Hors du Temps

Chapitre 4 : Monde de merde.

6176 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 05:27

Astrid n'arrivait pas à se décider si le monde penchait du côté de la folie furieuse ou du côté de l'absurdité incompréhensible. Elle venait d'enjamber, juste à la sortie de Sancturary, le cadavre d'un homme gisant aux côtés de la carcasse d'une sorte de chien sans poil terrifiant transpercé par un démonte-pneu.

 

Jamais de toute sa vie elle n'avait ressenti autant de sentiments différent en un laps de temps si restreint. La colère se dissipait pour laisser place à une sorte d'apathie mélancolique, qui à son tour se muait en tristesse déchirante avant de flamber dans une colère noire et haineuse. C'était un cercle vicieux qui l'épuisait.

 

Son esprit, quand à lui, semblait voler au-dessus de tout. Elle savait pertinemment que la désolation qui s'étendait à ses pieds n'était que la stricte vérité, mais tout lui donnait l'impression de vivre un rêve. Comment pouvait-on accepter de marcher sur les cendres d'un monde depuis longtemps abandonné ? Comment pouvait-on survivre dans...

 

Un jappement la fit sursauter. D'un coup d’œil, elle constata être devant la station Red Rocket se situant près de son village. Entre deux anciennes bornes d'essence, un chien la regardait d'un air joyeux. Pas un chien décharné et misérable comme celui qui se décomposait au soleil, mais un magnifique berger allemand en parfaite santé. C'était la première fois depuis sa décongélation qu'Astrid voyait quelque chose de normal. Ou en tout cas qui lui semblait normal. Un frisson lui parcouru l'échine. Peut-être que ce chien pondait des œufs ou crachait des flammes.

 

L'animal s'approcha en trottinant, remuant la queue dans tout les sens. L'humaine se mit à genoux, le sourire aux lèvres et caressa la tête du chien pleine de poussière.

 

- Salut, murmura Astrid. Qu'est-ce que tu fais là tout seul ?

 

Le chien baissa la tête et les oreilles et gémit tristement.

 

- Tu as perdu ton maître ?

 

L'animal jappa une nouvelle fois avant de reprendre son air malheureux. Il sautilla ensuite autours de la jeune femme et couru sur la route avant de s'arrêter au milieu. Il pointa son museau vers Concord et aboya plusieurs fois avant de se tourner vers Astrid. Cette dernière fronça les sourcils. Il lui semblait que ce chien lui demandait de la suivre.

 

- Tu veux que je t'accompagne ?

 

Une nouvelle fois, l'intéressé aboya d'un ton joyeux avant de tourner sur lui-même.

 

A dire vrai, la chroniqueuse ne savait pas s'il était très sage de suivre un chien qui, manifestement, était très malin. Peut-être qu'il essayait de l'attirer dans un piège pour la tuer, qui, sur ce monde, pouvait vraiment savoir de quoi il en retournait ? Mais, à l'évidence, le chien voulait la diriger vers Concord. Avec un peu de chance, l'animal l'aiderait si jamais de nouvelles mouches géantes répugnantes essayaient de la tuer. C'est en soupirant qu'Astrid s'engagea sur la route, devancée par un chien paraissant heureux de ne plus être seul.

 

Au départ, Astrid ne vit pas les deux créatures se repaissant de la vache à deux têtes. C'est le chien qui, par ses grognements et sa posture, la prévint du danger qui ne tarda pas à s'abattre sur le duo. Deux énormes moustiques de la taille d'un veau s'élancèrent dans les airs accompagnés d'un vrombissement effrayant et avancèrent vers l'humaine la trompe pleine de sang frais. C'est en hurlant de terreur que cette dernière dégaina sa matraque et s'apprêta à se défendre, priant pour que ses deux années de base-ball lui reviennent en mémoire. Heureusement, le chien sauta sur le premier moustique et l'immobilisa au sol pour lui déchirer la tête. Au moins, elle n'avait qu'à s'en occuper d'un seul.

 

Avec un réflexe qu'elle ne devait qu'à l'adrénaline dans ses veines, Astrid esquiva d'un bond l'attaque de l'insecte et lui flanqua un coup en plein dans sa poche de sang déjà bien remplit. Maintenant dos au chien, elle pouvait entendre les bruits dégoûtant de la chair arrachée et d'un insecte se débattant pour survivre. Devant ses yeux, le deuxième monstre voletait difficilement à cause de la douleur. Il ne fallait pas qu'il ait le temps de reprendre des forces. Un second coup de matraque éclata la tête de l'insecte qui s'écroula au sol, libérant son liquide vital sur le bitume vieillit.

 

La veuve se précipita dans l'herbe courte et sèche pour essuyait son arme, la couvrant de poussière et de terre au passage, les yeux pleins de larmes. Des moustiques géants. Ça, c'était un véritable problème. Autant les cafards ne la dégoûtaient pas trop et elle pouvait garder un semblant de sang-froid devant eux. Les mouches géantes étaient répugnantes mais en visant bien, on pouvait les faire exploser d'une balle bien placée. Mais des moustiques géants aussi rapides et pouvant transpercer la chair avec une trompe aussi large qu'un démonte-pneu, ça, c'était un cauchemar. Elle ne s'était jamais confiée à personne en dehors de Nate à ce sujet, mais Astrid était terrifiée par les moustiques et plus généralement par les insectes qui buvaient du sang. Ce traumatisme lui venait sûrement d'une de ses cousines tombée malade à cause d'une piqûre de moustique, lors d'un voyage. En tout cas, ces créatures lui faisaient bien plus peur que n'importe quel chien errant affamé ou qu'un nid entier de cafard géant.

 

Le chien s'approcha d'elle en gémissant, la gueule couverte d'un liquide gluant et de morceaux qu'Astrid ne préférait pas identifier. D'un geste affectueux, elle flatta la tête de l'animal.

 

- Merci, mon gars. Sans toi, je me serais fait surprendre par ces...

 

Elle termina sa phrase par un geste désinvolte, incapable de parler de ces insectes sans avoir la voix bloquée par la peur. La mère se releva et reprit sa route vers Concord qu'elle voyait de sa position surélevée. Il lui fallut beaucoup d'effort pour ignorer le fait que la vache morte possédait deux têtes. Une petite voix dans sa tête lui certifiait qu'il était préférable de laisser encore quelques traumatismes pour plus tard. Astrid l'ignorait encore, mais elle vivrait des événements bien plus traumatisant que la simple vue d'une vache à deux têtes.

 

___

 

Une partie d'Astrid était satisfaite de l'état de Concord. La ville n'était pas en si mauvais état que ça et il lui semblait évident qu'avec quelques mois de ménage et de réparation, un groupe conséquent d'humains pourrait y vivre tranquillement. Bien sûr, des nids de poules gigantesques creusaient le sol ça et là, certaines maisons tombaient en ruines. Mais avec beaucoup d'imagination, c'était potable. Toujours mieux que Sanctuary Hills.

 

Le berger allemand jappa en remuant la queue avant de s'engouffrait dans une moitié d'habitation dont la porte était couchée au sol. Astrid le suivit, en fronçant les sourcils. L'animal galopa dans un escalier pour monter à un étage presque entièrement écroulé, la truffe au sol. Elle ne comprenait pas comme le chien pouvait renifler un sol aussi sale sans avoir la truffe complètement bouchée par les saletés. En haut, l'animal pointa de son museau une cigarette qui dégageait de la fumée blanche. Une bonne partie de cette dernière s'était consumée dans le cendrier crasseux se situant sur une sorte de commode. Sur cette dernière, la jeune femme trouva un briquet à essence qu'elle s'empressa de mettre dans sa sacoche. Ce genre d'objet trouvait toujours leur utilité. En fouillant un peu la pièce, Astrid dégota aussi un bandana rouge dégageant une forte odeur de bière mais qui n'était pas trop sale. Elle remercia les cieux de lui offrir un objet qui l'aiderait à moins avaler de poussière et s'en équipa sur le champ.

 

En caressant le chien pour le remercier de sa trouvaille, la chroniqueuse se figea. Un détail lui échappait. Un détail très important. Un rapide coup d’œil dans chaque recoin de la pièce lui fit noter la présence d'une bouteille d'eau assez trouble presque vide posée à côté d'un sac de couchage, deux bouteilles de bière vide au sol. Une lampe à huile défoncée gisait dans un coin de la pièce. Qu'est-ce qui n'allait pas dans ce tableau ? L'odeur caractéristique d'un filtre de cigarette se consumant envahit le lieu.

 

Oh.

 

C'était évident. La cigarette ne s'était pas allumée toute seule. Il avait bien fallut qu'un être humain le fasse !

 

Au moment où Astrid dégainait son pistolet en fronçant les sourcils, l'air anxieuse, des coups de feu retentirent au loin. L'animal à ses côtés grogna et sortit de la maison pour montrer d'où venait le bruit à sa compagne. L'intelligence du chien surpris une fois de la plus la jeune femme qui lui fit une caresse en passant à côté de lui. Il fallait qu'elle aille voir de quoi il en retournait. C'était sûrement les humains dont Codsworth lui avait appris l'existence. Ils devaient se battre contre des insectes géants, des chiens maladifs, des oiseaux crachant des flammes ou des dragons. Ou quelque chose comme ça.

 

Plus elle s'approchait du conflit, plus l'angoisse lui compressait la poitrine. Et si c'était des ennemis ? Si ces gens allaient se jeter sur elle pour la tuer ? Un bruit étrange fit parcourir un violent frisson dans le dos d'Astrid. Il s'agissant d'un son de verre cassé suivit par une sorte d'explosion assez faible. Elle était persuadée d'avoir déjà entendu cela à la télévision, dans un film ou un reportage.

 

Arrivée à l'angle de l'artère principale de Concord, d'où venait la bataille, elle enleva le cran de sécurité de son arme. Elle détestait l'idée de devoir se battre. Toute sa vie elle s'était engagée contre les armes à feu et pour le pacifisme, contre les tueries et la violence. Et maintenant, elle se cramponnait à un objet fabriqué pour ôter la vie comme s'il s'agissait de sa dernière chance de survie.

 

- Ne te mens pas à toi-même, ma vieille, grogna-t-elle à voix basse. C'EST ta dernière chance de survie dans ce monde de fous.

 

En priant pour ne pas être repérée, elle passa la tête pour observer la rue. Il y avait plusieurs barrages de sacs de sable et au moins trois personnes dans la rue qui visaient un homme sur le balcon du musée de la liberté. Un des humains dans la rue jeta quelque chose sur le bâtiment, non loin de l'homme portant un chapeau sur le balcon, et l'objet explosa dans une gerbe de flamme. Un cocktail molotov.

 

- Ça va me réchauffer, ça... ricana doucement Astrid. Moi qui sort du congélo...

 

Le pauvre type se battant contre trois personnes en même temps semblait tirer avec un fusil laser ou en tout cas quelque chose s'en approchant.

 

- Allez ! Hurla une voix féminine se cachant derrière un sac de sable. On va leur faire la peau, les gars ! Ils doivent avoir pas mal de marchandises !

 

La mâchoire de la chroniqueuse se serra si fort qu'elle senti une vive douleur dans ses gencives. D'un geste vif, son bandana vu ajusté. Elle ne pouvait pas laisser des marchands se faire rôtir au cocktail molotov par des pillards. Ce monde lui paraissait encore plus violent que l'ancien, ce qui lui aurait paru impossible deux-cent ans auparavant. Il fallait qu'elle s'adapte, c'était une obligation si la mère voulait de nouveau serrer son fils dans ses bras. Astrid ne pouvait pas se permettre de mourir par lâcheté ou par faiblesse. Son sens de la moral lui interdisait aussi de laisser de pauvres gens périr de la main d'ordures sanguinaires.

 

Comme s'il sentait le conflit interne que vivait sa nouvelle amie, le berger s'appuya contre Astrid en gémissant. Cette dernière lui grattouilla derrière les oreilles avant de plonger son regard dans celui de l'animal. Elle y vit une certaine résignation mais aussi un encouragement. Ou peut-être devenait-elle folle et qu'elle se mettait à voir dans les yeux d'un chien ce que son esprit malade voulait bien y mettre. La chroniqueuse voulu lui expliquer qu'elle ne pouvait pas faire ça, qu'elle n'était pas prêtre à tuer quelqu'un, mais son compagnon lui lécha la main avant de se jeter dans la bataille tout croc sortis.

 

Si jamais ils s'en sortaient, Astrid jura de tuer le chien à grand coup de diatribes enflammées.

 

La première balle qu'elle tira s'éclata dans un des barrages de sac, faisant couler du sable sur le sol. La deuxième balle frôla la jambe d'un des pillards qui se retourna. Lorsqu'il pointa du doigt la femme qui prenait son groupe à revers, prêt à prévenir les autres, la troisième balle lui pénétra dans le ventre. Astrid ne pût s'empêcher de grimacer de dégoût. Elle voulu se concentrer une nouvelle fois pour terminer le travail, mais le chien se jeta à la gorge du blessé et l'acheva en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire "saloperie de bandit.".

 

Une balle s'écrasa dans le mur, près de la tête de la guerrière inexpérimentée. Elle cracha un juron peu glorieux, déçu de ne pas pouvoir profiter plus longtemps de son attaque surprise, avant de s'accroupir et de se cacher à son tour derrière un sac rembourré. C'est en priant qu'Astrid sorti la tête de sa cachette pour vérifier la position des ennemis. Le chien fonçait sur un type vêtu de haillons et portant une sorte de cagoule crasseuse en toile de jute. Il lui fallu quatre coups, cette fois-ci, pour blesser sa cible, mais l'impact de la balle dans le cou de sa victime compensa son manque de précision. Le pauvre s'écroula au sol, essayant vainement de retenir le flot de sang s'échappant de sa gorge. Le compagnon de la veuve ne chercha même pas à terminer le travail et il se jeta sur le dernier pillard pour le faire tomber.

 

La tireuse en profita pour recharger son pistolet, les mains étrangement stables lors de ce moment stressant. Elle entendait encore le fusil laser tirer assez lentement et un son de combustion atroce lui donna la nausée. Voilà. Les trois pillards avaient trouvé la mort. Alors qu'elle sortait de sa cachette pour s'approcher de l'homme au chapeau, elle le vit en train de recharger son fusil en tournant une sorte de manivelle avant de tirer dans une rue parallèle. Le chien sorti de la dite rue en roulant sur le sol, grognant si fort qu'Astrid pouvait l'entendre à plus de 20 mètres. Un quatrième pillard entra dans le champ de vision de la jeune femme, un bâton de billard levé prêt à s'abattre sur l'animal furieux. L'inconnu sur le balcon rata son coup et elle le vit pester.

 

La deuxième balle que tira la chroniqueuse anciennement pacifiste toucha sa cible à l'épaule, ce qui lui fit lâcher son arme. Le chien en profita pour se jeter à sa gorge et...

 

Astrid n'eut pas le courage de regarder son compagnon achever l'être humain. L'arme au poing, elle s'avança vers l'immeuble au bout de la rue en courant à moitié. Le berger allemand vint à sa rencontre, la gueule trempée et rouge.

 

- Hé, vous ! Lui lança l'homme au chapeau. J'ai un groupe de côlons à l'intérieur et les pillards ont presque réussi à franchir la porte ! Je vous en prie, prenez ce mousquet laser et aidez-nous !

 

Sans même laisser le temps à la jeune femme de répondre, il rentra à l'intérieur. Elle n'arrivait pas à croire qu'il ne lui avait même pas demandé son avis. Peut être était-il une sorte de commandant d'une milice, mais elle n'en faisait pas partie. La veuve s'empara du mousquet en question gisant à côté du cadavre d'un homme portant une tenue similaire au donneur d'ordre, ainsi que des quelques cellules énergétiques tombées au sol.

 

Astrid trouva ingénieux d'avoir transformé un ancien mousquet de milicien en une version laser. Par contre, devoir recharger un coup en tournant une manivelle n'était pas très pratique.

 

Elle fixait la porte sans savoir quoi faire. Même si elle souhaitait de tout coeur pouvoir aider les pauvres gens pris au piège, elle ne pouvait pas accepter de se mettre en danger. Qui, par la suite, irait retrouver son fils et détruire les enflures l'ayant enlevé ? Personne, assurément. Mais si ces gens savaient quelque chose, alors le jeu en valait la chandelle. D'un coup de main vigoureux, sa nouvelle arme fût prête à tirer et elle entra dans le musée.

 

___

 

Une odeur piquante de poudre et de brûlé flottait à l'intérieur du bâtiment. Avec effroi, Astrid nota que les étages supérieurs s'étaient écroulés depuis longtemps, laissant quelques passages instables pour monter. Il fallait être fou pour s'aventurer dans ces charpentes, mais sa petite voix cynique lui confirma qu'elle ne possédait plus tant de santé mentale que ça.

 

Des coups de feu s'échangeaient dans tout le bâtiment au point qu'il semblait difficile de bouger sans se prendre une balle perdue. Un cocktail molotov s'explosa contre le mur de l'étage, faisant hurler le bois et couvrant momentanément le bruit des tirs. Le berger allemand se dirigea en trottinant vers l'unique chemin possible, semblant d'un regard invité sa compagne à le suivre.

 

Ce fût un véritable massacre. Le peu de murs qui restaient présentaient des traces de brûlures et d'impact de balles. Quel que soit l'endroit qu'Astrid observait, le sol était maculé d'une couche épaisse de sang frais et de viscères dont l'odeur terrible se mêlée à celle du feu et de la poudre.

 

Le cœur de la jeune femme battait à tout rompre. Une partie d'elle refusait de croire qu'elle venait de prendre des vies, que devant ses yeux venait de se dérouler des choses aussi atroces. Au fond d'elle, sa peine se mua en un dégoût profond pour l'ancien monde. Comment l'être humain avait-il put détruire sa propre civilisation ? Comment les survivants avaient-ils put préférer se vautrer dans la violence plutôt que d'essayer de faire mieux ?

 

 

- Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous tombez à pic, déclara l'homme d'un ton soulagé en serrant la main d'Astrid. Preston Garvey, des Miliciens du Commonwealth.

 

L'information entra dans le cerveau de la veuve par ses oreilles et lui chatouilla le cerveau si fort qu'elle explosa de rire. Ce monde était définitivement absurde.

 

- Les Miliciens ?! C'est une blague ?!

 

L'homme au chapeau regardait l'esclaffée sans savoir quoi faire, l'air déstabilisé. Il fallut plus d'une minute pour que le fou rire d'Astrid s'arrête, lui laissant les côtes bien plus douloureuses que les éraflures sanguinolentes parsemées sur sa peau à cause des balles. Elle s'essuya les yeux pour ne plus voir trouble avant de déclarer le souffle court :

 

- Je suis désolée, c'est juste que j'ai l'impression de revenir des centaines d'années en arrière.

 

- Quand personne ne peut plus rien pour vous, commença Preston avec un sourire, les Miliciens sont là. Enfin, étaient là. Je crois que je suis le dernier maintenant.

 

- Le monde, soupira Astrid en se frottant les yeux d'une main, n'a plus aucun sens.

 

- Vous allez bien ? S'inquiéta son interlocuteur avant de poursuivre l'air pressé. Écoutez, nous avons besoin de votre aide. Aidez nous et nous vous aiderons en retour. Qu'est-ce qui vous amène ici ?

 

C'était une excellente question. L'histoire, jugea la jeune femme, était aussi longue qu'incroyable, aussi décida-t-elle d'aller droit au but et de réserver les explications plus profondes pour plus tard. S'ils s'en sortaient vivant.

 

- Je cherche un garçon en bas âge qui a été... enlevé.

 

Que ces mots lui faisaient mal.

 

- Le vôtre ou celui de quelqu'un d'autre ? Demanda Preston en soupirant. Tout le monde a perdu des proches ici. Nous venons de Quincy... Il y a un mois, nous étions vingt. Hier, huit. Et maintenant... plus que cinq. Il y a d'abord eut des goules à Lexington et maintenant ça.

 

- Des goules ? S'étonna Astrid. C'est pas des monstres de comics, ça ?

 

- Vous n'êtes vraiment pas du coin, hein ? Ce sont des gens irradiés. La plupart sont comme vous et moi, en-dehors d'une sale tête. Ils vivent plus longtemps que la moyenne, mais ça reste des personnes comme tout le monde. Celles dont je parle ont le cerveau détruit par les radiations et sont comme des animaux fous furieux qui vous sautent à la gorge pour vous manger. Bref, on pensait s'installer à Concord mais... vous voyez bien que c'est plus compliqué que ce qu'on pensait. Mais on a une idée pour s'en sortir.

 

Une fois de plus, l'esprit de la chroniqueuse intégra l'information délirante tout en prenant grand soin de ne pas y penser pour ne pas être détruit définitivement.

 

- Une idée ? Répondit-elle d'une voix lasse. Ce sera suffisant pour arrêter ces dingues ?

 

___

 

Une trentaine de minutes plus tard, Astrid se retrouva devant une armure assistée en assez bon état, un réacteur à fusion dans la main. C'était de la folie pure. Il lui fallut insister quelques secondes sur la manivelle d'ouverture à cause de la saleté déposée dans le mécanisme, mais l'armure se referma sans aucun accros. Jamais elle n'aurait cru monter dans une de ces machines de mort. Mais, après tout, depuis ce matin sa vie n'était qu'une immense suite de nouveauté.

 

Sans aucun effort, elle arracha le minigun du vertiptère et sauta du toit sans aucun effort, le chien dans les bras. Les pillards sortaient des habitations en ruines comme des guêpes sortant de leur ruche. La première balle ricocha sur Astrid comme un grêlon sur un toit en béton armé. Même le casque de son armure était prévu pour diminuer le bruit de la percussion des tirs adverses sur elle.

 

Le minigun tourna dans le vide rapidement jusqu'à cracher un nombre ahurissant de balles à la seconde, découpant les pillards comme un couteau découpe du beurre mou. Avançant d'un pas lourd, la veuve fit reculer pas à pas les bandits et transforma en hachis ceux qui essayaient de s'opposer.

 

C'est au moment précis où la carcasse du chef de la troupe tomba au sol dans un bruit dégoûtant de viande humide que les choses tournèrent à la catastrophe.

 

Le chien, qui s'appelait en fait Canigou selon Mama Murphy, une sorte de vieille bohémienne un peu bizarre accompagnant le groupe de Garvey, gémit de terreur en plaçant la queue entre ses jambes. Avant même qu'Astrid puisse lui demander ce qu'il lui prenait, la bouche d’égout en face d'elle se souleva tandis qu'un grondement sinistre en sorti. Une fois dégagée, il s'en échappa une créature qui devait venir tout droit des enfers.

 

Une sorte de monstre haut de plus de deux mètres, ressemblant à un croisement lointain entre un lézard et un taureau bipède hurla et se précipita sur l'unique survivante humaine de la rue. La-dite survivant hurla à Canigou de s'enfuir tandis que le minigun se remettait à tourner dans le vide.

 

Astrid était terrifiée. Les balles qui écorchaient la créature ne semblaient pas lui faire tant de mal que ça, en tout cas ça ne l'empêchait de continuer d'approcher à toute vitesse. L'agilité de la bête cornue lui permettait de se mouvoir rapidement et d'essayer d'esquiver en se déplaçant en zig-zag. C'est alors que le tambour de l'arme arrêta de tourner.

 

Non. Non, c'était impossible. Il fallait qu'elle recharge cette putain d'arme au plus vite.

 

La survivante de l'Abri 111 se précipita aussi vite que lui permettait son arme et son armure vers le bâtiment le plus proche afin de recharger au plus vite le minigun. Mais le monstre fût plus rapide et lui donna un coup si puissant à l'épaule qu'elle senti l'onde de choc jusque dans sa colonne vertébrale. Déstabilisée par la force du lézard géant, elle trébucha et tomba sur le dos.

 

Son adversaire se pencha sur sa tête l'air féroce et hurla si fort que ses oreilles se bouchèrent complètement, ne laissant passer plus que des acouphènes douloureux. Elle vit une patte aux griffes démentielles s'abattre une nouvelle fois sur son épaulière, brisant une partie de l'armure. Il ne restait plus que le châssis sur son bras gauche. Heureusement pour Astrid, la créature sembla surprise de ne pas avoir tranchée de la chair et de voir une partie du bras de son repas tomber au sol. Elle en profita pour se traîner sur le sol jusqu'à entrer dans une ancienne boutique où le monstre ne pouvait pas entrer.

 

Le choc passé, elle rechargea son arme aussi rapidement que lui permettaient ses mains tremblantes. C'était vraiment de la folie.

 

Une nouvelle fois la bête rugit et en faire trembler les murs. D'un coup de patte prodigieux, le monstre fit voler une partie de la charpente de l'entrée. C'est avec les larmes aux yeux qu'Astrid enclencha la gâchette de son arme, hurlant à son tour pour libérer toutes les émotions qui lui enfonçaient la poitrine.

 

Par change, elle réussi à viser plus ou moins la tête du monstre qui recula sous la douleur. L'humaine s'avança pour essayer de prendre l'avantage, jugeant que la force de frappe de son arme à bout portant devait être assez élevée pour transformer en bouillis son ennemi.

 

Mais ce dernier était encore plus résistant qu'une troupe entière d'armure assistée. D'un revers d'une de ses énormes mains griffues, il fit tomber des mains l'arme de sa drôle d’adversaire. Sans attendre, il fit sauter le casque de cette étrange adversaire à la peau de métal. Le temps d'une seconde, les regards des deux combattants se croisèrent.

 

Astrid écarquilla les yeux. Le monstre n'était pas qu'un monstre, il y avait dans ses yeux une intelligence qui lui semblait supérieure à la moitié des gens qu'elle cotoyait dans son ancienne vie. Une intelligence maléfique et bestiale entièrement vouée à l'annihilation.

 

La créature, elle, vit dans les yeux effrayés d'Astrid qu'elle n'était qu'une humaine. Elle en avait tué des dizaines dans sa vie. Ils étaient des êtres vivants faibles, se déchirant comme des feuilles à la moindre attaque.

 

La mère se protégea la tête de son bras droit alors que son adversaire visait maintenant la tête lors de ses attaques. C'était la fin. Jamais ce démon ne lui laisserait l'occasion de reprendre son arme et elle sentait le bras d'armure attaché au châssis de sa tenue se tordre et se décrocher peu à peu.

 

Canigou se jeta alors sur le flan du lézard qui chancela sous la force de l'impact. Il ne s'attendait pas à voir une créature encore plus faible essayer de protéger la boite de conserve. Astrid non plus ne s'y attendait pas. Il y eut un moment de flottement durant lequel le vent souffla dans les cheveux de la jeune femme.

 

Le minigun.

 

D'une geste aussi rapide qu'elle le pouvait, la chroniqueuse attrapa l'arme et avec toute la haine que son coeur pouvait ressentir vida son dernier chargeur.

 

Le monstre était à terre, déchiré de toute part par les balles, mais il respirait encore dans un râle sinistre aux échos furieux. D'un regard, la femme constata que le chien souffrait sur le sol, il s'était probablement cassé quelque chose au vu de la force de l'impact.

 

A la défense d'Astrid, c'était vraiment une mauvaise journée. La pire journée de son existence, en fait, et personne ne pourrait dire le contraire. Tout ces sentiments qui lui détruisaient le cœur, toutes ces émotions qui lui déchiraient l'esprit, toute cette folie ambiante qui la faisait pleurer, tout ce que son esprit n'arrivait pas à accepter, le visage de l'enfoiré ayant enlevé son fils et tué son mari. L'accumulation de traumatismes explosa.

 

La colère était une émotion terrible. Étrange, dans un sens. Elle permettait de survivre, de passer outre ses propres limites et de se focaliser sur notre but. Mais elle corrompait aussi notre cœur et transformait l'être humain le plus paisible en une machine à tuer implacable.

 

Elle ne sut jamais combien de temps elle passa à défoncer le crâne de la créature à grand coup de crosse de minigun. Quelques secondes ou peut-être quelques heures, ce souvenir restera à jamais flou dans sa mémoire. Lorsqu'elle revint à elle, sa gorge la faisait souffrir comme trois angines faute d'avoir trop crié. Les muscles de ses bras la tiraillaient si fort qu'elle en lâcha quelques larmes. Son arme ensanglantée tomba sur la bouillie cornue à la place du crâne de son adversaire vaincu. Astrid n'avait même plus la force de se soutenir. Elle grimaça lorsque ses genoux heurtèrent le sol, le regard vide.

 

Canigou boita dans sa direction mais lorsqu'elle tourna la tête vers lui, il se recula prestement. Jamais la jeune femme n'avait vu de terreur dans les yeux d'un chien auparavant. Sans savoir pourquoi, la réaction du chien acheva de détruire son coeur. Elle pensait mourir des pattes d'un démon, pas du regard terrifié d'un chien. En s'écroulant sur le sol, elle murmura un simple constat :

 

- Monde de merde. 

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