Pour Shruikan
« Lune, ne me déçois pas comme Murtagh le fait si bien. Trouve-le et tue-le. »
Tels étaient les mots de Galbatorix. La jeune femme soupira. Sa jument baie avançait doucement de son pas souple et égal. La lune brillait haut dans le ciel mais comme chaque soir, elle n'entendait aucun bruit. Son esprit divagua entre diverses pensées, tandis que ses yeux verts balayaient le paysage sans vraiment le regarder.
Pourquoi le servait-elle, déjà ? Elle avait eu besoin de changer d'air. Les Vardens ne l'auraient jamais acceptée telle qu'elle était. Un monstre. Un monstre dont les animaux ne s'approchaient pas mais que les hommes ambitieux convoitaient volontiers. Galbatorix n'avait pas posé de questions lorsqu'elle s'était présentée à lui. Comme elle s'y attendait... D'abord de basses besognes et maintenant que son cher petit pantin revenait bredouille il l'envoyait elle.
La jolie rousse retint un grognement de rage. Elle remit de l'ordre dans ses pensées. De ce qu'elle savait, Eragon et Galbatorix n'avait en commun que ce stupide attribut humain : « dragonnier ». Ça ne voulait rien dire. Comment un dragonnier pourrait-il ignorer sa nature et surtout lui faire confiance ?
Lune se redressa, l’œil aux aguets. Sa monture était soudainement inquiète. Le sort qui la contrôlait aurait pourtant du la rendre insensible à toute perturbation. Posant sa main pâle sur l'encolure de la bête, elle augmenta la puissance du sort la contrôlant. Rapidement la jument se calma et reprit son pas tranquille. Au contraire de sa cavalière qui sentait son corps se tendre telle la corde d'un arc.
Belatona était sûrement tombée depuis quelques jours. Bientôt les Vardens marcheraient sur Dras-Leona puis iront défaire Galbatorix à Urû'baen. Du moins c'est ce qu'ils espéraient. Lune n'était pas certaine d'avoir choisi la bonne route. Tuer Eragon...c'était tuer les Vardens. Galbatorix méritait-il ce trône usurpé ? Est-ce que la mort de cet homme redonnerait à l'Alagesia un futur plus gai ? Bien sûr que non. La paix ne durait jamais. Lune savait parfaitement qu'il y aurait toujours un autre Galbatorix pour gâter cette « paix ». Peut-être mieux peut-être pire.
La jeune femme soupira de nouveau et passa par réflexe sa main sur son collier. Un vent glacé la fit frissonner. Elle resserra son manteau autour de ses épaules et pressa les flancs de sa monture. Elle devait arriver à Dras-Leona avant les Vardens.
***
« Tu as sentis ? »
« Oui, petit homme. Je n'aime pas ça. »
« Qu'est-ce que ça peut-être ? Galbatorix ne viendrait pas à Dras-Leona, et ça ne ressemble en rien à ce que peut dégager Murtagh. »
« J'ai peur que nous n'ayons à affronter un nouveau chien de Galbatorix. »
« Je le crains aussi, Saphira. »
Le jeune dragonnier chercha l'esprit d'Arya depuis le ciel. Lorsqu'il la trouva il lui fit part de son inquiétude. L'elfe resta silencieuse un instant puis lui conseilla de demander l'avis de Nasuada.
« Ne prenons pas de risques. Essaie d'en apprendre plus. Toute information supplémentaire nous permettra de sauver des vies. »
« Je vais tenter de survoler la cité. »
« Sois prudent surtout. »
Le dragonnier et sa fière dragonne montèrent plus haut dans le ciel assombris et filèrent droit sur la cité. Leur lien s'était renforcé après la bataille de Belatona et la peur d'avoir perdu Saphira avait rendu le jeune homme beaucoup plus responsable et prudent.Rapidement Dras-Leona fut en vue mais Eragon ne pouvait rien y sentir, pas une âme, comme si la cité avait été désertée de toute vie.
« Ça sent la magie d'ici, Eragon... »
« Tu crois qu'un mage seul aurait pu faire ça ? »
« Avec les cœurs des cœurs, j'ai bien peur que tout soit possible. »
« Ne t'en fais pas, nous sommes fort tant que nous sommes un. Tu te sens de t'approcher encore ? »
Pour toute réponse la dragonne accéléra. Quoique qu'ait pu leur envoyer Galbatorix en guise de comité d'accueil, le terrible duo était prêt et plus déterminé que jamais.
***
Lune arpentait impérialement le chemin de ronde. Elle les sentait venir maintenant. La barrière magique était en place, aucun soldat ne bougerait quand Eragon serait visible, il était à elle.
Alors qu'elle scrutait l'horizon, un groupe de soldat l'observait avec défiance et admiration. La rousse était loin d'être laide mais, mise à part son épée, rien ne laissait supposer sa condition de guerrière. A telle point que lorsqu'elle s'était présentée un peu plus tôt, son doux sourire et ses yeux mystérieux avaient doucement fait rire les hommes de Galbatorix... Jusqu'à ce que le capitaine de sa garde rapprochée, ayant spécialement fait le déplacement, ne vienne lui donner crédibilité.
Les soldats la regardaient encore. Elle s'en moquait. Elle savait à quoi elle ressemblait. Elle savait ce que les hommes pensaient d'elle. Comme elle les haïssait...tous. Oui, tous autant qu'ils étaient. Les hommes la dégouttaient. Leurs regards sur son corps, leurs envies, leurs pensées...
Ses pensées à elle divaguèrent et bientôt elle pensa à Shruikan. Étrangement penser au dragon « domestiqué » du tyran apaisait son esprit. Shruikan était si calme, si résigné, et pourtant si fier et débordant de puissance. Mais Galbatorix ne laissait personne approcher de trop son dragon, et ce n'était certainement pas une vulgaire métisse qui transgresserait ses règles.
Le capitaine la coupa dans ses pensées et se retrouva face aux émeraudes de la jeune femme dont la pupille s'était fendue, comme un œil de chat.
« Mademoiselle, vos quartiers sont prêts.
-Mes quartiers ? Mais je ne reste pas, répondit-elle étonnée.
-Je n'ai fait qu'exécuter les ordres du roi. Si vous vouliez bien me suivre.
Cela sonnait plus comme un ordre qu'autre chose. La rousse jeta un dernier regard à l'horizon, ses pupilles de nouveau circulaires, et suivit l'homme à contre-cœur jusqu'à « ses quartiers ». Ceux-ci avaient été installé au sein de la demeure du gouverneur de la ville. Spacieux et décorés avec goût, Lune ne put s'empêcher de penser qu'il y avait anguille sous roche. Galbatorix était loin d'être le type-même de l'homme galant, pourquoi faire preuve d'autant de prévenance à son égard ?
Tout en réfléchissant la rousse avait fait quelques pas dans la pièce agréablement chauffé, portant son regard un peu partout avec indolence. Lune ôta négligemment son manteau et défit prestement la boucle retenant son épée. Elle se posa au milieu de la pièce et plaça ses mains sur ses hanches, visiblement en pleine réflexion et dévoilée dans une féminité toute à son avantage.
Le capitaine mit à profit sa passivité et ce moment presque intime entre eux deux pour l'observer davantage. Elle portait élégamment des vêtements en peau la couvrant intégralement à partir du cou. L'épaisseur ne parvenait pas à camoufler sa silhouette d'une féminité exquise. Tandis que ses yeux savouraient les courbes fines de la guerrière le capitaine laissa son esprit imaginer la jeune femme dépouillée des couches épaisses la couvrant. Certain que ses pensées n'appartenaient qu'à lui il divagua d'avantage, allant imaginer les gémissements que pouvait pousser la guerrière une fois soumise à un homme, sa chevelure de feu étalée sur le blanc d'un oreiller, le rouge envahir ses joues d'une clarté trop calme, son corps s'arquer et se tendre sous lui.
Lune saisit toutes ces pensées infâmes à ses yeux. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres et elle tourna son regard ombrageux sur le capitaine soudainement interrompu dans ses fantasmes. Elle marcha jusqu'à lui, d'une démarche lente et langoureuse, passa ses bras autour de son cou et planta son regard d'émeraude dans les prunelles du pauvre soldat plus que surpris.
-Réchauffe-moi. »
Deux petits mots qui eurent tout de suite leur effet.
***
« Ça t'a plu ? demanda Alban.
Le silence fut sa seule réponse. Lune ne lui prêtait aucune attention. Elle regardait par la fenêtre, scrutant le ciel orageux.
Alban, capitaine de la garde rapprochée de Galbatorix, pensait déjà aux réactions de ses collègues lorsqu'il leur raconterait ce qu'il venait de se passer. En attendant, nu sous son drap, relevé sur les coudes, il observait d'un œil méticuleux sa fraîche conquête. Son être tout entier était à l'image de sa folle chevelure, embrasé.Il laissa ses yeux glisser le long de son dos aux muscles finement dessinés, à peine visibles, il s'attarda un moment sur ses fesses douces, rondes et fermes puis admira ses jambes superbement longues et fines. L'ensemble de sa silhouette était plutôt bien dessiné, une poitrine encore jeune mais prometteuse, un ventre et une taille sculptés par un entretien physique régulier. Un sourire en coin étira ses lèvres malgré lui en songeant à quelle sorte d'activité il pouvait s'agir.
Lune soupira en s'accoudant à la fenêtre embuée. Il était fatiguant.
-Tu vas attraper froid, fit-il remarqué en se rallongeant.
Lune gloussa et le regarda de ses yeux pétillant, amusée. Après un sourire à son partenaire de quelques instants elle se replongea dans l'observation du ciel de plus en plus menaçant. Son sourire s'effaça petit à petit et laissa place à un regard morne. Lorsqu'un frisson la parcourut des flammèches s’échappèrent de sa bouche entrouverte.
Alban ouvrit des yeux ronds en voyant ça, il fit un mouvement pour attraper son épée mais un geste de la main l'arrêta. Lune avait froncé les sourcils et levé le bras vers le capitaine pour lui intimer de ne pas bouger, ne faire aucun bruit. C'était l'heure.
-Ils sont là, lâcha-t-elle enfin d'un souffle sombre.
-Qui ça ? »
Elle se tourna vivement vers lui, l’œil agressif, sourcils froncés, lèvres légèrement crispées. Soudain elle se détendit et sourit. Alban apeuré se précipita sur son épée mais il n'eut pas le temps de la saisir, il fut pris dans un brasier à nul autre pareil.
Lune le regarda brûler tandis qu'il hurlait pour qu'on lui vienne à l'aide. Des soldats alertés par le vacarmes arrivèrent désorganisés dans la pièce. A l'instant où ils arrivèrent ils virent la rousse se détourner simplement de sa victime, se moquant des flammes, se tourner vers la fenêtre puis une poutre céda sous les flammes, les faisant quitter des yeux la jeune femme quelques secondes. Lorsqu'ils la cherchèrent du regard, ce qu'ils virent les médusa, la fenêtre avait disparu. A la place un trou gigantesque laissait entrer l'air et alimentait le feu.
« Stupides humains... »
Cette phrase résonna dans tous les esprits et donna la chair de poule à certains soldats.
***
« Saphira, on est peut-être trop près, là. Tu ne crois pas ? »
« Tu ne trouves pas ça étrange ? Ils peuvent nous voir maintenant et pourtant on dirait que ça ne leur fait rien. »
« Justement, ne tentons pas le diable. Retournons avec les autres. »
« Je croyais qu'on devait trouver cette chose étrange ? »
« Saphira ! »
La dragonne évita à la dernière seconde une masse d'argent inconnue et pour l'instant non identifiée. Eragon chercha des yeux la chose et vit sur sa gauche un dragon couleur de lune se stabiliser en tournoyant, ses gigantesques ailes déployées.
Le dragonnier n'en revenait pas.
« Il n'a pas de dragonnier sur son dos. »
« Je pense qu'on a trouvé le comité envoyé par notre cher Galbatorix. Prépare-toi, Saphira. »
La dragonne rugit et partit à la rencontre de son congénère, claquant des mâchoires. L'argenté glissait sur le vent et ne semblait pas accorder de réel intérêt à la dragonne bleue. Le jet de flamme le frôlant ne l'apeura pas tandis qu'il empruntait une ligne droite sous la dragonne. Saphira changea prestement de position et réussit à mordre la queue de son adversaire qui poussa un rugissement de douleur et pour toute réponse se tordit sur lui-même pour griffer sauvagement le nez de la dragonne qui lâcha sa prise.
L'argenté vit sa stabilité légèrement ébranlée par cette blessure mais son agressivité était maintenant exacerbée. La dragonne lui faisant face avait une maîtrise du ciel sensiblement égale à la sienne, mais l'argenté avec une expérience considérablement plus importante et un avantage de poids se rasséréna et changea de tactique, il n'avait pas de dragonnier à protéger.
Les deux dragons se tournèrent autour, rugissant et claquant des mâchoires pour intimider l'autre. Eragon sortit Brisingr de son fourreau, en fit jaillir des flammes et Saphira fondit sur son adversaire. L'argenté se retourna au dernier moment et mordit fermement le cou de Saphira, la privant d'oxygène. Eragon tenta de frapper la bête de son épée mais un coup d'aile le sonna suffisamment pour qu'il rate sa cible et déchausse ses étriers. Dominant le duo, l'argenté agrippa la dragonne et la fit basculer de telle sorte qu'Eragon tombe de sa selle.
Saphira consciente de ce qui était en train de se passer se débattit de plus belle, le dragon la tenant était plus grand qu'elle et la tenait fermement, les faisant chuter tous les trois. En se débattant Saphira se fit déchirer une aile par les griffes de l'argenté.
Son dragonnier était en danger, elle refermait ses crocs dans le vide. Soudain l'agresseur la relâcha et la bleue tenta maladroitement de sauver Eragon. Elle savait le sol proche et amortit la chute du petit homme grâce à son propre corps.
La dragonne blessée lutta pour rester consciente, pour protéger son dragonnier. Le dragon d'argent se posa tranquillement et, repliant ses ailes, se dirigea vers le duo amoché. Il ne s'attendait pas à gagner aussi facilement. Eragon avait une réputation d'assez bon combattant et Saphira par sa petite taille aurait du profiter de sa plus grande agilité.Coup de chance ? Son sort avait décidément été plus efficace que prévu. Ainsi les dragonniers étaient aussi décevants que ça. Tandis que le dragon approchait il hésitait à achever ses adversaires. Saphira grognait et fouettait l'air de sa queue. Elle tentait de se remettre debout.
L'argenté bondit et l’immobilisa en appuyant de ses membres antérieurs sur la bleutée. Elle grogna de douleur sous la protestation de son corps griffé en plusieurs endroits. L'argenté releva la tête et ouvrit la gueule, dévoilant des crocs plus que dangereuses, ses mâchoires se dirigèrent inexorablement et rapidement droit sur la tête du dragonnier. Saphira rugit et se débattit encore.
« Non ! »
Mais elle se rendit compte que le dragon s'était arrêté in extremis et ne bougeait plus.Il recula en secouant la tête, des grognements et quelques rugissements plaintifs lui échappant sous l'effet d'une douleur inconnue.La voix résonnait avec force dans la tête de l'argenté, écrasant ses défenses psychiques.
« Ma sœur, ne les tue pas. »
« Sors de ma tête ! »
« Galbatorix ne t'a pas encore fait subir le sort de Shruikan. Tu peux faire le bon choix. »
« Tu ne sais rien ! Maudit Glaedr ! Retourne dans la pierre qui te sert d'abri et laisse-moi tranquille ! »
Pour toute réponse l'esprit du dragon s'enfonça plus loin encore dans les pensées de la dragonne couleur lune. Agressif et peu délicat. La dragonne lâcha un long rugissement plaintif.
« Arrête ! »
Le cri spirituel sortait du cœur. La dragonne avait mal. Elle se frottait la tête par terre. Saphira qui s'était relevée la chargea au flanc et la percuta, la renversant.
« Tu as beaucoup souffert, mais ne les fais pas souffrir, ma sœur. Trouve la bonne voie. »
Il se retira de l'esprit de la dragonne qui put alors réagir maladroitement aux attaques d'une Saphira enragée. Les deux dragonnes s'affrontaient avec une rage incomparable, leurs griffes taillant leur chair meurtrie, leurs crocs entaillant les parties les plus fragiles de leur anatomie.
L'argentée perdait du terrain, blessée dans son esprit la douleur était un véritable handicap comme un fer chaud qu'on aurait remué dans sa boite crânienne. Plus aucune des deux ne pouvait s'envoler. Quant à Eragon, il immergea de son comas juste à temps pour voir les Vardens arriver et immobiliser la dragonne ennemie.