La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1
L’angoisse serrait à présent le cœur de Raeni. La disparition de son meilleur ami lui indiquait de toute évidence que quelque chose lui était arrivé. Elle se mordit la lèvre, le regard rivé vers le quai. Oublié, le départ imminent du navire. Elle ne pensait désormais plus qu’à l’alfombre, quelque part en ville, sans doute blessé, voire pire. Sans réfléchir, elle esquissa un geste en direction de la passerelle pour descendre et partir à sa recherche. Une main ferme l’en empêcha aussitôt.
— On n’a pas le temps, lui rappela Thaelor, les sourcils froncés par l’inquiétude. Lorsque les incendies seront maîtrisés, les gardes chercheront les coupables. Si on ne met pas les voiles bientôt, on est foutus. C’est ce que tu veux ?
— On ne peut pas partir sans Faelor, rétorqua-t-elle d’un ton glacial. C’est hors de question.
— Tu préfères que tout le monde se fasse attraper parce qu’il était en retard ?
Elle baissa les yeux sans répondre. Oui, il avait raison. Elle ne pouvait laisser toute la bande se faire prendre parce que Faelor manquait à l’appel. Cependant, elle ne pouvait abandonner son ami. Cruel dilemme.
— On fait quoi, du coup ? la pressa Thaëlya.
Elle sentait les regards de tout le monde posés sur elle. L’attente de ses ordres qui figeait l’air sur le pont. Les respirations alourdies par l’inquiétude. Elle ne pouvait les abandonner. Pas maintenant. Elle ne savait même pas ce qui était arrivé à son ami, où il se trouvait. Partir à sa recherche dans le noir, sans aucune information, ne rimerait à rien. S’il avait été attrapé par Vanador, s’il était inconscient dans un coin, hurler son nom dans les rues désertes ne servirait qu’à alerter l’Ahal et les gardes de sa présence. A partir de là, il ne leur serait pas difficile de remonter jusqu’au navire. Et tout le monde serait envoyé en prison, rien que pour avoir tenté de le dérober.
— Préparez le départ, souffla-t-elle finalement, le cœur serré. Mais laissez la passerelle le plus longtemps possible, des fois qu’il arrive maintenant.
Un léger soupir de soulagement parcourut les rangs des enfants. Elle dut se contenir pour ne pas les fusiller du regard. Elle les comprenait, après tout. A leur place, elle aurait sans doute réagi de la même manière.
— A tes ordres, répondit Thaelor.
Il lui serra toutefois le bras d’un geste qu’il voulait encourageant. Il connaissait le lien privilégié qu’elle entretenait avec Faelor. Leur amitié remontait à leur plus tendre enfance. Il se doutait que l’abandonner ainsi représentait sans doute un immense sacrifice, pour elle.
Il la laissa pour aller expliquer aux nouveaux matelots comment sortir les rames et préparer le vaisseau à quitter le port. Thaëlya resta un instant à côté d’elle, sans trop savoir quoi faire, jusqu’à ce qu’Ayrik ne réclame à quitter ses bras. Elle le laissa descendre, et le petit garçon courut aussitôt faire un câlin à sa protectrice. Surprise, la jeune femme baissa les yeux vers lui et croisa les iris bleutées de l’enfant.
— Il va venir, j’en suis sûr, lui assura-t-il.
Un sourire éclaira le visage de l’hybride, qui voulut le prendre dans ses bras. Un mouvement attira alors son attention, quelque part sur le quai. Elle se figea aussitôt et reporta son regard par-dessus bord.
— Rae ? demanda Thaëlya.
— Chut, lui intima-t-elle.
Ses yeux orangés scrutèrent un instant l’espace désert. Son cœur accéléra à la pensée qu’il puisse s’agir de Faelor. Des bruits de pas lui parvinrent, accompagnés d’un éclat de rire gras. Son espoir s’éteignit aussi vite qu’il était apparu. L’alfombre ne riait pas comme cela. Ce n’était pas lui. Pourtant, l’on venait, elle en était certaine. Elle confia son protégé à Thaëlya, qui tenta de poser une question, mais n’en eut pas le temps. Sa cheffe avait déjà rejoint Thaelor pour lui faire part de la situation. Ils revinrent tous deux vers la passerelle après un rapide échange discret, juste à temps pour entendre une voix claire surgir de l’obscurité :
— Alors c’était ça que tu préparais.
Un violent frisson de dégoût parcourut l’hybride, tandis que Thaëlya attirait un Ayrik soudain terrifié dans ses bras et reculait de quelques pas sur le pont. Une silhouette féminine sortit des ombres, guère très épaisse, à peine couverte d’une robe diaphane qui laissait deviner les formes d’un corps gracieux. Deux yeux écarlates, enchâssés dans un visage d’une grande beauté, luisirent à la lueur des torches. Un éclair de triomphe y passa un court instant, en même temps qu’un sourire étirait les lèvres fines mais néanmoins attirantes de la jeune alfombre à qui ils appartenaient.
Raeni serra les mâchoires, en proie à une colère violente qu’elle s’efforça de réprimer, la main serrée autour de la dague qu’elle avait récupérée sur l’un des marins endormis.
— Khassendrah, siffla-t-elle.
Son ennemie laissa échapper un rire léger.
— Tes amis ne mentaient pas, chanta-t-elle. Tu avais bien prévu de quitter la ville avec ton humain de compagnie.
Elle claqua des doigts. Trois hommes à la carrure impressionnante sortirent des ténèbres. Les gamins devinèrent sans peine qu’il s’agissaient de voyous à leurs vêtements négligés et leur visage mauvais. Deux d’entre eux jetèrent des corps sur les pavés, trois en tout. Les gémissements qui leur échappèrent confirmèrent à Raeni qu’ils vivaient toujours. Une rage folle l’envahit lorsqu’elle reconnut les deux gamins manquants, et, à leurs côtés, le visage tuméfié par les coups qu’il avait reçu, Faelor. Pâle comme un linge, l’hybride tenta de capter le regard baissé du jeune homme.
— Ils n’ont pas été difficiles à capturer, et moins encore à faire parler, ricana l’enchanteresse en herbe. Tu pensais peut-être que personne n’aurait rien remarqué ? Dommage pour toi, j’ai des espions partout… Tu l’avais peut-être oublié ?
— Je vais l’étriper, gronda sa rivale.
Personne n’eut l’air de vouloir la contredire. Thaëlya entraîna Ayrik un peu plus loin, effrayée par la lueur de fureur qui éclairait son regard et l’arme aiguisée dans son poing. Thaelor se posta auprès de sa cheffe, une main sur son épaule pour tenter de l’apaiser. Elle ferma les yeux un court instant pour s’efforcer de reprendre son calme, mais la flamme dans ses iris témoignait de la rage interne qui la consumait.
— Qu’est-ce que tu veux, espèce de sale garce pourrie par les Ténèbres ? cracha-t-elle.
Un geste de Khassendrah suffit à l’un de ses sbires, qui s’approcha de Faelor pour lui coller un violent coup de pied. L’alfombre grogna, ce qui arracha un frisson à son amie.
— Parle-moi autrement si tu veux qu’ils restent en vie, siffla la jeune femme. Et tu sais très bien ce que je veux. Ou plutôt, qui je veux.
— Ayrik n’ira pas en prison, cracha-t-elle en retour. Tu peux les torturer si ça t’amuse, je ne te laisserai jamais t’approcher de lui.
— Oh, je pourrais bien m’arranger pour qu’il s’en sorte avec une simple punition du directeur… lâcha l’autre d’un ton innocent. Si j’ai la certitude de ne plus revoir ce bâtard humain, je ne vois pas pourquoi j’irais le faire enfermer.
Elle planta son regard dans celui de l’hybride.
— C’est toi que je suis venue chercher, révéla-t-elle. Tu me fais de l’ombre depuis trop longtemps. Un coup aussi audacieux que celui-ci te conduirait à la potence si quelqu’un venait à l’apprendre… mais je n’ai pas envie de te voir te balancer au bout d’une corde. C’est très moche, et en plus, ce serait bien trop simple. Non, je veux que tu te soumettes à moi. Que toi et ta bande minable me reconnaissiez comme l’unique souveraine de cette cité. Et, bien sûr, que tu deviennes mon esclave personnelle.
— Va crever, cracha Raeni, le poing serré.
— A ta place, répondit Khassendrah, je ferais plus attention à mes réponses… N’oublie pas que Faelor est entre mes mains, et que je peux très bien le livrer à l’Ahal Vanador.
Elle leva un bijou. Sa rivale reconnut la broche dudit mage. Sa mâchoire se serra lorsque l’alfombre ajouta :
— Je n’ai qu’à prononcer quelques mots et il m’entendra. Il viendra alors, et vous serez tous foutus, ton petit Ayrik compris. C’est ce que tu veux vraiment, Rae ? La mort de ton chouchou humain ?
Son regard de peste innocente donna la nausée à l’hybride. Elle entendait la respiration saccadée du petit garçon derrière elle, si terrifié qu’il en pleurait sans doute. Elle percevait aussi la nervosité de Thaëlya et de Thaelor, les regards d’un peu tout le monde rivés sur elle. Bien sûr, elle voulait protéger Ayrik et ses amis. Elle était prête à tout pour leur offrir la sécurité qu’ils méritaient. Se soumettre à Khassendrah, somme toute, n’aurait pas été un si gros sacrifice si celle-ci avait eu un jour une parole fiable. Cependant, la jeune femme savait à quel point lui faire confiance pouvait se révéler dangereux. Elle ne respectait personne, pas même ceux qui avaient accepté un jour ou l’autre de la servir. Même Vanador, malgré la menace qu’il pouvait représenter avec ses puissants pouvoirs, ne comptait sans doute pas pour elle. Pour l’instant, il lui était utile et constituait un jouet excellent pour l’amuser, mais, lorsqu’il perdrait de son intérêt, elle s’en débarrasserait comme d’une vulgaire poupée sans importance.
Raeni serra davantage le poing autour de la dague. Ses yeux se posèrent sur Faelor. Sa rage enfla encore lorsqu’elle remarqua ses tremblements, signe de la douleur qu’il devait sans doute tenter de réprimer. L’alfombre avait relevé ses iris rouges vers elle, et lui intimait dans le silence le plus total de s’en aller. De lever l’ancre immédiatement, sans attendre que Khassendrah ne mette sa menace à exécution. Car il leur apparaissait clair à tous les deux qu’elle ne laisserait pas Ayrik en paix, bien au contraire. Même si l’hybride acceptait de se rendre, elle signalerait à l’Ahal la tentative de fugue du petit groupe. De plus, sans elle pour les guider, elle ignorait si les autres réussiraient à s’en sortit en mer. A garder la cohésion qu’elle avait réussi à maintenir entre eux après le départ d’Anathor.
Non. Elle ne pouvait obéir à Khassendrah, mais sa menace restait trop réelle, trop présente pour qu’ils puissent quitter le port sans accroc. Sauf si elle se retrouvait dans l’incapacité d’appeler Vanador.
— T’as gagné, soupira finalement l’hybride. Mais tu les laisses partir, je veux ta parole.
Un grand sourire éclaira le visage de Khassendrah, tandis que des exclamations de stupeur s’élevaient d’un peu partout sur le pont.
— Promis, lâcha l’alfombre. Maintenant, descends.
— Rae… tenta Thaëlya.
— Prends soin d’Ayrik, la coupa l’hybride.
Sans laisser le temps à Thaelor ni même à l’enfant de protester, elle s’avança sur la passerelle, la main fermement serrée sur le manche de la dague. Les larges pans de tissu qui constituaient son habit flottèrent autour d’elle, tels une aura de flammes diaphanes et colorées. La colère qu’elle ressentait occultait presque le reste, hormis le poids de l’arme dans sa main droite. Sa haine la guidait, et l’envie de tuer celle qui lui causait tant de tourments depuis si longtemps se révéla puissante, attirante. Un instant, elle s’imagina la sensation de la lame qui s’enfoncerait dans la chair de sa rivale, ses cris de douleur et de supplication alors qu’elle lui transpercerait le thorax ou le ventre. Elle resserra encore sa prise sur le court manche d’acier, prête à s’en servir contre l’alfombre.
Faelor la regarda descendre, impressionné par sa robe, mais surtout terrifié par la lueur assassine qui brillait dans ses iris. Elle passa devant lui sans lui accorder un regard et continua sa route pour s’arrêter à quelques pas de Khassendrah. Celle-ci avait écarquillé les yeux lorsqu’elle était entrée dans le cercle de lumière, ce qui arracha un sourire inquiétant à sa rivale. Elle sentait qu’elle était déstabilisée par sa tenue. Elle voyait la peur dans son regard, la jalousie qu’elle ressentait devant sa beauté sauvage. Elle se sentait presque puissante, malgré la proximité des sbires de son ennemie. Elle voulait la tuer. Elle était si proche, si vulnérable. Elle n’aurait pas grand-chose à faire, un simple geste pour lancer la dague. Quelques pas pour la lui planter elle-même dans le corps. Elle le pouvait. Personne ne l’en empêcherait, et les gorilles qui surveillaient les trois pauvres victimes de la séductrice seraient sans doute trop surpris pour réagir. Elle pouvait tuer Khassendrah, et prendre la mer ensuite avec ses amis.
Elle se rappela soudain la présence d’Ayrik lorsqu’il l’appela. Elle réalisa alors le cheminement de ses pensées, et relâcha un peu sa prise sur la dague. Elle ne pouvait tuer Khassendrah devant lui. L’alfombre avait certes ordonné des mises à mort, poussé des gens au suicide, elle restait une jeune femme désarmée, qui ne savait même pas se défendre seule. Elle n’avait jamais su se débrouiller seule, d'ailleurs, à la différence de l’hybride qui lui faisait face, la tête haute et le regard fier. Et, surtout, elle ne pouvait pas compter sur un fantôme et une mage en herbe pour couvrir ses arrières.
Raeni se contenta de lever la main gauche. Aussitôt, un épais brouillard s’abattit sur le groupe. Khassendrah couina, quelque part devant la cheffe des orphelins, qui s’élança vers elle, masquée par le sortilège. Elle laissa tomber sa dague en cours de route et colla son poing dans la mâchoire de sa rivale lorsqu’elle arriva auprès d’elle. Un cri de douleur s’éleva, suivi par le lourd bruit de son corps qui s’écrasait sur les pavés. L’hybride lui écrasa les doigts pour la forcer à lâcher la broche de Vanador, qu’elle ramassa avant de faire demi-tour pour regagner le navire. Malgré la brume, elle remarqua les voiles dressées vers le ciel et les rames sorties, signe que le vaisseau était prêt à quitter Khaëlentis.
La jeune femme repéra la silhouette de deux des prisonniers qui s’élançaient sur la passerelle, tandis que les sbires de Khassendrah hurlaient, sans doute embêtés par Laertha ou Avëlëa. Elle distingua aussi celle de Faelor qui tentait de se lever avec peine. Elle n’eut qu’à faire quelques foulées de plus pour le rejoindre. D’un geste franc, elle passa le bras de son ami autour de son épaule pour l’aider à se relever. Un grognement de douleur lui échappa.
— Ça va aller ? lui demanda-t-elle, inquiète.
— Je suis vraiment désolé, Rae… souffla-t-il, le regard baissé. Je n’ai rien dit, mais Emëlien…
— Tu m’expliqueras ça à bord, le coupa-t-elle. T’es blessé, faut qu’on file.
Elle n’attendit pas sa réponse pour le forcer à avancer en le portant à moitié. Leurs pas les rapprochaient du Perle d’Ambre, où Ayrik et Thaëlya l’appelaient à grands renforts de cris pour qu’elle se dépêche. Elle remarqua alors que le navire commençait à s’éloigner du quai, et que la passerelle glissait sur les pavés. Elle réalisa que, d’ici quelques instants, elle tomberait à la mer et ils ne pourraient plus monter sur le vaisseau.
— File, lui ordonna soudain Faelor.
— Pas sans toi, grogna-t-elle.
— Je vais trouver un coin où me cacher en attendant qu’Av me récupère, lui assura-t-il. Toi, tu dois t’enfuir, les accompagner en mer pour les guider et les protéger. Ils ont besoin de toi, bien plus que nous ici.
— Hors de question, siffla-t-elle. Soit tu viens avec, soit je reste.
— Arrête de faire ta tête de mule, Rae… je te ralentis plus qu’autre chose. Je… je ne pense même pas pouvoir grimper la passerelle.
— Je t’aiderai, s’entêta-t-elle. Et si on n’y arrive pas, on restera ici ensemble.
— On s’en sortira très bien sans toi, souffla-t-il. Pas eux. Ils ont besoin de ton courage, de ton assurance. De tout ce que tu es.
— Ils ont Thaëlya et Thaelor. Je ne te…
— Rae, grouille-toi ! hurla l’albinos au même moment.
Leurs regards se croisèrent. La jeune fille semblait terrifiée. Faelor en profita pour insister :
— Elle n’est pas aussi forte qu’elle en a l’air. Elle accepte de te suivre, mais ça reste toi, la chef. C’est toi qui imagines les plans et donnes tes ordres. Pas elle.
— Toi aussi, t’as besoin de moi, grogna l’hybride.
— Moins qu’eux. S’il te plaît, Rae…
— Non.
— Pense à Ayrik.
La jeune femme trébucha au nom du gamin. Elle releva les yeux vers le pont, repéra son protégé dans les bras de Thaëlya. Lui aussi semblait inquiet, et la suppliait du regard de se dépêcher. Un soupir lui échappa. Malgré la présence de ses amis auprès de lui, le garçon restait fragile et serait inconsolable si elle venait à rester à terre. Elle lui avait promis de l’accompagner, ses grands yeux bleus rivés sur elle le lui rappelaient. Les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues serrèrent le cœur de l’hybride, et sa vue s’embua. Elle tourna la tête vers Faelor.
— Tu veux bien me faire une promesse ? demanda-t-elle d’une voix brisée.
Il ne répondit pas. Ses doigts serrèrent ceux de son amie un court instant, et il déposa un baiser sur sa joue. Un pâle sourire étira ses lèvres.
— File, souffla-t-il.
Il s’éloigna de son mieux en direction d’un paquet de caisses masquées par la brume. Raeni resta paralysée un court instant, incapable de bouger, jusqu’à ce qu’elle entende les appels d’Ayrik. Il avait besoin d'elle. Elle ne pouvait pas rester. Elle s’élança donc sur la passerelle, davantage par automatisme que par réelle volonté. Sa vision floutée par les larmes rendait ses pas hésitants sur la planche de bois instable, qui tomba dans le vide alors qu’elle n’avait même pas atteint le pont. Une main ferme l’agrippa cependant juste à temps pour la hisser à bord, tandis que Thaëlya hurlait quelque chose à pleins poumons. Les bras d’Ayrik l’entourèrent dès qu’elle se trouva sur le pont, mais elle se tourna vers le quai dans l’espoir de repérer la silhouette de son ami quelque part. Elle ne distingua rien de plus que le brouillard, et perçut le cri furieux de Khassendrah. Au moins, elle savait que Faelor n’était pas tombé entre ses mains.
Elle resta immobile, à pleurer sans contrôler ses larmes, jusqu'à ce que même la lueur des torches s'estompe dans la nuit. Son corps tremblait, son cœur lui semblait être une plaie béante impossible à refermer. Elle resserra les doigts autour de la broche, dont elle finit par se rappeler l’existence. Elle observa un court instant le bijou, puis le balança par-dessus bord avec un cri de rage qui effraya Ayrik. Thaëlya emporta l’enfant dans ses bras, inquiète pour Raeni.
L’hybride se remit à pleurer sans comprendre l’origine de sa crise. Elle tenait beaucoup à Faelor, elle le savait. Cependant, elle savait aussi qu’il pouvait se débrouiller seul, même avec un Ahal furieux dans les parages. Avëlëa était restée avec lui, Laertha aussi. Il n’était pas mort. Il survivrait, et, un jour, elle le retrouverait.
Elle réalisa peu à peu que, malgré ce qu’elle pouvait affirmer, elle avait besoin de lui. Il était le seul à la comprendre, à la connaître assez bien pour pouvoir déceler ses plus petits changements d'humeur. Il savait la consoler lorsqu'elle pleurait. Il réussissait à la réconforter même lorsqu'elle était la proie de sombres pensées. Il savait la rassurer lorsqu'elle doutait de quelque chose, mais aussi la forcer à se remettre en question lorsqu'elle se montrait trop confiante. Et, surtout, il était le seul en qui elle avait pleinement confiance. Le seul qu'elle aurait aimé avoir à bord. Le seul à qui elle aurait confié sa vie les yeux fermés. Elle pensait tenir davantage à Ayrik qu’à lui. Elle se rendait compte trop tard qu’en réalité Faelor comptait davantage pour elle que le petit humain.
Peu à peu, elle sentit ses paupières s'alourdir. Elle se rappela un instant qu'elle avait avalé un peu de flhylh drogué. Ses larmes redoublèrent d'intensité alors qu'à la tristesse venait s'ajouter une vague honte. Elle tenta de lutter, mais ses yeux semblaient décidés à se fermer sans son accord. Son esprit embrumé par la boisson lui sembla terriblement lourd, malgré l'incroyable absence de sensation dans ses membres. Son corps ne répondait plus. Ses pensées perdirent leur cohérence. Sa conscience glissa peu à peu dans un flou gris-blanc teinté d'amertume, et elle sombra malgré elle dans un lourd sommeil artificiel.