MÉMORIA ZÉRO - TOME 1 (Ancienne version)
Chapitre 13 : UN PEU D'OPIUM DANS UN VERRE
4231 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 19/07/2021 16:34
Hayato se redressa sur sa chaise et s’étira. Assis depuis des heures à saisir ses comptes rendus, ses articulations et ses muscles commençaient à protester. Les yeux rivés au plafond, il repensa alors à sa dernière mission.
Les échantillons prélevés sur les cadavres à Kisava dévoileraient peut-être de nouveaux indices, mais les révélations de Sköll le laissaient perplexe. D’après ses propos, un dragon était responsable de ce chaos, mais il restait en proie au doute. C’était difficile de se fier aux affirmations de quelques badauds qui auraient pu confondre un reptile volant avec un oiseau. Certes, la créature avait été observée à deux endroits différents à quelques jours d’intervalle, mais cela ne prouvait en rien la véracité des faits.
Frustré de ne pas posséder plus d’éléments pour éclaircir cette histoire, Hayato s’octroya une pause bien méritée. Il dénicha une bouteille d’alcool bien cachée entre deux cartons sous le rayonnage de son bureau et sortit un verre de son tiroir. Après deux semaines fortes en émotions, une petite dose de vulpix ne se refusait pas, mais au moment où il allait se servir, un bocal se brisa au sol et le fit sursauter. Figé, il tourna une oreille et une voix féminine s’éleva de derrière les étagères.
— Bordel ! Ce n’est pas possible de garder des trucs aussi dégoûtants !
Son estomac se noua lorsqu’il reconnut le ton autoritaire de sa supérieure et s’empressa aussitôt de cacher sa précieuse bouteille. Ce n’était pas le moment de se faire pincer à boire de l’alcool sur son lieu de travail !
— Ah ! Tu es là !
D’un geste exagérément lent, Hayato pivota sur sa chaise pour se retrouver face à une trentenaire aux courbes gracieuses, vêtue d’une robe chemise kaki et coiffée d’un carré plongeant. Karen Estieral. Sa seule présence suffit à lui hérisser le poil et son parfum un peu trop prononcé lui arracha une discrète grimace dégoûtée.
L’apparence de Karen demeurait cependant trompeuse. Derrière un maquillage parfait et des ongles manucurés sommeillait une puissante guerrière doublée d’une fine stratège. Même chaussée de talons aiguilles, cette brute épaisse n’hésitait jamais à se lancer dans la mêlée quand le besoin s’en faisait ressentir. Elle n’avait pas succédé à son père pour rien. Malheureusement, sa noble stature s’accompagnait d’un caractère des plus exécrable depuis son enfance et si elle était aujourd’hui mariée avec deux enfants, les années passées ne l’avaient guère bonifiée.
Elle repoussa une mèche indigo derrière son oreille droite, survola la pièce du regard et fixa Hayato d’un air pincé.
— Où est Kyeran ?
— Tu veux vraiment le savoir ?
La jeune femme ne cilla pas et croisa les bras avec une expression agacée.
— Il est parti jouer les jolis cœurs avec une fille.
Karen haussa un sourcil, les lèvres déformées en un rictus peu convaincu.
— Kyeran ? Draguer une femme ? Tu es sûr de toi ? Ce n’est pas son genre...
Hayato la dévisagea avec un sourire en coin. S’il appréciait particulièrement de faire enrager sa supérieure, il ne lui révélerait pas où se trouvait son partenaire. Karen ne croyait presque jamais un traitre mot de ces propos – en dehors de la sphère professionnelle, bien sûr – alors il aimait user d’arguments trompeurs avec elle. Il avait vu le regard de Kyeran étinceler de joie à la rencontre de la jeune Lyria, il ne lui gâcherait pas cet instant.
— Tu es venue ici dans l’unique but de me parler de lui ?
Karen soupira et se frotta le front de ses doigts.
— Non, je veux simplement savoir où tu en es dans tes recherches.
— Ça avance doucement, mais sûrement, lui avoua-t-il, les sourcils froncés. On a eu de nouveaux indices à Solsti, mais je préfère faire encore quelques investigations avant de m’avancer sur quoi que ce soit.
— C’est peut-être plus sage, en effet, approuva-t-elle. Les laboratoires de tout le pays sont sur le coup, mais ça ne bouge pas assez vite. J’ai entendu dire que du côté de l’ennemi, le pays avait subi de lourdes pertes humaines. Presque les deux tiers de la population illurienne ont déjà disparu et si ça continue comme ça, notre empire suivra le même chemin.
Un sourire amer courba les lèvres d’Hayato.
— Et dire que leurs idiots de dirigeants continuent de se faire la guerre... je me demande lequel ressortira vainqueur quand il n’y aura plus personne pour combattre. Les semi-humains ne seront ni assez nombreux ni assez fous pour servir de chair à canon.
— Ça malheureusement, c’est un autre débat et ce n’est pas de notre ressort. En attendant, contente-toi de faire ton boulot. Si tu peux trouver quelque chose, ce sera toujours ça de pris.
Hayato opina de mauvaise grâce. Pas toujours très investi dans son travail, il n’en restait pas moins déterminé pour autant. Face à l’urgence de la situation, il devait agir. Néanmoins, un fort désir l’envahissait à cet instant : voir Karen quitter son bureau. Elle empiétait sur son espace vital depuis quelques minutes et il ne pouvait déjà plus supporter sa présence. Leur relation n’avait jamais été au beau fixe et elle avait empiré depuis la mort de leur camarade commune, Sofia. Karen le tenait malgré elle comme responsable de son décès.
Avant de tourner les talons, elle lui jeta un dernier coup d’œil dédaigneux.
— Je retourne à mon bureau et n’en profite pas pour picoler quand j’ai le dos tourné, parce que si tu crois que je ne sais pas ce que tu fais, ce serait mal me connaître.
Il cligna des paupières, outré, et sa mâchoire manqua de se décrocher. Depuis quand se permettait-elle de l’espionner ? Ils s’échangèrent un regard orageux pendant quelques secondes, puis, sans un mot, Karen disparut derrière le dédale d’étagères, suivie par le claquement de ses talons sur le carrelage.
Exaspéré, Hayato s’enfonça dans sa chaise avec un soupir et se retourna face à son espace de travail. Ses yeux se posèrent d’instinct sur un cadre en bois bordeaux qu’il chérissait plus que tout. Sur la photo, un Vulpian à la crinière argentée enlaçait une jolie humaine aux cheveux de jais et aux prunelles céruléennes. Ce jeune couple rayonnait de bonheur et pas un jour ne passait sans qu’Hayato ne contemple ce triste souvenir. L’image de Sofia ne s’effacerait jamais de son cœur.
En dépit des années, la plaie béante laissée par sa mort refusait de se refermer. Sofia avait été tout pour lui, mais il l’avait perdue, au point de sombrer dans le néant. Pour apaiser son chagrin, il s’était réfugié dans l’alcool et trouvait du réconfort dans les bras d’autres femmes. Cependant, ces addictions ne restaient qu’une illusion et ces remèdes l’aidaient seulement à garder la tête hors de l’eau.
Enfin seul, il se servit un grand verre de vulpix et l’avala d’une traite. Le liquide ambré et sirupeux lui piqua d’abord la gorge avant de lui laisser ensuite une sensation d’échauffement agréable. Quelques minutes plus tard, le tremblement de ses mains dû au manque s’atténua grâce à cette dose bienvenue. Tout en faisant tourner l’alliance dorée autour de son annulaire gauche, unique vestige de son amour passé, il contempla le sourire figé de sa défunte épouse.
— Si tu me voyais, tu te retournerais dans ta tombe... mais à ma place, toi, tu ferais quoi ?
Il secoua la tête et chassa les quelques larmes accumulées sous ses cils. Cette question n’avait aucun sens, pas plus que la réponse qu’il espérait entendre.
Après s’être resservi un deuxième verre, puis un troisième et encore un autre, il jeta un coup d’œil à son terrarium. À l’intérieur de celui-ci, son petit cobaye ne ressemblait plus qu’à un amas de chair noire putréfiée couvert de moisissures cotonneuses et blanchâtres.
— Je crois que je t’ai un peu oublié, toi... grimaça-t-il avec une expression navrée.
***
Hayato se réveilla avec un affreux mal de crâne et la gorge desséchée. Quand il ouvrit les yeux, ceux-ci se refermèrent aussitôt face à l’agressive lueur du jour. Lentement, son visage se releva et ses paupières acceptèrent enfin de le laisser entrevoir son environnement encore flou.
Bon sang, combien de verres avait-il bus et qu’avait-il fait la veille ? Il réassembla les morceaux de sa journée précédente quand il remarqua une bouteille vide posée à sa gauche. Son cerveau était tellement embrumé, qu’il sursauta à peine quand il décela la silhouette assise dans le fauteuil juste à côté de la fenêtre. Il se frotta les paupières, persuadé de rêver, pourtant, la forme d’apparence humaine était toujours là et une voix au ton blasé retentit.
— Tu t’es encore mis dans un sale état. Si jamais Karen te tombe dessus, je ne donne pas cher de ta peau, mais tu as de la chance, elle est en congé, aujourd’hui.
Hayato reconnut enfin Kyeran et assimila ses reproches tout en le fixant d’un regard morne.
— Ah, c’est toi... Tu es là depuis combien de temps ?
— Assez longtemps pour me demander si tu te réveillerais un jour.
Il grimaça et le Dragyan lui désigna l’horloge au mur. Elle affichait onze heures.
— Merde ! Déjà ? Mais pourquoi tu ne m’as pas réveillé plus tôt ?
— J’ai essayé, mais tu as le sommeil un peu trop lourd quand tu as bu...
— Tu aurais dû insister !
La moue dépitée de Kyeran acheva de le convaincre sur cette triste réalité. Il devrait vraiment remédier à ce problème, mais un sujet plus intéressant lui revint en mémoire. Balayant la pièce d’un regard prudent, il arbora un sourire en coin.
— Au fait, ton petit rendez-vous d’hier, ça s’est passé comment ?
— Tiens donc ! Pour certaines choses, je vois que l’alcool ne te fait pas perdre la mémoire !
— Je veux juste savoir. Allez, raconte-moi tout ! Vous sortez ensemble ?
— Par Yldrarth, non ! s’indigna le Dragyan avec un air choqué. Il ne s’est rien passé, on a juste... discuté de tout et de rien.
Hayato gloussa, absolument pas convaincu par sa réponse. Kyeran ne savait pas mentir, cela se remarquait par son regard fuyant et ses joues légèrement rosies. Il s’était passé bien plus que ce qu’il voulait le faire croire, mais le Vulpian était du genre patient. Il réussissait toujours à connaître la vérité, peu importe le temps que cela lui prenait pour décrocher les informations les plus croustillantes. Pour l’instant, il laissa ce sujet de côté, il y reviendrait plus tard.
— Et sinon... que fais-tu ici ?
— Tu ne te souviens déjà plus ? Tu m’as dit de passer, hier, alors je suis là.
— Ah, oui... ça par contre, j’avais zappé... constata Hayato d’une voix pâteuse.
Kyeran leva les yeux au ciel avant de reprendre sur un ton plus sérieux :
— Tu as transféré les échantillons à Shionne ?
— Oui, ça, je n’ai pas oublié et si tout va bien, je devrais avoir les résultats d’ici deux semaines.
— Deux semaines ? Pourquoi ce genre de procédé met autant de temps ? s’étonna l’exterminateur en se frottant le menton.
Hayato bâilla à s’en décrocher la mâchoire et décida de se préparer une tisane. Rien de tel qu’une bonne infusion pour remettre les méninges en place et se réveiller en douceur.
— Les analyses génétiques sont très longues. Il faut décortiquer l’ADN et analyser chaque gène. Ça prend un temps fou, lui expliqua-t-il tout en sortant une tasse d’un placard ainsi qu’une boite à thé. Et je croise les doigts pour que ces échantillons nous en apprennent un peu plus, cette fois.
L’impatience d’obtenir les résultats le brûlait. Réussirait-il à percer le mystère du Fléau ? Il l’espérait. Shionne était spécialisée en recherche génétique et excellait dans son domaine, aucun doute qu’elle lui trouverait un indice.
— Le souci, c’est que d’autres victimes seront certainement exécutées d’ici là... observa Kyeran.
— Je sais, mais on n’a pas le choix...
Que pouvaient-ils faire d’autre ? Mettre toute la population en quarantaine ? Ce serait ingérable. Exécuter des innocents lui était inconcevable. En tant qu’ancien combattant, il savait de quoi il en retournait et s’il devait sacrifier quelques vies pour en sauver le maximum, alors le prix à payer en valait la chandelle.
— Au fait, pendant que je suis là, j’aurais un service personnel à te demander, reprit son partenaire.
Hayato haussa un sourcil. Kyeran requérait rarement son aide en dehors du travail. Il avala une petite gorgée de son thé infusé pour s’éclaircir la voix.
— Je t’écoute.
— J’aimerais que tu auscultes un humain. Il est très malade et je ne sais pas si tu as déjà eu affaire à cette maladie.
— Quels symptômes ?
— Grande fatigue physique, perte de poids et d’appétit, teint livide, maux de tête et malaises, d’après ce que m’a dit sa fille.
À cette description, un mauvais pressentiment envahit Hayato.
— Ça ressemblerait à de l’anémie s’il n’y avait pas la perte de poids et d’appétit...
— Tu penses que c’est plus grave ?
Il haussa les épaules, songeur.
— Il n’y a pas trente-six façons de le savoir, je vais l’examiner. Je te demande juste quelques minutes le temps de préparer mes affaires.
Kyeran se leva du fauteuil.
— Je t’attends dehors.
Hayato soupira. Il aurait préféré profiter de cette journée de répit bien mérité pour se reposer, mais malheureusement... le quotidien d’un médecin ne ressemblait jamais à un long fleuve tranquille...
***
— C’est ici, lui désigna Kyeran.
Déjà épuisé par son trajet matinal, Hayato reprit son souffle, puis grimaça face à l’état négligé du bâtiment devant lequel ils venaient d’arriver.
— Tu es sûr que c’est habité ?
Le Dragyan leva les yeux au ciel.
— Rassure-toi, je ne t’ai pas emmené dans un traquenard.
— Encore heureux...
Pendant qu’Hayato se concentrait sur l’aspect peu entretenu de la façade en pierres, la plus petite des portes s’entrebâilla et deux rubis brillèrent dans l’ombre. Il crut rêver lorsqu’il reconnut Lyria et se retourna aussitôt vers Kyeran, les sourcils froncés.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit que c’était son père à elle ? Tu avais peur de quoi, au juste ?
Pour toute réponse, le Dragyan détourna le regard tout en se grattant la nuque. Hayato secoua la tête, agacé, puis reporta son attention sur la jeune femme. À en juger les cernes violets sous ses beaux yeux écarlates, elle avait l’air éprouvée.
— Entrez, les invita-t-elle d’une voix atone en ouvrant la porte.
Hayato hésita et hasarda un coup d’œil vers Kyeran. Lui aussi semblait soucieux, mais il l’encouragea d’un geste de la main.
— Après toi.
Talonné de près par son acolyte, il suivit Lyria et s’engouffra dans un couloir aux murs couverts de tapisseries d’un autre temps avant d’emprunter un escalier tout aussi vieillissant. Le bois grinçait tellement sous leurs pas, que le Vulpian se demanda si l’une des marches n’allait pas céder. Ils débouchèrent enfin sur un palier de quatre portes.
— Par ici, leur indiqua-t-elle en montrant celle située la plus à droite.
Hayato se demandait bien à quoi il se confronterait. Des cas de maladies graves, il en avait déjà vu, mais réussirait-il à diagnostiquer celle-ci ? Et surtout, dans quel état se trouvait le patient ?
Ils pénétrèrent dans une chambre de taille modeste au papier peint défraîchi et où flottait une douce odeur de naphtaline. Au centre de la pièce, près d’une fenêtre à petits carreaux, siégeait un vieux lit en bois parsemé d’un nombre incalculable de trous de termites. Un homme d’une cinquantaine d’années, peut-être plus, au visage famélique y était allongé. Une respiration irrégulière soulevait sa poitrine tandis que des gargouillis étranges résonnaient dans sa gorge.
Ils froncèrent les sourcils face à son aspect plus que préoccupant. D’un rapide coup d’œil, Hayato évalua son état.
— Sa respiration est anormale, ça ne va pas du tout, observa-t-il avant de se tourner vers Lyria. Il est comme ça depuis combien de temps ?
— Je n’sais pas trop, peut-être depuis cette nuit, souffla-t-elle, le regard vide. Hier soir, il allait bien, mais je n’ai pas pensé à vérifier s’il avait pris ses médicaments correctement.
Elle lui désigna la table de chevet où reposaient plusieurs flacons de comprimés. Hayato s’en approcha pour les examiner un par un et inspira vivement lorsqu’il reconnut aussitôt un des composants. L’état comateux de l’humain ne le surprit guère.
— Pas étonnant qu’il soit comme ça. Ils lui ont prescrit des antalgiques à base d’opium et à mon avis, il a dû faire un beau mélange sans s’en rendre compte. Il est complètement drogué.
— De l’opium ? coassa Lyria, les yeux écarquillés. Qu’est-ce que c’est ?
— Un puissant psychotrope ou pour faire plus simple, un somnifère, lui expliqua-t-il. Pris en trop grande quantité, il a un effet dépresseur sur la partie du cerveau qui maîtrise la respiration et du coup, ça peut provoquer de l’hyperventilation.
Les deux Dragyans s’échangèrent un regard inquiet tandis qu’Hayato reprenait :
— Est-ce que ton père avait toute sa tête, hier soir ? Avait-il un comportement inhabituel ?
Elle réfléchit, les yeux rivés sur le malade.
— Je l’ai trouvé un peu distrait, oui, mais sans plus. Pourquoi ce médecin lui a donné ça ? C’est n’importe quoi.
— Je suis bien d’accord avec elle, renchérit Kyeran. Leur boulot c’est de soigner les gens à la base, pas de les droguer.
Hayato tira une chaise près du lit et s’y installa. Les coudes posés sur ses genoux et les mains croisées, il observa l’humain inconscient d’un air songeur. Il n’appréciait pas du tout le mode opératoire de ses collègues et considérait leurs méthodes irrespectueuses, voire abjectes.
— Avec le Fléau, mes confrères ne se donnent même plus la peine d’ausculter les patients avec minutie. Dès que quelqu’un est malade, ils mettent ça sur le dos de cette saloperie et prescrivent n’importe quoi, du moment que la famille leur foute la paix ensuite...
— Mais mon père ne souffre pas du Fléau ! protesta Lyria. Vous voyez bien qu’il n’a pas d’taches noires sur la peau !
— Bien sûr qu’il ne l’a pas, sinon il serait déjà mort, lui affirma-t-il d’un ton lugubre avant de se redresser de son siège. Je vais l’examiner et lui faire une prise de sang donc, si ça ne vous dérange pas, j’aimerais être seul.
Une lueur de réticence traversa les prunelles de Lyria, mais d’un hochement de tête, Kyeran la persuada de lui faire confiance. Les lèvres pincées, elle pivota et quitta la chambre, talonnée par l’exterminateur qui referma la porte.
Hayato sortit alors son matériel. Il vérifia le pouls et la tension qu’il estima anormalement faibles, puis examina ensuite les yeux, la bouche ainsi que la peau. Le teint très pâle de cette dernière donnait à l’homme l’apparence d’un cadavre vivant.
Son auscultation terminée, il s’empara d’une seringue ainsi que de plusieurs tubes en verre. L’état de son patient le rendait dubitatif, mais il devinait déjà la gravité du mal qui l’affectait. Toutefois, il devait poser un diagnostic fiable, car la moindre erreur mettrait la vie de l’humain en danger.
Une fois la prise de sang effectuée, il appuya sur le communicateur de sa T020-Z et se concentra pour établir le contact avec Shionne. Il ferma les paupières et se représenta l’image de la jolie Sylphide dans sa tête. Bientôt, une voix aux intonations enfantines retentit.
— Désolée, Doc, mais c’est trop tôt pour tes résultats !
Un rire lui échappa tandis qu’il recouvrait son sérieux.
— Je ne te recontacte pas pour ça, j’aurais d’autres analyses à te fournir. C’est très urgent, tu peux les passer en priorité ?
— Oui, bien sûr, de quoi s’agit-il ?
— Humain mâle d’environ cinquante ans avec perte de poids importante, peu d’appétit, respiration arythmique, pouls et tonus musculaire très faible ainsi qu’une pâleur extrême au niveau des yeux et des muqueuses.
— Ça ressemble à une anémie, mais les autres symptômes m’interpellent... s’inquiéta la scientifique.
— C’est pour ça que j’aimerais confirmer le diagnostic. J’ai besoin que tu m’analyses rapidement ce que je vais t’envoyer.
— D’accord, je lance le transfert.
La montre émit un bip strident et un bouton vert clignota. Hayato y apposa son index et un cercle lumineux violet se matérialisa face à lui. Au centre de celui-ci se mouvait une sorte de brouillard noir traversé d’ondulations iridescentes dans lequel il plongea les tubes remplis de sang.
— Transfert, ordonna-t-il.
Le disque éthérique rayonna avec un sifflement, absorba les échantillons, puis rapetissa jusqu’à s’atténuer et disparaître. La voix de Shionne résonna de nouveau.
— Bien reçu ! Je te fais ça tout de suite avec un rapport complet, je te recontacte dans deux heures environ.
— Merci, ma Choupinette.
Un gloussement amusé lui répondit et la communication s’interrompit. Hayato se relâcha sur sa chaise, serein. Il coopérait depuis quelques années avec Shionne et une bonne complicité s’était tissée entre eux. Il n’avait pas connu plus fiable que la jeune Sylphide comme collègue.
Il contempla son patient apathique et le voir ainsi lui évoqua soudain de mauvais souvenirs. Pendant un bref instant, l’image de Sofia se superposa à celui de l’homme inconscient. Sa voix l’appelait, entrecoupée de souffles courts et douloureux. Elle gisait là, le visage froissé de souffrance, la peau ensanglantée, le corps éventré.
Son pouls s’accéléra et une désagréable suée froide lui coula dans le dos tandis que des fourmillements lui remontaient le long des membres. Il cligna des paupières pour chasser cette vision cauchemardesque et réprima juste à temps une nausée. Le regard hagard et les poings enfoncés dans ses cuisses, Hayato resta assis à haleter avec force. Il respira alors profondément pour recouvrer son calme.
Il faut vraiment que j’arrête de boire...
Une expiration plus tard, il réunit ses affaires dans son sac d’une main tremblante, puis tout en observant une nouvelle fois le malade, décida de tenter quelque chose.
Les doigts posés sur le torse de l’homme, il psalmodia une formule en langue vulpianne :
— Atenua alteracilis.
Sa paume s’échauffa et une lueur blanche enveloppa l’humain. Ce sortilège qui consistait à atténuer les altérations d’état dura une longue minute, puis s’estompa. Il ne requérait pas trop d’énergie et Hayato s’en servait fréquemment sans s’inquiéter d’une quelconque carence en magie.
Satisfait, il quitta la pièce à son tour. D’ici deux heures ou peut-être plus, Allister devrait émerger de sa léthargie.