’avait été mis au courant de ce qu’il se passait, pas même les amis proches de Raeni.

              La porte principale s’ouvrit au bout d’un moment sur deux jeunes adultes aux origines alfombres. Les conversations se turent à leur entrée, puis reprirent de plus belle. Deux ou trois des gamins vinrent accueillir les nouveaux venus, qu’ils semblaient reconnaître. Leurs vêtements de tissu léger, ainsi que la large ceinture autour de leur taille et les muscles en cours de développement sous leur peau, les désignaient comme marins. Un nouveau point d’interrogation dans les questionnements des enfants, puisque Raeni ne faisait que rarement appel à ceux qui avaient quitté Valmaëlën, et jamais sans raison.

              Quelques minutes supplémentaires s’écoulèrent avant qu’elle ne fasse enfin son apparition, Ayrik dans les bras et Anathor à ses côtés. Le silence se fit aussitôt dans la pièce. La jeune femme déposa son protégé au sol pour qu’il puisse s’installer avec ses camarades, puis gagna une simple caisse posée au centre de la salle en guise d’estrade. Les regards se tournèrent vers elle, dans l’attente d’explications et de réponses aux interrogations muettes qui emplissaient l’air.

              La jeune femme prit le temps de contempler, non sans une certaine satisfaction, sa petite bande. A l’exception d’Ayrik, tous avaient du sang althëlien dans les veines, et l’écrasante majorité était hybride, comme elle. Quelques-uns portaient même l’héritage des deux factions à peine réunifiées, preuves vivantes de la possibilité d’une entente entre elles.

              Pourtant, la quasi-totalité des enfants présents n’avaient pas de famille. Beaucoup avaient perdu leurs parents pendant la guerre, à l’instar de Raeni, mais certains n’avaient jamais connu la leur. L’ensemble des semi-humains était concerné par cette triste vérité. Leur chef, un instant, songea à la trahison qu’ils devaient ressentir, à leur colère contre leurs géniteurs, et au traitement que certains leur réservait. Elle se jura que cette injustice allait cesser. Ils lui avaient offert un foyer, une nouvelle famille. Aujourd’hui, c’était à elle de leur offrir une nouvelle vie, loin de Khaëlentis et de ses habitants rongés par la haine.

—   Bonsoir à tous, lança-t-elle d’une voix forte et assurée. Merci d’être venus.

Quelques sourires lui répondirent.

—   Je suppose que personne ne sait pourquoi je vous ai fait venir ? poursuivit-elle.

—   Khassendrah a encore embêté quelqu’un ? suggéra une fille assise juste aux pieds de Raeni.

—   Oui, soupira celle-ci. Le problème, c’est qu’elle a frappé fort, cette fois.

Elle marqua une pause le temps de balayer l’assemblée du regard. Quelques-uns, parmi les plus jeunes, frissonnèrent. Les rares pensionnaires de Valmaëlën présents se jetèrent de brefs regards, déjà au courant de la situation là-bas.

—   Vous avez sans doute entendu parler d’un vol commis il y a quelques jours, reprit-elle.

Quelques hochements de tête lui répondirent.

—   Ce vol, c’est Khassendrah qui l’a organisé, expliqua-t-elle. Elle a dérobé une broche enchantée à un Ahal. Inutile de vous dire qu’il a aussitôt exigé réparation à la manière des alfombres.

Nouveau frisson général. Les deux marins ouvrirent la bouche puis la refermèrent sans émettre le moindre son, choqués par l’audace de l’alfombre. Raeni continua ses explications :

—   Khassendrah a vite réagi. Elle a planqué la broche dans les affaires d’Ayrik pour que ce soit lui qui soit accusé. Et ça n’a pas manqué. Tout le monde le croit coupable, désormais.

—   On ne peut pas prouver que c’est elle la méchante ? demanda une fille mi-älfä, mi-alfombre.

—   L’Ahal est trop borné, soupira Raeni. Il la croit juste parce qu’elle est alfombre. En plus, ils ont passé une nuit ensemble. Il va forcément lui faire confiance pour qu’elle garde leur secret.

—   Il est stupide, remarqua sa camarade.

—   Je sais, Lëa…

—   Et le directeur de l’orphelinat ? demanda Emëlien. Il ne peut rien faire ?

—   Il préfère voir Ayrik en prison plutôt que de se mettre un Ahal à dos, siffla la jeune femme.

—   Je croyais qu’il tenait au bien-être et à l’épanouissement de chacun de nous, ironisa Thaëlya.

—   En… prison ? s'exclama en même temps un hybride à moitié humain, à moitié elfe de feu.

—   Il dit qu’il ne peut pas intervenir pour une faute aussi grave, expliqua la chef du groupe avec un regard agacé. Que si l’Ahal exige une punition radicale, il ne peut s’y opposer.

Un silence assourdissant tomba sur la pièce. Seuls les reniflements discrets d’Ayrik résonnèrent. Raeni remarqua sa détresse et descendit aussitôt de sa caisse pour venir s’agenouiller devant lui. Elle l’entoura de ses bras, et caressa ses cheveux. Elle s’en voulut un instant de lui avoir caché la vérité jusque-là. Elle aurait dû le lui dire avant, ou au moins l’y préparer.

—   Je ne veux pas être enfermé… sanglota l’enfant malgré l’étreinte de sa protectrice.

—   Je n’ai pas prévu de les laisser faire, affirma-t-elle.

Elle se releva, le petit humain toujours blotti contre elle. Son regard parcourut l’assemblée, brillant de colère à peine contenue.

—   Ayrik n’est pas le seul à être menacé par cette peste, déclara-t-elle d’une voix forte. Chacun de vous, que dis-je, chacun de nous peut à tout moment être arrêté par les gardes ou Vanador. Khassendrah a déjà capturé Lyfëa, et l’Ahal l’a sans doute torturée ou au moins menacée pour lui soutirer des informations. Elle a révélé qu’on couvrait Ayrik. L’orphelinat a été bouclé pour nous empêcher d’y retourner et pour que ceux à l’intérieur ne puissent pas nous rejoindre. Ils vont tenter de nous attraper, ou, à défaut, de faire parler ceux qui sont enfermés à Valmaëlën.

Les yeux de Raeni rencontrèrent ceux d’Anathor, qui l’encouragea à continuer d’un signe de tête. Sa voix gagna encore en intensité lorsqu’elle reprit la parole après une courte pause.

—   Vous savez aussi bien que moi que la garde est corrompue. Khassendrah, par sa liaison avec le capitaine, s’est déjà assurée son soutien. Avec l’arrivée de l’Ahal, elle a juste renforcé son pouvoir sur la ville. Nous ne pouvons rien faire contre elle pour le moment. Elle est devenue trop puissante, trop dangereuse. S’opposer à elle nous mènerait au mieux à la prison.

—   Mais on peut faire quoi, alors ? demanda un adolescent mi-alfombre, mi-sylalei.

—   J’y ai réfléchi, expliqua la jeune femme. Nous pourrions rester ici, cachés dans notre repaire. Certains d’entre vous pourraient continuer à sortir pour nous fournir en nourriture et en eau, mais nous ne pourrions supporter ça très longtemps. Déjà parce que rester enfermés risque de rendre fous certains d’entre nous, et ensuite parce que Vanador peut très bien découvrir notre cachette si nous y restons. Il suffit qu’il attrape n’importe lequel d’entre vous, qu’il vous torture un peu trop…

Elle n’eut guère besoin de terminer sa phrase. Le message était passé, comme elle put le remarquer aux frissons de peur de certains de ses camarades. Elle reprit :

—   Nous pourrions aussi leur livrer les coupables qu’ils désirent. Ayrik et moi, en l’occurrence. Cependant, vous savez que nous sommes innocents. Ayrik, surtout, puisqu’on ne peut même pas lui reprocher la moindre bêtise volontaire. Quant à moi, il est juste hors de question que je me rende à Khassendrah. Cela signifierait que je me soumets à elle, et je n’en ai pas envie. En plus, si je ne suis plus là, qui veillera sur vous ? Qui vous défendra face à cette abominable démone ? Surtout que rien ne prouve que ma soumission la rendra plus gentille avec vous, bien au contraire ! Elle risque de devenir encore plus horrible, et de trouver un moyen de vous éliminer. Surtout maintenant qu’elle a Vanador avec elle.

—   Tu as un plan, du coup ? devina Thaëlya.

Leurs regards se croisèrent. Celui de l’hybride était déterminé, tandis que l’albinos semblait davantage curieuse et excitée à l’idée d’une nouvelle frasque à réaliser. Le sourire qu’afficha Raeni lui fit comprendre qu’elle avait déjà pensé à tout.

—   J’ai réfléchi longtemps et imaginé divers scénarios, déclara enfin la chef du groupe. Le mieux pour nous, et le plus simple, c’est de prendre le large.

Un profond silence succéda à ses paroles, vite remplacé par un brouhaha infernal. Les questions fusaient, de même que les remarques perplexes. Personne ne savait si son propos tenait du premier degré ou du second. Avec elle, les enfants s’attendaient à tout. Seul Anathor restait silencieux, le regard posé sur sa successeuse. Le fin sourire qu’il affichait était indéchiffrable pour ceux qui se trouvaient à ses côtés. Personne n’aurait pu dire s’il connaissait déjà le plan de Raeni ou s’il le découvrait en même temps qu’eux. Les marins, en revanche, semblaient aussi surpris que leurs cadets. De toute évidence, elle ne les avait pas informés de ses intentions.

La jeune femme observa les réactions autour d’elle, un peu inquiète. Elle attendit toutefois que le silence retombe avant de poursuivre.

—   J’ai cherché plusieurs solutions pour quitter la ville. Nous n’en avions que deux. La première, ce serait de passer par la terre, et donc de courir le risque de se faire rattraper par des soldats habitués aux marches forcées et aux longues chevauchées. Nous n’aurions donc pas l’occasion d’aller bien loin. L’autre solution, celle qui a retenu mon attention, est beaucoup plus risquée au premier abord, mais une fois la première partie du plan achevée, personne ne pourrait nous rattraper. Nous serions libres d’aller où bon nous semblera, sans craindre de voir Vanador débarquer pour nous emprisonner.

Un silence attentif et perplexe accueillit sa déclaration.

—   Tu comptes faire comment, alors ? demanda Ayrik.

Raeni lui adressa un sourire, puis détacha son regard de l’enfant pour balayer la salle.

—   On va piquer un navire au port, laissa-t-elle tomber.

Sa déclaration suscita aussitôt de vives réactions. Les marins semblèrent comprendre pourquoi ils avaient été conviés, et leur expression en disait long sur leurs pensées. Les plus jeunes parlaient avec animation entre eux, surexcités par l’idée de leur chef. Les plus âgés, en revanche, semblaient sceptiques. Avëlëa avait même pâli et ouvert la bouche, sans pour autant laisser échapper le moindre son. Seul Anathor restait impassible, de toute évidence déjà dans la confidence. Autour de lui, des remarques fusaient, des questions étaient posées, mais l’hybride ne pouvait comprendre quoi que ce soit à cause du brouhaha ambiant. Elle demanda le silence par trois fois, sans succès. Son prédécesseur lui vint en aide.

—   Silence ! lança-t-il de sa voix puissante. Rae n’a pas fini ses explications. 

Le calme revint aussitôt. Raeni le remercia d’un regard, puis reprit :

—   Un navire est arrivé au port il y a trois jours. Un khílrë, nommé Perle d’Ambre. C’est un navire magnifique, et de très loin le plus rapide disponible en ville. Si on arrive à le prendre, on n’aura pas à craindre d’être pourchassés.

—   Tu sais gréer une voile ? demanda alors un marin. Tenir la barre ? Déterminer un cap ?

—   C’est pour ça que je vous ai demandé de venir, expliqua-t-elle avec un léger haussement d’épaules. Et puis, ça s’apprend. En plus, on pourra ramer pour quitter le port. Une bonne diversion suffira à nous laisser assez de temps pour nous éloigner assez. Pour le reste, on s’organisera.

—   Mais tu te rends compte de ce que tu nous demandes ? s’insurgea l’autre matelot. Si on se fait prendre, on est morts !

—   Si on reste ici, on est morts aussi, répliqua-t-elle.

—   Et en plus, Raeni a un plan en béton pour minimiser les risques, l’appuya Anathor. Je dois vous rappeler la règle cinq ?

—   Tout membre de la bande en détresse doit être secouru, soupira le second marin. Mais ça n’empêche pas que si on vole ce bateau, on n’aura plus de salaire.

—   Pour ce qu’on est payés… ironisa son compagnon. Moi, je suis partant. Si tu nous expliques ce que tu attends de nous et ce que tu comptes faire du Perle d’Ambre, bien sûr.

La jeune femme esquissa un sourire ravi.

—   Parfait.

—   Mais et nous ? s’inquiéta une petite elfe de feu. On est vraiment obligés de venir ? J’ai peur de l’eau…

—   J’aurai besoin d’aide à terre pour nous faire une bonne diversion, la rassura Raeni. Si tu préfères rester ici pour la monter, ce n’est pas un problème, Fëlia.

—   Ouf, soupira-t-elle avec soulagement.

—   Du coup, tu comptes faire comment ? l’interrogea Faelor, intrigué.

—   Dans un premier temps, il me faudrait plusieurs équipes pour créer des incendies un peu partout en ville, expliqua son amie. Le but sera juste de créer de quoi occuper la garde et détourner l’attention de tout le monde pendant qu’on piquera le bateau, il faut que personne ne soit blessé. J’aurais aussi besoin de quelqu’un pour retenir les marins et éviter qu’ils ne se montrent pendant qu’on s’occupera de prendre le navire.

—   Je peux m’occuper des incendies ! se proposa Fëlia. J’adore jouer avec le feu !

Elle écarta les doigts, la main devant elle, paume ouverte vers le haut. De minuscules flammes y dansèrent quelques instants, puis s’enroulèrent autour de son bras sans la blesser. Des regards émerveillés la fixèrent, tandis que des exclamations échappaient à certains des enfants.

—   Excellent, souffla Raeni. Je te laisse gérer ça, alors.

—   Je peux aider aussi ? demanda Emëlien, un peu timidement. J’aimerais pouvoir venger ma sœur pour ce que Vanador lui a fait…

—   Tant que tu ne blesses personne, je veux bien, concéda-t-elle. Mais fais attention à ne pas te faire prendre, surtout.

Elle promena son regard sur l’assemblée.

—   Qui pour détourner l’attention des marins ? s’enquit-elle. J’aurais une préférence pour des filles, ça marche toujours mieux.

—   Je veux bien ! s’exclama une jeune demoiselle à la beauté extraordinaire, aux origines alfombre et älfä. Je ne suis peut-être pas Khassendrah, mais je crois que les garçons m’apprécient beaucoup.

Un petit rire échappa à quelques-uns des enfants présents. Tous connaissaient ses dons pour attirer tous les dragueurs potentiels de la région, même sans le vouloir. La jeune chef elle-même laissa un sourire étirer ses lèvres un instant.

—   Si ça t’amuse, Laëlia, accepta-t-elle. On verra les détails de vos missions plus tard, ajouta-t-elle ensuite à l’attention des trois volontaires.

Ses yeux se posèrent à nouveau sur le petit groupe rassemblé autour d’elle. Son visage devint plus sérieux.

—   Maintenant, j’aimerais savoir qui viendra avec nous en mer.

Un silence pesant lui répondit. Elle se mordit la lèvre, un peu inquiète. Cette partie-là du plan la rendait plus anxieuse, car elle savait que le danger serait différent sur l’océan. Prendre le large revenait, pour eux, à se jeter dans l’inconnu, tandis que la ville leur offrait au moins l’assurance d’un milieu familier, déjà exploré maintes et maintes fois, et qui ne leur cachait presque plus rien. De plus, une bonne partie de ses camarades possédaient du sang d’elfe de feu, et la jeune femme savait que ceux-ci craignaient l’eau. Elle-même n’appréciait guère le contact du liquide sur sa peau, mais elle avait pu surpasser ce dégoût très tôt grâce à son père, qui lui avait appris à nager pour la désensibiliser.

Son regard se promena avec appréhension sur les enfants autour d’elle. Quelques-uns discutaient à voix basse, l’air de peser le pour et le contre. D’autres regardaient leurs pieds ou ceux de leur voisin, de peur d’être désignés de force pour embarquer avec Raeni et Ayrik. Comme elle le craignait, les elfes de feu semblaient terrifiés à la perspective de se retrouver sur une embarcation flottante, au beau milieu d’une étendue d’eau salée aussi capricieuse qu’imprévisible. Même Avëlëa avait détourné les yeux.

Un murmure parcourut alors la foule. Les gamins s’écartèrent pour laisser passer Faelor. Celui-ci se planta devant Raeni, qui fut forcée de lever la tête pour pouvoir croiser son regard. Ses iris écarlates brillaient de détermination et d’une confiance sans faille qui lui réchauffa le cœur.

—   Je viens avec toi, déclara-t-il d’une voix calme, mais assurée.

Un sourire étira les lèvres de son amie.

—   Merci, souffla-t-elle, rassurée.

—   Je serais bien venu aussi, si la forge n’avait pas besoin de moi, regretta Anathor.

—   Je préfère que tu restes pour surveiller Khassendrah, de toute façon, lui répondit-elle. Mais merci.

—   Je viens aussi ! s’exclama Thaëlya en rejoignant Raeni. C’est risqué, mais si on peut échapper à cette sale peste et sauver Ayrik par la même occasion, je suis partante ! Et en plus, tu auras besoin de quelqu’un pour t’empêcher de faire des bêtises, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.

Le dévouement des deux plus proches amis de l’hybride suffit à décider les autres. Un à un, les gamins rejoignirent la jeune femme, prêts à la suivre au bout du monde s’il le fallait. Beaucoup ne semblaient guère rassurés, mais leur confiance en elle suffisait. Elle les avait toujours protégés et dirigés de son mieux. Si, aujourd’hui, elle jugeait nécessaire de quitter Khaëlentis, alors ils étaient prêts à prendre le risque de l’accompagner dans cette aventure. Pour Ayrik, et pour échapper à Khassendrah.

Au final, une vingtaine de volontaires se désignèrent pour prendre la mer. La petite dizaine d’enfants restante se composait en majeure partie d’elfes de feu ou de semi-elfes de feu, ce qui n’étonna personne. Raeni leur assura qu’elle ne leur en voulait pas de préférer rester. Son ton doux et son regard sincère eurent tôt fait de rasséréner les jeunes althëliens, surtout lorsqu’elle leur assura que la partie la plus délicate du plan reposait sur eux. Elle remarqua ensuite qu’Ayrik s’était endormi dans ses bras, et que quelques-uns parmi les plus jeunes bâillaient à s’en décrocher la mâchoire.

—   Allez dormir, leur ordonna-t-elle d’un ton bienveillant. Vous aurez besoin de toutes vos forces, demain. J’aurais juste besoin de Faelor, Thaëlya, Anathor, Thaelor, Ehanor, Avëlëa, Emëlien, Laëlia et Fëlia pour mettre au point quelques détails avant demain.

Ceux non concernés par la demande laissèrent échapper quelques exclamations ravies. La foule se dispersa, pour gagner le coin où se trouvaient les paillasses. Certains semblaient décidés à dormir sur les tapis, tandis que deux ou trois gagnaient la sortie. Raeni s’excusa auprès de ses amis le temps d’aller coucher Ayrik. Elle gagna le couloir dans lequel se trouvait le bureau, puis le quitta par une petite porte de bois simple. Derrière celle-ci se trouvait une chambre minuscule, avec une simple paillasse en guise de lit. Une jolie peluche traînait sur l'oreiller, en réalité une couverture pliée en huit. Raeni déposa son petit protégé sur la couchette de fortune, puis le couvrit de sa cape. Le gamin rouvrit les yeux.

—   Ne me laisse pas tout seul, Raeni... supplia-t-il, une lueur de détresse dans les yeux.

La jeune femme déposa un baiser sur son front.

—   Je suis juste à côté, lui assura-t-elle. Je reviens dès que j’ai terminé, promis.

—   Je veux rester avec toi… s’obstina l’enfant.

—   Tu dois dormir, Ayrik, insista-t-elle. 

—   Mais toi aussi…

—   J’ai encore quelques petites choses à faire, déclara-t-elle. Après, promis, je viendrai dormir.

—   Alors je veux une chanson, réclama-t-il.

—   Si tu veux, souffla-t-elle avec un sourire attendri. Mais après, je veux que tu dormes.

Le petit garçon hocha la tête. Raeni le borda, puis s’assit en tailleur à côté de lui. Elle observa un instant ses traits doux, un peu fatigués, et ses grands yeux attentifs. Elle n’aimait pas trop chanter, car elle trouvait sa voix horrible en comparaison de celles des conteuses dans les tavernes. Toutefois, elle était prête à faire n’importe quoi pour satisfaire son protégé, d’autant plus qu’il venait d’apprendre une horrible nouvelle.

Elle commença donc à fredonner une antique mélodie en ancien eldalien, une berceuse que lui chantait sa mère lorsqu'elle était toute petite. Les paroles, bien que très simples, avaient le pouvoir d'apaiser et endormir le cœur des enfants et, d'après les légendes, éloigner les mauvais rêves. Elle n’y croyait cependant qu’à moitié, car elle-même ne maîtrisait pas l’art subtil du chant et était persuadée de ne pas savoir donner à sa chanson une telle puissance.

C'était ce qu'elle pensait, du moins, car la magie sembla faire effet sur lui. Ses yeux se fermèrent peu à peu, sa respiration ralentit, puis se cala sur un rythme régulier. Le visage de la jeune hybride s'attendrit devant la petite bouille d'ange de son protégé. Sa voix retomba peu à peu, puis le silence les enveloppa. Elle déposa un léger baiser sur le front d'Ayrik avant de se relever et de sortir avec la plus grande discrétion. Quoi qu’il puisse en dire, elle avait encore des choses à faire. Elle devait impérativement voir les détails de son plan et des différentes diversions, sans quoi ils ne pourraient jamais quitter la ville. 


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