Quand on ne regarde que les étoiles
Chapitre 27 : Le Réseau du Rail - partie 2
2239 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 31/03/2024 19:00
— Asseyez-vous, fit Desdemona.
Ce n'était pas une proposition.
Elle avait la main au fond de sa poche, tenant sans doute fermement la puce du chasseur. Elle avait peut-être demandé à Tam-Tam et à Glory de baisser leurs armes, mais personne ne nous quittait des yeux pour autant.
C'était compréhensible, d'une certaine façon. Ce quartier général n'était pas celui d'une grande organisation.
Loin de là.
— Bien. Je ne sais même pas où commencer, soupira Desdemona, des mèches de ses cheveux auburn lui tombant sur les yeux.
Elle se tourna vers moi :
— Vous avez vraiment tué Kellogg ?
— Je... Oui. Enfin, pas moi personnellement. J'ai eu de l'aide. De l'aide d'un synthétique, me sentis-je obligée d'ajouter.
— Expliquez-moi pourquoi vous avez fait ça, ordonna alors Desdemona en plantant des yeux dans les miens.
— C'est bon, Piper, dis-je alors qu'elle ouvrait déjà la bouche pour protester ou raconter une histoire qui n'était pas la sienne. J'ai été cryogénisée avant la guerre avec mon mari et mon fils, et je me suis réveillée deux cents ans plus tard avec un mari mort et un bébé enlevé par l'Institut.
Desdemona ne cilla pas. Cette histoire faisait normalement toujours son effet, mais elle n'était ni impressionnée, ni surprise.
En revanche, Glory, Tam-Tam et un autre homme se rapprochèrent subrepticement de nous pour mieux nous écouter.
— Grâce à Piper, notamment, j'ai pu avoir la confirmation que c'était Kellogg qui avait enlevé mon fils. Alors, je l'ai traqué. J'ai failli mourir, mais c'est Kellogg qui est mort, continuai-je. J'ai travaillé avec le Dr. Amari pour extraire ses souvenirs. C'est là que j'ai appris qu'un certain Virgil de l'Institut s'était échappé et était allé trouver refuge dans la Mer Luminescente...
— Tom, assieds-toi, plutôt que d'écouter aux portes, siffla Desdemona.
Tom, puisque c'était son nom, était presque penché sur moi. Il s'assit et me fit un grand sourire.
— C'est complètement dingue, chuchota-t-il.
— Ça m'a pris du temps, mais j'ai trouvé Virgil. Il m'a parlé des relais moléculaires de l'Institut...
— Oui, on les connaît bien, ces fameux relais, dit Tom.
— ... et du fait qu'il fallait une puce de chasseur pour pénétrer à l'Institut. J'ai réuni une équipe, nous avons réussi à traquer un chasseur...
Je ne pus aller plus loin et passai une main sur mon visage avant de reprendre :
— Enfin, peu importe, nous avons réussi à obtenir la puce. Le Dr. Amari m'a parlé de vous, c'est là que je me suis souvenu que j'avais ramassé cette holobande.
— Mais c'est...
— Silence, Tom, coupa Desdemona.
— J'ai juste besoin de pénétrer dans l'Institut, lâchai-je sans quitter des yeux Desdemona.
Elle se leva pour faire les cent pas. Derrière moi, je sentais toujours la présence rapprochée de Glory, sans avoir aucune idée de l'expression qu'elle pouvait bien avoir. Tom tapotait nerveusement de ses doigts sur la table.
— Vous pouvez l'aider, oui ou merde ? fit alors Piper, qui ne pouvait plus tenir sa langue plus longtemps.
— Nous faisons confiance à Amari, ici, dit Desdemona. Elle s'est montrée particulièrement efficace pour aider le Réseau. Je ne vois pas pourquoi l'Institut enverrait deux personnes comme vous avec une puce de chasseur dans les mains pour nous nuire... Si vous êtes de notre côté...
— Ça changerait tout, fit Tom avec un sourire.
— Suivez-moi, dit alors Desdemona.
Elle nous mena dans une autre pièce, nous fit descendre une échelle, et nous atterrîmes dans une espèce de cave qui était bien mieux équipée que la partie découverte du QG. Un Laserotron était posté devant un terminal.
En vrac, sur des étagères, entre de l'armement et de vieux terminaux étaient entreposées ce qui ressemblait drôlement à des morceaux de synthétique de deuxième génération.
— Depuis des années, nous travaillons à la création de notre propre relais moléculaire, dit Desdemona, ce qui me força à relever les yeux vers elle. Nous avions établi de source sûre que la téléportation était le seul moyen d'accéder à l'Institut... Mais la puce... Ça, ce n'était qu'une hypothèse.
Elle s'arrêta.
— Je vais mettre Tom sur le décodage de la puce. Il ne paye peut-être pas de mine, mais c'est notre meilleur technicien. Il a un cerveau de la taille du Massachusetts.
Tom bomba le torse, attrapa la puce d'un geste joyeux avant de la fourrer dans sa poche. Il se retourna vers nous, attrapa ma main droite et la main gauche de Piper et les secoua vigoureusement.
— Merci, oh ! Merci. Depuis le temps que je voulais mettre la main sur une technologie de l'Institut comme celle-là... ! J'en prendrai soin, promis, ne vous faites aucun souci, et j'irai vite, je ne dormirai pas tant que je n'aurai pas réussi à la décoder !
— Euh, il n'y a pas de quoi, fis-je maladroitement. Mais, quand même, ne vous...
— Il va vous falloir des noms de code, coupa Desdemona.
Tom lâcha nos mains. Il ne cessa pas de sourire.
— Des noms de code ?
— Vous êtes avec nous, maintenant. Le secret, c'est ce qui nous permet de survivre. La façon dont on s'appelle en fait partie intégrante. Alors ? Des idées ?
— Je serai Vérité, dit Piper, presque immédiatement.
— Vous n'avez pas de suggestions ? demandai-je en allumant une cigarette.
— Non. Ça ne marche pas comme ça. C'est votre vie, vos choix. Votre nom.
Un nom de code, bon sang.
Il y avait beaucoup trop de possibilités, comment choisir quelque chose sans avoir pesé le pour et le contre pour chaque nom de code potentiel ? Cela prendrait des mois.
Je n'avais pas des mois.
— Alors ? s'impatienta Desdemona.
— Euh, appelez-moi... Prof, fis-je en formulant le dernier nom de code qui m'était passé par la tête.
— Prof ? souffla Piper.
Desdemona acquiesça ; elle avait peut-être entendu pire que Prof. Tom resta au sous-sol, nous remontâmes dans le QG. Piper me donna un petit coup de coude :
— Prof ? répéta-t-elle à voix basse, hilare.
— J'ai paniqué, Piper. J'ai paniqué.
— Prof, fit Piper une énième fois en tâchant de contenir son fou rire, comme si, de répétitions en répétitions, mon nom de code pourri devenait d'autant plus drôle.
Desdemona claqua une fois dans ses mains :
— Je vous prie d'accueillir nos nouveaux agents.
Tam-Tam, qui faisait toujours la tronche, vint quand même nous serrer la main.
— Tam-Tam, fit Desdemona, c'est lui qui s'occupe des communications avec la surface. Vous avez déjà vu Glory, dit-elle en pointant la femme aux cheveux argentés qui nous avait menacées de son minigun. C'est la meilleure de nos poids lourds.
— Et moi, alors ? dit Deacon en s'approchant de nous.
— Deacon, soupira Desdemona, c'est Deacon. Ne croyez pas tout ce qu'il vous raconte, c'est tout ce que j'ai envie de vous dire.
Piper tendit la main à Deacon, comme si elle compatissait à sa réputation de menteur.
— Vous êtes ici chez vous, reprit Desdemona. Il y a des lits et des provisions. Mais n'oubliez pas : pas un seul mot à notre sujet à la surface.
Cette dernière phrase était clairement à l'attention de Piper. Ce qui n'était pas si surprenant que ça.
— Vous en faites pas, Dez, fit Piper. Je serai muette comme une tombe.
Elle haussa les sourcils à la mention de son surnom. Sans un mot de plus, elle fit volte-face et repartit au sous-sol.
Piper n'y tenait plus. Elle m'attrapa par le bras et me tira dans un coin du QG.
— Tu te rends compte, dit-elle. On est des agents du Réseau.
— Oui, fis-je avec un haussement d'épaules.
— Je suis épuisée, lança finalement Piper. Je suis surexcitée, mais épuisée en même temps.
— Alors va te coucher.
— Non. Je ne pourrais jamais dormir comme ça. J'ai trop de questions. Trop de trucs à voir. T'as vu le robot, dans la salle, en bas ? J'en avais jamais vu des comme ça.
— Le Laserotron ? C'est un robot de combat.
— Ah. Bizarre.
Pas tellement, pensai-je. Entre le Laserotron et Glory, le Réseau était bien protégé, finalement.
— Je vais aller parler à Deacon, fit Piper après s'être frotté les yeux. Je sens qu'il me tiendra réveillée.
J'enviais Piper, parfois, et sa capacité à ne faire rien de moins que ce qu'elle avait envie de faire. En retrait, j'observais le QG, avec cette impression que l'on a lorsqu'on se retrouve sans connaître qui que ce soit lors d'une fête. Canigou était aussi détendu que Piper. Il allait et venait dans la pièce, demandant des caresses à qui voulait bien lui en donner.
Il faut dire qu'il avait toujours du succès, Canigou.
Finalement, je me décidai à aller voir Tom. Le sous-sol avait le mérite d'être plus calme que le reste du quartier général.
— Vous vous en sortez ? Pardon, je vous dérange, peut-être, ajoutai-je précipitamment.
— Je m'en sors très bien, même, dit joyeusement Tom sans relever les yeux du terminal sur lequel étaient affichées des lignes et des lignes de chiffres et de lettres. Vous voyez, j'ai même réussi à passer la sécurité, j'ai le code source sous les yeux. C'est fascinant.
— Hm, marmonnai-je. C'est intéressant, effectivement...
— Maintenant, il faut juste que j'arrive à la reprogrammer pour que n'importe qui puisse l'utiliser ; enfin, je dis n'importe qui, mais en fait, ça sera vous ! Ha ha !
— Et le relais moléculaire ?
Tom fit pivoter sa chaise pour se tourner face à moi.
— Et bien, il n'y aura plus qu'à le construire. Il faudra un endroit avec de la place... dit-il en se grattant le menton. Enfin, ce n'est pas le plus important, la place, ha ha, ce n'est pas comme si...
— Le construire ? le coupai-je.
— Oui, le construire, dit-il en sortant d'un tiroir de son bureau un grand schéma sur papier bleu. Regardez.
Il étala le schéma, qui montrait une grande structure sur pieds alimentée par un générateur.
— Bon, on ne l'a jamais testé, mais j'ai rentré tous mes schémas dans la base de données de P.A.M., et pour celui-ci, elle a estimé que les chances de succès étaient de quatre-vingt-cinq pourcent.
C'est tout ?
— La base de données de pam ? C'est quoi ?
— Ah, oui, fit Tom en rangeant le schéma. P.A.M., le Laserotron. Vous avez dû la voir, au sous-sol.
— Je pensais que c'était un robot pour défendre le QG.
— Elle pourrait, mais bon, avec Glory et les autres poids lourds...
Je m'assis ; les évènements étaient décidément en train de prendre une étrange tournure. Jamais je n'avais été aussi près du but, jamais je n'avais été aussi proche de l'Institut.
— Merci, Tom. C'est vraiment sympa de votre part.
— Vous déconnez, ou quoi ? Je sais que Dez fait flipper, mais au fond, elle est aussi heureuse que moi. Elle veut juste pas le montrer.
Il retourna à son terminal et tapa quelques lignes sur le clavier.
— En fait, reprit Tom, on est tous très heureux. Avec vous, on a peut-être une chance de détruire l'Institut une bonne fois pour toutes.
Détruire l'I-
— Tu parles déjà de détruire l'Institut, Tom, fit Deacon qui venait d'apparaître derrière-nous en compagnie de Piper.
— Bah... fit Tom en se retournant.
— Tu vas faire flipper Prof. Une chose à la fois, ok ?
Piper m'attrapa le bras et chuchota :
— Bon, cette fois, je vais me coucher. Deacon m'a montré le dortoir. Tu viens ?
Le terme dortoir, pendant une fraction de seconde, m'avait presque fait supposer que j'allais enfin dormir dans un vrai lit. Mais ce n'était qu'un long couloir, dans lequel des matelas avaient été posés le long des murs, à même le sol.
— Wahou, fit Piper, les bras croisés derrière la tête. Merci, Blue. Ça faisait longtemps que j'avais pas vécu une telle aventure.
Elle tourna la tête vers moi :
— Tu tiens le coup ? Tu n'as pas trop peur ?
— Si, fis-je en retirant ma veste et mon Pip-Boy. Je suis terrifiée. Mais je suis tout le temps terrifiée, Piper.
— J'aurais très peur, à ta place.
— Mais rien n'est fait. Peut-être que Tom ne va pas réussir à décoder la puce. Je ne sais pas comment je me sentirais, si c'était le cas.
J'observai le plafond ; il n'y avait pas vraiment de plafond, à part quelques câbles brisés qui pendouillaient tristement. C'était dommage. J'aurais bien aimé un joli plafond.
— Je crois en Tom, Blue. Il a l'air de savoir ce qu'il fait. Ils ont tous l'air de savoir ce qu'ils font, ici.
— Je crois que ce qui me fait le plus peur, repris-je sans regarder Piper, c'est de mourir avant d'avoir vu Shaun. Je veux bien mourir, mais après. Tu dois trouver ça idiot.
— Non. Je comprends, je crois.
Elle tendit la main pour attraper la mienne :
— Mais je préférerais que tu ne meures pas du tout.