Soif de Vengeance
Chapitre 2
Ses yeux écarquillés se plissèrent un instant. Les tremblements qui agitaient ses membres trahissaient ce que sa voix dissimulait avec aisance.
-Tu veux plus d'argent ? J'en ai beaucoup, tu sais… Combien ?
Une vague de dégoût remonta dans la gorge de Spencer. Ce type voulait encore l'acheter. Pensait-il réellement qu'il pouvait tout avoir avec son fric ? Pendant qu'il tentait de contenir la rage qui raidissait dangereusement son doigt sur la gâchette, il vit sa proie se diriger d'un pas assuré jusqu'à une petite commode en chêne massif.
-Ne bouge pas.
L'ordre avait fusé, métallique, implacable.
-Reviens où je te fais un troisième œil.
Il ne savait d'où il puisait cette assurance si peu commune… Peut-être des rêves sanglants et meurtriers qui hantaient ses nuits…Et qui gonflaient son torse d'une haine immense et brûlante.
-M… mais… Spencer, ne fais pas l'idiot…
Le jeune homme au visage pâle serra violemment les dents.
-Ne prononce plus mon prénom. Déshabille-toi.
Rudy se figea, sans comprendre.
-Pardon ?
Le bras rigide, l'arme toujours flanquée dans sa main moite d'excitation, il reprit ce ton autoritaire, submergé par le plaisir qui déferlait dans son corps tandis que ses paroles tendues, sortaient de sa bouche amère. Il articula chaque syllabe pour mieux savourer le goût de la victoire. La sienne.
-Dés-ha-bille-toi.
Rudy, les yeux fixés sur l'arme, finit par sortir de sa torpeur et s'exécuta lentement.
-Tu… tu n'es pas obligé… de faire ça… J'ai de l'argent…
L'assurance que perdait la victime faisait croître l'audace de Spencer. Il fondit sur sa proie et plaqua le canon froid sur la tempe de Rudy, sentant un profond picotement dans le creux de ses reins.
-Je ne veux plus t'entendre parler de fric, compris ?
Il ne s'était jamais senti aussi bien qu'à cet instant, en voyant son compagnon soumis, fragile qui exécutait ses ordres sans broncher, tressaillant de peur.
L'homme qu'il détestait plus que tout était à sa merci.
Il caressa doucement la joue de Rudy, le laissant enlever son pantalon, ses godasses de riche, sa Rolex en or et ses fringues de luxe... Un coup. Et son crâne exploserait en mille morceaux. Sa cervelle, sa médiocre intelligence et ses rêves s'étaleraient sur son somptueux tapis, sur son fric souillé et dégueulasse. Une pression. Et tout serait fini.
Il le sentait trembler contre l'arme. Spencer, lui, vacillait d'une excitation qu'il tentait de réprimer. Mais il ne pouvait se mentir : il adorait ça.
Rudy se retrouva vite en caleçon. Un coup d'œil lui permit à Spencer de distinguer qu'il s'agissait d'une marque…
-Enlève aussi. Tu avais été plus prompt à le faire le soir où tu m'as violé.
Il bouillonnait, étouffé par la rancœur et par un plaisir abject qui effrayait sa conscience repoussée sans vergogne par la rage. L'homme qui lui faisait face éclata en sanglots.
-Oh… Je suis… je suis… désolé… Me fais pas de mal…
Spencer sourit un peu, méchamment et froidement. Méconnaissable.
-Je ne te ferai aucun mal. Tu le feras tout seul. Enlève.
Rudy obtempéra enfin et tenta de se soustraire au regard inquisiteur de Spencer.
-Tu te caches maintenant… ? Tu semblais si fier de l'exposer avant… Tu le dessinais partout, tu l'exhibais, l'affichais comme un trophée… et le fourrais partout.
Cette arme lui donnait le courage nécessaire pour afficher ce ton désinvolte, alors qu'à l'intérieur, les souvenirs faisaient rage, lui sciaient encore les membres et lui soutiraient des plaintes silencieusement douloureuses. Il lança un regard empli de souffrance à cet être assis à terre, à ses pieds.
-Tu ne réponds pas ? Je n'en vaux pas la peine, c'est ça ? Je suis pauvre, je suis trop intelligent, je ne ressemble à rien et personne ne me parle parce que je suis un raté… C'est ça ?
La douleur perçait ses paroles et fissurait dangereusement sa carapace. L'homme à terre, replié sur lui-même continua à pleurer.
-J… je… suis désolé… Pitié… Laisse-moi partir…
Spencer recula un peu, comme hypnotisé par ses souvenirs.
-Tu ne m'as jamais laissé partir…Tu m'as enfermé pour toujours, tu sais…
Il se pencha enfin vers un sac noir, qu'il avait dissimulé sous la table et en sortit deux boîtes.
-Je veux que tu ressentes ma douleur… Tu sais, j'étais sans défense, jeune… fragile.
Il lança un regard équivoque à l'être nu et recroquevillé qui le suppliait du regard.
-J'ai aussi demandé grâce… Hurlé pour qu'on m'aide, pour qu'on me considère enfin et pour qu'on me protège. Mais les regards me mordaient… de partout. Encore et encore… Plus chaque jour.
Il se releva et avança vers lui, le visage défiguré par une souffrance trop vive. Il lui lança les deux petites boîtes.
-Ouvre.
Rudy, en tremblant de tout son corps, obéit à l'ordre froid envoyé. Il tressaillit en voyant un tas d'épingles.
-Enfonce-les toi dans la peau, partout.
Devant l'air hébété de sa victime, il poursuivit.
-Je veux que tu ressentes chaque douleur, chaque émotion que tu m'as fait ressentir…Je veux que tu souffres comme j'ai souffert… que l'histoire se répète et que tu imprimes enfin dans ta cervelle de moineau que le fric ne soigne pas ce genre de maux. Jamais.
Rudy lui lança un regard implorant.
-J… Je ne peux pas…
Spencer eut un rire sans joie.
-Oh si, tu peux…
Il agita son arme sous le nez de sa victime.
-Fais-le, je te regarde. Imprime ma douleur sur ta peau.
Les scrupules ressentis s'étaient envolés. Une froideur effrayante s'était emparée de lui. Il se sentait terriblement puissant, cette arme en main... Rudy sanglotait comme un morveux, ne faisant qu'attiser le mépris de Spencer. Impatient, il posa à nouveau le canon sur la tête de l'homme à terre. Un tressaillement d'un côté. Un plaisir intense de l'autre.
Il n'avait jamais ressenti cela auparavant. C'était grisant.
La honte. Il était couvert de honte. Il sentit à nouveau le spectre de la mort percuter sa tempe. Le canon horrible dont le trou béant semblait être un puits sans fond qui menait à la fin, le fixait encore de sa pupille glacée. Il prit une épingle entre ses doigts manucurés mais tannés par des années de sports.
-On… On peut trouver un arrangement…Non ?...
Il ne pouvait pas imaginer les dégâts que feraient toutes ces aiguilles dans sa peau si tendre et bronzée. Il ne voulait pas garder d'affreuses cicatrices.
Le canon se pressa violemment contre son crâne et un cri apeuré s'enfuit de sa gorge serrée.
-Faut-il une réponse définitive ?...
L'homme au sol, les yeux hagards et emplis de peur, regarda fixement son reflet dans l'écran plasma brillant qui lui faisait face, tremblant, s'attendant à recevoir une balle en pleine tête… Dans ce joli minois dont il prenait tellement soin.
Sa voix atrocement déformée par la terreur jaillit bizarrement de sa bouche.
-Je… Non… Je vais… le faire…
Ses doigts épais qui serraient nerveusement le petit bout de métal – ridiculement petit, d'ailleurs, se répétait-il, comme une incantation courageuse et inutile -, se posèrent sur son avant-bras et appuyèrent l'insignifiante pointe contre sa chair frémissante. Il gémit un peu sous l'œil exaspéré de Spencer, en voyant une goutte écarlate rouler sur sa peau.
-Fais-le plus vite. Tu sais, c'est le premier regard qui fait le plus mal… La première horreur surgie de nulle part, celle qui déchire en premier le confort et les espérances, est la plus terrible… Les autres, on s'y habitue… Même si ça fait encore mal.
Pendant qu'il parlait, il ramassait les épingles les passaient à sa victime qui, obéissante, les prenait une à une et les enfonçait comme un automate défaillant dans sa chair. Il se mordait la lèvre à sang pour ne pas crier et tentait de ne pas introduire pleinement les aiguilles acérées. Il se doutait que Spencer était fou. Fou de colère, de rancœur ou de tristesse? Difficile à dire. Pourtant, n'avait-il pas acheté son silence ? N'avait-il pas payé sa dette pour ce qu'il avait fait ? Pourquoi l'argent ne lui suffisait-il pas ?
Il leva des yeux baignés de larmes vers un visage angélique, mais diaboliquement calme devant sa souffrance. Une colère sourde arrêta son geste, répétitif maintenant, laissant sa main en suspens au dessus de son bras gauche transformé en pelote d'épingles.
-Tu n'as… tu n'as pas le droit de me faire ça ! J'ai payé ! J'ai fait des erreurs, mais c'est du passé ! Et puis, si tu voulais tant que ça te venger, si tu avais tellement besoin de justice, tu n'avais pas à accepter mon argent !
Il avait repris son assurance et vit Spencer vaciller d'abord de surprise, puis de haine. Il planta à nouveau son arme sous son nez et prit lui-même les épingles, sans un mot, les enfonçant avec rage, une à une dans son torse. Il hurla de douleur : aucune délicatesse, pas de scrupules, aucune empathie. Juste de la haine. Rudy tenta de se dégager, mais l'arme sur son front le paralysait autant que la douleur le faisait tressauter. Il voyait les aiguilles percer brutalement sa peau, son sang perler et le visage déterminé et rageur de Spencer.
-TU NE COMPRENDS RIEN ! Un être humain ne s'achète pas ! Une vie brisée ne se reconstruit pas, jamais. Un corps souillé l'est encore plus par l'acception de la situation, par le fric ! LE TIEN ! Je n'ai pas accepté, pour moi, cet argent… C'était le seul moyen pour faire vivre ma mère. Maintenant, elle est morte, partie… Et le passé n'a plus de garde-boue. Je suis sale, éclaboussé, à moitié mort, sur un terrain de foot couvert d'immondices… Et rien ne peut me sortir de là… Tu dois comprendre. Et si tu ne coopères pas, je vais devoir tout faire moi-même. Je déteste ça.
L'assurance de Rudy s'était envolée sous la douleur infligée. Son corps était piqué de partout, sur les jambes, sur le torse, sur le ventre, sur les bras… Il hurla à nouveau et repoussa sans grande conviction les aiguilles qui cherchaient sa peau, de peur que l'index de Spencer se plie sur la gâchette et qu'un coup parte. Il n'arrivait pas à réfléchir mais voyait avec terreur que son assaillant n'était plus qu'un être dément et déchainé.
Brusquement, Spencer s'éloigna, le regardant de loin. D'un autre monde. A son visage troublé et sa respiration emballée, on pouvait voir dans ses yeux un combat intérieur faire rage. Il semblait avoir pris une décharge. Rudy, couché sur le dos sans même s'en être rendu compte, observa le visage tordu mais pourtant si fin de son agresseur. Il y lisait une peur indicible. Mais pas, comme lui, la peur de la douleur ou de la mort… Il s'agissait d'une terreur intérieure, profonde.
Il avait peur de lui-même.
Rudy tressaillit face à cet éclair de lucidité. Qui était donc ce monstre vengeur qui avait plongé cet être minable et faible dans cet univers torturé ? Il avala avec difficulté sa salive.
Et jusqu'où la vengeance et le plaisir de dominer mèneraient Spencer ?
Sa respiration s'était emballée. Son corps tout entier semblait incontrôlable. Il s'était pourtant promis de le laisser faire, de ne pas lui faire du mal… Mais, là, il venait de prendre plaisir à lui enfoncer des épingles avec rage dans la peau, transporté par une colère irrationnelle.
Il devait se calmer, faire taire ce plaisir qui le grisait. Il ne devait pas devenir comme Rudy. Pourtant, quand il vit ses yeux chassieux sur lui, une vague de rage le dévora à nouveau. Il avait l'air si méprisant, même au sol. Il fondit encore sur lui, le souffle court.
-A tous ces regards… Toutes ses morsures, tu venais toujours… Pour enfoncer le clou… Plus loin…
Il abattit sa semelle sur son torse enfonçant profondément les épingles, ne laissant plus apparaître que leurs têtes joyeusement multicolores qui tapissaient de boutons colorés le corps ensanglanté. Le cri que s'époumona de pousser Rudy ne fit qu'amplifier son besoin de pousser le vice. Il appuya sur son bras, son ventre ses jambes, pour le faire hurler, encore et encore… Bercé par le besoin jouissif de l'entendre brailler… Comme lui autrefois…
Il s'arrêta enfin et regarda sa proie qui se contorsionnait, nue, sur le tapis d'orient taché de sang. Comme au cinéma. Il se tourna en un éclair vers l'écran plasma et l'alluma, laissant sa victime retrouver un semblant de respiration. Il trouva rapidement et avec dégoût la chaîne préférée de son hôte.
Il laissa la télé sur un film dépravé et vicieux et alla droit à la chambre de Rudy, n'accordant aucun regard à ce type bizarrement vautré au sol. Si son profil était exact, il devrait trouver ce qu'il cherchait dans la chambre.
Rudy releva un peu la tête. Spencer était parti. Il lança un regard inquiet vers la télé. Un porno.
Il détacha les yeux de l'écran et brassa la pièce d'un coup d'œil circulaire. Personne. Et la porte était tellement proche ! Il se leva doucement et ne prit pas la peine de s'habiller. Il fallait fuir tant qu'une opportunité pareille se présentait, avant que Spencer ne revienne et ne le torture encore. En chancelant, il avança sur le tapis qu'il avait payé si cher et qui était taché de sang. Foutu.
Il se promettait intérieurement d'en racheter un autre avec les dommages et intérêts que ses avocats demanderaient à ce crétin de taré.
Le cœur battant mais le pas assuré, il fondit sur la porte et tourna la poignée qui ne céda pas. Il se souvint alors avec horreur que Spencer avait verrouillé la porte. Une bouffée d'angoisse le submergea et une main agile et fine le prit soudainement à la gorge. Un souffle bruyant parcourut sa nuque.
-On ne peut pas échapper au passé, Rudy.
Jamais.
A suivre...