Soif de Vengeance
Chapitre 4
Un implacable frisson de dégoût parcourait ses membres tendus à l'extrême. Un homme, nu, couvert de sang, brisé dont s'élevait une odeur âcre et doucereuse gémissait à ses pieds. Doucement, le canon se baissa et il contempla en silence le visage tourmenté et violacé de sa victime.
Cet homme était souillé, comme lui autrefois. Un sentiment fugace de victoire s'imprima en lui et le fit trembler un peu plus d'excitation. Il se sentait étourdi, bien… incroyablement puissant. Il préférait ne pas trop réfléchir à ces sensations, conscient de la déviance dont elles étaient les fruits. Il le laissa encore quelques minutes réaliser – en même temps que lui - son triomphe.
Sa respiration rauque retrouva peu à peu un rythme normal et il s'adressa enfin au tas de chair chevrotant.
-C'était bon ?... Ca doit avoir le même goût que tes filets de mensonges et de moqueries… Une odeur de fiel… Un goût acide et dégoûtant…
Il pencha vivement sa tête, comme s'il se réveillait au son de ses propres pensées.
-Tu as beaucoup menti, calomnié… En fait, tu as la bouche très sale…
Il s'accroupit à côté de l'homme qu'il haïssait plus que tout et releva son visage pour apercevoir sa peur, sa douleur et ses larmes.
-Tu te souviens de ce que ta mère disait à propos des menteurs… ?
Avant même que les lèvres frémissantes ne s'ouvrent, Spencer répondit à sa question sur un ton égal, laissant glisser le canon froid de son arme sur la joue couverte de sueur glacée de son jouet.
-On leur lave la bouche…
Il vit les pupilles de Rudy se rétracter violemment de terreur. Il ne put réprimer un sourire cruel tandis que l'homme en face de lui gémissait et bafouillait des mots trop emmêlés pour être compris.
-Shht… Promis, je n'utiliserai pas de savon… Mais je vais employer l'eau que tu mérites.
Sa propre phrase résonna douloureusement dans ses oreilles. Des images furtives emplirent son crâne. Les toilettes. Le WC. Le savon… La noyade. Les cris. Les moqueries. Sa main se referma brutalement sur son arme et il gémit, accablé par la colère et la soudaine honte.
Il se recula vivement, mortifié par le réalisme de ce songe éveillé et se frotta énergiquement les tempes en geignant sous les yeux effrayés de Rudy.
Il renifla plusieurs fois, frappé de plein fouet par ces réminiscences trop douloureuses pour lui. Les humiliations. Le goût de l'urine et du sang. La souffrance. Mille visages et un unique regard. Sa mère était morte en sachant que tout ça n'avait jamais été vengé. Il poussa un lugubre cri aigu et se laissa tomber au sol. Le bruit de son propre corps s'écrasant sur la moquette le fit brusquement revenir à la réalité.
Sa peau était moite, ses articulations douloureuses et trop raides. Il haletait, au sol, lacéré par la folie, cette rupture chaotique entre le bon Spencer et cet être, ce passager noir, qui habitait sa conscience depuis le jour où il avait vu le jour. Comme sa mère, il l'avait longtemps combattu. Aurait-il pu le battre ? L'empêcher de prendre possession de lui ? Sans doute… Mais il n'y avait plus personne pour lui imposer des limites. Et cet étranger pourtant si familier s'était engouffré dans sa peine, après avoir gonflé sa haine durant des années.
Il fut pris d'un spasme affreux et resta un instant pétrifié, essayant d'enfermer au plus loin cet amas confus d'images et de sensations.
Il se releva ensuite lentement, trop calme après cette tempête, et observa froidement l'homme à terre.
-Rampe jusqu'à la salle de bain.
L'homme au sol, inerte et terrifié, se mit doucement en mouvement. Spencer sentit un plaisir sans nom exploser dans sa tête, masquant ses souvenirs désagréables, lorsque Rudy s'exécuta, à quatre pattes devant lui.
N'y avait-il que ça pour tout oublier ?
Impuissant et glacé, il avait assisté à cet étalage de démence. Tout son corps tremblait, chaque bouffée d'air – extrêmement douloureuse -, était incertaine, vacillante, erratique, déréglée par la peur d'être la dernière.
Spencer était devenu complètement taré. Comme sa mère. C'était d'ailleurs sans doute génétique. A cause de cet argument de poids, il obéit, résigné et craintif, à l'ordre qui avait fusé froidement. Il gémit légèrement en dérouillant ce corps transpercé d'épingles et se mit en mouvement. Il avait trop honte pour lever les yeux vers le visage satisfait et déformé de son bourreau. Il n'avait très certainement jamais eu aussi mal de toute sa vie… Mais il se doutait qu'il allait vivre bien pire. Il avala difficilement sa salive en se rappelant de ce jour maudit où il avait failli noyer Spencer dans les toilettes de l'école.
Allait-il lui-même mourir la tête dans les chiottes ? Spencer ne lui avait-il pas dit auparavant qu'il ne lui ferait pas de mal ? Qu'il le ferait lui-même, tout seul ?
Comme il regrettait aujourd'hui sa barbarie…
Il arriva enfin, comme un automate vacillant, dans la salle de bain au carrelage immaculé. Richement sertie d'une robinetterie en argent, elle avait toujours été l'un de ses endroits préférés de l'appartement. Aujourd'hui, elle semblait funestement glaciale. Il frissonna en entendant la porte se fermer derrière lui. Il se retourna un peu et observa son bourreau dont les pupilles étaient dilatées comme des soucoupes. Il respirait fort et trop vite.
Rudy gémit de honte et de terreur et se recroquevilla sur lui-même, tiraillant sa peau percée. Le sol blanc était désormais coloré de poisseuses volutes écarlates.
Il ferma les yeux : il était en plein cauchemar.
Il réprima un sanglot étranglé. Il avait encore envie de vomir. Le goût qu'il avait en bouche était innommable et sa terreur n'apaisait pas ses nausées. Il était sur le point de craquer lorsque que la voix fragile de Spencer s'éleva.
-C'est quoi, ça ?
La question le fit sursauter, rompant ses nerfs aux sutures désormais bien fragiles : il se mit à pleurer. Pourtant la question était anodine. En fait, il s'était attendu à un arrêt de mort, à quelque chose de bien pire. La simple question et le ton doux qui l'avait posée, l'avaient heurté trop violemment. Une condamnation aurait eu moins d'effet que cette phrase hors-sujet, bien trop réaliste et bénigne. Il tenta de se concentrer quelques secondes sur l'objet que son tortionnaire désignait.
-C'est… une boîte… à outils… Ouvriers… doivent… changer robinets… demain…
Spencer se déplaça agilement vers l'évier.
-Pourquoi ?
Rudy, larmoyant, se trémoussa légèrement sur place, secoué de terribles frissons d'anxiété et de nervosité.
-Je… les veux… en or…
Le regard de Spencer se fit plus dur, ses yeux n'étaient plus que deux minuscules fentes. Ils irradiaient une colère sourde et mal contenue. Cependant il resta devant l'évier, devant le miroir, sans bouger, attendant que l'orage passe. Rudy glapit un peu, serrant plus fort ses genoux contre sa poitrine ensanglantée, redoutant une explosion de rage. Enfin, le jeune homme se retourna à nouveau vers lui, calmé, et se baissa vers la boîte à outil. Il en retira un tournevis et une dizaine de vis.
Chaque geste, chirurgical, précis, funeste était adressé à sa victime qui ne ratait rien de ce spectacle angoissant. Spencer choisissait avec un plaisir à peine dissimulé ses instruments de torture sous le regard impuissant de sa victime. Rudy détourna les yeux, au bord de l'évanouissement. Il avait envie d'hurler, même si personne ne l'entendrait. Il avait envie de prier, même s'il ne croyait pas en Dieu. Il avait envie que tout se finisse rapidement… mais il ne voulait pas mourir.
Un petit bruit sec et métallique résonna dans la salle de bain. La boîte à outils était fermée, scellée comme le sort de sa victime. Il posa délicatement les vis sur le sol incarnat et soupira un peu. Il ne fallait pas que sa colère déborde. Il devait impérativement le faire souffrir et non l'achever. Il ferma les yeux et frotta distraitement ses paupières closes : il avait très mal à la tête. Il releva enfin les yeux et embrassa la pièce d'un regard critique : richesse et vanité.
Reste calme.
Son regard s'arrêta alors sur le WC derrière Rudy. Une voix ironique éclata dans la pièce.
-Tiens… Il n'est ni en or, ni en argent. Pourtant, je suis sûr que tu considères mieux tes excréments que les gens qui t'entourent.
Il contempla la cuvette, tout en se déplacement lentement vers elle, cynique.
-C'est tout de même du marbre. J'aurais dû m'en douter.
Le jeune homme porta son attention sur l'homme au sol qui l'implorait du regard. Il se délectait de sa terreur et de ses silencieuses supplications.
-Et ça ne change rien au fait que je veux que tu t'y « laves » la bouche.
L'homme gémit un peu. Il était écœurant et écœuré.
-Tu mettras ta tête dans l'eau. Tu t'y noieras, tu la boiras… Jusqu'à ce que je te tape sur l'épaule. Si tu relèves ta sale face de porc avant mon accord, je te forcerai à te punir.
Il vit la lèvre inférieure de Rudy se mettre à trembler sous la menace impartiale. Il s'abaissa, prit le tournevis et, fasciné par la terreur de son hôte, l'appuya sur cette dernière jusqu'à ce que le sang perle. Il voulait lui faire comprendre tout ce que cette punition pourrait contenir s'il n'obéissait pas. Le corps abîmé se mit alors à frémir. La respiration du jeune homme devint rauque et ses mains tremblèrent. Il lâcha soudainement la lèvre et recula vivement. Le souffle court. Il ressentait du plaisir. Trop.
-Mets ta tête dans l'eau.
L'homme au sol, les yeux embués de larmes, secoua un peu la tête.
-Pitié… Non… je… non…
Spencer serra les dents.
-Tu n'as pas le choix.
Il leva à nouveau le canon de son arme, visant la tête de Rudy. Ce dernier s'exécuta alors, secoué de sanglots irrépressibles. Il se tourna lentement vers la cuvette et enfonça sa tête dans l'eau claire du WC. Une agréable décharge électrique parcourut le corps de Spencer.
Il était ivre, grisé… et effrayé.
L'eau était froide, mordante. Rudy ferma les yeux et retint son souffle. Il tremblait de tout son corps. Il n'osait imaginer à quoi serviraient les vis posées sur le sol, s'il ne faisait pas ce qu'on lui demandait. Il tentait de faire abstraction de la situation dans laquelle il se trouvait. Tout cela semblait tellement grotesque, impossible.
Et très vite, l'oxygène commença à lui manquer. Il imagina Spencer au-dessus de lui, observant muettement son agonie. Il fut parcourut de spasmes, son cerveau voulait qu'il relève la tête et ses muscles se crispaient lui ordonnant de se redresser. Si ça se trouvait, Reid n'était même plus dans la pièce… souhaitant juste qu'il se noie tout seul. Mais il ne pouvait se résoudre à transgresser les directives du jeune homme.
Sa tête lui tournait horriblement et son corps entier se cambrait par soubresauts atroces. Il donna de légers coups de pieds dans l'air, avala goulument une gorgée d'eau et sentit ses poumons s'enflammer douloureusement. Les têtes d'épingles sur son torse frottait le bord de la cuvette et ajoutait une note rougeâtre et violente à cette noyade. Il cracha ses maigres réserves d'air dans l'eau avant de relever la tête dans un gémissement. De l'air ! Une main le poussa alors violemment en arrière et son crâne frappa dans un bruit sourd le sol. La douleur l'aveugla un instant et il entendit une personne rugir.
-Prends le tournevis et une vis.
Il tenta de se rouler sur le côté pour se relever un peu mais un pied s'abattit sur sa nuque et il tomba à plat ventre sur le sol froid. Il entendit vaguement quelqu'un pleurer et se rendit compte, à la douleur qui émanait de sa poitrine, que ces sanglots venaient de son propre corps. Il recouvra assez la vue pour prendre le tournevis et une vis, comme un automate. Il leva un peu les yeux, aveuglé par la luminosité de la pièce. Sa tête lui tournait encore et il se vomit dessus.
-Je veux que tu poses la vis sur ta jambe droite et que tu l'enfonces dans ta jambe à l'aide du tournevis.
Un goût de bile et une odeur âcre s'élevait de son torse sale et meurtri. Il ne comprenait pas les paroles du jeune homme. Il ne pouvait pas les comprendre.
-Tu veux crever tout de suite, peut-être ?
Il regarda Spencer qui le menaçait avec ce lugubre canon qui semblait être un tunnel menant droit en Enfer.
-Pi… pi…tié…
Un déclic se fit entendre. Le cran de sécurité avait été enlevé. Rudy se mit à hurler de douleur et peur, ne pouvant plus contenir ce que ses nerfs rompus lui ordonnaient de faire.
-Désolé !... Spencer… PITIE ! Tu n'es pas comme moi !... Ne m'oblige pas à… PITIE ! J'ai compris… J'ai compris tout le mal… que je t'ai fait… Pitié…
Il n'y eu aucun écho de la part de son bourreau. Celui-ci se contenta juste de lui indiquer d'un ton atrocement neutre :
-Le tournevis est à ta droite.
Rudy se mit à sangloter plus fort encore. C'était lui-même qui avait enseigné ce manque de pitié à Reid.
Il n'était en fait que le reflet de ses abominations.
Et elles allaient finir par le tuer.
A suivre…