Quand on ne regarde que les étoiles
Chapitre 14 : Le gosse du frigo - partie 2
2639 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 06/01/2024 23:39
— Ugh. J'ai mal aux jambes...
Le gosse sortit du frigo. Il regarda derrière-lui. Puis le ciel. Puis la plage. Puis ces maisons en ruine, au loin.
— C'est bizarre... dit-il, avec l'air de réfléchir à ce qui était arrivé à ces bâtisses.
Il n'était pas au bout de ses surprises.
— Ça a bien changé, par ici, lança-t-il finalement en haussant les épaules.
— Hé. Billy... commençai-je.
— Oh ! dit-il en relevant la tête vers moi, comme s'il venait de se souvenir de notre existence. C'est vous qui avez ouvert la porte. Merci beaucoup. C'est vraiment gentil. J'ai cru que j'allais mourir, dedans.
— Ça va, petit ? demanda Nick. Tu veux nous expliquer ce qu'il s'est passé ?
— Mmh... fit Billy en attrapant son menton. Je jouais au ballon sur la plage... et j'ai entendu les sirènes. Le sol s'est mis à trembler ! dit-il en ouvrant grand les bras. Ça a fait boum, alors j'ai eu peur. C'était la bombe, hein, c'était la bombe ? Maman et papa me parlaient des bombes, des fois.
— Oui, fis-je sans réfléchir.
— Et c'est à ce moment-là que tu t'es caché dans le frigo, ajouta rapidement Nick.
— Ah, oui. Oui oui. J'ai vu le frigo alors je me suis caché, parce que ça n'arrêtait pas de faire boum. Quand c'était tout calme, ben, j'ai essayé de sortir. Mais j'étais coincé. Et après, mais longtemps après, vous êtes arrivés.
Il sourit en pointant fièrement la porte, désormais cassée, du frigo. Pauvre gosse.
— Papa et maman... souffla Billy, soudain au bord des larmes. Dites. J'aimerais bien rentrer à la maison. Vous m'emmenez à la maison ?
Je me mordis la lèvre. Il fallait bien lui dire. Il fallait bien le lui dire ; personne ne devrait découvrir sa maison en ruine sans y être préparé avant.
— Billy, dis-je doucement en m'agenouillant. Je suis désolée. Tes parents, ils-
— Ils sont sûrement très inquiets pour toi, coupa Nick. Où est-ce que tu habites ?
Sérieusement, Nick ?
— Juste après Quincy. Papa et maman disent que dans la maison, c'est comme si on était seuls au monde, mais on peut quand même aller acheter à manger en ville. J'espère qu'elle n'est pas toute cassée, dit-il en penchant la tête sur le côté. J'aime beaucoup ma collection de cartes de baseball...
— Et bien petit, ça tombe bien, parce qu'on allait justement à Quincy. On va te ramener chez toi. On va devoir marcher un peu. Ça va aller ?
— Oh, oui, monsieur ! Je peux courir, même, dit-il en se positionnant comme s'il était sur une ligne de départ. Vous êtes trop cool, monsieur ! Vous êtes habillé comme Silver Shroud !
— Peut-être bien que je suis Silver Shroud, répondit Nick. Allez, en route, petit, avant qu'il ne fasse nuit.
— Mais vous avez un chien ! s'écria le gamin.
Canigou remuait la queue depuis que Billy était sorti du frigo. Il n'en avait que faire, que le gosse soit une goule.
— Je peux le caresser ? Je peux ? Dites, je peux ?
— Oui. Il s'appelle Canigou.
— Canigou, répéta Billy en attrapant le cou du chien pour le serrer dans ses bras.
*
— C'est quoi, toutes ces barrières ?
Les barbelés et les barricades qui entouraient Quincy ne dataient certainement pas d'avant la guerre.
— Hé, Billy, dis-je en posant une main sur l'épaule de l'enfant. On va faire très attention, maintenant, d'accord ? Il y a peut-être des méchants, dans le coin. Il faut qu'on soit très très discrets.
— Mais s'il y a des méchants on a qu'à appeler Silver Shroud, chuchota Billy. Il viendra nous sauver.
— Peut-être que Silver Shroud est en vacances en ce moment, alors on va quand même faire attention. Chut, Billy.
— D'accord, dit-il en mettant son index sur ses lèvres. Je me tais. Je parle plus...
— Qu'est-ce que vous en pensez ? fis-je à voix basse.
— C'est peut-être des amis. Peut-être pas. La dernière fois que je suis venu, ça ne ressemblait pas à ça. Soyons prudents, répondit Nick.
J'acquiesçai sans un mot de plus. Je pris Billy par la main et nous entrâmes dans l'enceinte de Quincy.
Des armes et des restes de repas jonchaient le sol, comme si des gens étaient partis en précipitation. Autour des habitations, des sacs de sable avaient été installés, comme si des gens avaient eu besoin d'improviser des tranchées. Il n'y avait pas un bruit. Pas le moindre souffle de vent.
— Nick, soufflai-je en lui attrapant le bras. J'ai rencontré des gens, à Concord. Ils ont dit quelque chose à propos de Quincy.
Quincy, Quincy. Qu'est-ce que Preston avait dit, à propos de Quincy ? J'avais vécu tellement de choses depuis que mon cerveau avait planqué l'information sous une couche de poussière. Et pourtant, mon cerveau était formel : c'était important. Je me frappai le front.
— Ils m'ont dit qu'ils avaient eu à se battre contre des Artilleurs, dis-je finalement d'une voix blanche.
Et une balle siffla, évitant mon crâne de justesse.
—Merde, fit Nick en m'attrapant le bras et celui de Billy pour nous tirer derrière une maison.
Il regarda autour de lui, et hocha la tête.
— Tu vas aller là-dedans, Billy, dit-il en pointant un refuge Pulowski. À mon signal, tu compteras jusqu'à cinq dans ta tête. Et ensuite, tu courras aussi vite que tu le peux pour aller te cacher.
— Je veux pas retourner dans le noir, gémit Billy.
Il était terrifié. Pas par les balles ; si tant est qu'il avait compris que nous nous faisions tirer dessus. Il était terrifié à l'idée de revivre le frigo.
— Billy, dit Nick en attrapant le gamin par les épaules. Tu te souviens quand tu disais que je ressemblais à Silver Shroud ? Et bien, je suis Silver Shroud. Et pour te sauver, j'ai besoin que tu te caches, le temps que je m'occupe des méchants. Tu peux faire ça pour m'aider, Billy ?
— Je veux Canigou avec moi, dit Billy en reniflant bruyamment.
Le chien se rapprocha du gosse, comme pour exprimer ce qu'il pensait de cette proposition.
— Oui, prends le chien avec toi, fit Nick en détachant son fusil de son holster. Et vous ne bougez pas. Ni l'un, ni l'autre.
Une balle s'écrasa dans le mur de la maison qui nous protégeait. Des bruits de pas confirmèrent ce que je craignais. Des types étaient en train de barrer la seule sortie de Quincy.
— Il faut bouger, Nick, dis-je avec inquiétude.
— Ouais.
Nick regarda derrière le mur, puis chuchota :
— Billy. Tu commences à compter. Maintenant.
Le gamin hocha la tête, les yeux plein de larmes. Et Nick partit en courant, entre les ruelles.
— Putain, Nick, soufflai-je en me mettant à courir à mon tour.
C'était un plan de merde. C'était juste un plan de merde. Ellie avait raison. On allait mourir. On allait mourir parce que Nick n'avait pas voulu dire la vérité à Billy. Pourquoi est-ce qu'il avait fallu qu'on tombe sur ce gamin ? La nuit tombait et voilà que nous étions coincés à Quincy, à esquiver les balles des artilleurs comme si nous étions des canards pendant une partie de chasse.
On allait mourir pour retrouver une putain d'holobande. Ce n'est même pas comme si on allait sauver le monde au passage.
Nick me tira par le bras et nous rentrâmes à l'abri d'une ruine.
— Ils sont trois. Sur les toits d'en face, me dit Nick en me fourrant son fusil dans les mains. Des snipers. Montez à l'étage, et quand ils se montreront pour me tirer dessus, descendez-les.
— Mais, Nick, je... commençai-je.
— Je peux me permettre de prendre des balles. Pas vous. Regardez dans la lunette, visez, tirez.
Il me regarda, le temps d'une seconde, et ajouta :
— Si vous faites ça, on sera vite sorti d'ici.
Et sur ces mots, il sortit.
— Putain, Nick, répétai-je en mettant un coup de pied dans le mur.
Je regardai le fusil. Ce truc était énorme, lourd, je ne savais même pas où étaient les balles. Bordel de merde. Les tirs reprirent suffisamment pour me faire passer de l'hébétude à la panique ; de celles qui poussent à agir et non pas de celles qui clouent sur place. Montez à l'étage. Là, une fenêtre. Une fenêtre. Il n'y avait plus de vitre ; les vitres, c'était bien un truc d'avant-guerre, ça aussi, comme le fait de ne pas à avoir à apprendre à se servir d'un fusil de précision en cinq minutes et les gamins qui ne sont pas des goules.
Je me cachai à l'angle du mur. Ils ne pouvaient pas me toucher, là, si ? Je mis un œil devant la lunette et fermai l'autre pour mieux voir. Dans la lunette, le viseur gigotait au rythme de mes battements cardiaques et me donnait le tournis.
Je vis un type. Il avait le même fusil que moi, pointé vers le sol ; pointé sur Nick.
Visez. Retenir ma respiration. Tirez.
Le recul me fit tomber par terre. Merde. Ce flingue avait manqué de m'arracher le bras et je n'étais même pas sûre que ça ait servi à quelque chose. Je me redressai, remis l'œil dans la lunette en me disant que je ne devais vraiment pas avoir l'air de savoir ce que je faisais.
Tiens, le type se tenait la poitrine et avait lâché son arme. Je l'avais touché, finalement. Il ramassa son fusil et le pointa dans ma direction. Je reculai immédiatement à l'abri du mur. Bien sûr, qu'ils allaient repérer ma position. A quoi est-ce que je m'attendais ? Qu'ils allaient tranquillement se concentrer sur le synthétique qui courait partout en contrebas ?
J'étais complètement stupide.
Cette fois, je plaçai soigneusement la crosse dans le creux de mon épaule, prenant bêtement exemple sur ce que je supposais du maniement des armes à feu. Pourquoi n'avais-je jamais écouté Nate à ce sujet ? Pourquoi m'étais-je toujours contentée de sourire et de dire oui de temps en temps quand il me confiait des choses qui, deux cents ans plus tard, seraient essentielles à ma survie ?
Je vis un autre type. Ou peut-être le même. Peut-être était-ce le même type qui avait pris un Stimpak. Ce qui ne changeait rien, mais apparemment, j'avais décidé de réfléchir à cette question pendant plusieurs précieuses secondes.
Je tirai. Le recul ne me fit pas tomber. Le type eut le temps de porter la main à sa tête avant de chanceler, puis de tomber du toit.
Nerveusement, je me mis à rire. J'allais peut-être réussir à me servir de ce machin, finalement. J'avais eu un tireur. Peut-être même deux. Un et demi. Et puis l'un des snipers se mit à tirer sur la façade, ce qui me fit tout de suite beaucoup moins rire. Est-ce que les balles pouvaient traverser le mur ? Bon sang.
Il fallait que je m'occupe des derniers types. Je ne pouvais pas rester planquée là pendant que Nick était en dessous à risquer sa vie tout seul. J'avais un job.
Il fallait qu'on s'en sorte.
Je vis dans mon viseur des mains, un fusil, puis une tête. J'appuyai sur la détente en même temps que lui. Ma balle le rata de plusieurs centimètres, la sienne me frôla et déchira ma tenue à l'épaule.
— Merde.
Je ne voyais plus le type. Comment avait-il pu tirer et se volatiliser comme ça ? Au rez-de-chaussée, quelqu'un ouvrit la porte dans un grand bruit. Le parquet grinça.
— Nick ? chuchotai-je.
Ce n'était pas Nick. Ils étaient bien trop nombreux, et ils se rapprochaient de l'escalier. Je ne m'étais pas remise à couvert, parce que, bien entendu, j'avais encore été complètement stupide et je ne me rendis compte de ma stupidité que lorsqu'une balle vint se loger dans mon bras.
Bordel de merde. Je lâchai le fusil, couvris la plaie de ma main et de l'autre, me mit à fouiller dans mon sac, en surveillant le haut de l'escalier. Pourquoi diable n'avais-je pas mis de Stimpak dans ma poche ? Ils étaient tout au fond. Je jetai au sol des grenades, des boîtes de conserve et le journal de Piper avant d'enfin mettre la main sur les seringues. Peut-être que l'article serait trouvé à côté de mon corps sans vie et que ça ferait une drôle d'épitaphe.
Vue de l'Abri. L'histoire triste de quelqu'un qui a voulu sauver un gamin goule au lieu d'aller chercher son fils.
— On sait que t'es là ! menaça une voix au rez-de-chaussée. Lâche ton flingue et fous tes mains derrière ta tête !
Bah tiens. L'escalier grinça. Je tenais fermement mon pistolet pointé devant moi. Ces imbéciles n'avaient envoyé qu'un seul type à l'étage. Il risqua un regard vers moi, se rendit compte que je n'avais pas du tout lâché mon arme, amorça un geste pour appuyer sur sa gâchette et mourut du tir qu'il venait de se prendre dans la tête. S'ils étaient aussi bêtes que moi, j'avais peut-être une chance, finalement.
Mais ils n'étaient pas si bêtes. Le corps de l'éclaireur glissa le long des marches comme une poupée morbide, jusqu'à arriver au rez-de-chaussée. Là, les timides bruits de pas devinrent bien plus déterminés. Je ne savais pas combien ils étaient. Je savais juste qu'ils étaient trop nombreux, et qu'il y avait toujours au moins un sniper prêt à me descendre si je sortais par la fenêtre.
Et je vis les grenades qui gisaient encore par terre, à côté du Cram et du journal.
C'était une idée de merde de plus. Je dégoupillai l'explosif en priant pour qu'il ne me fasse pas sauter au passage.
Comme le corps du type avant elle, la grenade dévala les escaliers.
—Grenade ! hurla un des mecs au rez-de-chaussée.
— Perspicace, soufflai-je en me jetant au sol, la tête dans mes mains.
La déflagration fut si violente que je m'attendis à ce que le plafond me tombe sur la tête. L'escalier s'effondra, un nuage de poussière et de fumée remplit l'étage. Je ne voyais plus rien. Je ne pouvais presque plus respirer. Je tendis l'oreille, mais mes oreilles étaient pleines de sifflements.
Je me traînai jusqu'à la fenêtre. Je venais de survivre à une explosion de grenade en intérieur ; que pouvait-il se passer de pire, désormais ? Plein de choses, sans doute, mais pour une fois, je n'avais pas prévu de réfléchir pendant des minutes entières à ce qui allait se dérouler pendant les suivantes.
Il fallait que je m'occupe du dernier sniper.
— Allez. Montre-toi.
Et le sniper se montra. Le viseur, dans la lunette, s'arrêta quelques instants sur l'arme qu'il avait dans les mains. Ce n'était plus un fusil.
Le temps sembla se distordre alors que le type armait son lance-roquettes.
Je me mis à courir comme je n'avais jamais couru. Il n'y avait plus d'escalier ; tant pis. Je sautai les quelques mètres qui me séparaient du rez-de-chaussée, de la sortie, de la vie.
Je tombai sur les genoux. Me redressai, vite. La porte était là. Elle était à trois mètres.
Deux mètres.
Un mètre.
Le sifflement du missile fendit l'air.
Cinquante centimètres.