La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1

Chapitre 5 : Traqués

4152 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/12/2020 22:05

Raeni se sentait d’humeur massacrante. Elle n’avait presque pas dormi de la nuit tant les menaces qui pesaient sur Ayrik l’angoissaient. La présence de Vanador dans les couloirs, depuis quatre jours, lui donnait l’effet d’accueillir, sur son territoire, un dangereux prédateur qui pourrait l’attraper n’importe quand. Entre les cours et les repas, elle s’efforçait de jouer au chat et à la souris avec lui : les autres orphelins la prévenaient à l’avance des allées et venues de leur ennemi afin qu’elle puisse l’esquiver au mieux. Parfois, il les surprenait dans les couloirs. Elle profitait alors de diversions créées par ses camarades pour lui échapper.

           Toutefois, la veille, il avait réussi à la coincer à la sortie du réfectoire. Leur brève conversation l’avait agacée, mais elle avait su garder son sang-froid. Elle le devait, puisqu’elle savait qu’il n’hésiterait pas à lever la main sur elle ou la faire enfermer si elle venait à lui manquer de respect. Elle devait rester libre. En pleine forme. Pour Ayrik.

              Elle calma ses nerfs lors de son cours de couture. Bien que l’orphelinat n’ait pas les moyens d’offrir à ses pensionnaires des études prestigieuses, il assurait tout de même un enseignement pratique qui leur permettrait, un jour, de trouver du travail ou au moins de se débrouiller seuls. Cuisine, couture et diverses activités manuelles étaient donc proposées aux orphelins, tant pour canaliser l’énergie débordante de certains que pour leur offrir quelques compétences facilement accessibles malgré tout. Certains décrochaient même, à l’occasion, une formation auprès d’une échoppe en ville, qu’il s’agisse d’un fermier, d’un forgeron ou encore d’une poissonnière. Pour Raeni, confectionner des petites œuvres d’art ou des objets utiles en tissu ne servait pas qu’à lui assurer un potentiel gagne-pain plus tard. Sa mère, lorsqu’elle était encore en vie, avait commencé à lui enseigner ce métier qu’elle pratiquait elle-même. Une aiguille à la main, concentrée sur sa broderie ou sur l’assemblage de deux pièces d’étoffes entre elles, elle entendait encore sa voix lui souffler des conseils. Une pensée rassurante, encourageante, qui poussait l’hybride à aller de l’avant.

              De tous les pensionnaires de Valmaëlën, elle se trouvait être la plus douée dans ce domaine. La salle de classe résonnait bien souvent de bavardages joyeux et insouciants auxquels elle prenait part avec joie. A la différence d’autres cours qu’elle séchait ou durant lesquels elle s’endormait, elle s’investissait de son mieux dans ses projets de couture et les achevait avec soin. Ses professeurs l’encourageaient, dans l’espoir de la voir s’assagir et cesser ses frasques.

              Ce jour-là, elle expliquait avec patience à une elfe de feu de huit ans comment fabriquer une jupe à partir de quelques morceaux de tissus récupérés sur de vieux vêtements abîmés. Ses mains maniaient les outils avec aisance et assurance, et la passion qu’elle mettait dans son ouvrage avait contaminé la petite fille à ses côtés, qui l’observait avec attention. Raeni avait choisi une vieille robe vert sombre pour fabriquer le vêtement et l’adapter à la taille de l’enfant. Elle s’occupait depuis plusieurs jours des détails, une fine broderie qu’elle réalisait avec des fils colorés. De fins motifs enflammés, disposés autour de la taille et le long de l’ourlet. La fillette, à ses côtés, tentait avec peine de coudre un bout de tissu sur la jupe pour pouvoir y passer un ruban en guise de ceinture. L’aînée posa son ouvrage un instant, le temps de la guider avec douceur.

              Une rumeur monta soudain depuis le couloir. Trois enfants entrèrent dans la pièce, essoufflés. La jeune femme leur jeta un regard inquiet. Elle les connaissait, tous trois faisaient partie de sa bande. Elle savait qu’aucun d’entre eux n’aurait couru sans bonne raison. Un danger, ou une menace. Elle n’eut cependant pas le temps de leur parler. Leur professeur de couture, une alfombre entre deux âges au visage sévère, nommée Hëlaya, apostropha aussitôt les trois retardataires pour leur demander des comptes.

—   Bande de chenapans, leur lança-t-elle depuis l’autre bout de la pièce. Quelle excuse allez-vous encore inventer pour justifier votre retard, cette fois ?

—   Le tr… Vanador nous a retenus, bafouilla l’aîné du trio.

—   Ahal Vanador, corrigea la vieille femme qui s’était rapprochée. Vous me ferez le plaisir de faire preuve d’un peu de respect envers notre invité.

—   Je veux bien, répliqua le plus jeune, mais il faudrait déjà que lui-même se montre plus respectueux… Il m’a poussé parce que je ne marchais pas assez vite…

La vieille femme soupira lorsqu’il lui montra ses paumes en sang. Elle s’agenouilla devant lui pour inspecter ses plaies.

—   Tu aurais dû te reculer pour le laisser passer, le réprimanda-t-elle d’un ton plus doux.

—   Oh, je l’aurais bien fait, répondit le gamin, mais il nous avait demandé de venir le voir pour qu’il puisse nous parler.

—   Et il t’a poussé alors qu’il t’avait demandé de rester ? s’étonna Hëlaya.

—   Pas tout de suite, expliqua l’aîné. Il nous a d’abord demandé de lui dire si on savait où se trouvait Raeni.

—   Et on lui a dit qu’elle devait être sortie pour manger chez Anathor, assura le plus petit avec un regard espiègle. C’est là qu’il m’a poussé pour passer. Et en plus, il n’a même pas dit pardon !

—   Je lui dirai deux mots moi-même, dans ce cas, assura l’adulte, les sourcils froncés. Mais tu lui as menti, puisque tu savais très bien que Raeni était ici…

—   Mais Vanador…

—   Ahal Vanador, le reprit-elle.

—   Ahal Vanador avait l’air menaçant, termina l’enfant. Je suis sûr qu’il lui aurait fait mal encore plus qu’à moi !

—   On règlera ça plus tard, soupira la vieille femme. Nymëanor, tu peux l’accompagner à l’infirmerie ? Il ne coudra pas grand-chose avec des mains dans cet état-là.

—   Oui madame ! répondit l’aîné.

Tous deux ressortirent aussitôt. Le troisième, qui n’avait pas ouvert la bouche, alla s’installer à côté de Raeni sans émettre le moindre son. La jeune femme lui jeta un regard inquiet.

—   Ça va, Emëlien ? chuchota-t-elle.

—   Khassendrah a enlevé Lyf’, souffla-t-il.

L’hybride pâlit.

—   Comment ça ?

—   Elle veut plaire à Vanador, alors elle… elle a…

Un sanglot lui échappa. La jeune femme passa un bras autour de ses épaules pour le réconforter.

—   Hé, calme-toi, souffla-t-elle. On va la retrouver.

—   Vanador te cherche…Il… il sait que tu as aidé Ayrik…

—   Mais vous l’avez envoyé sur une fausse piste, le rassura-t-elle.

—   Il va vouloir te faire du mal, murmura-t-il.

—   Il ne m’en fera pas, lui assura-t-elle. Promis.

Le jeune garçon continua toutefois à pleurer. Hëlaya le remarqua.

—   Tout va bien ? s’enquit-elle en passant à côté de lui.

—   J’ai mal au ventre… mentit le petit garçon.

—   Je peux l’accompagner à l’infirmerie, proposa Raeni. Il a peut-être mangé quelque chose de pas frais.

—   Allez-y, soupira l’adulte, consciente qu’il s’agissait sûrement d’un mensonge. Mais dépêchez-vous.

Les deux enfants se levèrent. Raeni attrapa la main de son cadet, et l’emmena avec elle hors de la salle. Cependant, au lieu de prendre la direction de l’infirmerie, ils se dirigèrent vers les cuisines à pas de loup. Les couloirs, à cette heure-ci, étaient déserts. Ils pouvaient donc entendre le moindre bruit de pas, le plus léger bruissement de cape qui aurait pu trahir la présence de Vanador.

              Par chance, l’Ahal ne se montra pas. Les deux orphelins parvinrent au réfectoire sans encombre, puis se glissèrent dans les cuisines avec discrétion. Les deux cuisinières discutaient entre elles avec animation, tandis qu’elles terminaient la vaisselle. Le boucan rendit les deux compères encore plus silencieux et leur permit de se glisser jusqu’au vide-ordure, qui donnait directement sur la rue. Raeni descendit la première par la trappe, s’assura que personne ne passait, puis aida son acolyte à la rejoindre. Ils prirent ensuite la direction des bas-quartiers avec prudence. Personne ne devait les voir, ou en tous cas pas les gardes, ni Vanador, ni Khassendrah et les brutes qui la servaient.

              Ils se stoppèrent bien vite, à deux rues de Valmaëlën. La voix du mage claqua dans une allée, accompagnée des pleurs d’un enfant. Raeni attrapa son protégé et se glissa à l’angle d’une maison, dans une minuscule ruelle sombre et étroite, à l’abri des regards. Elle posa une main sur la bouche du garçon pour s’assurer qu’il ne les trahisse pas, puis écouta. A en juger par la colère de son ton, l’Ahal avait découvert quelque chose qui ne lui plaisait pas. La jeune femme tendit l’oreille, consciente qu’ils étaient tous les deux dans le pétrin si Vanador venait à les découvrir. Des pas pressés parvinrent aux deux enfants, dont le cœur accéléra lorsqu’ils comprirent qu’ils venaient dans leur direction. L’hybride poussa davantage son compagnon d’infortune au fond de leur cachette et se plaça devant lui. L’ombre les dissimulait depuis la rue principale, mais si quelqu’un s’approchait de trop près, ils seraient repérés à coup sûr.

—   … garce, entendirent-ils alors que les voix se faisaient plus proches. Sale gamine !

Ils reconnurent le ton sec et désagréable de Vanador.

—   Je vous avais dit qu’elle vous avait menti, jubila une voix féminine aux notes douces, mais trop mielleuses pour être sincères.

—   J’aurais dû t’écouter, concéda Vanador. Elle va payer, cette espèce de…

Les voix s’éloignèrent en direction de Valmaëlën. Les deux enfants laissèrent échapper un léger soupir de soulagement, mais Raeni sentait toujours le frisson glacial qui l’avait parcourue lorsqu’elle avait entendu l’autre voix. Khassendrah. Elle s’était alliée à l’Ahal, et celui-ci semblait charmé par son aide.

              Raeni aida son acolyte à escalader le mur, puis s’élança à sa suite. De l’autre côté se trouvait la cour d’une maison abandonnée, incendiée pendant la guerre et pas encore reconstruite. Ils se glissèrent entre les herbes folles jusqu’à la palissade opposée, qui donnait sur une autre ruelle. Ils s’y engagèrent avec prudence, après avoir vérifié plusieurs fois qu’aucun soldat ne se trouvait dans les parages, puis s’élancèrent sur les pavés. L’hybride marchait vite, son protégé trottinait pour rester à sa hauteur. Elle bifurqua à un croisement, changea encore de chemin au carrefour suivant.

              Ses pas les amenèrent bientôt dans les quartiers les plus mal famés de la ville. Malgré l’heure, personne ne passait dans le secteur, pas même les gardes. Elle repéra une femme en haillons penchée sur un feu de fortune, entraîna le petit garçon dans une rue transversale lorsqu’elle aperçut deux hommes à la silhouette malveillante plus loin dans celle qu’ils suivaient. Elle passa par une maison à moitié détruite pour gagner une autre cour, remonta une allée jonchée de débris avant d’arriver, enfin, sur la place où se trouvait leur cachette. Elle s’assura que personne ne rôdait dans les parages, et courut jusqu’à la porte de chez Laertha.

              Il ne fallut que quelques secondes au fantôme pour leur ouvrir. L’hybride la remercia, puis entraîna le gamin dans le bâtiment en ruines. Elle le garda près d’elle afin qu’il ne s’approche pas trop des araignées. Ils descendirent les escaliers quatre à quatre. Raeni frappa ensuite au mur, qui s’ouvrit à une vitesse hallucinante, comme s’il était conscient de la gravité de la situation. Elle attrapa la main de son protégé pour le guider le long du couloir.

              Enfin, ils atteignirent la pièce principale de leur repaire. Deux gamins un peu maigres, mais au regard pétillant, discutaient dans un coin, penchés sur un objet un peu étrange dont Raeni préféra ne pas connaître l’origine. Elle demanda au jeune garçon d’attendre là, et se dirigea vers le fond de la pièce dans l’intention de passer une porte de bois pour gagner une autre zone du complexe souterrain. Une voix la coupa cependant dans son élan.

—   Raeni !

Elle se tourna à temps pour recevoir le petit humain aux cheveux blonds dans ses bras. Un sourire soulagé étira ses lèvres, et elle serra son petit corps contre elle.

—   Ayrik, souffla-t-elle.

Le gamin enfouit sa tête dans son cou un instant, puis releva ses yeux d’azur vers elle. Elle ne put s’empêcher d’admirer son regard doux, un peu rêveur, qu’elle appréciait tant chez lui.

—   Tu devais revenir hier, lui reprocha-t-il.

—   J’ai été forcée de rester à Valmaëlën, s’excusa-t-elle. Pardon, Ayrik.

—   J’ai eu peur… avoua-t-il, sa tête à nouveau posée contre son épaule.

—   Je suis là, maintenant, lui assura-t-elle. Et je ne te quitterai plus, promis.

—   Promis promis ? insista l’enfant.

—   Promis promis, confirma-t-elle. Je reste ici. C’est trop dangereux pour moi aussi, en ville. Vanador m’en veut autant qu’à toi.

—   Mais je n’ai rien fait, moi… Je ne sais même pas qui c’est…

La jeune femme le serra un peu plus fort contre elle et passa une main dans sa chevelure fine pour caresser sa tête.

—   Je sais, soupira-t-elle. Je sais.

Le silence se fit, à la fois apaisant et angoissant. Le petit humain ne comprenait pas ce qu’il avait pu faire de travers pour s’attirer à ce point les foudres de Khassendrah. Raeni le sentait. Elle sentait qu’il était triste, qu’il avait peur. Mais elle ne pouvait rien faire d’autre que le serrer dans ses bras pour lui offrir un maigre réconfort.

—   Rae ?

La jeune femme leva les yeux. Avëlëa la rejoignit, les sourcils froncés, consciente que quelque chose n’allait pas. Raeni lui adressa un regard pour lui signifier qu’elle lui expliquerait plus tard, puis lui demanda :

—   Il faudrait que tu réussisses à réunir Anathor, Faelor et Thaëlya. Il faut que je leur parle le plus vite possible.

L’elfe de feu hocha la tête. Elle comprit que la présence d’Ayrik gênait Raeni, qui ne voulait pas l’exposer à de trop mauvaises nouvelles. Elle la laissa donc avec le petit humain pour rejoindre les deux autres enfants. L’hybride relâcha un peu son étreinte autour du garçon, qui reposa les pieds au sol.

—   Dis, tu veux voir le joli dessin que j’ai fait ? lui demanda-t-il d’un air ravi.

—   Je veux bien, acquiesça son aînée.

Ayrik attrapa donc sa main et l’entraîna jusqu‘à la porte qu’elle comptait emprunter plus tôt. A sa grande surprise, il l’amena devant une pièce fermée par un panneau de bois épais, qu’il poussa de toutes ses forces pour entrer. A l’intérieur, une grande table constituée d’une planche posée sur deux tréteaux occupait une bonne partie de l’espace. Une carte de la ville ornait un mur, coincée entre deux lourdes étagères chargées de feuilles, de gros registres et d’une collection hétéroclite d’objets mystérieux et étranges.

—   Qui t’a permis d’entrer ici ? le gronda Raeni.

—   C’est Av’, se défendit-t-il avec un regard innocent. Elle m’a dit que je pouvais dessiner, si je ne touchais à rien. J’ai été sage, promis !

La jeune femme soupira. Un sourire attendri passa sur ses lèvres devant la bouille de son protégé. Elle le croyait sans problème.

—   Tu as rangé ton dessin quelque part ? s’enquit-elle, signe qu’elle n’était pas fâchée contre lui.

—   Juste ici ! s’écria-t-il.

Il courut jusqu’à l’un des meubles et se hissa sur la pointe des pieds pour y chercher quelque chose. Elle observa ses petits doigts tâtonner à la recherche d’une feuille, qu’il attrapa maladroitement avant de la ramener à la jeune femme. Celle-ci s’assit sur un tabouret branlant, puis souleva le petit garçon pour lui permettre d’être à hauteur de table. Il étala avec précaution son papier sur la surface de bois. Des formes tremblotantes, esquissées au charbon, se révélèrent sous les yeux de sa protectrice. Un bateau, avec une silhouette d’enfant à la proue. Le soleil brillait au-dessus du vaisseau, la mer s’étendait en-dessous. Des poissons nageaient, des oiseaux volaient, et une femme tenait la barre, un sourire aux lèvres. L’hybride en fut attendrie.

—   C’est très joli, le complimenta-t-elle. Qui c’est ?

—   Toi et moi ! expliqua l’enfant.

—   Sur un navire ? remarqua-t-elle, amusée.

Le gamin sur ses genoux se contorsionna pour la regarder. Il arborait une mine sérieuse, mais son regard bleuté reflétait l’imaginaire qui habitait son âme.

—   J’ai rêvé qu’on montait sur un bateau, révéla-t-il. Tu étais une capitaine pirate, comme Enhis Rackhamm, mais en beaucoup plus gentille. Tu parcourais la mer pour sauver tous les enfants qui en avaient besoin. Et en plus, notre bateau pouvait voler pour aider aussi les enfants qui habitaient loin de la mer !

Raeni déposa un baiser sur son crâne.

—    C’était un très joli rêve, souffla-t-elle.

—   J’aimerais qu’il devienne réel… avoua le garçon.

La jeune femme le serra dans ses bras. Sans le savoir, il venait de lui donner une idée.

—   Un jour, promit-elle. Mais avant, il nous faut quitter Khaëlentis.

—   Tu crois que c’est possible ? s’enquit-t-il.

—   J’en suis certaine, affirma-t-elle. Je vais devoir réfléchir à comment faire, mais je pense qu’on peut partir d’ici très vite.

Ayrik afficha un sourire ravi, et enfouit son visage contre sa protectrice. Celle-ci resta un long moment à le serrer contre elle, perdue dans ses pensées. Un plan commençait à se former dans son esprit. Risqué, sans doute délicat à mettre en œuvre, mais avec un peu de réflexion, elle pourrait en tirer quelque chose de faisable. Elle devait juste en discuter avec ses amis avant. Leur avis compterait, de même que leurs remarques.

—   Raeni ? demanda soudain l’enfant.

—   Oui ?

—   Pourquoi Khassendrah est aussi méchante avec moi ?

La question déstabilisa l’hybride. Jamais auparavant il n’avait semblé vouloir comprendre l’origine de la haine que lui vouait l’alfombre. Elle ne s’attendait pas à une telle demande, et ne savait pas quoi lui répondre. Il était encore très jeune. Elle ne voulait pas le blesser, ni même lui exposer une raison qu’il serait encore incapable de comprendre. Il restait rêveur, et, par-dessus tout, humain. Non pas qu’elle prêtait attention aux clichés qui couraient sur eux, mais elle avait remarqué qu’Ayrik semblait plus doué pour se perdre dans son imaginaire que pour comprendre le monde extérieur. Elle n’avait pas envie de le traumatiser, mais ne souhaitait pas non plus lui mentir.

—   Elle est méchante avec tout le monde, commença-t-elle d’une voix mal assurée. Mais oui, elle est pire avec toi. Je ne sais pas trop pourquoi elle se comporte comme ça. Elle pense peut-être que, parce que tu es humain, tu es moins important que d’autres personnes. Que tu as plus le droit de souffrir, mais c’est complètement faux.

—   Pourquoi personne n’aime les humains ? soupira-t-il.

—   Je ne t’aime pas, moi ? s’offusqua-t-elle.

—   Tu t’attires plein d’ennuis à cause de moi, expliqua le blondinet. Et puis même monsieur le directeur ne m’apprécie pas.

—   Ils sont tous très bêtes, laissa-t-elle échapper. Tous ceux qui ne t’aiment pas pensent que les humains ont déclenché la guerre, d’après ce qu’on dit. Ils croient que tous les humains sont méchants et veulent leur faire du mal. Ce qu’ils oublient, c’est que ce sont les thalëni qui leur ont permis de devenir assez forts pour pouvoir attaquer. Et que, si on avait été plus gentils avec eux dès le début, il n’y aurait sans doute pas eu de guerre.

—   Mais je n’étais même pas né quand la guerre a commencé…

—   Je sais… c’est pour ça que je te dis qu’ils sont bêtes. Ils pensent que, parce que tu es humain, tu vas faire des bêtises comme ceux qui ont déclenché la guerre. Ils ne pensent pas que tu as ton propre caractère, et que tu peux choisir ce que tu vas devenir. Et en plus, eux aussi ont fait des choses vraiment pas belles pendant la guerre.

—   Donc ce n’est pas ma faute ? s’émerveilla le petit garçon, plein d’espoir.

—   Ça ne l’a jamais été, confirma Raeni en déposant un petit bisou sur son front.

Un sourire ravi éclaira le visage du gamin. Elle resserra de nouveau ses bras autour de lui pour le câliner un instant supplémentaire. Bien qu’elle ne connaisse pas les origines exactes du conflit qui lui avait pris tout ce qu’elle possédait, elle était plutôt fière de ses explications, et soulagée de voir que son protégé s’était apaisé. Un instant, elle s’imagina ce que ce devait être pour lui de devoir supporter tant de haine gratuite, tant de méchanceté dirigée contre lui à cause de ses simples origines. Cette pensée la conforta dans son idée. Ayrik devait à tout prix quitter Khaëlentis. Elle devait lui trouver un véritable foyer, de préférence humain, où il pourrait s’épanouir et se sentir aimé.


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