La Traque
Chapitre 16
Quelques longues secondes s'égrenèrent dans un silence complet et glacial. Les tentures voletaient allègrement sous leurs yeux et laissaient quelques rayons de soleil entrer de la pièce et rebondir sur l'insigne négligemment posée sur la table, à côté de macabres photos.
Paralysé, Morgan fixait ce spectacle étrange et inattendu. Il était pris de vertiges et de nausées. Il avait l'impression que le sol venait de se dérober sous ses pieds… Il ne pouvait pas croire que Reid s'était enfui. Les avait-il entendus débattre de son cas ? Avait-il pris peur ?
Ou ses collègues avaient-ils raison ?
Derek serra les poings et ferma les yeux pour reprendre ses esprits. La surprise phagocytait ses pensées et rongeait les quelques limbes de sang-froid qui lui restaient. Il entendit vaguement la voix nerveuse d'Hotch et se tourna aussitôt vers lui. Il tenait son téléphone en main et tremblait violemment. Morgan leva les yeux et lut, pour la première fois de sa carrière, de la peur dans les yeux sombres de son patron. Hotch donnait ainsi vivement des ordres aux autres agents qui, pantois, se tenaient derrière lui, incapables de comprendre la situation et d'y réagir promptement.
-Dave, va voir dehors s'il nous manque bien un véhicule. JJ, je veux que tu demandes aux patrouilles locales de se rendre immédiatement au domicile de Curl et à l'université… Demande qu'on poste des barrages aux sorties de la ville… Fais également circuler le signalement de Curl et… de Reid dans les aéroports, les gares et à la sortie de l'Etat…
Morgan vit les pupilles de son patron trembler nerveusement dans leurs orbites, puis sa voix grave et tendue reprit :
-Spencer voulait rester à l'université pour interroger le préfet seul… Il doit… Il doit sans doute être parti le rejoindre pour lui parler… Ou pire.
Un frisson parcourut Morgan et ses yeux se mirent à picoter.
« Ou pire ».
Des larmes de colère, d'impuissance ou de peur brouillèrent un instant sa vue. Il était incapable de mettre un nom correct sur cet amas de sentiments enchevêtrés et douloureux qui le torturaient à ce moment précis, mais ravala ces quelques larmes par fierté. Il se mordit violemment la lèvre inférieure pour ne pas craquer et secoua la tête fermement.
-Il ne va rien lui faire… Il n'est pas le tueur…
Sa voix s'étrangla légèrement. Il fit une courte pause avant de reprendre sur un ton presque suppliant en balayant d'un geste de la main la pièce dans laquelle se trouvaient toutes les photos des victimes.
-Tout ça ne ressemble pas à Reid…
Le regard meurtrier d'Hotch se planta alors dans ses yeux, implacable et glacial. Lentement, il articula quelques mots empreints d'une vérité accablante qui s'imprimèrent aussitôt dans l'esprit de Morgan.
-Cette plaque abandonnée, cette fuite… Ca ne lui ressemble pas non. Une chose est sûre : ce n'est plus Reid. C'est un suspect en cavale.
Un nouveau silence pesa sur le poste, même les policiers s'étaient arrêtés de travailler pour suivre cette étrange scène des yeux. Seuls quelques sonneries de téléphones et le ronronnement des ordinateurs résonnaient dans le local où la vie semblait avoir été interrompue. Les yeux de Morgan se voilèrent un instant et il détourna aussitôt le regard. Il aperçut les autres, toujours immobiles, qui fixaient avec effarement la petite plaque dorée qui semblait s'être ternie en quelque seconde. JJ hoquetait de douleur et de tristesse, sans dire un mot, les lèvres entrouvertes, comme si elle cherchait un souffle nouveau pour remplacer celui qui lui faisait cruellement défaut. Emily pinçait les lèvres et serrait tellement fort les poings que ses mains en tremblaient violemment. Rossi, perplexe, fronçait les sourcils, la mine absente, et se balançait sur ses jambes, indécis.
Hotch arrêta aussitôt de fixer Derek et inspira profondément. Il ferma les yeux, puis se tourna vivement vers les agents postés derrière lui.
-Dave, JJ ! Tout de suite ! Il n'y a pas de temps à perdre !
Son ton implacable et vibrant de colère électrisa la pièce et éclata comme un coup de tonnerre. Le mouvement reprit aussitôt, les agents de police qui n'avaient perdu aucune miette de ce qui venait de se passer se mirent à s'activer fébrilement. Les membres de la BAU sortirent également de leur torpeur. JJ fondit en pleurs, mais sortit son téléphone portable. Elle se détourna et s'éloigna rapidement d'eux pour appeler ses contacts. Rossi, quant à lui, sortit précipitamment pour vérifier si un SUV manquait effectivement à l'appel.
Morgan respirait difficilement, à deux doigts de vomir, et sentait peser sur lui le regard inquiet de Prentiss. Il se détourna et tenta de calmer les palpitations erratiques de son cœur en essayant de se convaincre que tout ceci n'était qu'un énorme malentendu. Si Reid avait fui, c'était simplement parce qu'il avait eu peur d'eux, d'être interrogé et pris pour un suspect… Ou peut-être s'était-il senti menacé par le tueur qui décimait les personnes qu'il avait connues durant son adolescence.
Ca ne pouvait être que ça, oui…
Il ne pouvait toujours pas accepter que son ami soit mêlé à toute cette histoire. Spencer était l'enfant de l'équipe, son petit frère qui avait besoin d'être protégé, surveillé : malgré ses airs de grande personne indépendante et son entêtement à vouloir être armé et à souhaiter les accompagner sur le terrain, il restait le plus fragile de l'équipe.
Abasourdi, il regarda en silence Hotch composer le numéro de Garcia. Première sonnerie… Une tenture claqua dans l'air et les feuilles posées sur la table frémirent. Deuxième sonnerie… Un déclic se fit entendre et la voix grotesquement enjouée de Garcia retentit à ses oreilles.
-Ici le bureau d'un génie qui se languissait d'avoir de vos nouvelles… Je vous écoute mes chéris !
Son ton jovial et amusé dénotait cruellement avec la fièvre et l'horreur qui les habitaient tous. Hotch lui-même sembla déstabilisé et ne répondit froidement qu'après une longue seconde de silence.
-Arrête tes plaisanteries Garcia. Ton boulot est sérieux et tu ne devrais pas te permettre ce genre de sobriquets déplacés.
Son interlocutrice marqua un temps d'arrêt, accusant le coup, puis bégaya de vaines excuses, sans comprendre la situation.
-Oh… Je… je suis désolée monsieur… Je ne voulais pas… Je…
Morgan serra les dents, pestant contre la lenteur et les exaspérantes niaiseries de son amie…Ce n'était tout simplement pas le moment. Même s'il savait sciemment que l'informaticienne ne pouvait être au courant des derniers bouleversements de l'enquête, il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir et de maudire son ton enjoué.
Il était à cran, dépassé par la situation…
La porte du poste s'ouvrit brusquement et sortit Derek de ses pensées. Il aperçut du coin de l'œil Rossi revenir du parking, la mine défaite, et esquisser un geste d'approbation : Spencer était bel et bien parti avec l'un de leur véhicule.
Hotch ne manqua pas de remarquer le retour de son collègue et serra les poings.
-… promets d'être plus… professionnelle à l'avenir…
La voix de Garcia, entrecoupée de sanglots, résonnait toujours inutilement à leurs oreilles, comme un vieux disque rayé. Hotch la coupa enfin :
-Garcia, nous en reparlerons plus tard. Je veux que tu cherches la trace de tous nos véhicules.
Un reniflement peu ragoûtant suivi d'un bref silence fit écho à cet ordre. Puis on entendit un vague cliquetis :
-Je ne comprends pas… On vous a volé un SUV ?…
Sa voix peu assurée tremblotait et était plus aigüe que d'habitude. Hotch lui répondit aussitôt, d'un ton froid :
-Reid s'est enfui avec l'un d'entre eux.
Le cliquetis s'arrêta aussitôt et une exclamation étouffée leur parvint :
-… Enfui !... Reid ?
Hotch semblait bouiller de l'intérieur, animé par la peur, la colère et l'exaspération. Il s'emporta aussi violemment que soudainement contre le téléphone qu'il tenait toujours devant lui :
-Oui, enfui ! Réagis et cherche-le immédiatement !
Garcia hoqueta de surprise et de tristesse, mais le cliquetis reprit aussitôt, plus rapide et plus fébrile que jamais. Il s'arrêta brusquement, laissant les agents qui se trouvaient autour d'Hotch dans une sorte de léthargie cotonneuse.
La voix étranglée de Garcia entre deux inspirations bruyante et un sanglot se fit à nouveau entendre :
-Il… il a enlevé l'émetteur… le GPS… et son téléphone est hors service… Je… je n'arrive pas à le localiser… Qu'a fait mon bébé pour en arriver là ?
Morgan posa sa main sur le bureau, à côté de la plaque de Reid, pour garder l'équilibre. Il avait besoin d'un appui et de palper la réalité, pour pouvoir s'y accrocher. Il réfléchit quelques secondes à la question de Garcia qui restait sans réponse…
Une voix chuchota à sa conscience que la question la plus correcte aurait sans doute été : « Qu'a-t-on fait à mon bébé pour qu'il en arrive là ? »… Un frisson le parcourut, mais il réprima aussitôt les souvenirs qui remontaient en lui… Reid qui lui racontait ce que ces gens dont les photos recouvraient les murs de cette pièce, lui avait fait. N'était-il pas temps de parler de ces évènements aux autres ? Mais comment allaient-ils prendre ces informations qui accablaient encore plus Reid ?
Il ne pouvait pas parler de tout cela… Il devait aider Spencer à se disculper, pas à s'enfoncer.
Morgan soupira et observa les trois agents qui lui faisaient face, à l'entrée de la pièce qui leur était réservée.
Hotch se frottait le front, sans doute pris de migraines et de vertiges Emily fermait les yeux comme pour puiser la force de répondre et Rossi, consterné, secouait la tête lentement. Derek observa un instant ce balancier entêtant puis répondit d'une voix grave et atone à Garcia dont le souffle erratique se répercutait dans toute la pièce :
-On cherche à la savoir, ma Princesse…
Penelope émit une petite plainte douloureuse et bafouilla quelques mots qui se noyèrent dans sa peine. Hotch lâcha son front et releva brusquement la tête :
-C'est dans le passé que nous trouverons les réponses qui nous manquent… C'est là que toute cette affaire a commencé.
Il s'adressa à nouveau fiévreusement à son portable :
-Garcia, je veux que tu fasses des recherches sur Curl et Reid à l'époque où ce dernier était à l'université… Trouve tout ce que tu peux… De leurs comptes bancaires à leur dossier médical.
L'informaticienne se moucha bruyamment de l'autre côté du fil, mais se mit aussitôt à taper sur son clavier avec une dextérité incroyable. Morgan l'imagina déterminée, les yeux rivés sur son écran, le visage couvert de larmes, les lèvres pincées par la peur, le cœur battant à tout rompre, mortellement inquiète pour l'un de ses protégés. Si Garcia n'était pas souvent avec eux, sur le terrain, il savait pertinemment que ses pensées les accompagnaient partout et qu'elle priait à chaque fois pour que sa famille revienne entière…
Mais cette fois, la famille avait bel et bien éclaté.
Quelques secondes passèrent, avant qu'une exclamation étouffée ne se fasse entendre au bout du fil. Emily sortit enfin de son mutisme et les devança tous en s'exclamant :
-Qu'as-tu trouvé ?
Même si Prentiss restait généralement maître d'elle-même, elle semblait sincèrement bouleversée par les évènements. Garcia répondit aussitôt avec empressement :
-En 1996, Curl et Reid ont reçu d'énormes sommes d'argent sur leurs comptes en banque… Les deux versements s'élevaient à près de cent cinquante mille dollars… chacun ! Ils proviennent d'un compte offshore situé en Suisse. Il va me falloir un bon moment pour arriver à connaître le propriétaire de cet argent.
Hotch fronça les sourcils et plissa légèrement les yeux.
-Merci Garcia. Bon travail. Appelle-nous dès que tu sais d'où provient tout cet argent.
Il voulut raccrocher, mais la voix de Garcia retentit, pressante et suppliante :
-Ramenez-le sain et sauf à la maison ! Je vous en prie…
Morgan reçut cette phrase comme un coup de poignard en plein cœur et grimaça légèrement de douleur, l'estomac horrible noué. Il prit une longue inspiration puis mentit du mieux qu'il put, sur un ton rassurant et doux :
-Promis, ma Belle.
Il ne savait pas s'il allait pouvoir tenir cette promesse… Son patron raccrocha sans rien ajouter, préférant sans doute se garder de lui rappeler dans quels draps se trouvait Reid en ce moment-même. Rossi prit enfin la parole, perturbé mais calme :
-Quelqu'un a sans doute voulu acheter le silence de Reid et du préfet. Le tueur ?
Morgan revit Reid assis devant lui, les yeux noyés de larmes, les lèvres tremblantes, le regard plongé dans la douleur et le passé… Une partie de son être lui ordonnait de révéler le secret de Spencer, mais une autre refusait fermement de trahir son ami. Il savait pertinemment que ces éléments allaient jouer en la défaveur du jeune homme, alors qu'il était évident qu'il n'était qu'une victime dans cette histoire.
Ce secret sonnait comme une condamnation…
Avant que quelqu'un ne réponde à Rossi, JJ revint, les yeux rouges et gonflés, pour annoncer d'une voix mal maitrisée :
-Curl n'est pas chez lui, ni à l'université. Selon sa femme, il s'absenterait souvent dans son chalet assez isolé, à une cinquantaine de kilomètres d'ici environ…
Morgan ferma les yeux et demanda, même s'il connaissait déjà la réponse :
-Aucune nouvelle de Reid, donc ?
L'agent de liaison se mordit la lèvre et secoua lentement la tête :
-Non… Aucune… Les policiers ne l'ont pas trouvé, ni à l'université, ni dans les environs de la propriété de Curl… L'épouse du préfet prétend ne l'avoir jamais vu.
Prentiss soupira et regarda le sol, tout en jouant nerveusement avec ses mains.
-Reid était sans doute au courant pour ce chalet…Il avait sans doute planifié qu'il allait le rejoindre à un moment donné.
Hotch acquiesça pensivement et composa un nouveau numéro sur son téléphone portable avant de tourner les talons pour rejoindre les deux véhicules qui leur restaient.
-Nous allons nous y rendre tout de suite… J'appelle rapidement Roger pour qu'il nous rejoigne.
Les membres de l'équipe le suivirent aussitôt, dans une atmosphère électrique. Morgan quant à lui, resta un instant en arrière, sans bouger, indécis et en colère. Il avait senti ses poils s'hérisser lorsqu'il avait entendu son patron prononcer le nom de l'inspecteur. Une bouffée de haine remonta dans son torse, lorsque l'image de Roger dansa furtivement dans son esprit. Ce type allait sans doute jubiler en apprenant la fuite de Spencer… Derek serra les dents et détourna les yeux de ses collègues qui traversaient fébrilement le poste de police pour partir à la poursuite du jeune homme.
Tout ceci ne pouvait être réel.
Nauséeux, Morgan ramassa la plaque de Reid pour se calmer. Le métal froid picota sa paume et le fit frissonner une fois de plus. Cette plaque avait toujours fait la fierté du jeune agent et aujourd'hui, il l'avait laissée derrière lui.
Il baissa la tête et serra un instant l'insigne dans sa main avant de la mettre dans sa poche. Il se leva promptement, bien qu'étourdi, et se dépêcha de rattraper les autres qui étaient déjà à l'extérieur.
Ils n'avaient effectivement pas de temps à perdre.
Son cœur battait violemment dans ses tempes et la plaque de Reid pesait étrangement lourd dans sa poche. Il se dirigea précipitamment vers la sortie, ouvrit la porte à la volée et courut vers l'un des deux SUV qui vrombissaient déjà d'impatience.
Il monta à l'intérieur, le cœur aux bords des lèvres et regarda le visage fermé de son patron. Les SUV démarrèrent brusquement, dans un nuage de poussière, sirènes hurlantes. Morgan ferma les yeux et se mit à prier, pour la première fois depuis longtemps pour que toute cette histoire se finisse bien… Mais une question martelait douloureusement son crâne.
Arriveraient-ils à rattraper Reid ?
Le jour commençait déjà à décliner. Au loin, des montagnes surplombaient silencieusement les plaines, fièrement dressées dans le ciel qui se teintait de couleurs rougeoyantes. Hotch serra les dents et raffermit sa prise sur le volant. Il n'arrivait pas à apprécier les magnifiques paysages qu'ils traversaient, trop préoccupé et énervé par cette affaire. Il avait beau arborer une expression neutre devant ses collègues, il sentait des torrents glacés de peur couler dans ses veines.
Il redoutait ce qu'ils allaient trouver au bout de cette route tranquille et isolée.
Il plissa les yeux, aveuglé par le soleil bas, puis soupira doucement. Comment avait-il pu être si aveugle concernant le jeune homme ? Il avait pourtant noté chez lui de nombreux changements ces derniers mois : il l'avait vu être plus confiant et plus instable, être différent et étrange… Mais il avait fermé les yeux sur tous ces problèmes, pensant sincèrement que Reid traversait juste une phase, quelques difficultés sans importance, et qu'il relèverait la tête, comme toujours.
Aujourd'hui, il le poursuivait, habité par un mauvais pressentiment, sur une route déserte. Hotch s'humecta les lèvres, les yeux rivés sur le chemin bitumé, et sentit la colère monter en lui.
Comment Reid avait-il pu en arriver à les fuir ? Pourquoi avait-il agi de la sorte ? Avait-il réellement basculé de « l'autre côté » ? La frontière était souvent mince entre les forces de l'ordre et les tueurs qu'elles traquaient, entre le bourreau et la victime.
Hotch chercha en vain la pièce qui manquait au puzzle… Tout ce ceci restait tellement abstrait, tellement emmêlé dans son esprit. Il ne voyait aucun élément infirmant parfaitement la possibilité que Reid soit leur tueur, mais ne trouvait aucune bonne justification à des crimes d'une telle violence. Les photos des cadavres mutilés se matérialisèrent devant lui, sur la route rectiligne qu'il empruntait à toute allure. Il secoua légèrement la tête, pour chasser toutes ces horreurs de son esprit et se concentrer sur ce chemin qui semblait s'étirer à l'infini.
Il restait persuadé que la vérité était à portée de mains, juste sous ses yeux… Mais elle restait irrémédiablement insaisissable.
Usé par la fatigue et la tension, il laissa son regard errer le long de la route. Des plaines semi-désertiques s'étendaient jusqu'à un petit bois et enduraient les derniers rayons du soleil.
Le spectacle était beau, apaisant… Reid avait-il profité de cette vue, quelques instants avant lui ?
Son cœur se serra douloureusement à cette pensée et il reporta son attention sur la route, tentant de se préparer psychologiquement à ce qui les attendait. Il regarda le GPS : ils n'en avaient plus que pour une bonne dizaine de kilomètres…
Inquiet, il sortit son téléphone portable. Il n'avait aucun message de Roger. Il composa une fois de plus son numéro et tomba directement sur une boite vocale impersonnelle qui lui proposait de laisser un message. Il raccrocha aussitôt, mal à l'aise et troublé par ce silence prolongé de la part de l'inspecteur.
Ce n'était pas normal.
Certes, ils n'étaient pas en très bons termes, mais cette disparation de Roger agitait en lui un mauvais pressentiment. Depuis le début de cette enquête, son instinct était en alerte et lui dictait que toute cette histoire allait mal se terminer… Mais là, sur cette route, au beau milieu de nulle part, ce pressentiment était plus puissant que tout et lui donnait de désagréables frissons.
La dernière fois qu'il avait roulé aussi vite, rongé par ce même sentiment, Hotch était arrivé trop tard… George Foyet, un tueur en série qui l'avait poignardé et hanté durant des mois, avait eu le temps d'assassiner son ex-femme. Le visage d'Haley, éclaboussé de sang, les pupilles fixes et aveugles posées sur le néant, surgit des tréfonds de sa mémoire. Les mains d'Hotch se serrèrent d'avantage autour du volant et sa respiration se bloqua brusquement dans un hoquet discret mais douloureux. La souffrance était toujours aussi vive…
Soudain, un véhicule garé au bord de la route à environ deux cent mètres de lui attira son attention et le sortit de ses sombres pensées… Il était persuadé d'avoir déjà vu cette voiture quelque part. Il revit avec une précision extraordinaire cette simple berline sur le parking du poste de police et ralentit aussitôt instinctivement.
Morgan, resté jusqu'alors silencieux, se tourna avec lui, le visage anxieux et déformé par la colère :
-Pourquoi ralentissez-vous ?
Hotch fixa la voiture rangée sur l'accotement, les dents serrées, et répondit d'une voix étranglée et lointaine :
-Cette voiture… Je l'ai déjà vue…
Sans comprendre Derek regarda vivement la voiture et fronça les sourcils.
-Quoi ?
Hotch trembla violemment et enclencha son clignoteur pour signaler à l'autre SUV qu'il allait se ranger sur le bas-côté. Lentement, comme dans un mauvais rêve, il s'arrêta juste derrière la berline, le cœur battant à tout rompre. Il sentit la main de Derek l'attraper violemment :
-Mais que se passe-t-il, bordel ?
Abasourdi, il sentit à peine ce contact et répondit d'une voix blanche, atone :
-Roger… Il utilise cette voiture…
Sans ajouter un mot de plus, il ouvrit la portière de son véhicule et s'avança vers le fossé. Il entendit vaguement Rossi sortir à son tour de l'autre SUV et l'interpeller pour lui demander ce qu'il faisait, mais ne trouva pas le courage de répondre. Une partie de lui se fissurait lentement et l'horreur l'enveloppait entièrement.
Il se trompait, sans doute… Il devait se tromper.
Rapidement, il descendit le petit fossé et se trouva dans une cuve de déchets et d'herbe séchée. Comme un automate, il s'enfonça dans des petits buissons épineux et perçut un bourdonnement continu et frénétique qui s'amplifia lorsqu'il avança plus loin. Prentiss cria depuis la route, pour qu'il s'explique, mais il l'entendit à peine.
Un sifflement aigu et désagréable s'enfonçait comme une vrille dans son crâne et son corps se couvrait de sueur. Son cœur battait dans tous ses membres, violemment, comme s'il cherchait à sortir de sa poitrine. Il déboucha enfin sur un large espace découvert et fut pris d'une horrible nausée.
Le cadavre de Roger, piqué avidement par des dizaines de mouches, gisait sur une terre humide et ocre, gorgée de sang.
Il entendit vaguement des pas crisser sur le sol craquelé derrière lui, mais ne sut esquisser un geste. Une personne poussa un cri à quelques mètres, une autre composa d'urgence un numéro de téléphone…
La police, sans doute… Il était manifestement trop tard pour appeler les secours.
Une voiture passa sur la route. Un nuage de poussière leur parvint et couvrit un instant l'image insensée et sinistre du corps mutilé de l'inspecteur. Pétrifié, Hotch ne bougea pas, incapable d'esquisser un geste. Le tambour fou de son cœur résonnait à ses oreilles et couvraient le vacarme des mouches qui se partageaient le cadavre de Roger poignardé à de nombreuses reprises. Ses yeux étaient entrouverts et fixaient le ciel rouge dans lequel s'égayaient encore quelques oiseaux, avant que la nuit ne tombe. Hotch fit un pas en arrière, cherchant à recouvrer son souffle et ses pensées… Mais il n'arrivait pas à assimiler l'évidence qui se trouvait sous ses yeux.
Roger était mort.
Spencer l'avait tué.
A suivre…