La Traque
Chapitre 14
Le jeune homme marchait imperturbablement à ses côtés, les yeux dans le vide et les traits renfrognés. Il semblait absorbé par une lutte interne qui le rongeait, le happait entièrement… Hotch reporta son attention sur Rossi qui le fixait avec intensité.
Quelque chose d'étrange venait de se passer.
Sans broncher, il ouvrit la porte et laissa ses collègues sortir des bâtiments de l'université. Le soleil le força à plisser les yeux et l'air frais balaya ses cheveux. Les cloches du campanile se mirent à sonner dans le ciel azuré et les élèves se mirent à sortir en masse des auditoires pour déjeuner. Hotch était perturbé par cet entretien : visiblement, le préfet leur cachait quelque chose. Une chose dont Spencer semblait être au courant mais qu'il ne souhaitait pas leur révéler.
Malgré son costume et les puissants rayons du soleil, un frisson parcourut ses membres : il ressentait un profond malaise. Prenant une longue inspiration, il s'adressa au benjamin de l'équipe qui lançait toujours un regard absent sur le campus.
-Je pense que le préfet nous cache quelque chose : sa façon d'être, de se tenir, l'anxiété dans sa voix… Tout nous indique…
… qu'il te craint, Spencer, finit imperceptiblement une voix dans son esprit. Déstabilisé par cette remarque mentale, il continua :
-… qu'il sait certaines choses qu'il refuse de nous avouer. Peut-être a-t-il peur des représailles, ou peut-être protège-t-il l'université…
Les yeux mornes de son agent se tournèrent vers lui. L'air absent du jeune homme se transforma brusquement en effarement, puis en une mine sombre et fermée. Sans hésiter et sans détourner son regard électrique et étrangement brillant, Reid acquiesça et continua :
-Vous avez raison : son attitude était étrange. Il faudrait nous pencher plus longuement sur son cas.
Hotch, tout en marchant, attendit la suite, mais son agent n'ajouta rien de plus, calme et sûr de lui. Perturbé par cette maîtrise et par la facilité avec laquelle il avait sorti cette réponse, il poursuivit pour l'inciter à parler :
-Je pense qu'une partie des gens de l'époque ont été impliqués dans ce qui a poussé notre unsub à tuer toutes ces personnes. Je crois également que pas mal des témoins des violences qu'il a subies, ont pu se mettre de son côté et souhaiter le protéger, excuser ses actes… Cependant rien n'excuse une telle barbarie.
Les yeux de son agent se posèrent calmement sur lui. Il remarqua un tremblement discret secouer le jeune homme et ses poings se serrer légèrement. Le Reid qu'il connaissait se serait recroquevillé, aurait fui son regard et aurait laissé transparaître la foultitude de sentiments qui le traversait, mais celui qui lui faisait face resta presque imperturbable. Hotch fronça les sourcils et sentit, sur sa droite, le regard de Rossi peser lourdement sur lui.
Certes, Spencer ne pouvait pas être leur tueur puisque Garcia leur avait certifié qu'il avait plusieurs alibis en béton pour les différents meurtres, mais tout semblait indiquer qu'il était impliqué dans cette sordide affaire… Et cette réaction anormale de sa part tendait également à le prouver.
D'une voix neutre et tranquille, même si Hotch crut sentir une tension sous-jacente dans ses propos, Spencer répondit :
-Rien n'excuse ceci, effectivement… Et vous avez peut-être raison. En tout cas, cela expliquerait pourquoi Curl protège un assassin : peut-être qu'il trouve que les actes qu'il commet sont justifiés…A nouveau, je pense qu'il faudrait s'intéresser d'un peu plus près au préfet.
Aaron observa le jeune homme détourner la tête, comme si de rien n'était, puis reprendre :
-Peut-être que je devrais rester ici pour l'interroger tout seul. Je pense qu'il serait beaucoup plus coopératif avec moi. Nous nous connaissons depuis longtemps : il serait certainement plus à l'aise et me parlerait plus facilement…
Avant qu'Hotch n'ait pu réagir, Rossi secoua vivement la tête et répondit :
-Non. Ce n'est pas une bonne idée de le brusquer tout de suite. Il faut lui laisser un peu de temps avant de revenir à la charge. Nous avons semé le doute, il nous suffit désormais d'attendre les fruits…
Hotch vit le corps de Spencer se crisper violemment et ses mâchoires se contracter.
-D'accord, d'accord. Et qu'allons-nous faire, alors ?
Aaron lança un bref regard à Rossi qui semblait penser exactement comme lui. Ce dernier répondit au jeune homme avant qu'il ne puisse intercepter ce bref accord tacite :
-On rentre et on fait le point des informations que nous avons obtenues. Nous demanderons à Garcia de se pencher sur le cas du préfet et nous irons interroger quelques anciens professeurs.
Spencer opina lentement du chef, sans dire un mot, pensif. Hotch observa un instant son expression et vit une profonde douleur déformer ses traits réguliers. Un horrible pincement lui coupa le souffle et il détourna les yeux. Il avait l'impression d'assister à un combat perdu d'avance, à la préparation d'une mise à mort… Et la victime se trouvait en face de lui. Il savait qu'une fois rentrés, Rossi et lui demanderaient à Reid de rendre sa plaque et son arme et qu'ils le conduiraient en salle d'interrogatoire… Et ce, même s'ils venaient de promettre à Spencer qu'ils n'arriveraient pas à cette extrémité.
Ils allaient à jamais le blesser.
Sans dire un mot, en restant calme pour ne pas alerter le jeune homme si fragile, il ouvrit la portière côté conducteur et s'installa au volant du SUV. Il ajusta le rétroviseur et jeta un coup d'œil à son agent qui venait de s'asseoir à l'arrière avec cette même expression figée de souffrance.
Il n'arrivait pas à comprendre… A rassembler les pièces du puzzle. Spencer semblait être fortement marqué par ces évènements et protégeait un tueur envers et contre tout. Pourquoi ? Par pitié, compassion ? Ou alors fallait-il également fouiller dans la vie du jeune homme pour trouver la clé de cette affaire ?
Qu'avait donc enduré Reid pour en arriver là, pour être méconnaissable, si torturé ? Combien de temps tiendrait-il encore avant d'exploser ? Avait-il déjà explosé ?
Etait-il vraiment impossible qu'il soit leur tueur ?
Cette dernière question le fit frémir. Cherchant sur le visage de Reid la moindre trace de culpabilité, il se surprit à prier intérieurement pour que tout ceci ne soit qu'un abominable cauchemar. Il souhaitait plus que tout se réveiller de cet abominable rêve, retrouver son équipe en parfait état, être loin de tous ces corps et - pourquoi pas ? - être auprès de son fils.
Il ne voulait pas affronter les conséquences et la vérité qui s'imposaient sourdement à sa conscience. Il fixa encore un instant le visage pâle de Reid, ses traits délicats et les profondes cernes qui soulignaient ses yeux sombres et agités.
Reid n'était plus un enfant. Reid était leur nouveau suspect. Reid était peut-être un tueur.
Il capta un instant le regard du jeune homme et détourna aussitôt les yeux pour démarrer. Avant de l'arrêter pour de bon afin de l'interroger, avant de commettre l'irréparable, il devait parler aux autres de ses doutes… Si Rossi le rejoignait visiblement dans son raisonnement, il n'était pas sûr que les autres soient capables d'envisager que leur ami soit le complice de leur tueur, voire – même si lui-même excluait toujours cette possibilité – leur tueur.
S'il se trompait, Spencer ne lui pardonnerait jamais.
Il conduisit le plus normalement possible, malgré la tension pesante qui régnait dans l'habitacle. Du coin de l'œil, il voyait le jeune homme s'agiter sur son siège, changer d'expression, se tortiller, regarder par la fenêtre, se tordre les mains…Peut-être sentait-il inconsciemment ce qui allait se produire une fois qu'ils seraient au poste, ou alors, peut-être craignait-il autre chose…
Mais quoi ?
Les doigts d'Hotch pianotèrent sur le volant, pendant qu'il réfléchissait à toute allure à la question… Mais il manquait d'éléments et d'objectivité pour comprendre le comportement du jeune homme. Perturbé, il continua à rouler à vive allure et aperçut bientôt le panneau indiquant la ville de Richmond.
Quels étaient les liens qui unissaient le préfet et Spencer ? Lorsque Curl avait vu Reid, il avait semblé éprouver de la peur… Une peur dont son agent s'était nourri pour asseoir une sorte de supériorité et de maîtrise de lui-même. Jamais il n'avait vu le jeune homme aussi sûr de lui.
Il tenta d'attacher ensemble tous ces éléments sans y parvenir. Il soupira imperceptiblement et essaya en vain de se concentrer sur la route pour se calmer…
Roger avait apparemment eu raison depuis le début… Ses accusations n'étaient pas dénuées de sens.
Hotch soupira une nouvelle fois, lassé, et lança encore un regard à Reid qui, désormais prostré, fixait un point invisible par la fenêtre, concentré à l'extrême. A ce moment précis, Aaron aurait tout donné pour pouvoir entrer dans son esprit et y lire ses pensées, afin de démêler cette pelote de fils inextricables qui gisait devant ses yeux. Il observa avec intensité le jeune agent, sans arriver à percer cette impassible expression qu'il affichait. Détournant les yeux pour regarder la route, il eut l'étrange impression que son agent n'était plus avec eux et ce, depuis un moment déjà. Frissonnant une nouvelle fois à cette pensée, il continua à rouler, sans dire un mot, crispé.
Les bâtiments de la police se profilèrent dans son champ de vision et il décéléra aussitôt, avant de tourner et d'entrer dans la petite cour réservée aux véhicules des forces de l'ordre. Il remarqua que Morgan et Prentiss étaient déjà de retour.
Il prit une longue inspiration, arrêta le moteur et sortit du SUV. Rossi fit de même, la mine sombre, et Spencer, sans se douter qu'il respirait à ce moment précis ses dernières bouffées d'air frais avant plusieurs heures si pas plus, les suivit et rentra dans les locaux en même temps qu'eux.
Hotch remarqua aussitôt Emily et Derek en pleine discussion avec JJ et quelques policiers, et se tourna vivement vers le jeune homme, en se maîtrisant pour ne rien laisser paraître, pour ne pas lui laisser sentir ses propres soupçons :
-Reid, va dans le bureau prévenir Garcia et lui demander de faire des recherches sur Curl. Dave, viens avec moi : on va annoncer aux autres ce que nous avons trouvé.
Spencer posa son regard troublé et légèrement angoissé sur lui, mais finit par acquiescer en silence. Aaron se demanda un instant s'il avait compris ce qui était sur le point de se passer. Sans broncher, le jeune homme tourna les talons et s'avança jusqu'à la pièce qui leur était réservée.
Etrangement, Hotch sentit son cœur cogner plus fort dans sa poitrine, comme si une part de lui-même souhaitait l'avertir qu'une chose terrible allait arriver. Il resta cependant immobile et refusa de suivre cet instinct primaire qui lui intimait d'arrêter Reid immédiatement.
Lui et ses collègues devaient d'abord se concerter.
D'un pas résolu, il s'avança vers les autres agents et sentit la main rassurante de Rossi se poser sur son épaule. JJ, Morgan et Prentiss levèrent aussitôt les yeux vers lui et se turent. Les quelques policiers qui revenaient comme ces derniers de la maison d'Harper Hillman, s'en allèrent aussitôt, après avoir salué les agents d'un bref signe de tête. La mine d'Hotch ne laissait rien présumer de bon. Une fois seul avec ses collègues, il s'exprima d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée :
-Suite à notre entretien avec le préfet, je pense qu'il est nécessaire d'interroger Reid. Je suis persuadé qu'il nous cache quelque chose d'important.
Il vit Morgan se raidir et bander tous ses muscles, comme s'il était sur le point de charger :
-On ne peut pas faire ça ! C'est… Reid ! Il n'a rien fait de mal, j'en suis persuadé ! Pourquoi vous acharnez-vous tous sur lui ?
Aaron lança un regard attristé à son agent qui réagissait plus vraisemblablement avec le cœur qu'avec la raison. Rossi prit aussitôt la parole :
-Je sais que c'est difficile… J'ai moi-même beaucoup de mal à croire que Reid soit mêlé à toute cette affaire mais son comportement indique clairement qu'il protège le tueur.
L'agent de liaison secoua la tête et sourit avec difficulté, affichant ainsi une grimace douloureuse :
-Protéger un tueur ? Spencer ? Non… C'est impossible… Il ne sait même pas mentir correctement lorsqu'il fait quelque chose de travers. Comment pourrait-il travailler ici, parmi des profileurs tout en cachant sa propre implication dans une série de meurtres ? C'est totalement absurde…
Emily se mordit la lèvre et regarda ses collègues avec une certaine honte, avant de répondre d'une voix hésitante :
-Reid a beaucoup changé. Si à nos yeux, il reste toujours le bébé que tout le monde veut protéger, il est désormais un adulte…et est capable de commettre de bonnes comme de mauvaises actions. Regardons les faits… Il nous a envoyés sur la piste d'Harper Hillman, nous a baladés sur son cas… Et finalement, nous sommes tombés sur une nouvelle victime et non sur notre tueur. De plus, il se comporte étrangement et a disparu le soir du dernier meurtre… Si nous n'étions pas ses amis, ses collègues, si nous ne le connaissions pas, que dirions-nous de ce jeune homme perturbé qui a eu une enfance difficile et qui a été en contact avec les victimes de notre unsub ?
Après avoir avalé sa salive avec difficulté, la mine sombre, Hotch répondit d'une voix sourde et étranglée :
-Qu'il est le suspect idéal.
Morgan émit un grondement sourd et secoua la tête :
-Mais le fait est que nous CONNAISSONS Reid et que nous savons pertinemment qu'il est physiquement incapable de commettre ce genre de choses… Qui plus est, il n'a pas l'âme d'un tueur et il a plusieurs alibis.
Rossi acquiesça pensivement et leva les mains pour apaiser Derek :
-Bien sûr, il s'agissait d'une simple hypothèse : puisque certains éléments infirment cette thèse et que d'autres l'appuient, nous ne pouvons pas être sûrs de nous. Personnellement, je ne pense pas qu'il ait tué toutes ces personnes, mais il est indéniable qu'il connaît le tueur… C'est pourquoi, il est nécessaire de l'interroger.
Morgan afficha une mine dégoûtée et recula de quelques pas :
-Vous êtes devenus totalement fous. Vous avez trop écouté ce connard de Roger…
Les larmes aux yeux, JJ prit une seconde fois la parole :
-Et s'il n'a vraiment rien fait ? Vous imaginez ce que…comment… il va le prendre ? Mon Dieu… Comment en sommes-nous arrivés à le suspecter ?
Prentiss, parfaitement maîtresse de ses émotions, prit le bras de JJ pour la réconforter et répondit d'une voix douce :
-Quoiqu'il arrive, Reid reste notre ami et collègue : nous sommes en mesure de le comprendre… Nous devons chercher ce qui l'a poussé à agir de la sorte pour l'aider à…
Derek émit un sifflement rageur et la coupa brusquement :
-Comment pouvez-vous clamer que Reid est un criminel ? Et… où est-il, d'ailleurs ? Pourquoi faites-vous cela dans son dos ? Il a le droit de savoir que vous le prenez presque pour un tueur en série !
Hotch, immobile, lança un regard glacial à Morgan.
-Morgan, calme-toi. Je l'ai envoyé dans notre local afin qu'il demande à Garcia d'effectuer des recherches sur le préfet qui est notre second suspect. Il en sait tout autant que Reid et semblait assez intimidé par notre présence… Enfin, par la présence de Reid qui…
Derek ne le laissa pas finir et contourna vivement le petit groupe, avant de se diriger d'un pas vif vers la pièce qui leur était réservée en criant de rage :
-Et pourquoi on ne l'interroge pas, lui, à la place de Reid… ?
Sous le regard ébahi des officiers de police, témoins de la scène, Hotch tourna les talons et le suivit pour l'empêcher d'atteindre la porte. Morgan bien plus rapide que lui, s'empara de la poignée et ouvrit brusquement la porte… Les deux hommes s'arrêtèrent brusquement sur le pas de celle-ci, les yeux écarquillés, dans un silence inquiet et lourd de sens.
La pièce était vide…
Une fenêtre grand-ouverte laissait entrer un vent frais et iodé. Quelques rayons de soleil ricochaient sur un petit objet doré, gisant sur le large bureau.
L'insigne de Spencer.
Il n'avait plus beaucoup de temps.
Paniqués, ses yeux parcouraient fébrilement la pièce. S'il s'enfuyait maintenant, ses collègues le prendraient aussitôt en chasse et sauraient assez rapidement où le trouver. Mais s'il restait et appelait gentiment Garcia, la vérité allait éclater au grand jour, comme une bombe… Qui plus est, s'il patientait encore, Curl risquait de s'envoler pour une destination paradisiaque et d'être ainsi à l'abri de sa vengeance.
Il ne pouvait plus attendre.
Un frisson nerveux et douloureux le secoua lorsqu'il se remémora le regard sombre d'Hotch le scruter, dans la voiture. Non, il n'avait plus beaucoup de temps… Son image d'agent parfait, gentil et inoffensif s'effritait de minute en minute et allait très bientôt voler en éclats.
S'enfuir.
Les images du viol, du préfet et du regard déçu de sa mère brouillèrent un instant sa vue et lui scièrent les jambes. Il tomba au sol en gémissant, plié en deux par la douleur. Le seul remède à ce mal grandissant était de faire couler le sang et d'en finir…
Se lever, partir, tuer.
Ses lèvres se mirent à trembler légèrement tandis que ses jambes obéissaient à cet instinct, à cette soif de vengeance, de sang. Il se releva doucement, puis, d'un pas encore hésitant, s'approcha de la table, passa une main fébrile dans ses cheveux et émit une petite plainte déchirante.
Se détacher d'eux. Se détacher de tout. Accomplir sa mission.
Ses doigts parcoururent fiévreusement son torse et descendirent jusqu'à sa ceinture, avant de s'emparer de la petite plaque dorée qu'il arborait autrefois avec fierté.
Mais aujourd'hui, plus rien n'avait d'importance… Il n'était plus un agent du FBI.
Il n'était même plus Spencer Reid.
Il arracha d'un geste sec son insigne et la posa sur le bureau couvert de dossiers… Le visage d'Alexa Lisben tourné vers lui attira son attention… Sa victime le fixait de l'au-delà à travers de lugubres photos. Il observa un instant ses traits parfaits, son visage livide et le sang qui couvrait son corps, puis se ressaisit et se dirigea aussitôt vers l'unique fenêtre de la pièce. Il l'ouvrit en silence et se hissa doucement. Un horrible mal de tête lui brûlait le crâne et les rétines et son ventre semblait s'être transformé en un énorme nœud, mais il ne pouvait pas lutter contre son désir de tuer.
En tremblant, il s'assit sur le bord de la fenêtre, regarda un instant le sol, un bon mètre en dessous de lui puis se laissa lourdement tomber à terre. Ses genoux heurtèrent violemment l'allée, mais il sentit à peine la douleur, tellement tous ses sens étaient tournés vers sa future victime, vers le plaisir et la sérénité qu'elle allait lui procurer.
Sonné par cette petite, chute, il se redressa difficilement et épousseta rapidement ses vêtements couverts de gravier et de sable. Il sentit soudainement sa respiration devenir erratique et son cœur s'emballer : l'adrénaline montait.
Il était en cavale.
Malgré sa vue brouillée par la douleur, avant même d'avoir pu réfléchir, il se mit à courir dehors, à toute allure. Sans hésiter, il contourna le bâtiment en priant pour ne pas être vu de l'intérieur par les flics ou ses collègues et s'élança vers un SUV.
D'un geste maladroit, il tenta de prendre le trousseau de clés qui se trouvait dans sa poche, mais le lâcha aussitôt. Il s'écrasa dans la poussière dans un petit bruit métallique qui fit frémir le jeune homme. Spencer se pencha vivement pour le ramasser et déverrouilla les portières. Il entendit soudainement une voix l'interpeller quelques mètres derrière lui :
-Un problème, monsieur ?
Il se raidit aussitôt, posa la main sur son arme et se tourna lentement vers un flic à l'air jovial.
-Vous n'avez pas l'air très doué avec ces clés… Vous êtes du FBI ?
Sa paume collée à son arme devint moite. Tirer sur cet idiot ne ferait qu'alerter ses collègues, alors qu'il devait partir discrètement, sans se faire remarquer. Avec un sourire forcé, le corps tendu à l'extrême, Reid finit donc par acquiescer et tenta de se débarrasser de cet imprudent qui jouait avec ses nerfs :
-Je suis maladroit. Oui… Et je suis pressé.
Le policier opina, tout en lui souriant franchement :
-Ah, okay… Juste une question : c'est pas trop difficile de travailler pour le FBI ? J'veux dire vous voyez un tas trucs horribles, non ?
Spencer lança un regard anxieux à l'énorme bâtiment qui faisait dos à cet idiot patenté, craignant que son brusque départ ait déjà été remarqué par les autres : plus il restait ici, plus ses chances de parvenir jusqu'à Curl étaient minces. Sa main se resserra autour de la crosse de son revolver, instinctivement.
-Non. On s'habitue. On y prend goût, même. Au revoir.
Il ouvrit la portière côté conducteur et s'installa au volant, devant l'air étonné du flic qui resta figé au milieu de la cour, sans comprendre qu'il ne devait son salut qu'à peu de choses. Reid démarra alors brusquement et quitta l'enceinte du poste de police de Richmond avec la ferme intention de ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit.
Tout en conduisant, il arracha le GPS et l'émetteur attachés au tableau de bord qui auraient pu permettre à Garcia de suivre sa trace. Il baissa ensuite la vitre et balança sans hésiter son portable sur la route.
Il était désormais intraçable.
Une goutte de sueur perla sur son front et ses dents se serrèrent violement, tandis qu'il dépassait à toute allure des dizaines d'automobilistes afin de quitter cette ville et de rejoindre sa victime.
Il se doutait que le préfet ne se trouvait plus à l'université et savait pertinemment qu'il n'était pas non plus retourné auprès de sa charmante épouse et de leurs trois enfants.
Non.
Pour l'avoir suivi plusieurs fois lors de précédentes « excursions » dans les alentours, il savait où se rendrait cette enflure pour plier bagages…
Ses mains posées sur le volant se mirent à trembler de peur, d'excitation et de froid.
Glacé jusqu'au plus profond de lui-même, il dépassa le panneau qui lui annonçait qu'il quittait la ville de Richmond, sans jeter le moindre coup d'œil derrière lui…
Il savait qu'il ne reviendrait pas.
A suivre…
N'hésitez pas à me laisser votre avis, vos impressions... ! :)