Les mystères d'Eldarya
Depuis la pyjama party de la veille, le regard fixe de Sibylle me hantait, comme m’incitant à réagir. Je sens que… cette fleur. C’est celle d’Ezarel. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis persuadée que cette histoire va mal se terminer, ça sent déjà le roussi. Mais imaginons le pire des cas : je possède la fleur d’Ezarel. Qu’est-ce que je suis sensée faire ? Aller courir partout dans le QG en propageant la bonne nouvelle tel un messi ? Non, c’est impossible. Car si c’est la fleur d’Ezarel, on va me demander où est-ce que je l’ai trouvé. Or c’est Nevra qui me l’a offerte, et donc ça complique vachement la situation. Nevra va être accusé, et cela par ma faute. Mais comment puis-je aimer une personne qui ose mettre la vie d’Ezarel en danger, et cela en me rendant fautive de manière indirecte ? J’en ai la nausée. Si Nevra a réellement volé la lulynaë d’Ezarel, je me fiche qu’il soit accusé.
Bon, Sélia, du calme. Ne fais pas de conclusions hâtives. Si ça se trouve, tu n’as qu’une simple fleur en ta possession. Une simple fleur millénaire. Ramenée d’une montagne. Le jour du bal… TROP DE COINCIDENCES ! Comment vais-je faire pour m’extirper de cette situation ?
Je me rapprochais de l’étagère où était cachée la fleur. J’écartais les livres qui l’entouraient pour l’admirer. La lulynaë était d’un violet intense, aussi intense que mes yeux. Les pétales étaient exactement de la même couleur, s’appropriant le même camaïeu de couleurs. Etais-ce également une coïncidence ? Je ne la quittais pas des yeux, comme pour me convaincre qu’elle existait vraiment. Oui, elle existait vraiment… Que devais-je faire ?
Je fermais les yeux, inspirais longuement l’air pur de la pièce. Je vais aller voir Nevra. Lui demander des explications. S’il s’avère que c’est la fleur d’Ezarel, on va la lui rendre en s’excusant. Si ce n’est pas la fleur d’Ezarel, on va oublier cette histoire et tout ira bien. Heureuse de mon plan, je me levais et allait le mettre à exécution.
Mais c’était déjà trop tard.
Trop tard.
A l’instant même où j’avais pris cette décision, la porte de ma chambre vola en éclats. Un brouillard épais s’empara de l’espace. Une masse de muscles énorme rentra dans ma chambre. Mon regard croisa celui de Jamon. Des tonnes de questions se bousculaient dans ma tête. Qu’est-ce qu’on me veut ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi avoir défoncé la porte ?
Jamon mit fint à mes interrogations muettes en criant :
- Sélia pas bouger ! Sélia accusée de tentative d’homicide ! Sélia va me suivre !
Je savais que j’étais fichue.
Je le savais…
Je le savais.
***
(Point de vue omniscient)
Ezarel, étendu sur le lit de l’infirmerie, comptait avec soin le nombre d’arabesques qui composaient le toit. Il tuait le temps. Tuait le temps pour oublier qu’il était incomplet. Totalement incomplet. Il se détestait. Il détestait son corps trop grand, ses os si minces, sa peau trop blanche. Il détestait sa vie qui n’avait désormais aucun sens.
« Je vais mourir » se criait-il intérieurement. « Je vais mourir … Je vais mourir…» .
Ses yeux brillaient un peu plus que d’habitude. Il se blottit en position fœtale, et gémit silencieusement. Le jeune elfe ne voulait plus essayer de masquer sa tristesse, car rien ne lui importait maintenant. Il n’avait plus rien. Il avait perdu sa lulynaë. Pour toujours.
Alors que son corps l’ordonnait de crier à s’en arracher les poumons, il se contentait de verser des larmes silencieuses, et attendre que le temps ne passe.
Il pensa à Sélia. L’imagina dans les bras de Nevra. Faillit vomir. Chassa cette vision de sa tête et se recentra vers le toit. Recompta les 456 arabesques du toit.
Chercha une autre distraction.
N’en trouva pas.
Soudain, il fut pris d’une quinte de toux interminable qui alerta Eweleïn.
Eweleïn arriva en courant avec une trousse de secours. Lorsqu’elle le vit dans cet état, elle sentit son cœur se briser en miettes. « Qu’est-ce qu’on a fait de toi mon pauvre Ez’… » se dit-elle intérieurement.
- Ezarel… est-ce que… dit-elle en s’approchant de lui.
- Ne me touche pas, dit-il d’une voix aussi froide que le marbre.
Ewelein s’arrêta net à quelques millimètres de lui.
- Je peux t’ausculter ? demanda-t-elle tout bas.
- Ne me touche pas.
Eweleïn ne montra pas que ce qu’il venait de lui ordonner se ficha comme un pieux dans son cœur.
- Je pense savoir qui a ta lulynaë Ez…
Ezarel ne réagit pas.
-Ez…
Soudain, comprenant l’impact des propos d’Ewelein, il posa ses yeux tristes sur elle.
- Vraiment… ?
- Je pense que quelqu’un te l’a volé Ez. Et je pense savoir qui est cette personne.
- C’est ridicule.
Ezarel lâcha le contact visuel avec Ewelein et recompta les arabesques du mur à sa gauche comme si elle n’était déjà plus là.
- Ezarel écoute moi, supplia l’infirmière, tu ne penses pas qu’il y a une personne qui te veut du mal dans la garde ?
- C’est ridicule, répéta-t-il de sa voix faible.
- Alors je vais te dire la vérité en face. Depuis que l’humaine est là, elle met ta vie en danger.
Ewelein n’osait même pas appeler « l’humaine » par son prénom.
-Rappelle-toi, reprit-elle, elle t’a empoisonnée avec l’eau de rose. Elle est une catastrophe en alchimie et a failli brûler ton laboratoire. Et lorsqu’elle a été enlevée c’est toi que Miiko a sermonné alors que tu n’y étais pour rien. Ça ne peut être qu’elle qui a ta fleur.
De rage, des larmes vinrent au yeux d’Ezarel. Il se leva du haut de son mètre quatre-vingt et cria :
- Ne parle pas de ce que tu ne sais pas ! Tu ne comprends rien Ewelein, rien ! Ma fleur est violette. Du même violet que les yeux de Sélia. Exactement la même nuance, exactement le même degré d’intensité. Et tu sais très bien ce que ça veut dire.
Ewelein resta figée de stupeur.
- Cela veut dire, poursuivit-il, qu’elle est mon âme sœur. Or, si ce que tu dis es vrai, cela signifie qu’elle veut ma mort. Qu’elle ne voudra jamais de moi. Donc j’en ai que faire d’une fleur, millénaire soit-elle, si dans tous les cas mon âme sœur ne veut pas de moi. Si elle l’a, qu’elle la garde. Je n’ai besoin que de son amour. Le reste n’est que poussière.
Ezarel acheva sa tirade, et c’est à cet instant que Ykhar décida de rentrer à l’infirmerie.
Elle avait entendue des éclats de voix, mais ne se permit aucune remarque.
- Ezarel…
La voix d’Ykhar était calme, comme pour adoucir une éventuelle tempête.
- Nous avons trouvé ta fleur…
Ezarel ne réagit pas, trop fatigué par son discours.
-… chez Sélia.
***
(retour au point de vue de Sélia habituel)
Nous revoilà au cachot. Comme au bon vieux temps. Avec Jamon pour me surveiller juste à côté en plus… Mais qu’est-ce que je fous là ?! Okay du calme. J’ai été emprisonnée injustement une fois, et j’ai été libérée. Je suis injustement emprisonnée une seconde fois, donc logiquement je devrais être libérée. Même si personne ne sait que je suis innocente… Ça va être beaucoup plus difficile pour moi de m’en sortir sauf si…Nevra ! Voilà la solution ! Nevra va tout expliquer. Il va me sauver. Car il sait que je n’ai rien fait. Je n’ai rien volé.
Un peu rassérénée, j’attendis.
Des bruits de pas cliquetaient. Plusieurs personnes arrivaient. Je déglutis péniblement en sentant les longs interrogatoires que je vais devoir subir.
Miiko accompagnée de Leiftan et Nevra arrivèrent au pied de ma prison.
Leurs regards étaient durs, impassibles.
Je vis un fossé se dessiner entre Miiko, Leiftan et moi. Ils se sentaient trahis, et sincèrement je comprenais qu’on puisse détester quelqu’un pour avoir fait un acte aussi inacceptable. Mais je ne méritais pas ce traitement car j’étais innocente.
Mais Nevra était là. Il y avait un espoir.
- Nevra, dis-leur… supplais-je
Nevra fit une tête surprise.
- De quoi parle-t-elle ? demanda Leiftan d’une voix glaciale.
- Je n’en ai aucune idée, dit Nevra.
- Nevra ?
Ma voix s’étouffa. Comment osait-il…
- A quoi est-ce que tu joues Nevra ?
- Tais-toi Sélia, ne prends pas de libertés avec nous, s’exclama Miiko. C’est nous qui posons les questions ici.
La rage s’empara de moi. Comment Nevra arrivait-il à si bien mentir sans sentir une once de culpabilité ? Pourquoi faisait-il cela ? S’était-il joué de moi durant tout ce temps ? M’as-t-il aimé un jour ?
- Ou as-tu pris la fleur ? demanda d’une voix sèche Miiko.
- Je l’ai reçue.
- N’essaye pas de nous mentir, menaça la meneuse d’hommes.
- Je ne mens pas !! criais-je
- Comment peux-tu dire qu’on te l’a offerte alors que Nevra témoigne t’avoir vue fouiller dans la chambre d’Ezarel pendant le bal de fin de millénaire.
« QUOI ? » criais-je intérieurement.
Aucun son ne sortit de ma bouche.
Je réussis à dire après coup:
- Je suis restée pendant tout le bal à attendre Nevra, son alibi ne tient pas la route. Valkyon peut témoigner, Alajéa peut témoigner, Sibylle peut témoigner, Karenn peut témoigner, et même toi Jamon !!
Jamon ne réagit pas.
- Jamon, quand tu dansais avec Sibylle j’étais là !!!
Jamon resta de marbre.
- Silence Sélia ! cria Miiko.
Un silence pesant s’installa. Tant d’injustice me donnait les larmes aux yeux.
- Nevra, qu’as-tu à dire face aux accusations de Sélia.
- Il est vrai que je me suis absenté et que j’ai tardé à venir, et j’ai même prévenu Valkyon que j’avais mon costume à arranger en ville. Mais alors que je passais dans le corridor des gardes pour entrer dans ma chambre pour me changer, j’ai vu Sélia fouiller dans la chambre d’Ezarel.
- Et pourquoi tu ne t’es pas interposé ? demanda Leiftan qui jusqu’ici est resté muet.
Nevra hésita un instant. Il n’avait surement pas pensé qu’on puisse lui poser une telle question. J’étais scotchée. Sidérée. Assommée par tant de mensonges.
- Je ne savais pas comment réagir face à une telle situation… dit-il.
Leiftan ne paraissait pas convaincu. Une lueur d’espoir se dessina sur mes yeux.
-Pourquoi avoir attendu près de huit jours avant de nous dire que la fleur était chez Sélia ? demanda-t-il à Nevra.
Je sentis une goutte de sueur perler le long de sa tempe.
- Je n’ai pas tout de suite fait le lien entre ce que j’ai vu et la disparition de la fleur. Je n’arrivais pas à croire que Sélia était capable d’un tel acte.
- Surtout parce que Sélia était amoureuse d’Ezarel… ajouta Leiftan. C’est donc surprenant qu’elle souhaite sa mort.
Je rougis instantanément malgré l’aspect critique de la situation. Comment savait-il que j’aimais Ezarel ?
Miiko semblait de moins en moins convaincue par les propos de Nevra.
- Pourquoi Sélia aurait-elle volé la fleur d’Ezarel ? Sait-elle ce qu’elle symbolise pour les elfes ? demanda Miiko à Nevra.
- Vous n’avez pas remarqué le nombre d’heures qu’elle passe à la bibliothèque ? C’est impossible qu’elle ne connaisse pas la valeur de la Montagne des Songes et des lulynaë, se défendit Nevra.
- Sais-tu ce que sont les lulynaës Sélia ? demanda Leiftan.
- Oui, admettais-je
- Vous voyez !! s’enthousiasma Nevra.
- Mais je n’ai su cela qu’hier, c’est Sibylle qui m’a tout expliqué.
Jamon tourna la tête quand il entendit le nom de Sibylle, puis se remit tout droit.
- Je vous assure que je n’ai rien volé à Ezarel, je n’aurais jamais osé lui faire de mal. Je suis également très inquiète quant à son sort. Et je ne vois pas ce qui m’aurait poussé à faire un tel acte. Nevra, dis-je en m’adressant à lui, j’ignore pourquoi tu m’as offert cette fleur, et j’ignore également pourquoi tu persistes à mentir, je t’en supplie explique-moi. Je croyais que tu m’aimais. Et que cette fleur « symbolise l’infini de notre amour ». Pourquoi avoir créé tant de problèmes ? Tu ne m’as jamais aimée ? Quelle est la finalité de tout cela ? On n’avait pas besoin de cette fleur et de tout cet enfumage pour vivre heureux.
Nevra ne répondit pas tout de suite.
- Je ne savais pas que tu jouais si bien la comédie, dit-il avec un dégout réel.
Miiko et Leiftan se regardèrent, indécis.
- STOP !!!!!!! tonna une voix familière.
- ARRETEZ TOUT, CA SUFFIT !! reprit la voix
L’écho retentit dans le cachot. La voix déjà puissante s’en retrouva amplifiée.
Je m’agrippais aux barreaux de ma prison avec espoir.
Les bruits de pas s’intensifièrent.
- STOP, STOP, STOP !
Je vis la silhouette d’Ezarel, comme un mirage. Il n’avait rien à voir avec l’Ezarel malade qui parlait à Leiftan l’autre jour. Il était vif, avait des joues légèrement rosies, un sourire taquin, et surtout, il était en forme ! Il respirait la bonne santé.
- Ez ! criais-je de joie.
- Mais qu’est-ce qui se passe ici ? dit-il en m’ignorant. Mais de quoi je me mêle, c’est de moi qu’on parle ? C’est ma fleur à moi, je vais arranger tout ça maintenant, moi-même.
Leiftan et Miiko furent surpris. Ils s’échangèrent un sourire puis montèrent les marches des escaliers vers le QG.
- Si t’as le moindre problème… dit Miiko.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, Jamon est là, dit Ezarel.
Jamon sourit en dévoilant sa dentition effrayante.
On se retrouva Ezarel, Nevra et moi.
Comment allait donc se finir cette histoire ?
- Sélia, est-ce que tu veux que je meure ? dit d’une voix très sérieuse Ezarel.
- Non, non, Ezarel, pourquoi souhaiterais-je cela ? dis-je en sentant les larmes me venir aux yeux.
Pensait-il que j’étais coupable ?
- Du calme, je ne suis pas venu ici pour rendre la situation mélodramatique et me retrouver avec une repentie, dit Ezarel de son ton sarcastique habituel.
Il m’adressa un clin d’œil qui réussit l’exploit de me tirer un sourire, alors que mes yeux étaient pleins de larmes. J’avais l’impression de ressembler à un personnage de shojo…
Il tourna ensuite la tête vers Nevra et dit :
- Nevra, mon vieil ami…Dis-moi, ce n’est pas toi qui as pris ma lulynaë, de peur que Sélia ne se retrouve dans mes bras plutôt que dans les tiens ?
Je fus choquée par tant de violence dans ses propos. Ça aurait mérité un dab. Mais à Eldarya personne ne savait ce qu’était un dab. Je suis donc restée immobile, en regardant le visage de Nevra qui virait au rouge. Devant le silence de Nevra, ainsi que son regard cinglant, Ezarel poursuivit de sa voix provocante :
-Tu t’attendais à ce que je meurs plus vite non ? Comme ça tu aurais pu garder Sélia pour toi et personne n’aurait su pour la fleur. Sélia aurait été indirectement responsable de ma mort. Mais tu sais pourquoi je ne suis pas mort Nevra ? Parce que cette fleur était destinée à Sélia.
Mon cœur fondait littéralement dans ma poitrine.
- Tu sais Nevra, poursuivit Ezarel, j’aurais pu te pardonner. Mais accuser Sélia est la chose la plus lâche que tu ais pût faire dans ta misérable existence.
Nevra poussa un rugissement de colère et dégaina son arme. Ezarel n’avait pas sur lui les dagues qu’il utilisait habituellement pour combattre. Il prit une épée trop lourde pour sa stature fine, et se mit en position de garde. Tous deux tournèrent, leurs muscles tendus, attendant que l’un attaque le premier
- Ton personnage m’intrigue Nevra. Inventer un plan foireux, souhaiter la mort de ton ami et finalement accuser la fille que tu aimes… très intéressante perspective.
Nevra poussa un cri de rage et se rua vers Ezarel. Jamon a voulu intervenir, mais Nevra et Ezarel crièrent à l’unission :
- C’est un combat d’homme à homme !
Je commençais à angoisser. Nevra lançait des coups mortels qui auraient dû scinder Ezarel en deux. Ezarel grimaça en détaillant la plaie béante qu’il venait de recevoir sur le bras. Il était plus lent que d’habitude, il venait à peine de se remettre de sa maladie. Ils se battaient pour moi, et chaque coup qu’ils tentaient de s’infliger me faisait mal.
- Jamon, je t’en supplie, libère moi, dis-je de ma voix la plus convaincante.
- Sélia pas bouger !
- Jamon ! Ouvre ! ordonnais-je en pleurant.
Nevra enchaînait les coups et Ezarel faiblissait.
- NON ! Nevra, arrête ! Ezarel, attention ! Jamon fais quelque chose ! criais-je à m’en arracher les cordes vocales.
Mais Jamon resta de marbre, car c’était un combat d’ « homme à homme » soit disant.
Nevra asséna un coup violent à Ezarel qui maintenant ne combattait que d’un seul bras. Il titubait, sa garde était pitoyable, Valkyon m’aurait fait faire vingt pompes à sa place.
- Jamon ! suppliais-je en sanglotant
Un cri de désespoir sortit de ma gorge lorsque je vis l’épée de Nevra transpercer Ezarel au torse. Ezarel gémit, et tomba par phases au sol.
Je me mis à pleurer de manière incontrôlée.
- Ja…jamon. Fais m-moi sortir… dis-je en hoquetant.
Je secouais les barreaux de toutes mes forces, mais ils restaient figés quoi que je fasse.
Nevra regardait Ezarel qui essayait de ne pas montrer qu’il avait mal. Son regard était empli de dédain, puis il tourna la tête vers moi. Nevra garda ce regard dur, mais je crus voir une larme perler au coin de ses yeux. Une larme sincère, qui devait symboliser tant de choses... Puis il partit en courant. Il sortit du cachot pour aller je ne sais où. Et je savais que c’était la dernière fois que je croisais son regard. Et que son regard resterai à jamais gravé dans ma mémoire.
Jamon se décida à ouvrir les barreaux. Je me jetais sur Ezarel, et lorsque je vis la plaie béante qui couvrais son torse mon teint se fit livide.
- Ez… dis-je en tremblant. Ez, rien de cela n’est réel, dis-moi…
J’arrachais de mes vêtements le plus long bout de tissu possible que j’enroulais autour d’Ezarel pour éviter qu’il ne perde plus de sang. Le tissu s’imbiba vite fait de ce liquide écarlate et ne servit plus à rien.
- Je vais chercher Eweleïn, dis-je en retenant mal mes larmes. Tu vas aller bien Ez.
- Sélia, reste ici, c’est ma dernière volonté, dit-il en grimaçant de douleur
Mon Dieu… il se rappelait. Il m’avait dit exactement la même chose lorsqu’il avait lutté contre l’eau de rose… Je croyais qu’il n’était pas conscient à ce moment-là.
- Tu vas t’en sortir mon petit elfe… dis-je en lui souriant
- Sélia… est-ce que tu m’aimes ?
Je pris son visage entre mes mains et caressais ses joues.
- Je n’ai jamais cessé de t’aimer, dis-je en pleurant comme une madelaine.
J’arrachais de nouveau un tissu pour tenter de stopper la perte du sang.
- Arrête ça, tu vas attraper froid, souffla Ezarel.
Dans cette situation, tout ce qui lui importait c’était que je n’attrape pas froid ? Je ne sus quoi dire.
- Je m’excuse Sélia, j’ai agi de manière ridicule… je n’aurais pas dû refuser ton amour. J’ai agi comme… un … idiot.
- Tu es la personne la plus noble que je connaisse… ne t’excuses pas je t’en prie, je ne peux pas t’en vouloir.
Ezarel commença à tousser, et son teint ressemblait à celui d’un cadavre.
- Sélia, ma lulynaë est pour toi, dit-il en m’offrant la fleur en miettes. Une vie sans toi est comme un ciel sans étoiles…même si je suis trop grand, faible, et insupportable, est-ce que tu voudrais m’épouser?
En pleurant, je me contentais de hocher la tête et le pris dans mes bras. Je sanglotais contre son corps, espérant de tout mon cœur qu’il aille mieux, qu’une divinité surgisse ici et maintenant et qu’elle le soigne.
Puis je commençais à chanter, en lui caressant les cheveux tel un enfant. Ma voix s’éleva avec assurance, retraçant les courbes d’une chanson que j’aimais étant petite.
« Fleur aux pétales d'or,
repend ta magie.
Inverse le temps,
rend moi ce qu'il m'a pris.
Guéris les blessures,
éloigne la pluie.
Ce destin impur,
rend moi ce qu'il m'a pris.
Ce qu'il m'a pris.... »
Je n’avais plus chanté depuis qu’Ezarel avait été figé à cause de mon chant. Mais je sentais que c’était ce que je devais faire. Ezarel ne fut pas gêné, et ferma doucement les yeux. Je posais mes mains contre les siennes, n’espérant plus rien de la vie. Mes mains et mon corps étaient perlés du sang d’Ezarel. Je rechantais cette même comptine, en évitant de pleurer. J’aurais toute la vie pour pleurer après.
Ezarel serra ses mains contre les miennes.
Je vis que le sang avait enfin arrêté de s’écouler.
Sa main lâcha la mienne.
- Ez…
Il ne me répondit pas.
- Mon Ezarel… Mon Ezarel… répétais-je choquée.
Je me remis à chanter, espérant qu’une magie opère. Ezarel resta aussi figé qu’une statue.
Je me jetais sur son corps en gémissant.
-Ez… Ez… je t’aime tellement tu ne peux pas me faire ça… Pourquoi Ez… ?
Je ne pouvais m’arrêter de pleurer.
- Sélia… ce n’est pas que je ne veux pas te déranger mais… je n’arrive pas à bien… respirer.
Je me redressais instantanément, et de mes yeux larmoyants croisais le regard d’Ezarel.
- Ezarel !! Tu es parmi nous !!
Je cherchais des yeux la blessure.
Je ne rêvais pas. Elle se ressoudait doucement.
La fleur… Oh mon Dieu la fleur. Elle se redressait à vue d’œil.
- La lulynaë !! Elle est en parfait état !Ez tu es sauvé ! dis-je avec le sourire le plus sincère que je n’ai jamais fait de ma vie.
Je le serrais de nouveau contre moi.
- Tu es mon plus beau trésor, lui dis-je.
- Et toi le mien, me répondit-il en retour.
Je m’approchais de lui, et lui de moi. Mes lèvres touchèrent les siennes, se mêlèrent, et nous partageâmes un premier baiser au goût salé par nos larmes qui s’entrechoquaient.