Romen Avanture

J'ouvre à nouveau les yeux. La lumière a disparu. Je remarque que le dessin d'humain devant moi a changé de couleurs. Il est à présent rouge ocre. Je regarde Lélio. Je suis surpris de voir qu'il n'a plus ni ses cornes, ni ses ailes:

« Tu... Tu as changé! » lui dis-je.

Il sourit avec cette même expression énigmatique:

«Je pense que c'est toi qui a le plus changé... La magie ici est très peu présente, et prend une autre forme. On a donc pris une apparence humaine. C'est dommage, j'aimais bien tes oreilles d'elfe, ça te donnait un charme. »

Je me tâte les oreilles et me rends compte qu'elles ont rétréci et se sont arrondies, comme celles de Lélio ou d'un humain. J'entends japper sous mon bras.

Je constate que Blazey a aussi changé. Il est maintenant poilu, marron tacheté de blanc et ses oreilles sont tombantes. Il était plus mignon avant. 

Je demande à Lélio:

« Va-t-on à un moment retrouver notre apparence normale ? » 

« Si on réussit à retourner dans le monde magique, normalement oui. » 

Je remarque que les dessins de la fresque représentent des animaux que je ne connais pas, et que l'eau du lac au dessus de nos têtes a disparu. Mais dans l'ensemble, la grotte a la même apparence que dans notre monde:

« Cet endroit ressemble beaucoup à ce qu'on peut voir dans notre monde. » remarqué-je. 

« Le monde des humains est en quelque sorte une réflexion un peu déformée du nôtre. »

Le bâton magique de Lélio ressemble maintenant à un banal bâton taillé, qui n'a plus l'air magique du tout. Le mien n'a pas changé. Je demande:

« Comment va-t-on faire pour retrouver mon frère ? »

« Quand on cherche, on trouve non ? Pour l'instant, il faut sortir de cette grotte et trouver un village, les habitants pourront peut-être nous aider. »

Loin d'être convaincu par sa réponse, je me dis que de toute façon, je suis bien obligé de le suivre.

On enjambe donc une barrière de protection, sûrement utilisée pour empêcher les visiteurs de trop s'approcher de la fresque. On arrive devant l'entrée de la grotte mais un grand portail en fer nous empêche de sortir. Je panique:

« Comment on va faire pour sortir ! Ils n'ouvriront sûrement pas avant le matin ! Ou même avant plusieurs jours ! Oh non on est enfermé ici... »

« Du calme, de toute façon on ne peut rien faire avant le lever du jour. Il vaut mieux dormir un peu, et reprendre un peu de force...»

Les larmes me montent aux yeux. Lélio le remarque, et me dit calmement en me tenant par les épaules:

« Écoute, on va bien finir par le retrouver ton frère... Il ne doit pas être bien loin... Où était-il quand il a disparu ? »

« Dans sa chambre, chez moi, à deux heures au sud-est de la montagne... » 

« Et bien, il a du apparaître au même endroit alors. Tu vois, on a déjà une piste !» 

Il me sourit. Je sais qu'il essaye de me remonter le moral, mais je n'arrive pas à retenir mes larmes qui coulent malgré moi. J'ai honte de moi, et m'empresse de les essuyer. 

« On va y arriver... ok ?» me dit-il. 

Je hoche la tête:

« Ok...»

Nous décidons alors de nous allonger dans un coin près de l'entrée pour dormir. Blazey se blottit contre moi. Il me réchauffe. Je mets du temps à m'endormir et une fois assoupi, mon sommeil est léger et agité.

Tout d'un coup, j'ouvre les yeux et me retrouve sous une eau sombre mais respirable. Un gigantesque serpentua, ce serpent chatoyant, ne possédant qu'un seul œil et apparaissant parfois dans les vieilles légendes de notre monde, me fait face. D'une voix féminine et douce il me dit:

« Je sais où est ton frère. Regardes en bas, au fond de l'océan. » 

J'y vois en effet ma maison, éclairée par une lumière diffuse. Je nage alors dans sa direction, quand un sous marin apparaît. À l'intérieur, contre les vitres, des humains me regardent méchamment avec des sourires sardoniques. Ils envoient des harpons dans ma direction par des projecteurs sur le flanc du sous marins. Je les évite tant bien que mal et parviens à nager jusqu'à ma maison. À l'intérieur, il n'y a pas Barley, mais Lélio. Il s'approche de moi et s'apprête à me dire quelque chose à l'oreille, sauf que c'est la voix de Barley qui retentit:

« Tu verras ! Un jour, ça te tombera dessus sans que tu ne l'ais vu venir ! »

Je me réveille. Lélio est toujours allongé dos à moi, je suppose qu'il dort. Blazey est toujours contre moi, me regarde et me lèche le visage:

« Toi, à part ton apparence étrange, tu n'as pas changé. »

Le jour perce à travers les barreaux du portail. 

Au bout d'un moment, j'entends des pas se rapprochant de l'entrée. Je réveille Lélio:

« Lélio! dis-je à voix basse, il y a quelqu'un, réveille toi ! » 

Il se tourne péniblement vers moi en marmonnant quelque chose d'inintelligible. Je reprends:

« Vite lève toi ! Il faut se cacher... » 

Nous n'avons pas le temps de bouger qu'un humain apparaît devant l'entrée et commence à mettre les clefs dans la serrure. Il nous voit, et nous interpelle: 

« Hé vous! Qu'est-ce que vous faites là ? » 

Je n'ai pas le temps de réfléchir à une réponse que Lélio prend la parole:

« On s'est perdu pendant la visite. On n'arrivait plus à retrouver la sortie. Les gardiens nous ont enfermés à l'intérieur. » 

« J'ai jamais entendu de telles balivernes! C'est moi qui ait fermé hier soir, il n'y avait personne, et surtout pas un chien, ce qui est interdit ici. Je ne sais pas comment vous êtes rentrés, mais si c'est pour squatter, vous avez mal choisi votre endroit. Où sont vos parents ? » 

« On est orphelins... » répond Lélio. 

« M-mais on a dix-huit ans ! » complèté-je. 

« Vous expliquerez ça à la police. » dit l'homme. 

Il sort son téléphone et s'apprête à appeler le commissariat. Je tente alors de lui faire changer d'avis: « S'il vous plaît monsieur, on a rien dégradé, on cherchait juste un endroit pour dormir... » 

« Vous avez fugué de chez vous ? » dit l'homme. 

Lélio répond: « On a pas de chez nous. » 

Le gardien a l'air de réfléchir un petit moment et reprend:

« Quoi qu'il en soit, vous ne pouvez pas rester là. Le mieux que je puisse faire pour vous, c'est de vous ramener en ville, et d'en rester là. Mais vous avez intérêt à ne rien avoir dégradé ou sinon, j'engagerais des poursuites.»

Je répond: « Merci monsieur... » 

L'homme reprend son portable, le met à l'oreille et dit:

« Ouais c'est moi. Tu peux prendre le relais ? Je vais faire un aller retour en ville. J'en ai pas pour longtemps... Je t'expliquerai en revenant. » 

Il range son téléphone:

«Bon j'vous ouvre, mais tâchez d'être assez intelligents pour ne pas prendre la fuite. » 

Il ouvre le portail. Lélio et moi le rejoignons, et j'appelle Blazey pour qu'il me suive. L'homme remarque:

« Vous avez pas une laisse pour votre chien ? Et puis pourquoi t'es déguisé toi ? » 

Lélio porte en effet depuis le début un haut sans manche ample avec une chaîne en or autour du cou et un long pagne vert sapin lui arrivant aux chevilles. 

Je réponds, sachant que nos excuses manquent vraiment de crédibilité:

« On a pas eu le temps d'en acheter une, et... » 

«On a le droit de porter ce qu'on veut non ? coupe Lélio, il n'y a pas de normalité... » 

L'homme hausse les sourcils étonné puis lève les yeux au ciel en disant:

«Les jeunes de nos jours ...» 

Il nous amène jusqu'au parking. Guinevère n'est évidemment plus là. 

«Bon, dit-il devant une petite voiture grise des années 90, elle paye pas de mine, mais c'est ma voiture, et j'y tiens. Donc j'espère que ton chien n'est pas du genre à ne pas savoir rester calme ou être propre. » 

Lélio reste muet. 

Je réponds:

« Je vous promets qu'il ne vous dérangera pas. » 

« Mouais, on verra... » grommelle-t-il.

Une fois dans la voiture, je vois que Lélio n'est pas très à l'aise. Il me voit mettre ma ceinture, et tente de mettre la sienne. Le voyant en difficulté, je comprends qu'il n'est jamais monté dans une voiture de sa vie. Sans que le gardien ne nous voie, je l'aide rapidement à s'attacher. L'homme allume alors le moteur et commence à descendre la montagne. Il nous dit en chemin:

« C'est dangereux d'être sans domicile, surtout à votre âge. Si vous voulez mon avis, je vous conseille d'aller voir la police qu'elle que soit votre situation, ils pourront peut-être vous aider. Il y a aussi des numéros d'aide pour les jeunes en difficulté. » 

« Merci de vous inquiéter mais ça va. Par contre, si ce n'est pas trop demander, vous pouvez nous déposer devant le commissariat ? » 

Lélio me regarde, interrogateur. 

« Je pense que c'est la bonne chose à faire. » répond l'homme. 

Nous commençons à voir de plus en plus de maisons sur notre route. Enfin nous entrons dans la ville, qui ressemble beaucoup à celles de notre monde. Je remarque que Lélio est étrangement pale. 

L'homme se gare devant un bâtiment avec une grande porte à deux battants en verre. Au dessus de l'entrée est marquée: "police municipale". Le gardien nous dit:

« Voilà, on y est ! Bon bah bonne continuation, j'espère que votre situation s'améliorera un peu ! » 

Je réponds:

« Merci ! Bonne continuation à vous aussi ! » 

Nous sortons de la voiture, Lélio arrive à se détacher, et sort en titubant. Une fois l'homme reparti, il dit:

« Chais pas ce que c'était que cette machine mais en tout cas, elle retourne l'estomac... Je me sens vraiment pas bien... » 

Des passants humains marchent sur le trottoir. Je me demande comment il a fait pour rester deux siècles entiers sur le sommet de sa montagne. Je me tourne vers la porte du commissariat et vois mon reflet. Visiblement, ma forme humaine a la peau beige et les cheveux roux. 

Lélio se met alors à se retourner, se penche et vomit. Des humaines qui marchaient dans notre direction affichent une mine dégoutée et s'écartent. Lélio se relève et leur lance: 

« Y a qu'à voir vos têtes pour avoir envie de rendre ! » 

Une des humaines répond: 

« T'as qu'à décuver ailleurs ! » et elles continuent leur chemin. 

« Pff! Chais même pas ce que ça veut dire. »

Il reprend, en s'adressant à moi cette fois:

« Au fait, pourquoi t'as voulu qu'il nous amène là ?»

Je réponds:

« On va peut-être pouvoir déposer un avis de recherche... »