Hors du Temps
Le son d'un souffle faible. La sensation des poumons se remplissant d'air froid avant de recracher un air plus chaud. La bouche pâteuse. Un râle. Une conscience qui s'éveille. Qui suis-je ? L'impression de sortir du coma. Où suis-je ? Les paupières encore lourdes s'ouvrirent sur une lumière aveuglante. Pourquoi ai-je si froid ? Un nuage de buée sortie de sa bouche gelée et dansa devant ses yeux s'adaptant difficilement à la lumière.
Astrid constata être dans une sorte de cellule très froide. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler des raisons de sa présence dans cette boite. Les bombes nucléaires. La course vers l'Abri 111. La vision terrible d'une bombe tombant sur Boston. Nate et Shaun.
Son cœur s'emballa. Où étaient ses deux hommes ?! Elle sentit la panique envahir ses veines jusqu'à ce que sa vision détecte la cellule en face de la sienne. Nate et Shaun. Elle ne voyait pas bien son fils d'où elle était, mais son mari avait l'air d'aller bien. Ou en tout cas il n'allait pas moins bien que sa femme à ce moment précis.
Elle n'entendait pas le docteur de Vault-tec l'ayant accompagné parler à ses assistants et, maintenant que ses yeux étaient habitués à la lumière, il lui semblait qu'il faisait plutôt sombre dans l'abri.
Des bruits de pas la rassurèrent. On venait enfin les sortir de leur chambre de décontamination. La famille Travelyan allait pouvoir s'embrasser de nouveau et, le cœur lourd, s'adapter à la vie sous terre.
Une première silhouette entra dans son champ de vision et un sentiment préoccupant gonfla dans la poitrine de la jeune femme. Il y avait un problème. L'homme en question n'était ni vêtu d'une blouse, ni d'une combinaison, ni d'une armure de protection Vault-tec. Il portait sur l'épaule une sorte d'épaulière de métal et sa tenue était constellée de poussière.
Une autre personne apparut dans son champ de vision. Le sang d'Astrid se glaça. Cette personne portait une combinaison totale qui lui recouvrait la tête comme un masque à gaz. Ces gens n'étaient pas de Vault-tec.
Merde, mais qu'est-ce qui se passe ?!
- C'est celle-ci, indiqua d'une voix féminine la personne en tenue blanche à masque, montrant du doigt la chambre de décontamination de Nate et Shaun.
- Ouvre, lui ordonna l'homme étrange.
Un frisson parcouru le dos d'Astrid lorsqu'elle constata qu'il tenait un pistolet dans sa main. La femme attrapa un levier et, dans un grincement sinistre, la cellule s'ouvrit. La chroniqueuse jura voir des morceaux de glaces tomber au sol.
Nate toussa alors que le bébé hurla.
- C'est fini ? Demande le mari d'Astrid d'une voix faible. Tout va bien ?
- Presque, déclara l'homme armé. Ne vous inquiétez pas.
- Viens, marmonna la femme en essayant de s'emparer le plus délicatement possible de Shaun, viens mon chéri...
La terreur fit trembler Astrid et, sans voix, elle frappa la vitre de sa cellule.
- Non, déclara Nate d'une voix effrayée. je m'occupe de lui !
- Lâchez le bébé, ordonna l'homme en braquant son pistolet vers la tête de Nate. Je ne le répéterai pas.
La femme essayait maintenant d'arracher l'enfant des bras de son père tandis que ce dernier hurla que jamais il ne leur donnerait son fils.
Un coup de feu.
Astrid voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle frappa à s'en faire mal à la main la vitre de son sarcophage de glace, les yeux débordant de larmes.
- Nom de dieu ! Râla l'homme. Emmène le gamin, on s'en va !
L'acolyte en blanc referma le sas de la cabine de Nate d'une main et s'en allant sans demander son reste, tenant fermement le bébé terrorisé dans ses bras. Le meurtrier s'approcha de la vitre sur laquelle Astrid frappait sans aucun aucune interruption. Il la regarda droit dans les yeux et la jeune femme eût tout le temps de mémoriser le moindre détail de son visage.
- Au moins, il nous reste le plan B...
Il s'en alla aussi paisiblement qu'il était arrivé, laissant derrière lui la dépouille d'un père et le cœur brisé d'une mère.
- Séquence cryogénique réinitialisée, déclara une voix robotique résonnant dans le bâtiment entier.
Astrid, dévastée, ne chercha même pas à comprendre ce qui lui arrivait. Elle sentit de nouveau ce courant d'air froid qu'elle avait ressenti lorsqu'elle était entrée dans la capsule. Elle voulait sortir de ce cauchemar, reprendre son fils à ces enfoirés, mais une fatigue intenable l'envahi. Dans son dernier souffle de conscience, elle murmura les noms de son mari et de son fils.
___
De nouveau cette sensation étrange de sortir d'un long coma. Des bribes de souvenir. Le froid. Ce froid terrible qui lui faisait trembler l'âme autant que le corps. Astrid toussa. Elle entendait une sorte d'alarme et cru entendre une annonce sur un dysfonctionnement. Ce n'était qu'un rêve, n'est-ce pas ? En voulant pousser le sas afin de sortir, la jeune femme fût surprise de voir des traces de sang sur son poing. Un sentiment d'angoisse mêlée de terreur surgit de ses entrailles. La porte s'ouvrit.
Ses jambes, faibles, n'étaient pas encore tout à fait aptes à la soutenir et elle s'écroula sur le sol froid et détrempé. Elle toussa de nouveau et se releva tant bien que mal, observant au passage les nombreuses flaques d'eau sur le sol.
Nate.Aussi vite que sa faiblesse lui permettait, elle actionna le levier de la cellule de son mari.
- Allez, allez, plus vite ! Marmonna-t-elle sans même s'en rendre compte.
Le sas s'ouvrit. Nate ne bougea pas. Il semblait endormi dans une position étrange, comme lorsqu'il cauchemardait et se réveillait en travers du lit.
- Nate... murmura Astrid d'une voix brisée. Réponds moi, je t'en prie...
Mais son mari ne lui répondit pas. Les mains tremblantes, elle fit pivoter la tête de l'homme de sa vie et ne pût s'empêcher de sursauter. Entre ses deux yeux fermés se trouvait un trou béant couvert d'un liquide rouge cristallisé. Elle porta la main à sa bouche, trop choquée pour bouger. Ses sanglots brisèrent le silence relatif, régulièrement brisé par cette foutue voix désincarnée appelant à la surveillance des capsules pour cause de mal-fonctionnement.
Lorsqu'elle revint à elle, le trou sur le front de Nate avait laissé couler un mince filet de sang, dessinant sur son nez un trait que l'on aurait pût caractériser d'élégant s'il ne s'agissait pas du fruit d'un meurtre. D'un geste doux, elle retira l'alliance des doigts de la dépouille et la plaça dans une des poches de sa combinaison d'abri.
- Oh mon dieu, Nate... je... je te jure de retrouver... Shaun.
Shaun.
Son fils. Où ces connards l'avaient-ils emportés ? La tristesse fût rapidement remplacée par une colère noire, de celle qui peuvent détruire des montagnes. Astrid se dirigea vers la sortie, la mâchoire serrée et le regard déterminé. Quelques larmes coulèrent sur ses joues fraîches.
Du coin de l’œil, elle repéra un terminal à l'entrée de la pièce. Habituée à pianoter sur ordinateur, la veuve consulta les notes. "Station cryogénique : désactivée.". Station cryogénique... Comment Vault-tec avait-il pu leur faire ça ?! "Système de survie : désactivé.". Sa colonne vertébrale cliqueta une nouvelle fois de peur. Cela voulait-il dire que...
D'un pas vif, elle se dirigea vers la première capsule venue. L'occupant était décédé.
- Oh mon dieu..., fit-elle d'une voix basse et tremblante.
Les yeux embués de larmes, elle reprit sa recherche d'information sur le terminal. "État des occupants des capsules.". Huit cellules, sept utilisées, six morts. Elle était la seule survivante de cet endroit maudit. Elle ne pris même pas le temps de fermer le terminal et couru dans le couloir en toussant.
Une autre salle remplit de chambre de cryogénie. Pas un seul survivant.
- Est-ce que... quelqu'un d'autre à survécu ?! OHÉ ?! Y'A QUELQU'UN ?!
Pas de réponse. Seule.
La peur au ventre, elle parcourut l'Abri 111. Derrière une vitre, elle vit ce qui lui semblait être un cafard géant. Surprise par cette rencontre, ses muscles se contractèrent si fort qu'elle se retrouva à genoux, relâchant le contenu de son estomac sur le sol humide. En se relevant, la chroniqueuse radio repéra une matraque et s'en saisit immédiatement.
Un autre terminal lui appris l'affreuse vérité : l'Abri 111 avait été conçu pour tester les effets physiques et psychologiques d'une cryogénisation à long terme sur des individus inconscients de ce qu'ils allaient vivre. Super.
- Quelle bonne surprise, siffla-t-elle avec aigreur.
Saloperie de société de merde. Durant toute sa vie elle s'était battue contre ce genre d'action, contre la dominance des entreprises et la préférence manifeste des gouvernements pour les machines bien huilées plutôt que pour des citoyens heureux. Mais là, il fallait avouer que Vault-Tec faisait très fort. Très, très fort.
La rage au ventre et les larmes aux yeux, elle traversa l'abri d'un pas si déterminé que même les cafards géants hésitèrent à l'attaquer. Lorsqu'ils se jetèrent sur elle, chacun fût brisé en deux par un coup de matraque donné avec toute la haine qu'elle ressentait. Astrid trouva ensuite un pistolet avec une belle quantité de munitions, mais ne sachant pas très bien à quoi s'attendre dehors, elle préféra les garder.
Il y avait eu une mutinerie. Apparemment, l'abri n'était pas conçu pour rester fermer très longtemps mais, presque à terme de leurs rations de nourritures, les radiations étaient encore trop fortes à l'extérieur. Sans plus faire attention que ça, elle se demanda si certains avaient réussi à sortir... et à survivre.
Au moment où elle ouvrit la porte de l'abri avec son nouveau Pip-Boy fraîchement acquis sur un squelette, un détail lui sauta aux yeux. Les morts de l'abri, en-dehors de ceux se trouvant dans les capsules, n'étaient plus que des squelettes. Combien de temps cela faisait-il qu'ils gisaient là, sur le sol ? Ou peut-être que les cafards géants les avaient nettoyés jusqu'au moindre tendon.
Des cafards. Géants. Comment cela pouvait-il se produire ?! L'impression grinçante de se trouver dans un livre de science-fiction lui comprima l'estomac et il lui fallut quelques minutes pour refouler une vilaine nausée.
Lorsque l'ascenseur de l'entrée de l'abri s'éleva, une voix pré-enregistrée lui souhaita un bon retour à la surface et la remercie d'avoir choisi Vault-tec. Quelle bande de salopards.
Un frisson lui parcourut l'échine. Elle était glacée. Vigoureusement, elle se frotta les mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. Une petite voix cynique dans sa tête se demanda si, quelque chose, pourrait réchauffer un jour son cœur.