La Traque
Chapitre 18
Un crissement de pneus retentit dans la nuit. Plusieurs rais de lumière déchiraient les profondeurs des bois et glissaient sur les troncs droits et rugueux des pins. Prentiss plissa les yeux et remarqua que la lumière des phares des SUV rebondissait sur l'arrière d'un véhicule, rangé au bord de la route à une dizaine de mètres d'eux.
La jeune femme respira plus vite et indiqua l'endroit d'un geste de la main :
-Hotch… Il y a une voiture, là-bas...
Elle avait prononcé cette phrase dans un souffle discret et étouffé. L'obscurité, les arbres penchés au-dessus d'eux et la peur de trouver un nouveau cadavre pesaient lourdement sur sa poitrine et semblaient étrangler sa voix. Elle lança un regard alarmé à son patron qui serrait les dents violemment, le visage fermé et impassible.
-Ce n'est pas un SUV.
Sans rien ajouter de plus, il ouvrit la portière et sortit rapidement. Emily déglutit difficilement, lança un regard à la voiture inconnue et s'extirpa à son tour du véhicule. Une brise glaciale s'engouffra dans ses vêtements, trouvant où s'immiscer pour entrer en contact avec sa peau… En frissonnant, elle ferma les yeux un instant, puis, sans hésiter, le cœur battant à tout rompre, elle courut sur le petit chemin bétonné pour atteindre la voiture abandonnée. Le bruit de ses talons brisa le lourd silence qui pesait sur cette route étroite et sinistrement calme. Malgré la pénombre, elle reconnut sans peine le logo de l'université, collé au pare-brise arrière et se mordit la lèvre. Elle fit le tour du véhicule et posa la main sur la carrosserie froide…
Curl était ici depuis un moment…
Le vent murmura un instant dans les cimes avant de pousser un sifflement aigu. Prentiss recula légèrement, oppressée par ces arbres rigides dans lesquels le vent s'engouffrait pour pousser de lugubres hurlements.
Angoissée, elle se retourna vers ses collègues et remarqua que Morgan, JJ, Rossi et Hotch inspectaient attentivement le sol. Un mauvais pressentiment s'empara d'elle. Lentement, elle s'avança vers eux, sentant ses derniers espoirs fondre comme neige au soleil. Elle avait l'impression d'être l'héroïne d'un vieux film sinistre en noir et blanc… L'image sombre et confuse devant elle tressautait comme une bande usée, sur le rythme des battements de son cœur. Arrivé à quelques pas d'eux, elle prit une profonde inspiration puis, d'une voix qu'elle espéra posée, leur apprit ce qu'elle venait de découvrir :
-Il s'agit de la voiture de Curl… Le moteur est froid… Il doit être ici depuis un moment…
Elle baissa les yeux vers ce qui semblait avoir attiré l'attention de tous ses collègues et sentit sa gorge se serrer violemment. Des traces fraiches de pneus striaient le sol humide.
Reid était passé par ici. Et était visiblement déjà reparti.
Emily lança un regard horrifié et perdu à ses collègues. En tremblant, Hotch attrapa son arme de service et leur lança un regard indéchiffrable. La souffrance et la peur se lisaient dans ses yeux... Mais une flamme étrange les animait également d'un éclat plus sombre que cette forêt. Sans un mot, les autres sortirent également leurs armes, avec l'impression d'être dans un rêve horrible et irréel. Comme des automates, ils prirent tous l'un à la suite de l'autre un petit chemin secondaire, mal tracé qui se frayait tant bien que mal un passage entre les arbres et les buissons.
Selon les indications de l'épouse de Curl, le chalet se trouvait à une cinquantaine de mètres de la route.
Emily écouta les respirations rapides de ses collègues… Tous semblaient à cran.
Chaque foulée était pénible… Ses jambes devenaient de plus en plus lourdes, ankylosées par l'horreur. L'obscurité environnante qui craquait, gémissait, hurlait sous l'effet du vent intensifiait l'aspect sinistre de cette marche forcée au beau milieu de la forêt du Mont Diablo.
Enfin, le chemin qui montait légèrement, s'aplanit et déboucha sur une petite clairière. Le regard d'Emily fut aussitôt capté par un petit chalet qui semblait les observer de ses yeux jaunes et lumineux.
Y-avait-il encore quelqu'un ? Une personne en vie ?
Tous s'arrêtèrent et observèrent silencieusement les environs, essayant de capter le moindre bruit ou le moindre mouvement. L'endroit semblait désert. Emily serra un peu plus fort son arme : ce contact avait quelque chose de rassurant, même si elle doutait qu'il y ait encore une âme qui vive dans les parages.
D'un geste de la main, Hotch leur somma d'avancer et d'encercler la petite bâtisse. Comme des ombres, les agents quittèrent l'obscurité rassurante des bois pour avancer dans la clairière, à découvert. Prentiss entendait son cœur battre violemment dans ses oreilles et sentait ses jambes devenir légèrement cotonneuses.
Elle ne savait pas si Reid hésiterait ou non à leur tirer dessus.
Agilement, elle partit sur la gauche, tout en jetant des coups d'œil anxieux aux fenêtres éclairées et à ses collègues qui n'étaient plus que des forment indistinctes qui semblaient glisser dans la plaine. Elle s'arrêta un instant, arrivée à la façade ouest du chalet et laissa Rossi la rejoindre. L'ambiance était électrique et sinistre…
Prudemment, ils se remirent en marche, contournant le chalet et jetant de furtifs regards aux alentours. Leurs pieds foulaient silencieusement des hautes herbes humides qui se frottaient à leurs mollets, comme si elles essayaient de les retenir, de les empêcher d'avancer plus. Prentiss chassa aussitôt cette pensée absurde qui n'était que le fruit de son angoisse.
Ils arrivèrent à l'arrière du chalet et trouvèrent une autre porte sous laquelle une faible lumière filtrait. Emily lança un regard entendu à Rossi qui courut se poster de l'autre côté de cette entrée secondaire, pour couvrir la jeune femme. Prentiss entendit le chalet gémir, malmené par le vent, et frissonna. Ce bruit rendait la petite bâtisse vivante et lugubre. Secouant la tête pour laisser de côté ce genre d'idées terrifiantes, elle se positionna à son tour et posa la main sur la poignée de la petite porte. Elle la tourna sans difficulté et lança un regard à la fois déterminé et effrayé à son collègue, avant d'ouvrir la porte brusquement et de s'engouffrer dans la maisonnette.
-FBI !
Son cri retentit dans la nuit et n'eut pour seul écho que la même annonce, lancée par Hotch, de l'autre côté du chalet. Les yeux de Prentiss parcoururent rapidement la petite pièce dans laquelle elle se trouvait. Des bibliothèques recouvraient tous les murs, remplies de livres reliés avec soin… Au milieu de la pièce, sur un petit bureau en bois, trainaient quelques bouquins, rassemblés à la vas-vite par quelqu'un de visiblement pressé. Un ordinateur portable était également posé sur ce même bureau et émettait une faible lueur bleutée dans la pièce…
Le seul véritable éclairage provenait d'un couloir qui liait ce bureau aux autres pièces. Au loin, Prentiss entendit quelques « Rien à signaler » rompre la quiétude du chalet.
Etrangement, cela ne l'étonna pas vraiment. Elle sentait qu'ils étaient seuls ici.
D'un pas pressé, elle se dirigea vers l'ordinateur qui était en veille et posa son doigt sur le pavé tactile. Il se ralluma aussitôt et elle put lire une confirmation de l'achat d'un billet d'avion pour Londres. La voix de Rossi s'éleva derrière elle, légèrement tendue :
-Curl était donc en train de prendre la fuite…
Des pas se rapprochèrent d'eux, martelant bruyamment le parquet en bois.
-Toutes les pièces sont vides. Il n'y a personne…
Emily releva les yeux vers Morgan qui venait de prononcer ces quelques mots, hagard et à bout de force. Derek avait les épaules courbées sous le poids de la lassitude, du découragement et des remords. Son regard absent posé sur elle semblait la transpercer sans la voir. Mal à l'aise, Prentiss se trémoussa légèrement sur place et reporta son attention sur l'ordinateur. Promptement, elle tira à elle une chaise de bureau bleue avant de prendre place devant l'engin.
-Reid a dû l'emmener quelque part. Pourquoi ? Il n'avait jamais fait cela auparavant… Peut-être y-a –t-il ici, dans ce chalet, dans cet ordinateur la clé de toute histoire. Nous sommes largués depuis le début : tant que nous ne trouvons pas l'élément qui nous manque pour comprendre pourquoi Spencer semble s'en être pris à toutes ces personnes, nous ne pourrons pas savoir où Reid l'a emmené…
Elle avait parlé rapidement, d'une voix tremblante mais déterminée. Elle sentait que la pièce manquante du puzzle se trouvait en ces lieux, quelque part… Hotch approuva aussitôt ses paroles, comme ragaillardi par ce nouvel espoir qui s'offrait à eux.
-Si nous arrivons à trouver les motivations de Reid et en quoi le préfet est impliqué dans toute cette histoire, nous pourrons prévoir son comportement…
Rossi soupira et ajouta sombrement :
-Et nous pourrons faire table rase de ce que nous pensions connaître de lui.
Un bref silence suivit ses paroles, troublé par les craquements intempestifs du chalet. Pressée par le temps, Emily détourna les yeux de ses collègues, le cœur serré, et tenta de se concentrer sur la tâche présente. Sans dire un mot, Hotch, Morgan et JJ sortirent de la pièce pour inspecter les lieux. David, quant à lui, commença à retirer les livres des étagères, cherchant un indice dissimulé derrière les centaines de bouquins défraîchis. Prentiss se mit à parcourir les dossiers de Curl, les ouvrant un à un, parcourant en diagonale de nombreux documents relatifs à l'université. Fébrilement, ses yeux couraient sur l'écran, à l'affût de la moindre étrangeté…
Après s'être occupée d'un dossier intitulé « Travail », elle entama un autre nommé « Famille ». Aussitôt, un sous-dossier appelé « Loisirs » attira son attention : il était bien plus volumineux que tous les autres. Elle cliqua rapidement sur ce dernier, le cœur battant violemment dans ses tempes. Deux sous-dossiers apparurent sur l'écran : « Loisirs » et « 1996 ».
L'époque où toutes les victimes se trouvaient à l'université… L'année des importants versements d'argent.
En tremblant, elle fit glisser le curseur sur le dossier et l'ouvrit… Il contenait visiblement une vidéo amateur. Une sorte de décharge électrique passa dans tous ses membres et la fit trembler lorsqu'elle lut le nom de cette vidéo : « Spencer Reid 1996 ».
Pétrifiée, il lui fallut reprendre ses esprits quelques secondes avant de trouver la force de crier :
-Venez vite ! Je crois que j'ai trouvé quelque chose !
Rossi lâcha aussitôt un vieux livre aux pages jaunies et se planta derrière elle pour voir de quoi il s'agissait. Il fronça les sourcils, décontenancé, mais ne fit aucun commentaire. Des bruits de pas résonnèrent dans toute la maison et accoururent jusqu'au bureau. Hotch, Morgan et JJ entrèrent en trombe, le souffle court, et se postèrent à ses côtés, tendus à l'extrême. Fiévreusement, Emily prit la parole, tout en fixant avec intensité l'écran :
-J'ai trouvé un fichier vidéo appelé « Spencer Reid 1996 », année où ont eu lieu les étranges versements relevés par Garcia.
Elle fit une pause et avala difficilement sa salive. Sa gorge était serrée et horriblement sèche. D'un côté, elle avait besoin de savoir ce que contenait cette vidéo, mais d'un autre, elle sentait une sorte de malaise insidieux et désagréable picoter sa peau à l'idée d'ouvrir ce fichier. Pour une raison inconnue, elle avait… peur de visionner l'enregistrement.
Peur de découvrir cette vérité que Reid leur avait dissimulée depuis tant d'années.
Prenant son courage à deux mains, elle inspira profondément et posa un doigt sur le pavé tactile. Ils ne pouvaient pas reculer : une vie était en jeu. En tremblant, dans un silence de plomb, elle fit glisser le curseur sur la vidéo et l'ouvrit. Un programme assez connu se mit en route, faisant ronronner l'ordinateur. Le chalet grinça et le vent fit trembler l'unique fenêtre de la pièce. Emily sentit une goutte de sueur couler dans son cou et frissonna.
Une image légèrement floue apparut brusquement et des voix emplirent la pièce. Elle reconnut sans peine Rudy Clints et les autres victimes qui raillaient un jeune homme entièrement nu, couvert d'hématomes et attaché à ce qui semblait être un goal de foot. Un hoquet de surprise et de douleur souleva sa poitrine lorsqu'elle se rendit compte qu'il s'agissait de Reid. Pétrifiée, incapable d'arrêter cette vidéo ou de détourner les yeux de l'adolescent qui hurlait, pleurait et suppliait ses bourreaux, elle assista aux humiliations diverses qu'ils lui avaient fait subir.
Leur sordide imagination semblait inépuisable et toujours plus cruelle…
Les membres engourdis et transis de froid, Prentiss plongea son regard dans les yeux sombres de Reid qui regardait le ciel avec intensité, tout en se débattant pour échapper à leurs tortures, à leurs regards et à leurs moqueries.
L'horreur finit de la glacer lorsque Rudy demanda à deux de ses amis d'écarter les jambes de Reid. Emily entendit un faible « non » derrière elle, une sorte de murmure consterné et horrifié émis par JJ qui éclata en sanglots et sortit brusquement de la pièce.
Emily mourait d'envie de la suivre, mais n'arrivait pas à esquisser un geste, entièrement paralysée par un mélange diffus de sentiments contradictoires qui bataillaient avec fougue en elle. La colère, le besoin de protection, la répulsion, l'horreur, l'incompréhension… La compréhension… Tout se mêlait en elle et tout se révélait, à la fois obscur et limpide…
Les motivations de Reid, les tortures, le choix des victimes…
Prentiss se mit à trembler violemment et sentit des larmes rouler sur ses joues. Elle priait pour que cette vidéo s'arrête là, que l'image se coupe avant le pire. Ecœurée, elle remarqua qu'ils n'en étaient même pas à la moitié de ce sordide film qui avait été visionné plus de cent-quarante fois par Curl, selon un compteur situé en bas de l'écran.
Une nausée souleva son estomac et la colère monta brutalement en elle, explosant dans la moindre fibre de son être… Une pensée fulgurante traversa son esprit, tel un éclair rageur et elle espéra pendant moins d'une seconde que Reid tue ce porc qui avait visiblement enterré toute cette affaire… et avait pris son pied en visionnant cet enregistrement.
Soudain, un hurlement fendit la pièce, rapidement suivi du rire sardonique de la personne qui filmait. Prentiss sentit une lame froide transpercer sa poitrine de part en part en voyant le corps de son ami tressauter de douleur, se tordre pour échapper à son tortionnaire qui s'enfonçait lentement en lui en grognant de plaisir…
… Dans l'indifférence totale.
Autour d'eux, des jeunes buvaient des bières, criaient, encourageaient et riaient aux éclats en observant la scène qui se déroulait devant eux. Pas une seule personne ne semblait vouloir intervenir pour aider le jeune homme qui poussait de longs hurlements de douleur…
De longs appels au secours.
De nouvelles larmes se mirent à rouler sur les joues de Prentiss et elle serra violemment les poings. Après de longues minutes, rythmées par les cris de Reid et les clameurs des jeunes surexcités, Rudy se retourna enfin vers la foule, triomphant, comme s'il venait de gagner un prix… et rapidement, un autre jeune homme se plaça à son tour entre les cuisses couvertes de sang de Spencer qui hoquetait de douleur et de honte.
Ce spectacle était insoutenable.
La main d'Hotch se posa sur l'épaule de Prentiss et sa voix rauque, cassée, se fit entendre, couvrant à peine le mugissement excité des élèves et les gémissements aigus de Spencer :
-Coupe ça. Nous en avons vu assez… C'est…
Sa voix se brisa et il se tut. Il ne trouvait visiblement pas de terme pour qualifier l'abomination à laquelle ils venaient d'assister. Obtempérant avec soulagement, elle arrêta la vidéo et essaya de retrouver son souffle, en tremblant comme une feuille.
Les cris de Spencer résonnaient encore dans son esprit, comme des appels au secours… Mais elle n'avait pas été là. Et elle ne l'avait pas aidé à se débarrasser de ses fantômes.
Un bruit mat et soudain retentit derrière elle et la fit sursauter. Elle se retourna vivement et remarqua que Morgan était à genoux, le visage défait et les yeux écarquillés. Ses lèvres formaient silencieusement des phrases incompréhensibles, entrecoupées d'un hoquet nerveux et horrifié. Rossi, le regard embué par les larmes, posa une main sur le bras de Derek, pour qu'il se calme, mais celui-ci gémit violemment et se dégagea en éclatant en sanglots. Parmi ces plaintes aigues et inquiétantes, il arriva à prononcer quelques mots distincts :
-J'aurais… dû… non… Comment ai-je pu…
Il semblait au bord de la syncope : ses yeux tremblaient fébrilement dans leurs orbites et tout son corps était parcouru de spasmes. Hotch baissa la tête et prit une longue inspiration pour trouver la force de parler, avant de murmurer :
-Personne ne pouvait savoir, Morgan. Calme-toi.
L'homme à terre secoua la tête et passa une main tremblante et fiévreuse sur son visage.
-Je savais… Il m'avait raconté une partie… J'avais promis… de ne rien dire… Je ne savais pas tout… Je ne pensais pas… Si j'en avais parlé… Ou si je lui avais reparlé de… ça… Peut-être… Peut-être…
Sa voix s'éteignit et il resta là, à terre, silencieux. Le vent hurla dehors et rappela étrangement les cris qui venaient de retentir dans la pièce. Personne ne savait que répondre : d'une part, ils avaient envie de se décharger de leur frustration, mais d'autre part, ils étaient trop affectés pour accabler leur collègue.
Le silence, péniblement lourd, s'installa dans la pièce.
Prentiss détourna enfin les yeux et essuya prestement ses larmes : elle n'aimait pas pleurer, se laisser submerger par les émotions… Il fallait qu'elle compartimente, qu'elle se détache des remords et de la tristesse.
La douleur en général, mais encore plus celle qu'elle ressentait en ce moment, l'empêchait d'agir et de réfléchir correctement.
Pour se remettre les idées en place, elle posa sa main sur le pavé tactile de l'ordinateur et revint en arrière. Par curiosité, elle cliqua sur « Loisirs », le dossier le plus lourd. Un poing s'enfonça brutalement dans son estomac et elle se mit à haleter de surprise et de dégoût.
Des dizaines de vidéos à caractère pédopornographique emplissaient ce dossier.
Elle resta un instant sans bouger, devant les noms des fichiers plus explicites les uns que les autres, avec l'atroce impression que le sol s'était dérobé sous ses pieds et qu'elle tombait sans atteindre le fond, le choc final…
A nouveau, une partie de son esprit se mit à espérer que Reid torture et tue ce type… Des bouffées de haine pesaient sur sa poitrine et l'empêchaient de prononcer le moindre mot.
De toute manière, elle était incapable d'en trouver, à ce moment précis.
Le parquet craqua derrière elle et elle sut qu'Hotch et Rossi étaient à nouveau postés derrière elle. Elle entendit les respirations de ses collègues s'accélérer sous l'effet de la colère. Avant qu'ils n'aient pu faire un commentaire sur cette découverte, un téléphone portable se mit à sonner, les ramenant brutalement à la réalité.
En dehors de cette vidéo, de cette pièce, de ce chalet isolé, le monde continuait d'avancer.
Ils avaient laissé le cadavre d'un inspecteur derrière eux et étaient à la poursuite de leur collègue dans l'intention de le retrouver avant que la police ne lui mette la main dessus. Le cœur d'Emily se mit à cogner rapidement contre ses côtes et elle lança un regard effrayé à Hotch qui venait de sortir son portable de sa poche. Leur patron ne semblait pas en mener large, totalement dépassé par les évènements qui leur tombaient dessus, mais il gardait une apparence assez stoïque.
Il décrocha et mit le haut-parleur :
-Tu as quelque chose ?
Emily fut soulagée d'entendre la voix de Garcia emplir la pièce… Même si elle semblait paniquée. Sa présence avait quelque chose de reposant et apportait toujours un peu de gaieté et de réconfort, quelle que soit la situation.
-Monsieur ? Vous allez bien ? J'ai appris que l'inspecteur qui travaillait avec vous avait été tué… Oh, mon Dieu, j'ai eu tellement peur que vous soyez égalem…
Hotch le coupa assez sèchement, le visage profondément marqué par la fatigue et la tristesse :
-Garcia ! Nous cherchons toujours Reid. As-tu du nouveau, oui ou non ?
Un bref silence se fit entendre au bout du fil. Un courant d'air entra dans le bureau, par la porte qu'Emily et Rossi avaient laissé grande ouverte et louvoya entre eux, les faisant frémir. La voix de Garcia s'éleva à nouveau, tremblante et désespérée :
-Oui… monsieur… Désolée… J'ai du nouveau… et plutôt de l'atroce.
Elle fit une pause et renifla bruyamment, avant de continuer nerveusement, à toute vitesse :
-Le compte offshore d'où provient l'argent appartient au père de Rudy Clints, l'éminent Patrick Clints qui pèse plusieurs millions de dollar et qui est l'un des plus importants donateurs de l'université de Californie… J'ai alors un peu fouiné dans les comptes de cet homme et j'ai découvert qu'une semaine avant d'avoir déboursé autant d'argent, il avait payé les frais médicaux d'un certain « John Smith », dans un hôpital privé extrêmement réputé…
Elle reprit son souffle et poursuivit, d'une voix qui tremblait de plus en plus, voilée par la tristesse :
-Autant vous dire que lorsqu'on tombe sur un « John Smith », on se dit tout de suite qu'il s'agit d'un faux nom : c'est un nom tellement répandu et passe-partout, qu'il est utilisé comme faux nom depuis des années, notamment dans les films ou les séries télévisées… Enfin, bref, j'ai alors piraté le serveur de cet hôpital – vous m'excuserez cette légère entorse à l'éthique, mais il fallait que je sache – pour trouver le dossier de ce « John Smith »… Il s'agirait d'un jeune homme de seize ans admis pour tentative de suicide… En fait, c'est tout ce que les médecins ont noté dans son dossier, ce qui est étrange puisque généralement, on peut lire le traitement administré, les personnes qui sont intervenues sur le cas, les détails des interventions des médecins, une description des blessures, etc. … Mais ici, rien de tout ça…
Un nouveau reniflement retentit, suivi d'une plus longue pause. Enfin la voix de Garcia reprit et se brisa :
-J'ai peur de connaître… l'identité de ce « John Smith »…
Elle prit une profonde inspiration et éclata en sanglots :
-Je vous en prie, dites-moi que ce n'est pas mon génie adoré ? Pitié… Mon pauvre bébé… Que lui a-t-on fait et… qu'a-t-il fait ? A-t-il tué ce policier ?
Hotch ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa, incapable de prononcer quoi que ce soit. Les pleurs de Garcia résonnèrent tristement dans le chalet… Tous restèrent silencieux un moment à écouter l'informaticienne sangloter, le cœur serré, et imaginèrent dans quel état avait dû se trouver Reid, près de quinze ans auparavant. Emily posa les yeux sur Hotch qui serrait les dents pour ne pas se laisser submerger par les émotions qui l'envahissaient puis sur Rossi qui se tenait debout, pantelant et désemparé enfin sur Morgan qui était toujours à terre, immobile et recroquevillé sur lui-même. Elle remarqua enfin que JJ se trouvait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés et les yeux bouffis.
L'équipe était brisée.
Lentement, les sanglots de l'informaticienne s'apaisèrent et se transformèrent en un murmure discret. Du coin de l'œil, Emily vit Morgan se relever avec peine et s'approcher du téléphone. Il s'adressa à Garcia doucement, presque douloureusement :
-Ma Princesse ?... Il nous manque encore… des informations… Je veux savoir… où était Reid les jours des meurtres et… je voudrais que tu cherches… un déclencheur. Un évènement qui aurait pu le bouleverser, aux alentours du premier meurtre…
Prentiss entendit Garcia taper rapidement sur son clavier durant quelques minutes… Puis un sanglot leur parvint, légèrement étouffé. Emily ferma les yeux.
C'était un cauchemar… Juste un cauchemar…
Elle ne savait pas si elle était vraiment prête entendre ce que Penelope venait de découvrir. En fait, elle ne souhaitait qu'une chose : se réveiller dans son appartement et sentir la douce caresse de son chat, Sergio, frottant affectueusement sa petite tête poilue contre son visage, en ronronnant doucement… Elle voulait ouvrir les yeux et sentir les faibles rayons de l'aube naissante tomber sur son lit et réchauffer sa peau.
Elle avait tellement froid en ce moment.
Mais elle savait que ce sentiment allait perdurer désormais, car tout ceci était réel. Tout ceci ne pourrait jamais plus s'effacer : leurs erreurs - ses erreurs - n'étaient plus réparables et avaient aujourd'hui de graves conséquences. Prentiss ferma les yeux et se mordit la lèvre, rassemblant toutes ses forces pour encaisser les dernières nouvelles.
Tous ses collègues étaient crispés et fixaient avec intensité le téléphone d'où s'échappaient les glapissements de Garcia qui tentait de retrouver un peu de contenance avant de parler. Après quelques secondes interminables, elle leur annonça :
-Tous… les meurtres… ont eu lieu pendant ses jours de congé ou les week-ends… Il était en vacances à chaque fois, à des conférences situées dans les Etats voisins des lieux des crimes … Comment n'ai-je pas remarqué tout ça ? Il ne voyageait jamais avant… J'aurais dû trouver ça suspect…
Prentiss accusa le coup sans broncher et écouta la suite attentivement.
-Et… j'ai découvert que… la mère de Reid était décédée un jour avant le premier meurtre… Comment a-t-il pu nous le cacher ? Ne pas nous le dire ?... Nous sommes sa famille…
Emily arrêta d'écouter les lamentations de l'informaticienne, accablée par cette dernière nouvelle : ils étaient profileurs et n'avaient même pas été capables de remarquer qu'un de leurs amis avait perdu sa mère.
Ils avaient côtoyé un tueur durant des mois et avaient coudoyé une bombe à retardement durant des années… sans rien voir.
Mais désormais, tout s'imbriquait facilement… Suite à ce viol collectif, Reid avait tenté de mettre fin à ses jours mais avait été sauvé de justesse. Pour ne pas qu'il y ait d'enquêtes et que son fils ne tombe, Patrick Clints avait envoyé Reid sous un faux nom dans un hôpital privé et avait falsifié son dossier pour qu'il ne soit pas question de viol. Il avait ensuite acheté le silence de Reid qui, sans doute dans le besoin depuis le départ de son père, n'avait pu qu'accepter cet argent, et avait versé une somme considérable au préfet pour qu'il étouffe l'affaire…
Et puis, des années après ces évènements, la mère de Reid était morte… Bouleversé, livré à lui-même, sans aucune attache, il avait totalement perdu la tête…
Il avait sombré de « l'autre côté », dans la folie…
Il était retourné quinze ans en en arrière, emprisonné par des souffrances et des souvenirs qu'il avait gardés pour lui et qu'il avait tenté de refouler… Jusqu'à ce que tout explose.
Il avait dû être tellement mal, tellement blessé…
Et tellement seul.
Emily ferma les yeux et posa sa main glacée sur sa poitrine. Elle entendit son cœur cogner furieusement contre sa paume, semblant se révolter contre leur indifférence – son indifférence - … Ils n'avaient peut-être pas été meilleurs que tous ces jeunes qui avaient assisté au viol sans lever le petit doigt pour aider Reid. Ils – elle – avaient vu Reid sombrer jour après jour, changer, évoluer, se transformer en une sorte d'ersatz qui n'avait plus rien à voir avec le jeune homme sensible et fragile qu'il était, il y a quelques années.
C'était comme si une chose s'était emparée de lui et l'avait emporté loin d'eux.
Ils avaient senti ces choses, mais avaient pudiquement détourné les yeux sous prétexte que Spencer était adulte et savait se gérer… Peut-être s'étaient-ils dit cela par confort, par facilité. Peut-être savaient-ils que tout ceci finirait mal, sans doute avaient-ils eu peur de la vérité.
Et voilà où ce comportement les avait menés. Elle entendit vaguement Garcia s'exclamer qu'un flash spécial était en ce moment diffusé à la télévision, que l'on parlait de Roger, d'un suspect potentiel membre d'une unité d'élite du FBI…
… Ainsi que d'une chasse à l'homme.
Les flics n'allaient donc pas tarder à arriver au chalet, en espérant cueillir - ou abattre – Spencer. Emily fronça les sourcils, essayant de se détacher de ses remords et de toutes ces informations qui lui parvenaient et la glaçaient sur place, pour réfléchir rapidement à la situation.
Elle comprenait les motivations de Reid et les excusait presque. Elle souhaitait plus que tout l'aider avant qu'il ne soit trop tard, le retrouver et le sauver de ses démons.
Si du moins une telle chose était encore possible.
Fiévreusement, elle rassembla les derniers éléments qui leur étaient parvenus et fut soudainement prise d'un frisson incontrôlable, semblable à une décharge électrique. Reid n'était clairement plus aux commandes : il était en pleine fracture psychique, plongé dans son passé…
-Le terrain de foot. Il est là-bas. Il ne se contrôle plus et revit les évènements de son passé… Il est en fuite, traqué et va forcément aller là où tout à commencer.
Elle avait prononcé ces phrases dans un cri pressant et déterminé. Les autres lui lancèrent un regard surpris et restèrent un instant figés. Hotch fut le premier à sortir de la torpeur qui venait de s'abattre sur l'équipe et s'exclama :
-Allons-y tout de suite. La police va forcément arriver au chalet d'ici quelques minutes… Nous devons conserver notre avance.
Un nouveau courant d'air siffla en entrant dans le bureau… L'air frais sembla vibrer autour d'eux et les ranimer légèrement. La voix de Garcia, toujours au bout du fil, retentit, implorante et brisée :
-Sauvez-le. Je vous en prie…
Incapable de savoir s'ils pourraient ou non tenir cette promesse, Hotch raccrocha sans répondre et se dirigea vers la porte d'entrée d'un pas pressé. Emily lança un dernier regard au petit bureau dévasté. Des livres jonchaient le sol, abandonnés et grands ouverts, balayés par le vent qui tournait avidement leurs pages jaunies.
Elle espéra une dernière fois que leur propriétaire n'ait plus jamais l'occasion de revenir en ces lieux et tourna les talons, courant vers l'entrée principale pour rattraper les autres qui s'enfonçaient déjà dans la nuit.
Il restait encore un peu d'espoir.
Rien n'avait changé. Les mêmes arbres bordaient toujours le terrain de foot, les mêmes goals se dressaient toujours sinistrement dans la pelouse parfaitement entretenue et le même ciel sombre surplombait le tout.
Reid gémit et lâcha son couteau qui heurta le sol dans un bruit mat. Il porta ses mains à sa tête et attrapa ses cheveux en gémissant.
Les mêmes douleurs le pourfendaient, encore et encore.
Fébrilement, il se mit à se frotter énergiquement le crâne, pour sortir les horreurs qui lui revenaient par flashs insistants et horriblement précis. Il sentait leur haleine, leurs mains… et cette lame en lui, qui n'en finissait pas de le souiller et de le transpercer, encore et encore.
En pleurant, il tomba à genoux sur le gazon imbibé de sang et de honte. Il lâcha sa tête et gémit doucement, plié en deux de douleur. Ils étaient encore là, à l'étouffer, à le poursuivre, à l'attraper, à le maintenir, à le toucher…
A le violer.
Il avait envie de hurler, mais le froid semblait ceindre fermement sa poitrine et lui dérober le souffle nécessaire. Son regard troublé balaya la pelouse qui luisait de sang sous les rayons lunaires. Ensuite, les yeux écarquillés de dégoût, il fixa un instant ses mains écarlates et collantes. Lentement, il tourna les yeux vers l'homme nu attaché au goal de foot qui le fixait d'un œil vitreux.
Une dernière bulle de plaisir et de paix explosa dans son crâne, puis les souvenirs revinrent à l'assaut, embrouillant sa vue et ses pensées.
Le calme avait été temporaire, une fois de plus… Comme si ces meurtres, cette drogue, ne suffisaient plus à apaiser l'hôte, toujours plus insatiable, toujours plus incontrôlable et toujours plus fou. Au début, tuer lui permettait d'enterrer les souvenirs, d'être libre durant plusieurs semaines… Rapidement, la quiétude s'était comptée en jours, en heures… et maintenant en minutes.
Les souvenirs, toujours plus nombreux, le submergeaient et le broyaient, déchirant chaque fibre de son corps. Il ressentait un manque incessant, un besoin d'extérioriser sa souffrance afin de retrouver un semblant de tranquillité.
Mais tout cela était vain.
Un hoquet souleva son torse creux et froid et il éclata en sanglots. Fiévreusement, à tâtons, il laissa ses mains courir sur l'herbe humide et gorgée de sang, comme si elles cherchaient vainement une solution pour se soustraire au mal qui les rongeait. Elles remontèrent enfin le long de ses cuisses et s'arrêtèrent à sa taille, hésitantes et tremblantes, avant de s'emparer de son arme de service.
Celui qui se donne la mort est une victime qui rencontre son bourreau et le tue.
Cette phrase d'Alexandre Dumas résonna dans son esprit, étrangement claire dans l'amas confus qui encombrait sa tête.
Était-ce ainsi que tout cela devait se terminer ? Après tout, il avait achevé sa mission et n'avait pas trouvé la paix promise. Il s'était accroché à cette vengeance, persuadé que les démons qui le consumaient s'en iraient aussitôt qu'elle serait accomplie, mais ils semblaient faire partie intégrante de lui…
Il était prisonnier d'une partie sombre et démente de son propre esprit.
Ainsi, il était revenu au point de départ… A la différence que maintenant, il n'avait plus personne, plus aucun objectif et plus aucun avenir. Certes, il pouvait toujours fuir, mais son véritable bourreau – lui-même -le poursuivrait encore et toujours et le forcerait à tuer de nouveau, tout en lui soutirant les derniers éclairs de conscience qui lui restaient…
Il sentait la glaciale omniprésence et le poids lourd de l'hôte dans tous ses membres.
C'était la fin.
Spencer souleva son arme qui semblait peser des tonnes dans sa main poisseuse et tremblante. Il leva les yeux vers le ciel et remarqua qu'il était rempli d'étoiles.
Une larme coula sur sa joue, se mêlant au sang de Curl qui maculait son visage.
Après la mort de son oncle John, devant son chagrin, sa mère lui avait raconté que les âmes s'envolaient et allaient se fixer dans la voûte étoilée, pour éclairer les vivants de leur lumière et veiller sur eux…
Il entendait encore sa voix… Si proche…
Il s'agissait bien entendu d'une histoire absurde. Cependant, ce soir, en face du canon sombre de son arme, il avait l'impression d'être observé et soutenu par ces lumières scintillantes. Le visage de sa mère dansa devant ses yeux et chassa momentanément les souvenirs obscurs qui s'agitaient dans son esprit.
Soudain, une lumière vive se posa sur lui et il se demanda s'il s'agissait de son imagination… mais très vite, il entendit des bruits de pas et des cris. Il sursauta brusquement et se releva.
Un deuxième faisceau s'abattit sur lui et l'aveugla. Terrifié, il leva son arme vers ses assaillant, prêt à les abattre tous.
Ils étaient cinq. Des flics ? Des étudiants ?
Il n'arrivait pas à distinguer leurs visages et ne voyait que des formes sombres et indistinctes qui sortaient de l'allée arborée qui bordait le terrain. Soudain, une voix qu'il connaissait, déchira le calme de la nuit :
-Reid, baisse ton arme ! Nous ne te ferons aucun mal !
Hotch. Son patron était en face de lui, de l'autre côté de l'arme. Comment avaient-ils su où le trouver ? Etaient-ils au courant de toute cette histoire, de ses secrets ? Il se mit à haleter et à gémir, toujours aveuglé par les lampes torches pointées vers lui.
-N'avancez pas !
Paniqué, il lança un regard trouble au cadavre de Curl nu et horriblement mutilé. Sa peau avait été arrachée en divers endroits et pendait mollement sur ses flancs. Son visage, défiguré par de longues coupures, observait la scène en grimaçant.
Spencer se sentait pris au piège.
Nerveusement, il tenta à nouveau de regarder ses collègues, tout en visant ce qui semblait être Hotch de son arme. Il était perdu et tendu à l'extrême. Un horrible mal de tête lui broyait le crâne et l'empêchait de réfléchir correctement.
La voix de Derek s'éleva à son tour, à une dizaine de mètres vers la droite :
-Nous savons tout… et nous sommes là pour t'aider !
Spencer regarda dans sa direction et émit une plainte aigüe. Ils savaient. Ils étaient donc au courant de sa faiblesse, de l'humiliation… du viol. Une bouffée de honte remonta dans sa gorge : il sentait leur pitié.
A bout de force, dans un cri alarmé et déchirant, Spencer s'exclama :
-Vous ne pouvez pas m'aider ! C'est dans ma tête et ça ne peut plus sortir ! Partez ! Laissez-moi ! Je vais vous tirer dessus !
La voix calme d'Hotch lui répondit aussitôt :
-Nous ne pouvons pas partir… et tu le sais. Tu ne nous tireras pas dessus et nous ne te tirerons pas dessus. Reviens à la réalité ! Nous sommes ton équipe, ta famille ! Ensemble, nous t'aiderons à t'en sortir.
Désabusé, Reid fit une grimace et secoua la tête, tout en fixant le point de lumière derrière lequel se trouvait Hotch.
-M'en sortir ? C'est fini ! J'ai tué tant de personnes… C'est le couloir de la mort qui m'attend et vous le savez tout aussi bien que moi !... Et je vous jure que n'hésiterai pas à vous tirer dessus !
Son ton catégorique ne sembla pas impressionner son patron qui se mit à avancer lentement vers lui.
-Je ferai tout en mon pouvoir pour ne pas que tu sois condamné à la peine capitale.
Sur ces mots, il baissa sa lampe torche ainsi que son arme et Reid put apercevoir ses traits et son regard déterminé.
-Je viens te chercher.
Spencer se mordit nerveusement la lèvre et entendit à nouveau la phrase d'Alexandre Dumas résonner dans son esprit. Il ne restait qu'un obstacle, un seul avant la fin. Il s'était promis de tous les éliminer, pour pouvoir atteindre la paix tant méritée…
Son arme trembla violemment dans sa main.
Il plongea une dernière fois ses yeux noisette dans le regard confiant d'Hotch et sentit de nouvelles larmes couler sur ses joues. Dans un murmure à peine audible, il articula difficilement :
-Désolé…
Il rassembla ses dernières forces et visa le torse de son patron qui se figea brusquement devant son regard déterminé. Hotch écarquilla les yeux et entrouvrit la bouche, comprenant parfaitement ce que son agent avait l'intention de faire. Une violente détonation transperça la nuit, suivie de quatre autres plus ou moins simultanées.
Le jeune homme sentit une profonde et intense douleur lui transpercer le torse, le brûler violemment. Ses jambes fléchirent, comme sciées, et ses bras n'eurent pas la force de se lever pour amortir sa chute. En tombant, il aperçut vaguement le corps de son patron, inerte, à quelques mètres de lui et entendit au loin des hurlements, des pleurs et des pas qui approchaient.
Sa tête heurta le gazon humide dans un bruit mat et lointain. Il ressentit à peine le choc, totalement absorbé par la douleur qui irradiait de sa poitrine.
Du sang remontait dans sa gorge et s'échappait de ses lèvres entrouvertes. Des larmes de douleur roulaient sur ses joues et tombaient dans la pelouse. Il se mit à gémir, le souffle coupé. Rassemblant ses dernières forces, il se retourna sur le dos et regarda les étoiles en haletant.
Elles veillaient sur lui.
Un lourd impact retentit à côté de lui et le visage de Morgan, baigné de larmes et déformé par la colère, occulta le ciel.
-Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça ?
Reid plongea ses yeux dans les siens et sourit faiblement. Il prit une inspiration douloureuse et articula avec peine :
-Il portait un... gilet pare-balle, non… ?
Il sentit les mains chaudes de son ami compresser vainement ses plaies. Il le laissa faire, incapable de le repousser et appréciant ce contact humain. Sans doute le dernier. Etrangement, le brouillard qui encombrait sa tête semblait avoir disparu, s'être dissipé… Derek secoua la tête et éclata en sanglots :
-Comme toujours… Mais… je ne te demandais pas ça… Pourquoi… pourquoi nous as-tu obligé à faire ça ? A te faire ça ?
Spencer essaya de déglutir, mais le sang affluait beaucoup trop dans sa gorge. Sa respiration était sifflante et erratique. Sa vue commençait à se brouiller et tous ses membres s'engourdissaient… La douleur commençait à s'éteindre, lentement, comme un feu qui s'étouffe, petit à petit.
-J'aurais dû… mourir, il y a longtemps, tu ne crois pas… ? Ils auraient… dû m'achever.
Il fit une pause et remarqua qu'il ne distinguait plus les traits de Morgan. Ses lèvres se mirent à frémir, mais il continua :
-Il fallait que ça s'arrête… et puis, certaines personnes méritent de mourir…
Les mains de Derek s'agrippèrent à ses vêtements et se mirent à trembler.
-Tu ne vas pas mourir… Les secours arrivent… On va t'aider…
Spencer sentait ses yeux se fermer tout seul, comme s'il était pris de sommeil… La douleur s'évanouissait lentement et les mains de Morgan devenaient de plus en plus légères. Dans un souffle à peine audible, il murmura :
-Vous l'avez fait… Je suis libre…
L'image de Morgan bascula et un voile noir tomba devant ses yeux grands ouverts. Son corps se détendit complètement et ses mains serrées se relâchèrent. Une dernière pensée lui traversa l'esprit avant d'être emportée par le néant.
Il mourait à la fois seul et accompagné.
Il ne sentit pas les mains de Derek le secouer énergiquement, puis abandonner son torse pour attraper son visage et le serrer. Il n'entendit pas ses supplications, ses appels et ses cris qui se perdirent dans le ciel étoilé puis se transformèrent en violents sanglots.
Un silence mortel s'abattit sur le terrain. Les autres membres de l'équipe se trouvaient à quelques mètres, tétanisés, regroupés autour d'Hotch qui reprenait ses esprits. Ils étaient incapables d'esquisser un geste…
Anéantis.
Délicatement, Morgan souleva le corps inerte du jeune homme et le serra dans ses bras, en enfouissant son visage dans son cou encore chaud. Il entendit vaguement les pleurs des autres et sentit leur présence autour de lui… Mais il n'arriva pas à lâcher son ami, ni à relever la tête.
Ils avaient échoué. Ils ne l'avaient pas sauvé… Ils l'avaient tué.
Au loin des sirènes retentirent, annonçant l'arrivée des équipes de secours… mais elles arrivaient trop tard.
Quinze ans trop tard…
Fin.
"Le trouble de mon âme étant sans guérison, le vœu de la vengeance est un vœu légitime " – François de Malherbe.
Merci d'avoir suivi cette histoire... Merci à tous ceux qui m'ont laissé des commentaires et merci à Khit pour la citation de la fin. J'espère que cette fanfiction vous a plu.
D'ailleurs, n'hésitez pas à me donner votre avis, c'est toujours intéressant et constructif!
Pour ce qui est de la suite, je pense écrire une fanfiction légère sur la fanfiction The Big Bang Theory. Je ne sais pas encore quand elle arrivera... Mais je suis en train d'en écrire le plan!
Au revoir et encore merci de m'avoir lue! :-)