Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 10 : Souvenirs, souvenirs - partie 2

3412 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/01/2024 23:29

Flash.


Tout était bleu. Tout était bleu, vaporeux, je n'étais pas vraiment quelque part et pourtant je tenais sur mes jambes. Mes pieds étaient posés sur du vide. Je fis quelques pas fiévreux en arrière, puis quelques pas en avant. Le vide tenait bon. Cela ne rendait pas le bleu moins angoissant. Amari parla, et, comme je ne m'y attendais pas du tout, je tombai en arrière. Là aussi, le vide tint bon.

— Normalement, vous devriez pouvoir m'entendre... La simulation mémorielle a l'air de fonctionner, mais c'est vraiment très fragmenté...

J'entendis le bruit distant d'un objet qui tombe et un soupir. Elle reprit :

— J'ai du mal à naviguer dedans. Je vous envoie dans le premier que je trouve. On verra bien.

Avant même que je ne puisse me relever, il y eut un nouveau flash blanc et une nouvelle secousse. Plus rien n'était bleu, j'étais dans une pièce, une chambre, et j'étais bien debout.

Sur le lit, un jeune garçon. Assise à côté de lui, une femme.

Ça aurait pu être une jolie scène si elle n'avait pas été salie par la guerre. Les draps étaient tachés ; le sol, poussiéreux. Il n'y avait pas de jouets, pas de décoration, il n'y avait même pas de fenêtre pour laisser la lumière réchauffer la pièce. Sur une table de chevet cassée trônait une radio. 

Et c'était tout.


— Putain de merde... Où est-ce que t'as foutu mes pompes ?

L'homme dont la voix venait de frapper avant les coups vint tambouriner sur la porte.

— Je te parle ! Grosse conne !

— Écoute-moi, Connie, chuchota la femme en sortant un flingue de sa poche. Prends-le. Tu es assez grand, maintenant.

Le gosse prit l'arme ; dans ses mains, elle était immense.

— Tu es assez grand pour être l'homme de la famille. Tu dois nous protéger. Ton père est un bon à rien ; mais tu ne vas pas finir comme lui, hein ? Tu es un bon garçon... La NCR ne fera rien. Ils ne nous défendront pas. La seule chose qui te maintiendra en vie, c'est ce que tu as entre les mains.

Il était difficile de dire si Kellogg avait écouté sa mère. Il pointa le pistolet devant lui, dans un simulacre de visée.

Flash.


Une cuisine ? Kellogg était adulte, cette fois ; mais il avait toujours ses cheveux. Une femme faisait la vaisselle à côté de lui. Au fond de la pièce, parce qu'il n'y avait probablement pas assez de place pour une chambre, un bébé gigotait dans un berceau. Flash. Kellogg en mission, en train de traquer un type dans un tunnel, l'arme à la main. Flash. Kellogg dans un bar, en train de boire un verre.

— C'est toi qui résous les problèmes des gens, c'est ça ? dit un homme à voix basse.

— Tant que tu me payes, ouais, répondit Kellogg.


Flash. Kellogg était finalement chauve. Il faisait face à une femme en combinaison blanche, propre et repassée.

— Hé bah. Si j'avais parié que vous existiez bien... J'me serais fait un bon paquet de blé.

— Merci d'être venu, monsieur Kellogg, répondit la femme sans sourire.

— Bon, je connais la chanson. Épargnez-moi le blabla. Qu'est-ce que vous me voulez ?

— Vous nous gênez, monsieur Kellogg. Vous travaillez pour des individus qui nous nuisent. Cela ne peut plus durer. Il n'y aura pas d'autres avertissements.

— Hé, moi, je fais juste ce pour quoi on me paye, dit Kellogg en haussant les épaules. Si vous voulez vraiment que je vous foute la paix, je vois qu'une seule solution.

Il se rapprocha jusqu'à poser ses deux mains sales sur le bureau :

— Embauchez-moi. Vous en avez largement les moyens.

— Vous n'êtes pas en position pour négocier, monsieur Kellogg, dit-elle. B7-48, initiation du combat.

Les trois robots armés qui entouraient la scientifique de l'Institut pointèrent immédiatement leurs armes sur Kellogg. Et Kellogg les exécuta, un par un, en étant aussi serein que s'il avait été en train de boire le thé.

La femme avait gardé son sang-froid également. Elle avait observé toute la scène d'un œil attentif, évaluateur.

— Impressionnant, dit-elle en hochant la tête. Discutons de votre proposition, monsieur Kellogg.

Flash. Les lieux étaient si familiers que je n'avais aucun doute sur le souvenir dans lequel je venais d'atterrir.

— Mode manuel activé. Stase cryogénique suspendue.

— Amari...

Sortez-moi de là.


Mais Amari ne m'entendait pas. J'étais une pensée, une vague information au milieu du cerveau de Kellogg.

— Les ordinateurs de l'Abri fonctionnent toujours, dit une scientifique. C'est bon signe. Je vérifie les entrées.

— Bouge ton cul, dit Kellogg avec impatience.

— Ok, c'est bon. Caisson C6. Au bout de l'allée.

Kellogg sortit son flingue.

— C'est celui-là, dit-elle en pointant le pod et en commençant à taper sur la commande d'ouverture.

Et je ne fermai pas mes yeux. Je voulais le voir bouger, le voir en vie, même si c'était juste pour le revoir mourir. Une dernière photographie de Nate à ranger dans les tiroirs de ma mémoire. 

Juste une dernière. 

— C'est bon, c'est fini ? On va bien ? dit Nate après une quinte de toux.

— Presque. Tout va bien se passer, dit Kellogg.

La scientifique commença à attraper Shaun.

— Non, non, attendez. C'est bon, je le tiens. C'est mon bébé, dit Nate.

— Lâche le garçon. Je le répèterai pas, dit Kellogg en pointant son flingue sur Nate

J'aurais dû fermer les yeux.

— Je ne vous donnerai pas Shaun, cria Nate, inflexible.

Et Kellogg tira, et je ne pus rien faire, puisque j'étais dans un souvenir, que tout cela était déjà arrivé et qu'il n'on ne pouvait pas changer le cours du temps.

— C'est bon, prends le gamin, on se tire, dit Kellogg en rangeant son pistolet. Au pire... on a toujours le plan B.


C'est bon. On a toujours le plan B. Plan A, plan B, les lettres dans le grand schéma de l'Institut.

Tout aurait dû s'arrêter quand les bombes sont tombées.

Je n'aurais jamais dû signer ces papiers. J'aurais dû lui fermer la porte au nez, à cet agent et à ses phrases en italique.

Et nous serions morts, comme ça, d'un coup, en se tenant les mains dans un adieu déchiré avant le grand-


Flash.


C'était la maison de Kellogg, à Diamond City. Assis par terre se trouvait un petit garçon, d'une dizaine d'années.

Il avait les cheveux roux.

Je m'accroupis au sol pour mieux le regarder alors qu'il était en train d'empiler des cubes de bois. Je n'eus pas besoin d'attendre qu'il relève la tête, je n'eus pas besoin de constater qu'il avait les mêmes yeux que Nate.

Je savais.

Je tendis la main, et le traversai comme s'il n'était fait que de lumière. Je ne pouvais pas le toucher. Il était là, il avait bien passé les premières années de sa vie sans ses parents, et je ne pouvais rien faire, puisque c'était un souvenir et qu'on ne peut pas changer le cours du temps. Kellogg jetait des regards réguliers à Shaun pendant qu'il nettoyait un de ses flingues. Peut-être qu'il était du genre à les nettoyer souvent, pour le plaisir.

Un type passa la porte, vêtu d'un long manteau de cuir et d'une paire de lunettes de soleil.

— Putain, un jour, tu vas te faire exploser la cervelle, à rentrer chez les gens comme ça, dit Kellogg en relevant à peine les yeux.

Shaun ne bougea pas. Comme si c'était habituel.

— Nouveaux ordres. Un de nos scientifiques est parti de l'Institut, dit l'homme aux lunettes de soleil.

— Parti, parti ? soupira Kellogg.

— En fuite. Brian Virgil. Il est parti en direction de la Mer Luminescente. Voilà le dossier.

— Capture en vie ou élimination ?

— Élimination.

— Sans dec. Un des types à la tête du labo de BioScience ? dit Kellogg en parcourant le dossier. La vache. Enfin. J'imagine que tu reprends le gamin avec toi ?

— Affirmatif.

— Vous me ramenez voir Père ? demanda Shaun en lâchant ses cubes.

— Oui. Viens à côté de moi, répondit l'homme.

Shaun s'exécuta poliment.

— X6-88. Prêt au transfert. Je suis avec Shaun, reprit-il.

— Au revoir, Mr Kellogg, dit Shaun d'un ton joyeux. J'espère que je te reverrai bientôt.

Deux gros rayons de lumière apparurent là où se trouvaient Shaun et l'homme au matricule X6-88. L'instant d'après, ils avaient disparu.

— Au revoir, Shaun, dit Kellogg, en fixant l'endroit où Shaun venait de se volatiliser.


Flash.


*


— De la téléportation. Bordel ! C'est pour ça qu'on n'a jamais trouvé l'entrée de l'Institut. Il n'y a pas d'entrée ! Oh, ça y est, vous êtes de retour. Ne vous redressez pas trop vite...

Il y avait beaucoup trop de lumière, ici. Je me frottai les yeux. Qui étais-je, déjà ? Kellogg, Connor Kellogg.

Mais non, pas du tout.

Je secouai la tête dans un dernier effort pour chasser la conscience qui me parasitait la tête. La voix dans mon crâne n'était pas la mienne. Quelle sensation étrange.

— Comment vous vous sentez ? demanda Amari.

Elle se tenait à une distance raisonnable, avec l'air de quelqu'un qui a peur que quelque chose lui pète à la tronche.

Je ne répondis rien, cette question n'avait pas de sens. Déjà, parce que je me sentais Kellogg, et ensuite parce que Shaun était juste là. 

— Où est Nick ? dis-je alors en voyant le pod vide à côté de moi.

— Il va très bien. Il est à l'étage, il a émergé plus vite que vous. Pour la deuxième fois, comment vous vous sentez ?

— Je me sens parfaitement bien, répondis-je.

D'un point de vue médical, j'allais très bien. Pour autant que je sache.

— Vous risquez d'avoir des maux de tête. Peut-être même des nausées. Votre cerveau a travaillé à plein régime... Enfin, surveillez vos...

— Je suis médecin, coupai-je d'un ton plus cassant que je ne l'aurais voulu. Je connais la chanson.

À nouveau, je secouai la tête. J'avais prononcé cette dernière phrase avec la drôle d'impression de ne pas l'avoir décidé personnellement.

Amari ne pouvait plus se contenir :

— C'est dingue, quand même, ce scientifique - ce Virgil ? Il pourrait répondre à tellement de questions que je ne sais même pas par où commencer. La Mer Luminescente... c'est complètement fou... C'est invivable, là-bas. Même pour se cacher, comment aurait-il...

Elle continua de réfléchir à voix haute. Pas un mot sur ce qu'il m'était arrivé - puisqu'elle savait, désormais -, pas une excuse pour m'avoir fait revivre l'Abri. Rien : elle s'en fichait, elle était trop heureuse d'avoir mis le nez dans les affaires de l'Institut.

— Il doit utiliser les radiations comme une planque, marmonna-t-elle. C'est fascinant. Vous avez prévu de le chercher ? Pour, vous savez, trouver votre fils ?

Son ton avait été si léger. Vous avez prévu de le chercher ? Comme si je n'avais que quelques mètres à faire, comme si Virgil habitait le quartier d'à côté, comme si, en parlant de ça, elle n'évoquait pas au passage la mort de Nate et l'enlèvement de Shaun.

— Il vous faudrait une combinaison antiradiations, continua Amari comme si je n'existais pas. Et aussi... Enfin, bon, peu importe, c'est à vous de voir, ce n'est pas moi qui vais aller là-bas...

En effet.

— Merci pour votre aide, arrivai-je à articuler avant de sortir en trombe de la pièce, Canigou sur les talons.

Je ne pouvais pas passer une seconde de plus ici.

Nick était devant la sortie du Memory Den, en train de fumer une cigarette.

— Tout va bien, Valentine ? dis-je en arrivant à sa hauteur, avec la conscience que je n'avais plus beaucoup de mots en stock.

— Ça va. Je me sens enfin comme un vieux synthétique et pas comme un mercenaire. Et vous ?

— Ça va, fis-je d'une voix trop aiguë.

— J'aurais aimé qu'on apprenne autre chose, dit alors Nick. La Mer Luminescente... C'est pas simple. C'est pas la porte à côté, non plus... Et puis, si je suis immunisé aux radiations, vous, par contre, vous êtes pas vraiment équipée pour... Mais bon, au moins, on sait où chercher. On va trouver quelque chose, je vais vous... Hé ? Vous êtes sûre que ça va ?

Les images de Shaun défilaient sur la vitre derrière Nick. Shaun à dix ans, Shaun poli, souriant, comme s'il n'avait pas été élevé par un tueur. Il avait l'air de bien aimer Kellogg. Peut-être que Kellogg n'était pas si terrible. Peut-être qu'il n'avait pas eu de chance, tout simplement. Je le détestais quand même. Je détestais tout le monde. Je me détestais moi-même, à petit feu. Les images de Shaun sur la vitre. Ce qu'il était beau, mon fils, mon bébé qui n'en était plus un. Tu seras le goûter du Commonwealth, je serai le goûter de la Mer. Jamais je n'atteindrai Virgil.

— Oui, ça va.

Nick pencha la tête sur le côté.

— J'oublie souvent que les humains ont besoin de repos.

J'avais épuisé mes mots. Un de plus et les vannes s'ouvriraient.

— Je vais pas vous imposer une marche jusqu'à Diamond City, reprit Nick. Je vais vous emmener à l'Hôtel Rexford. Et vous allez dormir. Je ne vais pas vous faire un dessin, mais vous commencez à ressembler à une goule.

Il était très simple de se laisser porter quand on n'a l'impression de ne pas exister. Nick paya les dix capsules pour la chambre, me prit le bras pour m'amener à l'étage, au troisième ; qui diable avait laissé tous ces tapis d'avant-guerre dans les couloirs ?

La chambre était exigüe. Un matelas nu et usé était posé en travers d'un sommier poussiéreux. A côté du lit, une chaise en bois dont l'assise menaçait de céder. Sur les murs, une moquette de mauvais goût.

Le parquet vermoulu semblait ne pas avoir été nettoyé depuis les bombes.


Il aurait été bien ingrat de ma part de me concentrer sur la saleté de la pièce alors que Valentine avait déboursé de sa poche le prix de la chambre : aussi, je m'allongeai sur le lit.

— Je peux rester, si vous voulez. Ou partir, dit Nick qui était resté sur le pas de la porte.

Je regardais le plafond. Étrangement, c'était un joli plafond. Je regardais chaque rainure des poutres de bois, chaque nœud - ils formaient des visages, je regardais le plafond, pour me concentrer sur quelque chose de réel, de tangible, avant que les fantômes ne reviennent.

— Quand je ferme les yeux, je revois ce qu'il s'est passé dans l'Abri.

Je n'avais même pas tourné la tête vers Nick ; le plafond était palpitant. Au moins, j'étais redevenue moi-même : jamais Kellogg n'aurait passé autant de temps à fixer du bois en comptant ses mots.

Valentine referma la porte. Il s'assit sur la chaise - qui ne céda pas.

— Quand je m'endors, repris-je, les rêves s'enchaînent, s'entremêlent, le désespoir me prend le cœur et la gorge et je ne peux rien faire. Les rêves sont réels, ils sont vifs et cuisants, si bien que, quand je me réveille, je ne sais même plus ce qui est réel ou non.

Je ne pleurais pas vraiment. Les larmes sortaient de mes yeux - puisque les vannes avaient cédé, à cause des mots, les larmes sortaient de mes yeux -, dessinant deux petits ronds de tristesse de chaque côté de ma tête.

— Et je sais que je devrais arrêter de me plaindre, je devrais arrêter de pleurer, repris-je. Je sais que presque tout le monde ici a perdu autant que moi. Mais je n'arrive pas à accepter. Je n'arrive pas à accepter que je ne vais pas me réveiller et que tout sera redevenu comme avant.

Il était si proche. Il était juste là.


— Vous avez le droit de craquer, vous savez.

Je décrochai finalement mes yeux du plafond. En regardant Nick, les secondes tombèrent, goutte à goutte.

— Et j'imagine que c'est surprenant, mais je comprends ce que vous vivez. Sûrement plus que vous pouvez le penser, reprit Nick en se mettant, lui aussi, à regarder le plafond. Un jour, ça va, et puis le lendemain ça ne va plus, parce qu'on a trop regardé les silhouettes qui vivent dans le noir. Je vais pas vous dire d'arrêter d'être triste... C'est complètement con. Mais je vais vous dire que la vie finit par trouver son chemin.

Il soupira ; je me demandais si lui aussi voyait des gens défiler sur les vitres.

— Oubliez pas qu'on va le retrouver, votre gamin. Pas demain. Probablement pas dans la semaine. Mais on va le retrouver ; parce que j'aime pas foutre des dossiers dans la pile "classés sans suite".


J'avais osé supposer que Nick était un robot sans sentiments. J'avais été pénible, médisante, perdue, et j'avais considéré Valentine comme l'Institut considérait ses synthétiques. J'avais profité de son aide, j'avais profité du fait qu'il n'ait que peu d'estime pour sa propre vie pour protéger la mienne au passage. Je n'avais rien fait en retour, rien.

Et malgré tout ça, malgré le fait que je passais mon temps à regarder les plafonds, à pleurer, à me plaindre et à perdre espoir, Nick n'avait jamais cessé de m'aider. Nick était toujours là.

— Je suis désolée, Nick.

Il était bien trop facile de simplement s'excuser vaguement. Je suis désolée, ça pouvait dire un millier de choses différentes, désolée d'être triste, désolée d'être fragile comme le verre, désolée de n'être au courant de rien, désolée de vous avoir fait payer dix capsules pour une chambre dans un hôtel pourri.

— Je suis désastreuse. Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous m'aidez.

— Je croyais qu'on avait déjà discuté de ça. Je vous l'accorde, vous êtes presque désastreuse avec un flingue...

— Ce n'est pas ça que je voulais dire. Je vous ai traité comme de la merde. En sortant de Fort Hagen, je me suis même dit que vous n'étiez pas capable de ressentir quoi que ce soit. Parce que vous êtes un synthétique. Aujourd'hui, je m'en fichais des risques de vous foutre Kellogg dans la tête, alors que Dieu sait que ça aurait pu mal tourner. Et vous, vous...

Vous m'aidez. Vous me considérez comme une amie. Vous faites des choses que je ne mérite pas.

Je ne pus terminer ma phrase.

Nick resta silencieux quelques instants et la peur qu'il s'en aille me traversa l'esprit.

— Vous ne me connaissiez pas. Vous ne pouviez pas savoir, hein ? Dans un sens, c'est nouveau pour vous, ça aussi... Les synthétiques, je veux dire. J'ai l'habitude que les gens me considèrent comme une machine. C'est à moi de leur prouver le contraire.

— Mais ça ne vous met pas en colère, parfois ?

— Non. Ça n'avance pas à grand-chose, d'être en colère. En faisant ce qui est juste, on récolte ce qui est juste.


Certaines amitiés mettent des années à naître. C'était sûrement le propre de l'avant-guerre ; il est difficile de prendre le temps pour d'autres que soi. Il y a tellement de choses à faire, tellement de jours à voir. Il y a le travail, il y a la famille, il y a la fatigue de la routine, il y a l'envie de se réfugier sous la couette avec un bon livre. On prend des nouvelles, quand on y pense ; certains amis restent, d'autres s'effacent, ils perdent toutes leurs couleurs avec le temps.

Certaines amitiés mettent des années à naître ; d'autres prennent forme en quelques minutes dans une chambre d'hôtel miteuse.

C'était peut-être le propre de la guerre : il n'y a plus rien à faire d'autre que de se faire des amis. 


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