Le Temple d'Ôrin

Chapitre 1 : Le Départ

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 16:40

Kulilin court partout et de tous les côtés dans sa chambre. Il paraît très content. Il court chercher ses affaires dans tous les tiroirs de sa chambre pour les mettre dans sa valise, posée sur les tatamis. Mais c'est tout en désordre. Il jette juste tous ses habits et jouets dans la valise et essaie d'emporter le plus de choses possibles, mais il pourra pas tout prendre. En voyant ses affaires déborder de la valise, il s'arrête et la regarde avec un air embêté. Il a l'air de comprendre qu'il va pas pouvoir tout prendre. Il fronce son nez (même s'il n'en a pas) et se gratte la tête en passant sa main dans ses cheveux noirs. Il crie:
« Maaaaamaaaaan!!! »

Comme elle n'arrive pas tout de suite, il continue de l'appeler en criant. Finalement, son ombre apparaît derrière les murs en papier tenu par des carreaux de bois. Elle écarte un de ces shoji, qui sont maintenant oranges à cause du lever du soleil, et elle entre dans la chambre.
« Du calme! Je ne peux pas arriver tout de suite juste parce que tu m'appelles! ... Mais... Qu'est-ce que tu fais?! »
Elle a l'air fâché en regardant la valise pleine de choses qui débordent. Il la regarde avec ses yeux noirs, comme s'il ne comprenait pas la question.
« Ben, je fais ma valise, mais j'arrive pas à tout mettre.
- Mais enfin, qui t'a dit de commencer à faire ça tout seul?! Et puis, tu vas au temple Ôrin, pas en vacances à Papaye! Tu vas devenir un disciple en arts martiaux comme ton père l'a été, il y a plusieurs années et comme ton frère apprend à l'être maintenant! Tu n'y vas pas pour t'amuser! Tu prendras juste le strict nécessaire! Un expert en arts martiaux doit être sérieux et se contenter de peu, même si tu as quatre ans! »
Comme elle le gronde, il est presque en train de pleurer.
« Et inutile de pleurer! Kulishô! Tu était là et tu n'as rien dit?! J'ai encore des choses à régler avec ton père et Pibôsan-sensei. Puisqu'il a commencé, aide ton frère à ranger tout ça et à choisir les seules choses dont il a besoin. »

Comme elle a l'air en colère, je me lève et je vais aider mon petit frère. Maman quitte la pièce en remettant son chignon noir en ordre. Elle a mis une robe drôlement jolie, aujourd'hui. C'est un kimono jaune avec des fleurs rouges et elle a une grosse ceinture verte. Maman est vraiment très belle, aujourd'hui, comme quand j'étais parti au Temple. Kulilin tire sur le col de son t-shirt blanc trop large et regarde par terre, prêt à pleurer.
« Maman a dit qu'il ne fallait pas pleurer. Je vais t'aider à ranger tout ça. »
Kulilin se frotte les yeux. Je prends quelques uns de ses vêtements et je les mets dans leurs tiroirs sur la commode du seul mur en bois de la chambre, parce que je sais qu'il n'aura pas besoin de ces habits. Il commence à faire pareil, mais il les met n'importe comment!
« C'est pas comme ça! Donne! »
Je lui prends les vêtements et je commence à les plier. Il me regarde d'un air choqué et commence à pleurer pour de bon.
« Arrête de pleurer, je t'ai dit! Sinon, maman va te gronder! »

Il pleure encore plus fort. Mais enfin, pourquoi il se comporte comme un bébé? Dire que j'étais content qu'il vienne avec moi au Temple d'Ôrin. Comme je suis allé au temple peu de temps après que Kulilin est né, je ne l'ai pas beaucoup vu, sauf durant les vacances où on rentre tous à la maison. Je me disais que je pourrais jouer plus souvent avec mon petit frère. Il avait l'air très content tout à l'heure quand on lui a dit qu'il allait apprendre les arts martiaux au Temple d'Ôrin. Mais s'il pleure aussi facilement, il ne pourra jamais devenir un grand expert en arts martiaux. Quand je suis parti, je ne pleurais pas! Enfin... Je crois... Je ne me souviens plus trop, j'avais quatre ans.

« Kulilin! »
Je l'ai crié tellement fort que cela l'a surpris et qu'il s'est arrêté de pleurer, mais il a l'air d'être sur le point de recommencer, il faut que je le calme.
« Tu veux devenir un grand maître en arts martiaux, n'est-ce pas? »
J'ai réussi à reprendre son attention et après deux secondes d'hésitation, il me regarde et me fait oui de la tête.
« D'accord. Tu crois qu'un grand expert en arts martiaux pleure tout le temps pour rien? »
Il me regarde avec un air étonné, puis il baisse la tête et il fait non avec elle
« Hmm! Hmm ! Tu as raison. Alors, maintenant, il faut que tu arrêtes de pleurer, d'accord? »
Il lève les yeux et répond:
« D'accord!
- C'est très bien, » je le félicite en souriant.
Il me rend mon sourire.

« Bon! Alors, maintenant, tu vas faire comme je te dis.
- Oui! »
Nous nous dépêchons de tout mettre en ordre. Après qu'on a tout mis dans la valise de Kulilin, on s'assoit dessus et on souffle. Je regarde mon petit frère et lui aussi, et je sais pas pourquoi, il se met à rigoler.
« Pourquoi tu ris? »
Il me répond pas et continue de rire, alors je le pousse de la valise, et il tombe, mais il continue de rigoler. Alors je saute de la valise et je le chatouille.
« Alors comme ça, tu rigoles? Je vais te donner une raison de rigoler, moi! »
- Aaaaaah! Arrête! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!
- Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! »
Il se met à se tordre dans tous les sens, mais je le retiens.
« Arrêêêête! Sinon je vais faire pipi! Hi! Hi! Hi! Ha! Ha! Ha! Ha! »
Et soudainement, il se met à me chatouiller aussi, et je ris encore plus fort.
« Ca suffit! Pibôsan-sensei t'attend, Kulilin! Il faut y aller. »
À l'air et à la voix sévères de maman, on arrête tous les deux. Puis, quand elle sort de la pièce, je regarde mon petit frère et on ricane une dernière fois. Ensuite Kulilin prend sa valise et la traîne par terre. Mais je décide de la prendre à sa place parce que je suis plus fort. Il me sourit et on va jusqu'à la salle principale de la maison. On pousse un shojo et on entre à l'intérieur.

Comme le soleil est en train de se réveiller, la salle est toute orange, comme la chambre de Kulilin. Elle n'a pas beaucoup changé. Elle a toujours plein de manuscrits en bambou accrochés aux deux murs en bois de la pièce. Il y a quelques meubles sombres et bas et un pare-vent en bambous contre ces murs. Les tatamis ont toujours un bord en bleu. Maman est en train de servir le thé à papa et Pibôsan-sensei. Papa a mis sa tenue de disciple d'Ôrin, comme moi, un shitagi jaune aux manches remontées et un gi orange avec une ceinture brune. Il a pris beaucoup des cheveux blancs, mais ils sont toujours très courts. Pibôsan-sensei est habillé pareil, mais il a une toge rouge. Et comme moi, il a le crâne rasé, avec six points sur le front.
« Il est vraiment dommage que tu n'aies pas pu poursuivre la voie des art martiaux, Kuribôzu, mon vieil ami. Tu avais du talent, à l'époque.
- Malheureusement, Pibôsan, ma blessure n'a pas permis que je poursuive. Dire qu'à l'époque, j'étais meilleur que toi. Ha! Ha! Ha! C'était le bon temps... J'étais fait pour ça. Mais j'ai manqué de chance.
- Allons, allons ! Il faut bien que certains d'entre nous restent au village. Que deviendrait-il si tous les hommes devenaient experts en arts martiaux ? Et puis, tu as pu te marier avec Kuriama et avoir deux fils.
- Oui... »
Papa a l'air triste en disant ça. Maman renverse un peu de thé, et elle s'excuse. Elle n'a pas l'air dans son assiette. Pendant un petit moment, ils ne disent rien. Pibôsan-sensei tousse et recommence à parler.
« Hum... Tes fils ont aussi l'air prometteurs. En tout cas, Kurishô se débrouille très bien ! »
En entendant ça, je suis très content que Pibôsan pense ça de moi. Mais je sais que je suis très doué ! Je regarde Kulilin pour voir sa réaction. Je veux que mon petit frère m'admire ! Il me sourit et dit :
« Moi aussi, je vais devenir fort comme toi. »
Les adultes nous remarquent enfin.
« Ah ! Kulishô ! Kulilin ! Vous êtes là ! Venez vous asseoir !
- Oui, Pibôsan-sensei ! »
On s'assoit en tailleur près de la table. Kulilin n'ose pas regarder Pibôsan-sensei, car il est tout timide et il baisse les yeux.
« Tu vas bientôt entrer au Temple d'Ôrin comme ton frère. Tu vas pouvoir apprendre à devenir un expert en arts martiaux et quand tu en sortiras, tu seras un homme ! Peut-être même que tu y resteras un maître, qui sait. Mais ne croit pas que cela soit facile ! Tous les hommes du village passent par le temple, mais peu deviennent des maîtres...
- Moi, j'en serai un !
- Kurisho ! N'interromps pas Pibôsan-sensei !
- Oui, maman... »
Je déteste quand elle me gronde, surtout devant mes maîtres.
« Excusez-le, Pibôsan-sensei. Dire que vous devez le supporter tous les jours.
- Ce n'est rien, Kuriama, c'est son énergie qui fait de lui un si bon élève. »

Les trois adultes commencent à discuter de tas de choses ennuyeuses. Je n'écoute même plus. J'essaie de ne pas bailler et de rester bien assis pour ne pas que maman me gronde encore. Je m'imagine ce que sera maintenant la vie au temple, avec mon petit frère. Je pense qu'on va sûrement s'amuser. J'étais jaloux que Tachiobô, mon meilleur ami, ait son petit frère, Tachiomon, avec lui. Ils ont l'air de partager des tas de secrets entre eux. Et Tachiomon traite Tachiobô comme une sorte de héros et il fait tout ce qu'il lui dit. Maintenant, je vais avoir Kulilin et je serai son héros et il fera tout ce que je lui  dirai ! On va s'amuser. Je vais lui montrer tout ce que je sais faire, et lui apprendre. Mais bien sûr, je vais rester plus fort que lui, pour continuer à être son héros.

Finalement, la discussion ennuyeuse des adultes est terminée.
« Pibôsan, je te confie donc Kulilin. À toi et au Temple. J'espère qu'il ne me fera pas honte et que Kulishô continuera de donner satisfaction aux maîtres du Temple, toi compris. »
Papa et maman sont toujours assis mais ils se penchent en avant, pendant que papa a dit ça.
« Ne vous en faite pas. Je suis sûr que Kulishô continuera de progresser et que Kulilin sera comme son frère. Qu'ils deviennent des maîtres ou non, le Temple fera d'eux des hommes. Kulishô, Kulilin, allons-y. Nous avons deux jours de marche à accomplir, avant d'arriver au Temple d'Ôrin. »
J'entends Kulilin déglutir et je lui souris.
« T'en fais pas, c'est plus facile que tu ne le penses. Et puis, je serai là pour te défendre si des ours attaquent !
- Des... des ours... ? »
Je dis ça surtout pour lui faire peur et aussi l'impressionner. Il n'y a pas d'ours dans le coin. Enfin, j'espère...
« Ca suffit, Kulishô, cesse de lui faire peur.
- Oui, Pibôsan-sensei... »

« Ne nous fais pas honte, Kulilin, » dit maman. Elle le sert alors contre elle. Au moment où je me dis que j'aimerais bien qu'elle fasse pareil avec moi, elle me prend aussi dans ses bras. Elle est toute douce et sent bon. Ca n'arrive pas souvent, alors je suis content quand elle me prend dans ses bras comme ça, ça me fait chaud, mais un chaud agréable. Mon père ne nous dit rien, et part déjà pour travailler dans ses champs. Cela me rend un peu triste. Nous nous mettons donc en marche tous les trois, et Pibôsan me dit de porter le sac de Kulilin, car il est encore petit et que la longue marche qu'on va faire va déjà beaucoup le fatiguer. Cela ne me dérange pas, et puis c'est mon rôle de grand frère, alors je prends son sac. Kulilin me sourit et me dit merci avec un air content.

Nous traversons tout d'abord le village d'Ôrin, où plusieurs personnes sont déjà réveillées pour travailler. Beaucoup de gens disent bonjour à Pibôsan-sensei, et il leur répond. Beaucoup souhaitent bonne chance à Kulilin et me disent d'être un bon grand frère et prendre soin de lui. Évidemment. C'est ce que fait un grand frère. On finit par sortir du village et on arrive dans un chemin plein de terre qui traverse des champs de riz. Certaines personnes ont déjà commencé à travailler dedans, avec leur chapeau de paille rond et pointu et leurs pantalons remontés à cause de l'eau. Je sens que Kulilin est encore un peu timide devant Pibôsan-sensei. Alors, j'essaie de le mettre à l'aise, je le prends par la main et je lui parle de tous mes copains du temple.

« Mon meilleur ami, c'est Tachiôbo. Il arrête pas de dire qu'il est le meilleur. Mais en fait, c'est moi le meilleur. Mais même s'il est un peu bête comme ça, il est très gentil. C'est lui qui est venu me parler, la première fois que je suis arrivé au Temple. Il était là depuis quelques mois. Il m'a dit qu'il m'apprendrait tout ce qu'il savait, mais bien sûr, je suis vite devenu meilleur que lui. Il a un petit frère qui s'appelle Tachiomon. Ils sont tout le temps ensembles et Tachiôbo le défend tout le temps. Tu veux aussi qu'on soit tout le temps ensemble au temple? Je pourrais te défendre! »
Kulilin me regarde et fait un grand sourire, mais il me répond juste en bougeant vite la tête de bas en haut.
« Hmm! Hmm! »
« Mais pour ça, tu devras m'obéir. »
Il hésite un peu, mais finalement, il refait un signe de la tête.
« Hmm! Hmm! »
Je vois qu'il regarde de nouveau Pibôsan-sensei. Il doit encore être un peu timide.
« Et puis, il y a Konomon, il est tout petit, mais il arrête pas de faire des bêtises et il est tout le temps puni. »
Je lui chuchotte: « La dernière fois, il a coupé toutes les feuilles du bonzai de Âmonshu-sensei. Il disait que c'était plus simple que de les couper juste un petit peu toutes les semaines. Si t'avais vu la tête d'Âmonshu-sensei! Il est était tout rouge et une petite veine gigotait sur son crâne! »
En entendant ça, Kulilin rigole.
« Après, il y a Hêzekôzo, il est suuuper grand! Mais il est très rigolo! Il a dix ans! Mais même lui, je suis meilleur que lui! »
D'accord, je mens un peu. Mais c'est pas grave. Je veux que Kulilin voit à quel point je suis un grand frère génial!

Au bout d'un moment, il se met enfin à me demander comment est le temple. Je lui raconte qu'on apprend les arts martiaux par groupes des plus forts au moins forts. Qu'il y a six groupes. La plupart du temps, ce sont les grands qui se retrouvent dans les meilleures classes, même si c'est pas juste car je suis sûr que je pourrais facilement aller dans la meilleure classe. Mais je suis seulement dans la deuxième. Je lui dis aussi que la plupart des élèves quittent le temple quand ils sont grands, à vingt-et-un ans, mais que certains restent et deviennent des apprentis maîtres, puis des maîtres. Je lui dis aussi qu'on a des cours pour apprendre à lire et à écrire, des cours sur des livres, des cours de math, d'histoire générale, d'histoire des arts martiaux, des cours de géographie aussi, et d'autres cours. Mais que tout ça, c'est ennuyeux. Sauf le cours d'histoire des arts martiaux, bien sûr. Les cours de livres peuvent être amusants parfois aussi. Nous discutons joyeusement tout en nous tenant la main, et à un moment, je crois que Pibôsan-sensei nous regarde d'un air amusé.

On finit par sortir des champs de riz et on arrive finalement dans des prairies. C'est le printemps et il y a plein de fleurs partout, de toutes les couleurs. Cela fait un moment que le jour est complètement levé. Le ciel est bleu avec de jolis nuages blancs. Il y a un peu de vent. Les herbes et les fleurs colorées gigotent de tous côtés. Kulilin a l'air de commencer à fatiguer. Voyant ça, Pibôsan se retourne et dit:
« L'entraînement au temple ne sera pas facile. Je sais que tu dois être fatigué, mais si tu veux prouver que tu seras un bon disciple, il faut que tu puisses au moins faire ce voyage à ce rythme. Je ne vais pas très vite, car je sais que tu n'as pas l'habitude. Allez courage. »
Il se retourne et Kulilin a l'air de vouloir commencer à pleurer, alors je sers un peu ma main pour qu'il me regarde et je lui souris pour le consoler. Il me sourit aussi et on recommence à marcher.

Nous marchons pendant encore beaucoup d'heures. Nous faisons quelques pauses, pour manger par exemple, mais aussi parce que Kulilin est fatigué. Finalement, nous arrivons près de la forêt de bambous. Et comme le soleil est en train de se coucher, donnant plein de jolies couleurs au ciel et aux nuages, Pibôsan décide qu'on dormira ici. Kulilin s'assoit par terre.
« J'ai mal aux pieeeeds! »
Il a vraiment l'air fatigué.
« Je peux plus marcheeer!
- Ah oui? Et qu'est-ce que tu vas faire, si un ours attaque? Il faudra fuir!
- Menteur! Piposan-sensei a dit qu'il y avait pas d'ours!
- C'est Pibôsan-sensei et il y a pas d'ours, mais des dinosaures!
- Hein...? C... C'est vrai!
- Hmm! Hmm! » je confirme avec la tête.
Comme je vois que Kulilin est sur le point de pleurer, je vais près de lui et je pose un bras autour de ses épaules.
« Mais je te protégerai!
- C'est... C'est vrai...?
- Oui!
- Mais... Tu peux te battre contre des dinosaures?
- Hmm! Hmm! Bien sûr!
- Promis juré, tu me protégeras?
- Promis juré! »
Il me sourit, mais prend tout de suite un air un peu effrayé.
« Ils... Ils sont gros, les dinosaures..?
- Très très très gros! Ils sont grands au moins comme ça! »
Je monte la main le plus haut possible pour lui montrer. Puis, je mets mes doigts devant ma bouche, pour faire comme des dents et j'essaie d'avoir l'air effrayant.
« Et ils ont des dents longues comme ça! »
Il a l'air d'avoir peur, mais tout à coup, je sens un coup derrière ma tête. Ca fait mal!
« Ca suffit, Kurishô! Cesse d'essayer d'effrayer ton petit frère! Il n'y a pas de dinosaures, ici et aucune bête dangereuse pour nous!
- Oui, Pibôsan-sensei... Pardon, Pibôsan-sensei... » Je baisse la tête, un peu déçu de ne pas pouvoir continuer à essayer d'impressionner mon petit frère.
« Des dinosaures, franchement... Quelles sottises... Quel maître digne de ce nom irait exposer de jeunes disciples à de tels dangers...? Pourquoi pas les plonger dans un lac plein de requins, tant qu'on y est...? »

« ...shô! Kurishô! »
Hmmm... Qu'est-ce que c'est...? J'entends mon nom et je me sens un peu balloté. J'ouvre les yeux. Ah! Où suis-je? Il fait noir!
« Kurishô! »
Je tourne la tête. Mais c'est Kulilin? Ah! C'est vrai, nous sommes en train de dormir à la belle étoile,  car nous allons au Temple d'Ôrin.
« Qu'est-ce qu'il y a, Kulilin...?
- Je... J'ai entendu un bruit... Tu... Tu crois que c'est un dinosaure...?
- Mais non! Aller va dormir!
- Mais... Snif... J'ai... J'ai peur... »
Il a un regard très effrayé.
« Dans ce cas, dors avec moi. »
Je soulève ma couverture et il plonge tout de suite à l'intérieur. Il se sert contre moi.
« Bonne nuit, Kulishô. »
Il est tout chaud. Je remets la couverture sur nous et me blottis contre lui. Je vois le ciel noir, avec plein d'étoiles qui brillent et la lune en croissant, un peu cachée par les feuilles noires des bambous. Et je ferme les yeux, sentant mon petit frère respirer doucement à côté de moi.

Depuis que nous nous sommes réveillés, nous avons traversé la forêt de bambous et nous sommes de nouveau dans des prairies pleines de fleurs de toutes les couleurs. Comme hier, nous faisons des pauses, et nous arrivons quand le soleil ne va pas tarder à aller dormir, près de la montagne où se trouve le temple. Il y a de nouveau une forêt de bambous. On monte la montagne et je crois n'avoir jamais vu Kulilin aussi fatigué. Il est sur le point de pleurer, mais Pibôsan-sensei ne s'arrête pas. J'ai envie d'aller aider mon petit frère, je le prends donc par la main. Plus on monte, plus il va lentement, mais Pibôsan-sensei ne ralentit pas et je dois le tirer un peu plus. Kulilin fait des petits bruits, car il est vraiment presque en train de pleurer. Mais finalement, nous arrivons enfin devant le temple. Il y a quelques champs autour, et quelques maîtres et élèves cultivent ce qu'on va manger. Il y a une grande muraille de pierre qui fait tout le tour, comme une forteresse. À l'intérieur, il y a plusieurs maisons blanches très grandes avec des étages de plus en plus petits. À chaque étage, il y a des toits qui sortent avec des tuiles noires, courbés vers le haut. Et le sommet des maisons est pointu. Il y a aussi quelques arbres dans la cours.

Quand nous arrivons, les entraînements ont l'air d'être finis. Mais c'est normal, car il est tard. Quand on passe dans la cours, tout le monde nous regarde. Ils ont des têtes étonnées. Ils voient que j'ai maintenant un petit frère. Cela me rend content. Mais je sais pas pourquoi, certains rient et nous pointent du doigt. J'accompagne Kulilin et Pibôsan-sensei jusqu'au bureau du maître supérieur, Âmonshu-sensei. Les couloirs sont sombres avec juste des fenêtres assez petites. Quand au arrive devant le bureau, Pibôsan-sensei me demande d'attendre. Je regarde Kulilin qui a l'air apeuré. Alors je lui sers la main et lui souris.
« Vas-y! N'aie pas peur. Je t'attends ici! »
Ils entrent et la porte se referme. J'attends devant. Ils mettent des heures à en sortir et je commence à vraiment m'ennuyer. Finalement, Kulilin, Âmonshu-sensei et Pibôsan-sensei sortent. Âmonshu-sensei a toujours l'air aussi vieux, avec plein de rides et une très grosse sur le front. Mon maître me dit de les suivre. Nous marchons un moment dans les couloirs et nous arrivons finalement dehors. Il y a plein d'élèves du Temple assis en tailleur dans la grande cours. Et des maîtres les entourent. Je suis un peu impressionné par tout ce monde et j'ai envie de partir. Mais je me rappelle que c'est comme ça que les nouveaux sont présentés. Et puis, je suis le grand frère, je dois montrer l'exemple. Je sers la main de Kulilin, qui a l'air encore plus inquiet et nous allons devant.

« Kulishô, va t'asseoir avec tes camarades! »
« Mais... Pibôsan-sensei, je ne peux pas rester avec mon petit frère? »
« Non, va t'asseoir. »
Je tape du pied et j'essaie de faire une tête triste, mais cela n'a pas l'air de marcher, alors je lâche la main de mon petit frère et je vais m'asseoir. Je remarque mes copains et je vais m'asseoir à côté d'eux.
« Salut Tachiobô! Salut Konomon! Salut Hêzekozô!
- Le nouveau, c'est ton petit frère, Kulishô? » me demande Hêzekozô.
« Ouais! » je réponds très content.
« Pourquoi il n'a pas de nez? » me demande Konomon.
Hein? Pourquoi il me demande ça? C'est pas normal de ne pas avoir de nez? C'est vrai que maintenant que j'y pense, je ne connais que mon frère qui n'a pas de nez. Quand je vais répondre, Âmonshu-sensei commence à parler et je sais que je fais mieux de ne plus parler. Il n'aime pas quand on bavarde quand il parle. Et les punitions d'Âmonshu-sensei ne sont pas drôles.

« Nous avons maintenant un nouveau disciple qui vient rejoindre notre saint Temple des arts martiaux d'Ôrin. Je vous présente Kulilin, le petit frère de Kulishô, que vous connaissez déjà. Viens, Kulilin, présente-toi à tes condisciples. »
Kulilin a l'air d'hésiter. Mais il avance et il dit doucement:
« Salut... Je m'appelle Kulilin. »
Il regarde par terre et sa voix est toute tremblante. Tout le monde rigole. Ahlala! Mais qu'est-ce qu'il fait? Ensuite, Âmonshu-sensei commence son long discours sur les arts martiaux et sur la responsabilité qu'ils représentent et sur les règles et bla bla bla. Pourquoi il fait ça à chaque fois qu'il y a des nouveaux? Il y en a pratiquement toutes les semaines! Finalement, il arrête de parler et demande au monsieur que j'oublie toujours son nom et qui s'occupe de nous raser la tête et de nous mettre les six points sur le front. Au moment où il essaie de lui passer le rasoir sur le crâne, Kulilin fuit et se met à pleurer! Et tout le monde rit.
« Quel poltron ton frère! » me dit Tachiobô.
Je suis un peu choqué qu'il dise ça. Il m'énerve! Pourquoi il dit un truc aussi méchant? Et pourquoi Kulilin fait l'idiot comme ça! Il me fait honte. Finalement, Pibôsan-sensei lui explique que tous les experts en arts martiaux doivent se raser le crâne, et que s'il voulait vraiment en devenir, il devait accepter de le faire. Kulilin se calme enfin, ils lui rasent la tête et lui dessinent les six points, mais tout le temps, Kulilin pleure. Il m'énerve! Arrête de pleurer! Enfin. C'est pas grave. Je lui expliquerai et il comprendra ce qu'il faut faire.

Quand tout est fini, je me lève et cours vers Kulilin.
« Pourquoi tu as pleuré? Un expert en arts martiaux ne pleure pas! Et c'est normale de se raser la tête! Regarde, moi, je le suis! »
Kulilin me regarde sans rien dire, un peu étonné, comme s'il remarquait que j'étais rasé pour la première fois. Âmonshu-sensei arrive et nous dit:
« Vous vous reverrez demain. J'emmène Kulilin dans le dortoir des disciples du premier niveau. Il doit être fatigué. »
Mon petit frère me regarde comme s'il avait peur. Je lui dis de ne pas s'inquiéter et qu'on se reverra demain. Mais il n'a pas l'air plus rassuré. On se dit tous les deux bonne nuit et quand il part avec Âmonshu-sensei, il me regarde. Je lui fais un signe de la main et enfin il sourit un peu et me répond avec sa main. Je cours rejoindre mes amis.

« T'as vu, Tachiobô? Maintenant, moi aussi j'ai un petit frère! Lui aussi, il va faire tout ce que je lui dirai! Comme Tachiomon avec toi! Et puis, je vais lui apprendre tout ce que je sais! Je suis sûr qu'il deviendra vite très doué! Et je suis sûr qu'on va bien s'amuser! »
Je continue de parler de mon petit frère pendant un moment, car j'ai toujours trouvé injuste qu'il ait son petit frère pour faire plein de trucs avec lui. Et je veux lui montrer que moi aussi, je vais pouvoir faire tous ces trucs! Mais il m'arrête tout d'un coup.
« Arrête avec ton petit frère! Il a l'air stupide et poltron! Il va jamais devenir bon! Et puis, il ressemble à un crapaud sans nez, parce qu'il a pas de nez! Et c'est pire maintenant qu'il n'a plus ses cheveux! »
Konomon et  Hêzekozô se mettent à rigoler. Mais pourquoi il a dit ça! Je croyais que Tachiobô serait content que j'aie enfin mon petit frère. Je suis presque en train de pleurer, tellement il m'a fait de la peine. Mais je me retiens. Ce serait la honte! Un expert en arts martiaux ne pleure pas! Je baisse la tête et je ne dis rien, pendant que mes amis retournent dans le dortoir en riant. Je vais faire en sorte que Kulilin ne soit plus aussi idiot et peureux! Ils vont voir! Je suis sûr qu'il deviendra très fort. Mais bien sûr, pas aussi fort que moi.

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